Rembrandt Harmens van Rijn. Deel 2. Sa vie et ses oeuvres
(1868)–Carel Vosmaer– Auteursrechtvrij
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III.
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C'est dans ce nouvel atelier, qu'est éclose l'oeuvre capitale de cette année, la présentation au temple, ou le Siméon au temple, ainsi qu'on l'appelle en Hollande. C'est la petite perle qui se trouve actuellement au musée de la Haye. Nous l'avons vu déjà occupé de ce sujet en 1630. Il a évidemment trouvé un charme poétique et un grand fonds de motifs pittoresques dans cette scène. Il est curieux d'observer avec quel amour il approfondit et retourna ce sujet en divers sens pour en chercher le côté le plus saillant. On ne trouve pas moins de trois eaux-fortes, une huitaine de dessins et plusieurs tableaux, représentant la scène de Siméon. Il en est d'un temps postérieur - 1639, 1650, 1661 - mais quelques unes de ces compositions ont dû servir comme préparation au tableau du musée de la Haye. Un des premiers essais est le croquis très minutieux du cabinet d'estampes de Berlin et l'eau-forte de 1630. Une étude pour un des Juifs à baut bonnet se rencontre dans les eaux-fortes. Dims le tableau de 1631 on retrouve les éléments de ces pièces. Dans un grand temple à voûtes et à colonnes élevées, d'une architecture un peu fantaisiste, on voit à gauche la profondeur de la nef avec trois ou quatre figures au loin; à droite un grand escalier sur lequel se meut la foule du peuple. Cette foule monte, descend les marches, se retourne, regarde en bas. Au pied de l'escalier un rabbin feuillette un livre; en haut, le grand prêtre sur son siège, avec sa crosse, entouré d'officiants, étend la main sur une femme et un homme prosternés devant lui. Ce fond entier est dans une demi teinte transparente, couleur de bronze d'un vert olive et de cuir doré. Au premier plan, le coin droit est occupé par un banc où deux anciens sont assis. Ce coin fait repoussoir pour le groupe central. | |
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An centre est le foyer de l'oeuvre, le point capital comme sujet et comme effet, - deux choses que Rembrandt a le talent de faire toujours concorder. C'est un de ces secrets par lesquels il sait frapper le spectateur. Le groupe principal consiste en sept figures; ici la masse lumineuse est divisée et par ce groupe elle est mise en relation d'harmonie avec l'entourage, afin que ce groupe ne fasse pas une tache trop claire. La lumière est introduite de gauche et un peu d'en haut, sur le dos et la coiffure multicolore du prêtre debout en robe amaranthe; figure grandiose et de geste superbe. Cette main étendue sert encore à conduire la lumière vers le groupe. La lumière éclaire ensuite Marie, vêtue d'une robe vert tendre, s'agenouillant et pressant les mains, d'un geste naif, contre sa poitrine; - puis les deux figures si caractéristiques dans leurs robes grises, des deux Juifs, qui, curieux et incrédules, regardent par dessus l'épaule de Marie. L'éclat le plus brillant est réservé au béat Siméon, qui se prosterne en extase et pour l'enfant qu'il tient dans ses bras. Une nuée lumineuse entoure l'enfant emmailloté, dont les épaules nues sortent des vêtements. C'est surtout le manteau de Siméon qui est émaillé de toutes les couleurs de la palette. Près de Marie, Joseph tenant les deux colombes est à genoux; il est dans l'ombre. Derrière Siméon, également dans l'ombre, une figure s'incline pour regarder. Ce tableau occupe dans l'oeuvre de Rembrandt une place très significative. On connaît des peintures antérieures; mais le Siméon est la première composition à plusieurs figures que nous possédons de lui. Cette composition plus importante que les oeuvres antérieures, est déjà une oenvre très originale. Le tableau s'écartait de ce qu'on était habitué jusqu'alors à intituler ‘peinture historique’ ou ‘religieuse.’ Il n'a rien de commun (si ce n'est l'in- | |
