tijdschriften en boeken
La Flandre française de langue flamande.
Il y a des années déjà que Monsieur Coornaert m'annonçait un ‘petit livre’ sur la Flandre. L'ouvrage s'est honorablement étoffé avant que l'auteur se décide, à l'heure où son ‘destin ...approche inexorablement du port commun’, à ‘couper tels quels les fils qui retenaient la chaìne au métier’. On imagine avec émotion la curiosité toujours insatisfaite travaillant au long des années à l'oeuvre de piété, au caïrn historique jamais achevé... J'eusse souhaité qu'une plume plus autorisée traitât d'un livre aussi unique... C'est la seule raison d'un aussi long silence... Car s'il faut en croire l'auteur quand il avoue lucidement les insuffisances de son oeuvre, que dire de celles du ‘scholiaste’?
A quoi bon reprendre l'énumération d'‘insuffisances’ dont l'aveu même donne d'emblée à l'ouvrage une touche de gravité et d'honnêteté intellectuelle aussi rares qu'estimables dans une étude si souvent abordée avec une passion nationaliste et partisane. Pourtant, si l'auteur découvre à la Flandre ‘une lointaine vocation... à s'intégrer, avec une facilité qui déconcerte au premier regard, dans cette famille, la France, - et à y rester elle-même’, je ne puis m'empêcher de penser par devers moi que l'aveu d'‘ignorances... généralement partagées’ trahit dans ce transfert une certaine perte, pour moi hautement significative, de son histoire...
A quoi bon? Le livre sonne vrai et l'on en croit volontiers l'auteur: ‘j'ai voulu servir la vérité, - celle qui se dresse sur le champ des faits’... ‘Transporter dans les siècles reculés toutes les idées du siècle où l'on vit, c'est des sources d'erreur, celle qui est la plus féconde’. L'auteur a su à un rare degré garder devant les yeux cette mise en garde de Montesquieu qu'il cite au chapitre six. Dans un siècle où Jacob van Maerlant (wat walsch is, valsch is) écrit toujours outre frontière l'histoire sainte de la Flandre en France, on aime à découvrir avec l'auteur une situation toute en nuances dégagée des mythes surimposés au moment des guerres de religion nationalistes.
A ma connaissance, aucun ouvrage sur la Flandre ne serre le peuple du Westhoek d'aussi près, du témoignage le plus humble au plus humble lieudit, aucun ne s'applique à ce point à ‘périodiser l'histoire’, à rendre à chaque époque sa tonalité propre dans un concert de valeurs et de réactions qui ne sont plus les nôtres, aucun ne tente aussi bien de retrouver, par delà les jeux des princes le souffle de communautés dont les disparates défient l'imagination des hommes standard, des ‘individus’ que nous sommes. Aucun ne prête une oreille aussi impartiale aux voix discordantes des frères ennemis, clauwarts et leliarts, proflamands et profrançais. Aucun ne s'approche à ce point de l'hologramme historique du Westhoek. Aucun n'oublie à ce point ‘l'écho de conflits d'ailleurs’.
Il reste que je regrette un peu l'extrême prudence qui coupe le récit après 1940. Après tout les quelques ‘gestes fort discutables’ (pourquoi crier haro sur le nationalisme flamand à une époque où tant de nationalismes puissants et virulents se déchaînaient de par le monde?) auraient peut-être mérité une discussion. Evaluer l'ampleur du phénomène et en chercher les raisons profondes aurait eu un intérêt unique à notre époque de régionalisme. Faire la lumière me paraît être la meilleure façon de ne pas ‘jeter la moindre goutte d'huile sur des feux mal éteints’ (cette hyperorthodoxie timorée est typique de la Flandre française... et de l'aliénation?). D'autant que l'ouvrage de Monsieur Coornaert apparaît plus d'une fois comme une réfutation des thèses nationalistes flamandes, réfutation honnête, loyale et nuancée mais pourquoi ‘décrocher’ quand le débat atteint son paroxysme? Pourquoi, quand, dans une France que dénoue l'affadissement du mythe en nombrilisme parisien, on s'aperçoit tout à coup du cancer qui dévore le tissu humain français?
L'histoire n'est jamais pur reflet du réel, c'est un truisme. Quelle inquiétude pousse l'historien à remonter les souterrains du passé? ...Un peuple heureux n'a pas d'histoire: cette phrase a au moins deux sens; certes, il n'y a rien à dire sur la bonasse du bonheur; mais aussi le bonheur se nourrit de présent, se pelotonne au coeur du présent. Quand un peuple scrute son passé, c'est quasiment toujours pour y régénérer ses mythes ou y fuir son présent... Où d'autres trouvent prétexte à je ne sais quel messianisme pour malcontents, Monsieur Coornaert découvre de quoi étayer une ‘sagesse’ qui est l'‘attitude commune’ des Flamands de France. Je répète que le sérieux de son travail ne souffre pas de discussion. Mais la philosophie qui s'en dégage, en même temps qu'elle force au respect ne peut-elle faire surgir quelques questions?
Je-schématise et brutalise la pensée de Monsieur Coornaert:
1. | Le Westhoek est actuellement une ‘entité dérisoire devant la grande politique’, plus question pour lui de prétendre aux ‘premiers rôles (du) temps jadis’.
Certes! Quoique en histoire rien ne soit jamais figé et que le Westhoek ne soit pas loin d'être au centre de l'Europe prospère... Mais la santé d'un peuple n'est-elle pas aussi celle des molécules sociales qui la composent: se constater dérisoire doit-il conduire à la résignation devant une colonisation intérieure de plus en plus souvent dénoncée? |
| |
2. | Pas plus qu'avec la Flandre Gallicane, le Westhoek ne formait un tout unique avec le reste de la Flandre: c'était vraiment depuis toujours un petit coin à part. D'où il s'ensuit, si l'on violente la pensée de Monsieur Coornaert que nous étions presque autant annexés par le comté que par la France.
Il y a du vrai, ce me semble, mais discuter ce point est affaire d'historien. Restent quand même les moeurs
|