Rembrandt Harmens van Rijn. Deel 2. Sa vie et ses oeuvres
(1868)–Carel Vosmaer– Auteursrechtvrij
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XXVIII.
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soit à 1656, à cause du ton et des couleurs particulières à cette époque. C'est un portrait d'un porte-drapeau de la garde civique, pareil à celui de la collection de M.J. de Rothschild. Il est fièrement campé, le bras droit sur la hanche, un coutelas dans la ceinture, tenant par la hampe un drapeau blanc qui retombe sur l'épaule gauche. La tête, peu éclairée et couverte d'un bonnet à plume rouge, se détache en vigueur sur le clair du drapeau. Il tourne vers le spectateur sa face vigoureuse, qui porte une longue moustache polonaise. Le dessin à l'encre de Chine pour ce portrait, est au musée de Dresde. Personnage de Frans Hais comme type et comme pose, il rappelle aussi par la touche ample et plate la manière de peindre de celui-ciGa naar voetnoot1. Quant aux couleurs, on y remarque ces tons jaunâtres, mélangés de brun, de noir et de gris, qui se montrent aussi dans le Jacob bénissant. Enfin un Ecce Homo ou Jésus présenté au peuple, la même composition que l'eau-forte de cette année et peinte en grisaille. Le bourgmestre W. Six a possédé ce tableau, qui se trouve aujourd'hui en Angleterre. Une grande peinture de l'année 1656,. dont on a perdu la trace, est une Leçon d'anatomie du docteur Joan DeymanGa naar voetnoot2. Il est remarquable que les médecins les plus renommés d'Amsterdam ont été en relations avec Rembrandt. Dès l'abord ce furent Tulp et Kalkoen. Puis Ephraim Bueno, Tholinx, Van der Linden, et maintenant Deyman, qui fut en 1653 Inspector du collège médical, ayant succédé au docteur Franciscus Sylvius. Ce tableau ornait la salle des chirurgiens à Amsterdam. Wagenaar, dans sa | |
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aant.
Reynolds le vit en 1781, et voici ce qu'il en dit: ‘Au premier étage’ (dans l'édifice où se tenaient les séances des chirurgiens), il y a encore de Rembrandt, un sujet pareil (à la leçon d'anatomie de Tulp), le professeur Deyman, debout près d'un cadavre, qui est si fort en raccourci que les pieds et les mains se touchent pour ainsi dire; il est couché sur le dos, les pieds tournés vers le spectateur. Il y a quelque chose de sublime dans le caractère de la tête, qui en rappelle une de Michel-Ange. Le tout est bien peint et le coloris tient beaucoup de celui du Titien.’ Je possède un dessin à la pierre noire, fait en 1760 par J. Dilhoff, d'après Rembrandt. Ce curieux dessin, dont l'original ne m'est pas connu, représente un cadavre couché sur une table, fortement en racourci, les pieds et les mains se touchent presque et les pieds sont tournés vers le spectateur, juste comme le décrit Reynolds. Près du cadavre est un homme debout (est-ce Deyman?), la tête couverte d'un chapeau et tenant comme une nappe la partie supérieure du crâne du mort. C'est assurément d'après une étude peinte par Rembrandt que ce dessin est copié, et tout fait croire que ce fut une étude pour le tableau de Deyman. Si cela est ainsi, il resterait un souvenir remarquable de cette peinture depuis égarée, et peut-être un moyen de la retrouver. J'ai parlé d'une manière de peindre spéciale, de Rembrandt dans cette période. C'est une manière mystérieuse | |
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de couleur et qui forme la transition de la manière dorée de 1640 à 50, de la sortie, aux éclats fulgurants de la famille de Brunswick et du tableau du mnsée van der Hoop et aux chaudes et vigoureuses harmonies des syndics. Ce système de coloris consiste en une couleur fauve dominante, harmonisée avec des couleurs secondaires et subordonnées à la principale; dans l'emploi de bruns, de jaunes, de gris perles et de couleurs neutres, avec des tons plus vifs de rouge, mais d'un rouge assourdi et pâle, qui se lie avec les bruns et jaunes. On a nommé ces tableaux des grisailles, mot qui ne rend pas la chose. Deux superbes tableaux, des chefs-d'oeuvre, en sont des spécimens. La grande toile, qui se trouve à Cassel, représente