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timité et la personnalité) avec la peinture religieuse des anciens Italiens, Flamands, Hollandais. Il n'a rien non plus à démêler avec ce qui était érigé en règle par les Italiens du seizième, du dix-septième siècle. Cependant il ne constitue pas un fait isolé. Il a des attaches avec certaine tendance qui cherchait à se produire depuis quelque temps d'une manière indépendante; tendance qui abandonna la recherche du style et de l'idéal comme le comprenaient les Italiens, et qui demanda ses inspirations au sentiment humain, à la vérité, à la nature et à la vie réelle. C'est dans la peinture d'histoire le parti d'Elsheimer, de Lastman, Pinas, Uyttenbroeck, Bramer. On remarquera comment Rembrandt, ici comme dans le Saint Paul de 1627, le Saint Jérôme de 30 ou 31, le philosophe dans une grotte de 30, se tient encore aux usages de ses coreligionaires en fait d'art, dans les airs humains de ses figures, dans les types, le costume, les ornements religieux, la forme des colonnes, des chapiteaux. Il se tenait aussi à leur système coloriste, à leurs ombres fortes; j'en donne pour preuve la lumière fortement opposée aux ombres qui se trouvent encore dans le Siméon et que nous ne pouvons toutes mettre sur le compte du temps qui l'aurait noirci. Si donc ce tableau, quoique ses qualités s'élèvent hautement au-dessus de presque tout ce qui fut essayé dans ce sens, ne présente pas quelque chose d'absolument neuf, ce n'en est pas moins une oeuvre d'une forte originalité. Nous sentons d'abord que nous sommes en présence d'une individualité puissante. La beauté de cette oeuvre se trouve dans la grandeur et la vérité profonde et intime de la conception; dans la puissance poétique d'après le sens grec du mot, c'est à dire créatrice, avec laquelle le tableau est conçu comme scène et comme couleur. | |
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Elle se trouve dans le sentiment élevé qui en émane par son coloris plein de mystère. L'exécution se rapproche de celle du vieillard de Cassel. Large dans le fond, elle est très serrée, presque minutieuse dans les figures de Marie, des Juifs, de Siméon, de l'enfant. A l'exception de la belle figure debout et surtout du fond peint en maître, on n'y remarque pas cette facilité de travail que le peintre aura plus tard. Si le fond montre déjà cette belle couleur dorée et mystérieuse, qui était une des qualités du pinceau de ce peintre, dans le groupe principal la lumière n'est pas encore si transparente, si éthérée que dans les oeuvres postérieures. Je ne veux pas diminuer l'admiration pour cette oeuvre vraiment belle et grande, mais il faut cou venir que dans la Susanne de cette même année, dans la leçon d'anatomie de l'année suivante, le pinceau a gagné en puissance, en sûreté, en ressources. Il est remarquable que le panneau primitif ait été d'une forme différente de celle qu'elle a actuellement. En travaillant, Rembrandt voyait que la composition gagnerait par une plus grande hauteur. Alors il a ajouté un morceau au panneau, la partie cintrée. Nous verrons que le peintre agit ainsi plusieurs fois. J'ai parlé de la Susanne. Ce petit morceau (qui se trouve au musée de la Haye) diffère entièrement du Siméon et, sous plusieurs rapports, a des qualités supérieures. C'est une peinture très forte. La figure de Susanne est de celles qui ont toujours choqué les partisans de la seule beauté statuaire ou de la beauté élégante et raffinée. Susanne ici n'est qu'une femme vulgaire, qui n'a pas la beauté de forme des figures grecques ou italiennes, mais qui n'est pas du tout aussi laide qu'on l'a dit. Telle qu'elle est, elle a un naturel, un modelé dans la chair qui font | |
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preuve d'une étude profonde de la nature. C'est là un des charmes de ce petit panneau. Le reste est dans l'exécution magistrale et le coloris prodigieux de cette oeuvre. Une lumière forte et chaude dore les verts et les bruns du feuillage et de l'architecture et les clairs de la chair, en les fondant dans une belle harmonie. Le fond se compose de bâtisses frottées d'un brun rougeâtre et chaud; d'une pièce d'eau et à droite, d'un arbre et d'arbustes, à feuilles et fleurs peintes et dessinées en pleine pâte. Sur ce fond la figure nue se détache vivante et lumineuse. Ses vêtements sont déposés derrière elle; elle n'a gardé qu'une ferronnière sur le front, un collier et des bracelets. Le mouvement de honte et de peur, qui la fait se courber et se couvrir le corps des deux mains, est d'une vérité parfaite. La figure et les vêtements sont fortement empâtés et la couleur y forme dans certaines parties du corps comme un émail; toutefois sans aucune dureté, car la chair est palpitante de vie. Dans ce précieux petit morceau le pinceau du maître a toutes les hardiesses et toutes les finesses qui le distingueront plus tard. Le tableau est signé d'un coup de pinceau sec avec du brun: Rembrant f et en dessous f 1631Ga naar voetnoot1 Le panneau paraît encore avoir été un peu trop petit pour la composition, car une lame de bois, large de 4 cent. y a été ajoutée au côté droit. Cette peinture n'est pas une esquisse ni une étude, mais un tableau achevé. On pourrait regarder comme une étude | |
