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Louis Couperus (Photo du ‘Letterkundig Museum, Den Haag’).
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louis couperus en france
marc galle
Né en 1930 à Denderleeuw (Flandre orientale). Docteur ès lettres de l'université de Bruxelles avec une thèse sur Het noodlot in het werk van Louis Couperus (1963 - Le destin dans l'oeuvre de Louis Couperus), publiée en 1973 sous le titre Van gedroomd minnen tot ons dwaze bestaan (De l'amour rêvé à notre existence stupide). A publié encore plusieurs études sur le même auteur: Couperus in de kritiek (1963 - Couperus par la critique), Couperus en de liefde (Couperus et l'amour), Couperus en de psycho-analyse (1963 - Couperus et la psychanalyse), et préparé une édition des poèmes et de plusieurs nouvelles de Couperus. Son étude sur Couperus lui a valu le prix de la province du Brabant. Une monographie de Cyriel Buysse (1966). A composé avec Garmt Stuiveling et Roger Bodart le Guide littéraire de la Belgique, de la Hollande et du Luxembourg (1972). Auteur du scénario de films culturels consacrés aux artistes Cyriel Buysse, August Vermeylen, Jan Yoors et Marnix Gijsen. Collaborateur au Uitspraakwoordenboek der Nederlandse taal (Dictionnaire de la prononciation du néerlandais). Depuis 1965, donne quotidiennement une chronique du bon usage néerlandais à la BRT, émissions néerlandaises de la radiodiffusion belge, qui lui a valu le prix Sabam. De nombreux séminaires sur la langue et la littérature néerlandaise à plusieurs universités étrangères.
Adresse:
Neerleest 6, 1020 Brussel (Belgique).
L'auteur néerlandais Louis Couperus (1863-1923) a vécu de nombreuses années à l'étranger, et plus particulièrement en France et en Italie. Dès avant 1900, il avait quitté le Nord:
Mon âme est double: enfant de mélancolie boréale,
elle se terre, toute humble, sous le ciel du Nord
et se sent une avec la mer et l'air gris.
Mais quand s'enfuient les visions de crépuscule
vers les ombres incolores de malheurs obscurs,
elle lance son cri de joie vers le ciel d'azur.
Louis Couperus a écrit un nombre considérable de pages sur la France. La littérature française ainsi que les musées français l'ont profondément impressionné. Sachons d'abord qu'avec son camarade d'école, Frans Netscher, et sous l'influence de son professeur de littérature néerlandaise, Jan ten Brink, il fit assez tôt connaissance avec la littérature française, avec l'oeuvre de Hippolyte Taine, celle de Gustave Flaubert, de Paul Bourget et de Théophile Gautier entre autres. Mais ce fut surtout l'oeuvre d'Emile Zola qui retint son attention. A la fin de sa vie, en 1923, Couperus rendit encore hommage à cet écrivain dans les termes suivantes: ‘Je lisais beaucoup Zola et...le monde s'ouvrit à moi. Car Zola, reconnaissons-le ouvertement, était le grand et loyal maître de notre génération de prosateurs. Et telle est restée mon opinion. Zola nous a ouvert les portes, nous a montré le monde, nous a indiqué la voie vers les immenses contrées de la Vie dans les horizons fuyants. Les mains levées, enthousiastes, même si la mélancolie et le désespoir remplissaient nos jeunes âmes (...), nous avons suivi le chemin nouveau, et nous avons appris à regarder la Vie telle qu'elle était, sans sentimentalité, sans romantisme, cruelle et fatale, mais douloureuse telle une Mère qui souffrait
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Louis Couperus à vingt ans (Photo du ‘Letterkundig Museum, Den Haag’).
pour ses jeunes enfants que nous étions, et pendant que nous marchions, dans notre extase juvénile, sur la longue route qui s'étendait devant nous, nous nous promettions de nous écrire, de décrire et de noter tout ce que nous voyions, ressentions, vivions et souffrions au moyen du Verbe brillant, noble, englobant tout et accueillant tout!
Nous avons tenu parole: nous avons écrit. Nous avons écrit après avoir lu, surtout après avoir lu et appris d'Emile Zola, notre Maître imposant, sans l'enseignement duquel, même s'il était cruel et s'il ne ménageait jamais les tendres sensibilités de notre jeunesse accablée, nous n'aurions jamais vu ni su quelle est la Vie réelle pour nous, les hommes, dès que tous les voiles sont levés et que toute la sentimentalité romantique de l'époque de nos parents et de nos grands-parents a été écartée avec mépris. Tous ceux qui, en ces années, se sont adonnés avec nous à la littérature, étaient des disciples de Zola, ne l'oublions jamais. (...) Personnellement, du moins, je témoignerai ma reconnaissance à l'égard d'Emile Zola aussi longtemps que mes mains sauront guider la plume.’
