Histoire
Erasme à l'Institut Néerlandais
Erasme de Rotterdam est mort le 12 juillet 1536. A l'occasion du 450e anniversaire de sa mort, un cycle de conférences consacré au grand humaniste a eu lieu à Paris.
‘Il a accompli son oeuvre, et ne reviendra plus parler au monde’, écrivait le grand historien néerlandais Jan Huizinga dans sa biographie d'Erasme parue en 1924. Il faisait ainsi allusion au fait que la majeure partie de l'oeuvre d'Erasme n'est plus lue de nos jours. Humaniste chrétien, Erasme s'est en effet consacré surtout à la correction, à l'édition et à la traduction des écrits de l'antiquité classique et à la révision de la traduction de la Bible. Toutefois, le cycle de conférences qui s'est tenu en décembre dernier à l'Institut Néerlandais a prouvé que l'actuelle génération d'historiens de l'Université Erasme de Rotterdam a bien conscience de l'actualité de ce grand humaniste.
Au cours de la première conférence, Willem Frijhoff a campé un Erasme activiste de la parole. Car Erasme ne s'intéressait pas seulement aux textes anciens en tant que tels: il se proposait en même temps de faire passer ses connaissances en rédigeant des manuels qui ouvrissent au profane l'accès à la langue latine. Il se dépensait en outre pour que l'enseignement non monastique pût disposer de bons textes imprimés. Par le canal des mots, il voulait permettre à chacun d'accéder à la culture, laquelle, à ses yeux, ne se limitait pas à la connaissance scientifique mais comportait aussi des éléments de savoir-vivre comme d'utiliser un mouchoir pour se moucher plutôt que de se frotter le nez avec la manche. Sa conviction que le partage de la connaissance pouvait donner à chacun des chances égales, nous la retrouvons plus tard à l'époque des Lumières: elle n'a d'ailleurs rien perdu de son actualité de nos jours.
La conférence du Français André Godin braqua surtout les projecteurs sur la personnalité et les amitiés du grand humaniste. L'image de l'amitié hante l'oeuvre d'Erasme qui y voit un symbole de son idéal de convivialité paisible, la communauté chrétienne. Mais dans la vie quotidienne d'Erasme aussi l'amitié tenait une grande place, témoin l'abondante correspondance qu'il échangea avec quantité d'amis. Et pourtant, il lui est souvent arrivé d'écrire des lettres désagréables. Godin attribue ce manque d'aménité à la naissance
Erasme de Rotterdam.
obscure et illégitime d'Erasme, qui fit toujours sa honte. Si l'amitié jouait un rôle de catalyseur dans la restauration de son identité blessée, ce manque d'assurance exaspérait sa susceptibilité et sa vulnérabilité à l'égard de ses amis.
Wim Blockmans exposa les idées politiques d'Erasme, telles qu'elles apparaissent dans ‘L'éducation du prince chrétien’, ouvrage qu'Erasme écrivit après son accession à la fonction de conseiller du jeune Charles Quint. Ses idées sur le rôle de l'Etat étaient neuves pour son temps et elles ont bien souvent encore une allure moderne. Il estimait que l'Eglise n'avait pas autorité sur l'Etat. C'était au prince de veiller à ce que le bien commun du peuple reste l'objectif de la politique; en outre l'individu chrétien avait sa part de responsabilité dans les situations et évolutions au sein de l'Etat. L'Etat était investi d'une fonction de redistribution. C'est ainsi par exemple que la richesse devait être équitablement répartie grâce à la mise en oeuvre d'un système d'imposition progressif, que les pauvres devaient jouir des mêmes droits à la scolarisation que les riches et que, pour la même faute, un enfant riche devait être plus sévèrement puni qu'un enfant pauvre. Toutes opinions qu'il soutenait en un temps où c'était le contraire qui était la règle! Nous sommes donc fondés à dire qu'Erasme était en avance sur son temps et qu'il n'a rien perdu de son actualité.