point vouloir en conserver l'exclusivité. La collection - une cinquantaine de toiles, de Cézanne à Fernand Léger - se promène à travers les deux continents. C'est bien mieux ainsi.
A Bondues-Marcq-en-Baroeul, la Galerie Septentrion devient décidément un pôle d'attraction. Elle a présenté déjà, depuis la rentrée, deux expositions temporaires. Le sculpteur Jean Roulland, qui n'est plus un inconnu, a montré une trentaine d'oeuvres, la plupart bronzes à cire perdue, fondus dans ces formes tourmentées qui caractérisent le jeune artiste. On a remarqué surtout son ‘Christ de Verdun’, extraordinaire amalgame de Victoire de Samothrace, d'oiseau de mort et de crucifié. Il lui fut inspiré, a-t-il dit, par les souvenirs que son père apporta du Chemin-des-Dames.
Découverte étonnante, due aussi à Septentrion: celle d'un jeune homme de 85 ans, Gabriel Trousselle, ancien armateur à Boulogne-sur-Mer, original en diable, éleveur saugrenu d'un microcosme fantasmagorique. Cet ami d'André Salmon a aimé les surréalistes, c'est visible, mais inutile de vouloir le classer. Il échappe à toutes les étiquettes. Il a accroché trois-cents titres tels que ‘Discours électoral’, ‘Sainte Nitouche’ et autres qui font penser un peu à Erik Satie, et même une exposition ‘parallèle’, dont l'érotisme à trouvé refuge dans un coin discret de la galerie.
Les expositions ‘principales’ de Septentrion sont doublées de présentations permanentes de toiles et de sculptures, que les amateurs peuvent acquérir ‘à crédit’. Un comité de sélection comprend cinq personnes chargées d'accueillir les exposants éventuels et de maintenir un critère de qualité sur les cimaises accessibles en principe à tout artiste.
Pendant ce temps, Raphaël Mischkind poursuit sa mission de découvreur de talents. Il travaille souvent, depuis l'an dernier, non seulement pour sa galerie personnelle, rue Jean-Sans-Peur à Lille, mais aussi pour les salles mises à sa disposition au convent des Dominicains, monastère d'architecture très récente, aux confins de la grande ville et de La Madeleine-lez-Lille, avenue Salomon, près du Grand Boulevard. En octobre, onze peintres y furent mis à l'honneur, onze tempéraments différents, mais amoureux de leur Flandre, à des degrés divers d'intensité, Flamands d'origine, d'adoption ou de passage: Jean Dehelly, Arthur Van Hecke, Abel Leblanc, Patrick Spriet, Georges Laporte, Olga Mischkine, etc. Après une présentation de ‘Maîtres connus, inconnus, méconnus, du XIXe à nos jours’, thème évidemment trop extensible et choisi surtout en vue d'y inclure tout ce que l'on veut vendre à un moment donné, Mischkind a présenté chez lui un peintre douaisien, Claude Genisson, plus familier des galeries de pays étrangers, d'Europe occidentale, que de celles de sa région natale. Il lui fallut attendre octobre 1970, en effet, pour être révélé au public lillois. C'est un réaliste qui tire son pouvoir hallucinant du sujet bien plus que des techniques d'expression. Dans ‘La Chute d'lcare’ ou ‘La Démolition’, par exemple, il exploite le drame avec un souci de vérité, il faudrait dire de ‘vérisme’, qui fait penser à l'intervention de l'objectif d'un appareil photographique surprenant le fait-divers brut. Ce n'est pas nécessairement là un reproche. L'art de Genisson, qui n'aurait point surpris au XIXe siècle, nous
trouble aujourd'hui, car il nous ramène à une conception bien oubliée de la peinture. Il prouve du moins, à l'évidence, la diversité des courants qui peuvent coexister en cette seconde moitié du XXe siècle, chez les peintres comme chez les musiciens.
Un Christoforou, par exemple, s'y prend tout autrement pour traduire on ne sait quelle inquiétude fondamentale. Il a apporté à la Galerie Nord, place Louise-de-Bettignies d'étranges figures abâtardies, mihommes, mi-lièvres, dont la seule fenêtre sur le monde n'est souvent qu'oeil noir de cyclope. Mais quel virtuose de la couleur!
Plus rassurant sans doute, et pourtant bien accablant aussi, Pierre Cattelin s'est fait connaître aux visiteurs de ‘la Taverne de Dickens’, établissement de la rue de Béthune. Autodidacte, en pleine possession de ses moyens, il ne cache pas avoir reçu l'influence d'un Manesse et d'un Tremeau, autres artistes lillois que la misère des humbles a étreints de façon indélébile. Ses personnages sertis de forts traits noirs se retrouvent de toile en toile. Il faut que l'artiste échappe maintenant à ce couvercle de plomb qui accable son humanité et s'élance vers quelque message d'espoir. On ne peut répéter indéfiniment les mêmes chants tristes. Cattelin finirait par se taire, et ce serait bien dommage. Evadons-nous maintenant de la peinture et du centre de Lille. Nous n'irons pas loin: à Wattignies, à l'église Saint-Lambert, qui possède un magnifique rétable de la fin du XVIe siècle. D'origine allemande ou flamande, il fut acheté vers 1850 à Anvers, par un antiquaire lillois, le comte Maisniel de Wattignies. Sculpté en bois de chêne, il représente soixante-quinze personnages naïfs de la Passion. Il est grand temps de prendre des mesures pour sa conservation. Un Lillois, M. Julien Hache, a entrepris une campagne afin d'attirer sur ce retable l'attention du ministère des Affaires culturelles. Souhaitons qu'il soit rapidement entendu.
Jean Demarcq
Visage par Christoforou.
Un Leger de la collection de Menil.
Les marchandes de poisson par Cattelin.