Le premier contact de Louis Couperus avec Paris fut un échec. Le tendre esthète qu'il était avait déjà visité en 1890 la capitale française, ce haut lieu du monde culturel international. Il doit même avoir eu l'intention de s'y établir, sinon pourquoi se serait-il fait rayer du registre de la population de La Haye? Il y écrivit notamment les nouvelles Een Verlangen (Un désir) et Een illuzie (Une illusion), dont les personnages principaux se révélaient être des névropathes indolents, incapables d'affronter la vie, comme c'était déjà le cas de l'héroïne de son premier roman, Eline Vere (1888).
Le séjour de Couperus à Paris fut sombre, comme nous pouvons le déduire d'une lettre qu'il adressa le 31 octobre 1890 à sa cousine Marie Vlielander Hein: ‘J'ai le sentiment de jeter une ombre sur tout ce qui m'entoure et sur tous ceux avec qui je parle...’.
Il avait besoin de sa mère, disait-il encore - il avait 28 ans -, et le 24 novembre 1890, il écrit: ‘Parfois, même si je ne l'écris pas à Oma (il s'agit de sa mère), tout ici est si grand, si vaste, si froid et si
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solitaire autour de moi, comme si Paris était le Sahara. Tu me diras, bien sûr, pourquoi ne reviens-tu pas là où tu n'auras pas froid, où tu ne seras pas seul, mais à vrai dire, je sens qu'il vaut mieux que je m'éloigne de La Haye, même de vous tous qui m'aimez tant. Même s'il m'arrive d'avoir froid de temps à autre, je n'ai pas encore regretté une seule minute d'être venu ici.’
Vers le nouvel an de 1891, Couperus regagne tout de même La Haye. Selon le journal De Provinciale Groningsche Courant, il aurait été transféré de Paris à un centre psychiatrique à Utrecht, information dont nous n'avons toutefois pu trouver aucune confirmation. Marie Vlielander Hein nous a dit à ce propos ‘qu'il arrive plus facilement aux âmes sensibles qu'aux autres de songer à l'autodestruction’.
Plus tard, le 9 septembre 1891, il épousa une autre de ses cousines, Elisabeth Baud. Ensemble, ils retournèrent encore à Paris, qui lui restait cependant tout aussi antipathique. Couperus y logeait au 18, rue Chateaubriand, où il écrivit le roman Majesteit (1893), qui parut assez rapidement en traduction: Majesté (1898). Dans son introduction, Maurice Spronck compare le roman avec Les rois (1898) de Jules Lemaître. Wereldvrede (1895), le roman suivant, y parut aussi en traduction: Paix universelle (1899). En 1896, Couperus y travailla encore au roman autobiographique Metamorfoze (1897 - Métamorphose), et plus spécialement au chapitre sur l'Anarchisme, mais ‘Paris n'est pas Rome, et tous les deux, nous trouvons que l'air de Paris est chargé d'une mélancolie qui est absente du ciel bleu du doux Midi’. Le conte Psyche (1898), écrit en Allemagne, paraît encore en traduction française sous le titre Le cheval ailé (1923). Dans sa préface, Julien Benda écrivit notamment: ‘Comme Tourgueniev, comme Nietzsche, M. Louis Couperus est un de ces fils du Nord qui se sont fait du pays du soleil une seconde patrie, et de la civilisation méditerranéenne une seconde tradition. Lui-même nous parle de cette “âme latine” qu'il s'est découverte dès l'enfance et qu'il a longuement promenée, instruite et formée sous les ciels de France et d'Italie. Il n'en semble que plus naturel de faire connaître à un public français le matre hollandais dont, au surplus, les nombreux poèmes et romans sont lus et applaudis de tout le Nord cultivé.’ Cette traduction connut quatre
éditions en France.
En 1900, Louis Couperus s'établit à Nice, dans la Villa Jules, située avenue Saint-Maurice, où il écrivit De boeken der kleine zielen (1901-1903 - Les livres des petites âmes), qui constituent pour ainsi dire un adieu au Nord. Dans une lettre du 22 décembre 1900, adressée à Marie Vlielander Hein, il écrit: ‘Ici, c'est un vrai paradis’. Il devait se tourner désormais vers le passé ‘défunt’, vers la mythologie et l'art ancien. Toujours à Nice, il écrivit entre autres Babel (1901), Over lichtende drempels (1902 - Au-delà de seuils lumineux), Dionyzos (1904 - Dionyse), De berg van licht (1905-1906 - La montagne de lumière), Van oude mensen, de dingen die voorbijgaan (1906 - Vieilles gens, choses qui passent) et, plus tard, Herakles (1913 - Héraclès).
