Rembrandt Harmens van Rijn. Deel 2. Sa vie et ses oeuvres
(1868)–Carel Vosmaer– Auteursrechtvrij
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II.
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C'était une architecture à pilastres et entablements classiques à chaque étage; pittoresque par ses pignons ornés, parses mascarons, ses festons et son appareil alterné de pierre de taille et de briques rouges. A cette architecture s'associait celle de Danckerts de Rij, grand admirateur et promoteur du style de Scamozzi. Sur toutes ces constructions anciennes et nouvelles la fantaisie populaire avait fait déborder son esprit imagier. Chaque maison était un caractère, une famille, un souvenir, un emblême. Aux façades les écussons, les cartouches, les médaillons, les enseignes, portaient des basreliefs allégoriques, des figures empruntées à la bible, des adages, des jeux de mots, des proverbes, des rimes. Ici, l'on voyait les deux hommes rapportant du pays de Chanaan la grappe de grosseur miraculeuse; là, une fuite en Egypte; ailleurs, l'âne de Balaam. Ici, l'enseigne de la presse blanche désignait la demeure de PersGa naar voetnoot1; dans la Warmoesstraat, la fidélité était la maison où le fameux Vondel avoit son commerce et écrivait ses poésies; dans la Kalverstraat, Dancker Danckerts, graveur et éditeur d'estampes, de livres et de cartes, demeurait dans celle qui portait l'enseigne in de danckbaarheidGa naar voetnoot2; dans la même rue, la maison de Visscher (le pêcheur) était la boutique de Claes Jansz. Visscher, éditeur d'estampes et graveur renommé. Dans ces rues, le long de ces canaux, sur l'Y et l'Amstel, couverts de vaisseaux de tous tonnages, une activité sans relâche se faisait jour; l'activité d'une ville qui fait le commerce du monde entier et où toutes les nations se rencontrent. | |
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Mais les esprits ne s'occupaient pas de commerce seulement. La politique et la religion étaient un puissant levain. Il y avait en 1630 une pause, un revirement. Mais plus de quinze années avoient été remplies de persécutions religieuses contre toutes les sectes dissidentes. C'était alors et à tout propos des réprimandes, des saisies, des bannissements ou des emprisonnements. Au lendemain de l'affranchissement du joug clérical et politique, ce peuple se ruait sur lui-même. A peine libre, l'église se raidissait de dogmatisme et d'intolérance, et les ministres de la charité agaçaient la populace contre les ‘hérétiques, les mahométans, les libertins;’ - observez que cela veut dire chrétiens qui différent sur l'interprétation de quelques dogmes. La chaire était une tribune pour tonner contre les magistrats tolérants; la bible devint un arsenal d'où le prédicateur tirait ses armes envenimées, comparant les Provinces Unies à Israel, les magistrats à Rhoboam, les dissidens aux Philistins ou autres ennemis du royaume de Dieu. Il s'en suivit des troubles, des émeutes, des pillages affreux. Les sympathies de religion et de politique s'associèrent, et la ville offrait deux partis ennemis. Mais la voix solitaire du vieux Hooft, ‘têteridée, caractère sans plisGa naar voetnoot1,’ n'avait pas manqué d'échos. Peu à peu les principes humains se firent jour jusque dans la magistrature. En 1629 la crise avoit éclaté. Le parti clérical eut le dessous, le magistrat tolérant maintint sa suprématie. L'année 1630 fut l'aube d'un jour nouveau. Les sectes diverses furent admises, leurs églises - des granges - tolérées. A l'époque où Rembrandt van Rijn arriva à Amsterdam, les sentiments qui occupaient les esprits en matière de religion et de politique se firent jour dans une vive po- | |