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la Susanne de M. Lacaze, qui a à peu près la même pose et où l'on remarque des indécisions dans la main droite. Mais comme celle-ci est exactement la Susanne du grand tableau de Reynolds de 1641, j'en parlerai en cet endroit. Rembrandt traita plusieurs fois ce sujet. Dernièrement la galerie Suermondt à Aix-la-Chapelle s'est enrichie du Saint Jérôme, que van Vliet a gravé en 1631; peinture qui pourrait remonter aussi à 1630. Une histoire de Loth enivré par ses filles et le baptéme de l'eunuque ne sont connus que par les estampes de van Vliet. Cette dernière pièce est d'un arrangement singulier qui rappelle la manière et l'esprit de Lastman. Le coin gauche du premier plan est rempli de ces grandes feuilles que Lastman employait pour le même effet. Au milieu l'eunuque est à genoux et Philippe le baptise. Au dessus de ces deux figures, se montrent au second plan un cavalier, dont le cheval a les pieds de devant sur une colline et qu'on voit ainsi en dessous. Derrière lui l'équipage et quelques soldats à cheval portant des piques. Le tableau de Loth se rattache aussi au style et aux types des précurseurs. Nous trouvons une quantité de portraits de cette année; le jeune homme, à la reine d'Angleterre, à Windsor; la prophétesse Anne (ou la mère de R? lisant dans un gros livre) de la galerie de Pommersfelden; le portrait d'homme, au musée de Brunswick, bon spécimen de sa peinture de portrait dans le style dont l'anatomie est l'expression la plus parfaite; etc. Après ces oeuvres diverses nous faisons encore une ample récolte d'eaux-fortes, une quarantaine environ. Une vingtaine d'études de vieillards à belles têtes, des gueux, de petits sujets des plus variés, sont la preuve de son activité dans ce genre. Quelques unes sont légèrement touchées; d'autres cherchent plus d'effet de clair-obscur; | |
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aant.
Deux fines eaux-fortes, Diane au bain et Danae et Jupiter, me paraissent appartenir aussi aux premières années. Deux portraits de sa mère montrent la vieille dame assise; l'une la tête couverte d'un voile noir, les yeux baissés, la main gauche sur la poitrine; pièce très achevée, dans le sentiment du vieillard de Cassel. L'autre, coiffée d'un bonnet de dentelles; la tête de profil a beaucoup de caractère. Ses propres portraits sont des études diverses; l'une d'elles le montre à mi-corps, avec un chapeau à bords relevés et drapé dans un manteau brodé et fourré. Sa main gauche gantée et avec une manchette bouffante sort du manteau. La tête à cheveux blonds, frisottants, est éclairée d'une manière piquante. La gravure est d'une finesse délicate, d'un délicieux ton argentin. C'est une des plus belles eaux-fortes du maître. Il y révèle d'une manière curieuse sa façon de procéder. Le premier état ne montre que la tête, parfaitement achevée, sans aucun trait du corps. Il dessinait donc librement sur le cuivre, sans calque. Sur une de ces épreuves, au British museum, Rembrandt y a ajouté le corps à la pierre noire. Alors il a repris sa planche, qu'il a achevée; mais en la poussant toujours plus avant, il l'a enfin trop chargée de noir. Le troisième état est le plus superbe sous le rapport de la couleur et du ton. Nous avons de ce temps quelques croquis dessinés: une Diane au bain, à la pierre noire, avec quelques coups de lavis bruns, d'après lequel est faite l'eau-forte. Un léger croquis de Jésus au jardin, au musée de Dres- | |
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den, est la première pensée de l'ean-forte, qni est également des premières années. Un vieillard assis dans son fauteuil, étude à la sanguine, d'une touche fine et grasse, daté 1631, est le même personnage qu'on voit dans l'eau-forte no. 124. Quelle activité extraordinaire et comme ce talent plonge ses racines dans la nature et la réalité vivantes, pour affirmer son assise et l'essor qu'il prendra! |
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