Matsombo, protagoniste de deux romans, il esquisse un portrait magistral du Noir évolué déraciné, produit tragique des ambiguïtés du système colonial. Geeraerts se révèle tout de suite un excellent styliste.
Le conflit entre nature et culture - thème éminemment romantique - s'amplifie et culmine dans les quatre romans de Gangreen (Gangrène). Symbolisant l'amputation d'un membre gangréné, l'écriture y devient avant tout thérapeutique et doit aboutir à une libération. Black Venus (Vénus noire, 1968) représente la nostalgie de la vie primitive, païenne, vécue à travers l'amour, la mort et la violence, avec un érotisme à la fois délirant et désolant. Les qualités littéraires - une véritable éruption - valent au livre le Prix triennal de l'Etat pour la prose, décision qui suscite des controverses et... un succès de scandale. De goede moordenaar (Le bon assassin, 1972), qui relate l'action d'un peloton de pacification intervenant dans des luttes tribales, approfondit le thème de la violence institutionnelle, la confrontation avec la mort et le vitalisme. Het teken van de hond (Le signe du chien, 1975) esquisse l'éducation petite-bourgeoise et catholique et évoque une série d'initiations et de mythifications. Het zevende zegel (Le septième sceau, 1977), récit de l'échec d'un mariage, dénonce la morale conjugale catholique et, plus généralement, les valeurs établies. C'est ainsi que le ‘bourgeois de gauche’ que Geeraerts estime être a cicatrisé les plaies béantes de son passé.
Se sentant apparemment mieux dans sa peau, l'écrivain change de cap et s'essaye à un genre non pratiqué en Flandre: le thriller. Dans
Kodiak. 58 (1979), un riche Américain cherche à tuer Mobutu destitué et vivant à Bruxelles.
De coltmoorden (Les meurtres au colt, 1980) est une histoire de pouvoir et de meurtre avec en toile de fond une Belgique de 1990 devenue Etat autoritaire.
Diamant (1982) illustre les dangers
Jef Geeraerts (o1930).
de la convoitise dans la confrontation d'un jeune Africain avec les milieux diamantaires anversois.
Drugs (1983) combine une affaire d'héroïne et un régime de droite en Belgique en 1989. Un duo de policiers anversois démêle une histoire de meurtre dans
De trap (L'escalier, 1984).
De zaak Alzheimer (L'affaire Alzheimer, 1985) les met aux prises avec un tueur à gages américano-anversois.
Pour ce dernier roman, Geeraerts s'est vu attribuer, début novembre 1986, le prix De Gouden Strop (La corde d'or), décerné par l'Association des auteurs policiers néerlandais. Cette distinction contraste avec l'accueil pour le moins très mitigé réservé à ces thrillers par la critique en Flandre. Celle-ci estime, en général, que les descriptions techniques des armes et gadgets et toutes sortes de digressions nuisent au rythme du récit et semble moins sensible aux projections de la paranoïa politique créatrice et aux vaticinations de l'auteur. Les lecteurs, eux - mais peut-être pas toujours les admirateurs du Geeraerts première mouture -, suivent ce nouveau Geeraerts, qui a conservé la magie du style et ses caractéristiques d'action, de violence et de critique de la société.
Het Sigmaplan (Opération Sygma sur la Belgique, 1986), dont la traduction française vient de paraître, brode une suite à l'actualité belge récente des Cellules Combattantes Communistes et de la fameuse Bande de Nivelles en imaginant de vastes ramifications d'ordre politique.
Signalons, par ailleurs, que Geeraerts a aussi traduit en néerlandais des oeuvres notamment de Blaise Cendrars, Albertine Sarrazin, Pierre Schoendoerffer, François Nourissier et Vladimir Volkoff.
Willy Devos
OEuvres de Jef Geeraerts parues en traduction française: Le coriace. Traduit par Jeanne Buytaert. Dans Les grands conteurs flamands, Editions Wellprint, collection Zénith, no11, Bruxelles, 1969, pp. 303-337.
Je ne suis qu'un nègre. Traduit par Maddy Buysse. Fayard, Paris, 1971, 260 p. (Ce volume réunit les deux récits ayant Matsombo comme personnage principal, 1961 et 1966).
Gangrène. Black Venus. Traduit par Marie Hooghe. Labor, Bruxelles, 1984, 156 p. Chasses. Traduit par Marie Hooghe. La Longue Vue (La pie sur le gibet), Bruxelles, 1984, 156 p.
Opération Sygma sur la Belgique. Traduit par Marie Hooghe. Didier Hatier, Bruxelles, 1987, 253 p.