sur la gauche le vieux Jacob à demi-couché sur son lit et soutenu par des coussins. Sa tête vénérable avec une longue barbe blanche et couverte d'une espèce de calotte, est vue de profil. Il étend les mains sur les enfants de Joseph et de sa femme, qu'on ne voit qu'à mi-corps derrière le lit. La femme joint les mains et Joseph dirige l'une de celles de son père vers la tête blonde d'un des enfants. La pensée, le sentiment et la couleur s'unissent ici dans une expression sublime. La figure du patriarche, le caractère de la femme, la naïveté des enfants, dont le blond, qui reçoit la bénédiction, croise ses petites mains sur la poitrine, tout cela est plein de grandeur et de poésie. On dirait qu'il est impossible que cela se soit passé autrement et que ce tableau est l'expression humaine et poétique à la fois du fait lui-même. Il y a plusieurs toiles superbes de Rembrandt dont le caractère porte le cachet de son temps. Il en est d'autres qui semblent appartenir à tous les temps, comme les chefs-d'oeuvre de la plastique grecque. Les figures du Parthénon sont belles absolument et sont de notre siècle tout aussi bien que du | |
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cinqième avant notre ère. Il en est de même pour cette oeuvre. Ce tableau du Jacob est tellement absolu et universel qu'il paraît moderne, en ce sens qu'il est tout proche de nous. La lumière, qui vient de gauche, éclaire Jacob par derrière et laisse son visage dans l'ombre. Sa tête est couverte d'une cape jaunâtre bordée de fourrure de couleur claire; la manche du bras droit d'un beau ton gris, la main peinte, comme celle de Six, par larges touches plates. Le lit est couvert d'un linge et d'une couverture d'un rouge pâle et fauve. Joseph est coiffé d'un turban rond. Sa femme porte un haut bonnet qui semble une espèce de turban, d'où pend un long voile. Son vêtement est de couleurs grises et bruns fauves. Le garçon d'un blond jaune, porte une veste jaune; sa tête est éclairée par reflets, par tons extrêmement fins et d'une délicatesse superbe. On voit quelles sont ici les couleurs employées, les gris, le brun fauve qui dans sa plus haute note n'est que rouge asssourdi, et le jaune. Tout cela est d'un aspect mystérieux, dans une lumière fine et tamisée, rempli de tons et de demi-tons d'une indicible finesse. La touche est d'une liberté, d'une ampleur, d'une légèreté surprenantes; vu par détails on dirait souvent une esquisse, mais l'ensemble si harmonieux et si complet indique au contraire la maturité et la profondeur de travail. Ce chef-d'oeuvre est un des jalons dans la carrière du maître: - l'anatomie 1632, le festin de Samson 1638, la sortie 1642, le Jacob 1656; bientôt ce seront la fiancée de van der Hoop et la famille de Brunswick et les Syndics 1661. Dans le même style de coloris que cette toile monumentale, Rembrandt exécuta un tableau à petites figures, la prédication de Saint Jean baptisie. Je ne connais ce tableau que par l'eau-forte de Norblin, que j'ai devant moi, et par les renseignements d'un peintre de mes amis qui | |
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l'a vu dans la galerie Fesch. Il paraît que Rembrandt a commencé cette composition sur un morceau de toile avec le groupe du prédicateur et des personnages de son entourage direct. Puis il a agrandi la scène et a ajouté autour de ce noyau quatre bandes, pour les figures à cheval, celles derrière St. Jean et quelques groupes au devant. Enfin il a ajouté plusieurs morceaux pour le paysage du lointain et pour le premier plan. Le tout consiste de cette manière en huit à dix morceaux. La composition a grandi pour ainsi dire chemin faisant. En théorie on n'admettrait pas qu'une oeuvre d'art pût devenir de cette façon une unité bien complète. Et cependant cette oeuvre, avec une centaine de figures, prouve une fois de plus et peut-être le plus péremtoirement le talent supérieur de Rembrandt pour la composition. Le magnifique paysage où se passe la scène, représente une longue pente de montagnes, d'où s'élève un rocher qui couvre la moitié du fond à gauche jusqu'au cadre; à quelque distance de