Yvette Métral Interview Devis Grebu
y.m. - Devis Grebu, tu es né en Roumanie, tu y as étudié, puis tu as émigré en Israel avec ta famille, et maintenant tu vis à Paris. Peux-tu à ton tour nous esquisser ton trajet de peintre?
d.g. - Avant tout, je crois que je pense en artiste refoulé. Depuis mes 18 ans, j'ai l'impression de ne pas vivre ma propre vie. J'ai toujours dû répondre d'abord aux nécessités vitales, pour ma famille et mes enfants. D'abord survivre, ensuite vivre. De là un certain désaccord entre ce que je fais et ce que je veux faire librement. Le fondement de ma vie était de peindre, de fixer sur une toile ou un support des idées.
Les medias prenant à notre époque une telle importance, j'ai pensé qu'ils pourraient m'aider à me réaliser en tant qu'artiste complet. Il me semblait souhaitable d'acquérir d'abord cette réputation en tant qu'artiste illustrateur de presse ou de livres, afin de me faire un nom et, tout en gagnant mon pain, de me consacrer à la peinture.
Ainsi, une bonne part de mes oeuvres est le résultat de ce regard critique sur le monde qui m'entoure, ce qui donne à mes travaux un caractère pessimiste ou pamphlétaire. Or, je commence à être las de me placer toujours de ce point de vue de citoyen, même si par ailleurs je traite le sujet de façon philosophique et artistique. J'aimerais parfois perdre le contact avec ces réalités-là, et exécuter des oeuvres plus absolues, comme une molécule isolée, une essence, un noyau.
y.m. - Ce qui frappe, quand on regarde tes travaux d'exposition, tes illustrations de presse, tes livres, c'est la diversité extrême des techniques que tu possèdes toutes parfaitement.
d.g. - Je n'ai pas de prédilection pour une technique particulière, et je suis curieux de tout essayer. C'est tantôt l'idée qui détermine mon choix, tantôt l'humeur, ou le temps et les moyens matériels dont je dispose. Je me suis exercé dans toutes les techniques, du trait noir au crayon jusqu'à l'huile, la gravure, etc.
y.m. - Cette diversité n'est-elle pas aussi un trait de caractère?
d.g. - Evidemment. Je suis très volatile. Je n'aime pas me fixer, m'enraciner, devenir prisonnier d'une manière ou d'un personnage. J'aime instinctivement changer, plus par une impulsion libératrice que par une volonté consciente.
y.m. - Tu disais que jusqu'à présent, ton oeuvre est en général empreinte de pessimisme. Pourquoi?
d.g. - C'est le reflet de mon dégoût de ce monde, ou de mon désir d'y échapper. Ou en quelque sorte une vengeance intellectuelle contre cet univers stupide, brutal, superficiel, automatisé. J'aime regarder les gens, leurs yeux, leurs visages. Peut-être par masochisme, car je sais d'avance l'horreur que je vais découvrir: la sempiternelle suprématie de la bêtise, de la méchanceté.
y.m. - Un désespoir sans retour?
d.g. - Justement non. Je sens en moi un irrépressible appétit de bonheur, de gaieté, d'amour. Depuis le début de ma vie d'adulte, j'ai subi des coups dans tous les domaines, professionnel ou moral, et cela sans répit. Ces