A Nice se jouent encore la nouvelle Bébert le boucher et André le pêcheur (1910), qui se situe quai de Midi, ainsi que son Incognito in Nice (1910 - Incognito à Nice). Dans ses célèbres Legenden van de blauwe kust (1910 - Légendes de la
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Louis Couperus (Photo du ‘Letterkundig Museum, Den Haag’).
Côte d'Azur), il écrit une fois de plus que sa femme et lui avaient fait venir ‘de la froide Hollande’ tout ce qui leur appartenait. De 1906 à 1913, Couperus n'écrivit à Nice que de petits textes: ‘L'antiquité, que j'aime beaucoup, ne me parle pas ici, bien que nous ayons quelques vestiges, une arène antique à proximité de Cimiez, même s'il y a des ruines de l'époque d'Auguste à La Turbie. Ici, l'antiquité se tait. Elle ne se révèle pas au promeneur qui longe la Côte d'Azur comme elle se manifeste, généreuse et maternelle, au voyageur qui parcourt le Latium. Ici, on ne songe pas à l'antiquité. Sous ce ciel bleu, au bord de cette mer d'azur, on songe uniquement au présent, au jour d'aujourd'hui, à la jouissance du moment présent...’ Ses récits Tragisch diner (Dîner tragique) et Avond in het casino (Soirée au casino) ainsi que sa brillante description du carnaval sont consacrés à la ville de Nice ou s'y déroulent. Dans un entretien fictif avec lui-même, nous apprenons que le climat de Nice l'incitait à la paresse. C'est pourquoi, pendant plusieurs années, il ne devait plus écrire de roman. C'est sous l'influence de son séjour dans le Midi qu'il écrivit notamment: ‘Nous voulons trop vivre nous-mêmes, les hommes, nous, âmes tendres et vagues, nous ne nous laissons pas assez vivre...’.
Nous savons que ce n'est pas là l'unique raison pour laquelle Couperus n'écrivait plus de romans, comme il l'avait fait savoir notamment à son éditeur, L.J. Veen. Outre le fait que sa source d'inspiration hollandaise s'est tarie, c'est la jouissance du moment présent - il nous a donné une jolie traduction néerlandaise du ‘carpe diem’: pluk de dag, cueillons le jour - qui doit avoir contrecarré tout travail créateur sérieux jusqu'au moment où il s'est tourné exclusivement, à partir de 1913, vers la mythologie et l'antiquité.
Couperus a passé une partie de la première guerre mondiale aux Pays-Bas. Par la suite, il a encore effectué de grands périples en Afrique, en Indonésie, au Japon et en Chine, et quelques petits séjours à Paris et à Londres. En 1921, il arriva dans la capitale française où il devait assister, au mois de mai, à l'exposition consacrée à la peinture néerlandaise au Musée du Jeu de Paume. Il logeait à l'hôtel Régina, à proximité du Louvre. Toutefois: ‘Paris reste toujours à quelque
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distance de moi, Paris ne m'adopte pas. A Paris, je suis toujours en visite (...); à Rome, je me sens toujours comme un enfant que l'on berce doucement. Paris ne me prend jamais dans ses bras.’ Pourtant, il adore y flâner: ‘J'aime beaucoup la rive gauche (...). J'aime beaucoup dîner chez Soufflet (...). J'aime passionnément le Musée de Cluny, avec les splendides gobelins de la Dame à la licorne et les couronnes royales gothiques (...). Si j'aime Paris? A vrai dire, oui. C'est une ville où, il y a bien des années, j'ai souffert. Lorsque les années s'écoulent, on ne peut qu'aimer l'endroit où l'on a souffert.’
Louis Couperus n'a guère de contact direct avec des auteurs français. Teodor de Wyzewa, qu'il a rencontré lors de son premier séjour à Paris, et qui a écrit sur lui dans Le roman contemporain à l'étranger (1900), constitue une grande exception. Toutefois, Couperus a été fort influencé par la littérature et les courants spirituels français. Nous avons déjà mentionné Emile Zola, auquel il a encore rendu hommage à la fin de sa vie. En 1895, il écrivit De Verzoeking van den Heiligen Antonius d'après La tentation de Saint-Antoine de Gustave Flaubert, dont Salammbô lui avait été une véritable révélation. Contrairement aux écrivains du mouvement de Quatre-Vingt, qui vouaient un culte aux lakistes anglais, Couperus a très tôt fait la connaissance de l'oeuvre de Théophile Gautier, de Leconte de Lisle et d'autres écrivains décadents. La littérature française répondait en partie à sa propre conception de la vie et à ses aspirations artistiques. C'est principalement sur la Côte d'Azur qu'il a trouvé une conception de la vie - se laisser vivre davantage - et une nature qui, pendant quelque temps, l'ont libéré de ses sombres idées de fatalité. C'est pourquoi il a prolongé ce qu'il appelait son ‘auto-exil’. C'est à Nice, où il s'était écrié: ‘Oh, mon Dieu, ce que je m'ennuie’ qu'il a réalisé la partie quantitativement la plus importante de toute son oeuvre.