ce rocher, un pont à deux arches aboutit à des montagnes où s'étend une ville, formant le lointain à droite. Un bout du ciel à droite est couvert par un rideau de nuages. De l'une des arches du pont, un grand fleuve s'échappe en cascade. Près de la paroi du rocher, non loin d'un obélisque au buste d'Empereur, Saint Jean est debout, prêchant la main étendue. Point d'auréole, point de croix et pas de peau de chameau. Rembrandt paraît à la hauteur de la critique moderne; son St. Jean est une figure historique et vraie. Autour de lui, une centaine de figures, divisées en groupes qui s'enchaînent et s'enchevêtrent admirablement sur le terrain entier. Impossible de décrire toutes ces lignes et ces masses pleines d'art et de naturel. C'est tout un monde de types, de caractères, de gestes, de physionomies, de costumes. Les meetings | |
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religieux, que notre temps a vu se renouveler, pourraient offrir un équivalent à cette scène. On y voit de tout. Une caravane avec ses chameaux; des cavaliers richement costumés; un saltimbanque avec sa caisse surmontée d'un singe; des chiens qui aboient et se battent; des gens du peuple écoutant avec onction; des curieux à l'air moqueur, des femmes avec leurs enfants, des enfants qui se querellent pour une grappe de raisins, un autre avec un fouet jouant au cocher; enfin des Arabes armés de piques et d'arcs. Il n'y manque pas non plus de ces traits d'une réalité vulgaire, comme la femme au premier plan, qui fait.... son enfant! ‘Je me souviens’, dit notre ami Hoogstraten, ‘avoir vu certain morceau bien composé de Rembrandt, représentant une prédication de St. Jean; on y voyait une componction remarquable dans les auditeurs de diverse espèce; mais on y voyait aussi un chien qui d'une manière très peu édifiante carressait une chienne. Je ne nie pas que ce soit naturel et que cela n'arrive, mais je dis que, dans cette scène, c'est d'une inconvenance détestable. On pourrait dire à cause de ce détail que c'est plutôt une prédication de Diogène le cynique que de Saint Jean. De telles représentations révèlent l'esprit borné du maître.’ Il faut que j'observe d'abord que Hoogstraten se trompe à l'égard des chiens. Au moins sur l'estampe de Norblin, les deux chiens se battent. Mais Hoogstraten aurait pu nous opposer la femme et l'enfant. Je réponds que ces sortes de traits résultent directement de ce qui distingue de nous, hommes d'une époque réfléchie, les artistes naïfs et francs. Ils donnaient dans ces grandes compositions épiques et dramatiques ce que la vie offrait dans son échelle entière, le haut et le bas. Ils y gagnaient des contrastes puissants, qui, comme les scènes humoristiques des tragédies de Shakspeare | |
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et comme un scherzo dans une symphonie sévère, reposent, ravivent l'attention, et par leur opposition, font valoir davantage les parties sérieuses. Un des groupes les plus fins et les plus spirituels sont trois pharisiens ou docteurs qui tournent le dos au sermoneur austère et s'en vont épiloguant ses paroles. O l'impayable trio! Impossible d'imaginer trois figures d'un comique touchant d'aussi près le sublime, et surtout trois physionomies aussi diaboliquement moqueuses! Jamais je n'en ai vu de pareilles. Ce chef-d'oeuvre, pour la composition, le dessin, le caractère, l'expression, en est un aussi pour la touche et l'effet. Du ciel, qui est clair au milieu du tableau, part un beau rayon de soleil, qui dorant avec finesse et légèreté les montagnes du fond, le pont et la cascade, éclaire vivement le prédicateur et son entourage et sc disperse alors en fines demiteintes, laissant par-ci par-là quelques réveillons. Toutes les ombres, bien que l'effet en soit puissant, sont fort transparentes; tout est harmonieux et tranquille, malgré l'immense variété; tout est spirituellement caressé et dessiné avec le pinceau. Les couleurs sont grises, jaunâtres, brunes, rouges, tous ces tons infiniment délicats et distingués qu'on remarque dans le Jacob à Cassel. C'est pourquoi les anciens auteurs nomment ce tableau une grisaille, un camaieu. Le tableau a fait partie du cabinet de Jan Six. Zomer, qui en dressa le catalogue en 1702, ne manqua pas d'en faire l'éloge: ‘tableau aussi original et d'un art aussi extraordinaire qu'on puisse l'imaginer’Ga naar voetnoot1. | |
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Le magnifique portrait de Six, dont j'ai parlé, est exécuté d'après les combinaisons de couleurs et dans le même style large, si profond et si fin, malgré sa rudesse apparente. La galerie de Cassel possède un portrait dans ce style. Un mathématicien ou constructeur est assis à une table couverte de papiers, sur laquelle repose son bras droit. La chevelure grise est parsemée de cheveux noirs; le manteau rouge fauve, couleur répétée sur la palette de cette année, est bordé de fourrure brun clair. La main droite tient une plume, la gauche une équerre, mains veinées et d'un faire magistral; tête pensive et pleine de caractère. Au musée de Leipzig, j'ai remarqué un buste où le peintre s'est représenté de face avec une toque brun foncé qui ombrage le front; la joue droite, le menton et le bout du nez seuls sont éclairés. Une partie de sa chemise rouge se montre sous son habit brun entr'ouvert. Fond brun clair, légèrement frotté. Cette étude, largement brossée, appartient évidemment à cette époque. Elle fait penser à Fabritius, mais j'incline cependant à l'attribuer à la main de Rembrandt. Je passe d'autres oeuvres, que je ne connais pas de vue, le maître de la vigne etc., pour nous occuper des eauxfortes. Nous voyons le peintre-graveur occupé d'abord de quatre petites estampes pour un livre curieux de son ami Menasseh. Ce livre, la Piedra GloriosaGa naar voetnoot1, contient un exposé des vues de l'auteur sur la vision de Daniel et le songe de Nabuchodonosor. Les sujets illustrés par Rembrandt sont l'échelle de Jacob, le combat de Goliath, la statue de Nabuchodonosor et la vision d'Ezéchiel. Dans cette dernière pièce se trouve la seule représentation de Dieu au ciel que Rembrandt ait faite. Il l'a indiqué en quelques traits lé- | |
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gers, sous une auréole circulaire et dans une gerbe de lumière qu'elle rayonne. Le graveur a tiré ces planches avec plusieurs sortes d'effet, changeant les lumières et les ombres. Ces épreuves sont fortement chargées d'ombres veloutées. L'histoire d'Abraham lui offrit en 1655 le sujet du sacrifice d'Isaac, belle composition, et en 1656 d'Abraham recevant les trois anges, ou pour mieux dire, Dieu et les deux anges, composition étrange mais bien sentie et pleine de grandeur. Les deux pièces capitales de 1655 sont la présentation de Jésus au peupleGa naar voetnoot1 et les trois croix. Une estampe de Lucas van Leyden paraît l'avoir inspiré pour la première de ces compositions, car on y retrouve plusieurs détails et l'arrangement général de cette pièce. Elle est d'un grand caractère. C'est une de ces feuilles qu'on peut regarder des heures. Rembrandt a fait plusieurs expériences avec ce cuivre, dont il existe sept états différents. Tout le fond de la composition est formé d'un grand édifice vu de face, espèce d'hôtel de ville, tel que la renaissance les avait bâtis en Hollande. Sur le perron sont Jésus et Pilate avec sa suite; en bas au devant, sur les marches, aux fenêtres, une quantité de figures, indiquées la plupart au trait et légèrement ombrées ça et là, toutes d'une finesse d'expressions et de caractère merveilleuse. Dans un état suivant, Rembrandt a changé l'aspect de la pièce; il a effacé tout le peuple au devant du perron, qui est alors à moitié dans l'ombre et où l'on remarque deux voûtes d'un souterrain et un mascaron au milieu. Par là, le groupe de Jésus et de Pilate est devenu principal au lieu de secondaire. Nous regrettons les groupes si spirituels, mais par ce sacrifice l'effet a gagné en grandeur. Puis repre- | |