Louis Couperus est considéré comme l'un des plus importants parmi les auteurs européens. Son oeuvre a bénéficié d'un accueil particulièrement favorable dans les pays anglo-saxons - aux Etats-Unis, on le qualifiait de ‘a man of genius’, homme de génie - et en Allemagne. Pratiquement toutes ses oeuvres importantes y ont été traduites. Provisoirement, il est moins connu en France. Seuls y étaient traduits les romans déjà cités, Psyche, Majesteit, Wereldvrede, ainsi qu'Extaze (1892 - Extase, 1897). Il y a quelques années, j'eus l'occasion de donner une causerie sur Louis Couperus, décadent européen à l'Institut néerlandais à Paris, devant un public composé en partie d'éditeurs, auquel M. Francis Ambrière, directeur de la maison d'édition Hachette, m'a présenté. A cette occasion, j'ai formulé le voeu que les grandes oeuvres de Louis Couperus puissent être présentées au public français. Depuis, Van oude mensen, de dingen die voorbijgaan a paru en français: Vieilles gens et choses qui passent (1973). Mais quand seront traduits De boeken der kleine zielen (Les livres des petites âmes), De stille kracht (La force secrète) et tant d'autres? Lors du vernissage de l'imposante exposition consacrée à l'Expressionnisme flamand d'Ensor à Permeke à l'Orangerie, en 1970, nous avons entendu des critiques d'art parisiens, admirant une oeuvre de Permeke, se poser la question: ‘Comment est-il possible que nous ayons dû attendre si longtemps avant de faire la
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connaissance d'une oeuvre d'art de cette valeur, et qui date de 1935, alors que la Flandre se trouve à peine à quelques heures de distance de Paris?’
Espérons que leur enthousiasme sera toujours aussi grand lorsqu'ils pourront enfin, après trois quarts de siècle, apprécier l'oeuvre du plus important parmi les romanciers néerlandais.
Traduit du néerlandais par Willy Devos.
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Bibliographie des oeuvres traduites en français de Louis Couperus:
Extase. 1897. (Nous n'avons trouvé aucune autre information bibliographique au sujet de cette traduction). Néerlandais: Extase, 1892.
Majesté. Traduit du néerlandais par L. Baud. Précédé d'une étude de Maurice Spronck. Paris, Plon, Nourrit & Co, 1898. Néerlandais: Majesteit, 1893.
Paix universelle. Traduit du néerlandais par L. Baud. Paris, Plon, Nourrit & Co, 1899. Néerlandais: Wereldvrede, 1895.
Fleurs de Nuits. Traduit par Knopff. Paris, Revue des Revues, 11 juin 1894; L'Ermitage, janvier-février 1900. Néerlandais: Nachtbloemen.
Vivier et cascade. Traduit du néerlandais, avec introduction, par Paul Eyquem. Paris, Nouvelles littéraires, 16 juin 1923, p. 6. Néerlandais: Vijvers met karpers en waterval, extrait du roman Het snoer der ontferming (1924 - Le collier de la miséricorde).
Le cheval ailé. Traduit du hollandais par J. Barbier. Préface de Julien Benda. Paris, Editions du Monde Nouveau, 1923, XI-191 p. Néerlandais: Psyche, 1898.
La découverte. Traduit du néerlandais par H. Plard. Dans l'Anthologie de la prose néerlandaise - Pays-Bas II, Romanciers et nouvellistes, Paris-Bruxelles, Aubier-Asedi, 1972, p. 125-139. Néerlandais: De ontdekking, extrait du roman Van oude mensen, de dingen die voorbijgaan, 1906.
Issos. Traduit du néerlandais par J.-M. Delcour. Idem, p. 141-163. Néerlandais: Issos, extrait du roman Iskander, 1920.
Vieilles gens et choses qui passent. Roman traduit du néerlandais par S. Roosenburg. Paris, Editions universitaires (Pays-Bas/Flandre), 1973. 326 p. Néerlandais: Van oude mensen, de dingen die voorbijgaan, 1906. De ce dernier livre, il existe une traduction inachevée et inédite par l'écrivain Neel Doff.
Willy Devos |
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