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nant par-ci par-là sa planche et la parcourant la pointe à la main, il a ajouté ici quelques travaux, là un détail, ailleurs accentué la touche, de sorte qu'en divers endroits l'estampe montre plus de manière noire. Le contraste des clairs et des ombres est plus saillant, l'effet général est augmenté. C'est ainsi que cet esprit toujours à la recherche du mieux a travaillé cette planche. Il en a agi plus librement encore avec une autre grande plancheGa naar voetnoot1, les trois croix. Comme gravure, c'est un des plus hardis coups de maître qu'il ait sabrés. Dans ce Calvaire, les trois croix sont au milieu, inondées de lumière céleste; elles sont entourées de cavaliers, de soldats, des amis et parents de Jésus. Au coin droit, le terrain raboteux avec du feuillage; au coin gauche dans l'ombre, des groupes de Juifs s'éloignant à grands pas, pareils à ces Juifs qui s'éloignent dans la prédication de Saint Jean; un autre se cachant le visage avec un geste supérieurement rendu; au premier plan, au milieu, deux figures s'enfuient. C'est l'obscurité miraculeuse, à ce moment couvrant la terre, qui les saisit tous d'épouvante. Aux deux coins de la composition, des nuages noirs se ruent Bur la scène. Cette pensée, Rembrandt en a voulu poursuivre l'effet. D'une grosse pointe, qu'il mena avec une fougue inouie, il a repris la planche entière. Par des coups vigoureux il avait d'abord accentué la charpente des figures. Maintenant il les change presque toutes. Un des deux fuyants au premier plan disparaît; le groupe de ceux qui s'éloignent à gauche également. Un cavalier d'un beau dessin, qu'on remarquait au deuxième plan dans l'ombre, fait place | |
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au cheval qui se eabre et à l'homme au triple turban. Par des traits raclés, non ébarbés, il renforce les ombres, qui à ce moment d'agonie se massent autour de la croix. Jamais la pointe sèche n'avait encore été employée à des effets aussi hardis. L'impression est étrange, fantastique, lugubre et au plus haut degré sublime! L'oeuvre gravé nous présente plusieurs nouveaux personnages: les Haring, Francen, Lutma, Tholinx, nouvelle série de portraits admirables. Après les magnifiques portraits de Six, Asselijn, Bueno, comment trouver quelque chose de plus beau encore? Et cependant c'est bien le cas pour le portrait du vieux Haring. C'est pour moi le nec plus ultra de la gravure, qui y atteint des effets qui ne semblaient réservés qu'au pinceau. Le vieux Haring est assis dans son fauteuil, couvert d'un manteau velouté d'où sortent les mains; sur les pénombres du fond se détache sa belle tête. Dans cette tête, modelée avec une délicatesse et une morbidesse incomparables, dans toute la pièce à vrai dire, le travail, la taille, la matière, disparaissent entièrement. L'impression est immédiate, et l'idée de se rendre compte des moyens d'exécution ne vient qu'après l'avoir longtemps admiré et on se demande à la fin, comment il est possible de faire de tels prodiges avec une pointe à graver. Ce n'est que dans les rarissimes épreuves de première qualité que ce portrait offre ce degré de perfection; celle du cabinet d'Amsterdam par exemple, où l'éclat doré du papier fort du Japon ajoute encore à la magie de ce chefd'oeuvre. Son fils, Thomas Jacobsz. HaringGa naar voetnoot1, était concierge à la | |
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Chambre des insolvables, ainsi qne son père, et devait vendre en 1657 les collections de Rembrandt. Chargé des ventes publiques, il anra connu Rembrandt comme un des habitués des ventes d'objets d'art. Rembrandt fit son portrait en 1655. Superbe portrait encore! M. Blanc en fait la juste remarque: ‘Quelle n'est pas la puissance du génie! Voilà un simple concierge et dès qu'il pose devant Rembrandt, je ne sais quel rayon de poésie pénètre dans son étroite demeure. Il se transfigure sous l'oeil du peintre....’ C'est là le caractère distinctif de l'art de Rembrandt. Abraham Francen, qui était marchand et amateur d'objets d'art, fut certainement un ami de Rembrandt. Il lui servit de caution dans sa déconfiture; en 1665 il servit de caution à Titus et appuya encore de sa signature une requête de Titus, déclarant qu'il le connaissait très bien. Rembrandt fit son portrait, probablement vers 1655, le représentant entouré d'objets d'art. Francen regarde une estampe, nn portefeuille est devant lui sur la table, au mur pendent deux tableaux et un triptyque, dont le milieu représente un crucifiement. Il est assis, le dos tourné vers la fenêtre d'où vient le jour. Le travail de cette estampe, qui tient du jeune Haring et du Lutma, le fait ranger ici. Dans les états divers de ce portrait on remarque une particularité qui se répète. Dans le premier état, on ne voit pas le paysage, le visage du personnage est différent et celui-ci est assis sur une chaise ordinaire, indiquée en quelques traits. Dans les états plus avancés, Rembrandt a ajouté le paysage, vu de la fenêtre, rajeuni le visage et changé la chaise ordinaire en un beau fauteuil sculpté. Ainsi dans la toute première épreuve du ministre Uyttenboogaert, celui-ci a devant lui un de ces grands livres que les collectionneurs emploient à garder leurs dessins et | |
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estampesGa naar voetnoot1. Dans l'étât suivant, ce livre est devenu une bible. On a reproché aux peintres hollandais de ne faire que suivre la nature sans discernement; on a démontré avec leurs croquis comment un Raphaël, un Michel-Ange, après avoir fait leurs études d'après nature, les embellissaient, les idéalisaient en achevant leurs compositions. Eh bien, voici des preuves que Rembrandt ne procédait pas autrement. Il ébauchait sur le cuivre d'après nature le modèle tel qu'il le voyait sur une chaise ordinaire, avec un des cartons de son atelier devant lui etc. Après, il embellissait, il idéalisait dans son style. Cette remarque relève une erreur bien générale chez ceux qui se sont représenté les peintres hollandais comme des machines photographiques. Johannes Lutma, le père, dont van Rijn fit le portrait en 1656, doit aussi avoir été des intimes du peintre, puisqu'il lui fit un si beau portrait. Le vieil artiste, né à Groningue en 1584, mais venu bientôt à Amsterdam, s'y était fait un renom comme sculpteurGa naar voetnoot2, comme orfèvre, par ses oeuvres repoussées et par ses dessins et compositions d'ornements. Lutma, qui avait visité Rome, en avait apporté beaucoup d'estampes; il était amateur et collectionneur lui aussi. Rembrandt l'a représenté assis, tenant une statuette et près de lui les objets de son art, une soucoupe repoussée, une boîte de poinçons, un maillet. Une expression fine et attentive anime le visage. La gravure est aussi libre que possible, et comme tout est senti et rendu! Quel relief, quelle richesse de tons et quelle infinité de ressources pour rendre toute espèce d'étoffe! Dans cette même année | |
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son fils, l'auteur des gravures au poinçon, fit un portrait de lui dans une attitude analogue. Il a ôté ses lunettes et la main, tenant un porte-crayon, se repose. Il regarde une feuille de dessin, assurément une de ses compositions, que son fils grava sous le titre de Diverses fantaisies plaisantes à l'usage des orfèvres etcGa naar voetnoot1 Le jeune Lutma se montre dans cette superbe eau-forte inspiré de Rembrandt, au cercle de qui il appartient et dont il fut un des admirateursGa naar voetnoot2. Il est encore un beau portrait qui, par le genre de la gravure, se rattache à quelques pièces de cette période. C'est celui, appelé l'avocat van Tol. L'homme y est vu, assis à une table couverte de livres et près de lui trois bocaux de pharmacien. Cela a fait soupçonner le malheureux avocat d'expériences alchimiques. La vérité est que cet homme n'est nul autre que le docteur Arnoldus Tholinx, un des Inspectores du collège médical et un médecin en renom. Rembrandt l'a donc très bien représenté avec les objetts de ses étudesGa naar voetnoot3. | |
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Je retrouve ce même personnage dans le beau buste de vieillard de la collection van Brienen, daté 1656Ga naar voetnoot1. Vigoureuse et belle peinture, d'une touche empâtée, d'un relief et d'une couleur puissantes, qui rappelle la manière de peindre des têtes des Syndics. |
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