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lémique de pamphlets, estampes et vers, en feuilles volantes. L'on s'en répétait les pointes acerbes et virulantes, et quoiqu'elles ne portassent pas de signature, on se disait, que l'auteur de plusieurs de ces pièces n'était autre que le fameux Joost van den Vondel, le marchand du Warmoesstraat, le poète lyrique et dramatique déjà si célèbre pendant ces troubles; le hardi pamphlétaire, ennemi redoutable de l'outrecuidance cléricale. Vondel avait écrit déjà quelques tragédies, entre antres le fameux, où il flagellait les meurtriers obscurs ou puissants d'Oldenbarnevelt; il était reconnu comme le premier des poètes par ses magnifiques chants lyriques sur les triomphes de Frédéric Henri, qui l'année précédente avait pris Bois-le-Duc; et sa verve était admirée dans ses deux chefs-d'oeuvre de satire, intitulés L'étrille et Le harpon: (de Roskam, en de Harpoen). Vondel tenait avec Hooft, plus poli, plus élégant, plus classique, mais aussi plus maniéré que lui, la tête de la littérature neerlandaise, alors dans toute sa force et dans toute sa verve. Coster, directeur du théâtre et poète dramatique, les littérateurs Starter, Vechters, van Baerle, Voss, Reael, étaient leurs amis. Les salons aristocratiques de Hooft, à Amsterdam et à son chateau à Muiden, réunirent les anciens convives de Roemer Visscher, les artistes et aimables filles de ce dernier et les talents nouveaux. Le théâtre fleurit, en dépit des attaques puritaines de certains ministres, et les tragédies de Vondel, de Hooft, de Coster, les comédies de Bredero, de Hooft et de Huygens servirent, soit à enrichir son répertoire, soit à développer le goût de l'art scénique. Amsterdam était le foyer de la civilisation. Ce qu'il fout | |
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à l'artiste, un horizon étendu, une société active, où la vie éclate dans tous ses éléments, dans ses manifestations vulgaires ou sublimes, source constante de formes, de faits, d'idées, de sentiments, - en un mot, tout ce mouvement d'une grande ville, l'artiste le trouvait dans la métropole, qui, par ses relations commerciales, touchait à toutes les parties du monde connu. Aussi les artistes y affluaient-ils, trouvant à la fois de quoi satisfaire leur art et leurs intérêts. Rembrandt aussi y établit son atelier dans cette année. Lorsque s'y rendit le jeune artiste, âgé de vingt-trois ans, il n'y était plus un étranger. Il y avait six ou sept années qu'il avait fréquenté pendant quelques mois l'atelier d'un des peintres le plus en vogue. Car Lastman jouissait d'une grande renommée. Certes plus d'un aura conservé quelque souvenir de ce jeune homme, dont l'individualité fortement accusée parut avoir quelque peu de bizarrerie. Et même après son retour à Leiden ce souvenir ne s'était pas effacé. On avait su le retrouver, on lui fit des commandes, et le succès parut l'appeler à Amsterdam. Rembrandt y retrouva son maître Lastman. Celui-ci, qui avait vu s'éteindre l'ancienne école de Cornelis Anthonissen et de Pieter Aertsen, appartenait cependant lui-même à un art qui allait être bientôt surpassé. Comme dans la littérature Spieghel, Roemer Visscher et Coornhert avaient fait place aux interprètes d'un art nouveau, il en était de même dans les arts plastiques. Hendrik de Keyser, peintre, statuaire et architecte, était mort depuis neufs années. Son confrère, plus âgé que lui, Danckerts de Rij, vivait encore et s'occupait à écrire son livre sur Scamozzi. Tous deux furent les patriarches d'une nombreuse famille d'artistes. Des quatre fils du premier, trois furent artistes. | |
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Des divers Danckerts les plus remarquables étaient: Dancker Danckerts, le graveur et éditeur d'estampes et de cartes, connu pins tard par ses excellentes gravures d'après Berchem et Wouwerman; Justus, le graveur, et Pieter qui était peintre de portraits. La famille des Visscher était une autre pépinière d'artistes; il y avait Jan et Claes Janszoon qui eut trois fils, héritiers de son burin. Une promenade dans la Kalverstraat offrait l'occasion de rencontrer les graveurs et éditeurs d'estampes les plus remarquables. Outre ceux que j'ai nommés on y voyait aussi la demeure de Pieter Nolpe, graveur plein de talent. Parmi les peintres nous citerons encore Pieter Potter, qui quitta Enkhuyzen et acheta en 1631 le droit de bourgeoisie dans la ville d'Amsterdam; Aert Pieters., peintre de portraits; Torrentius, qui était en mauvaise renommée moins encore croyons-nous pour ses sujets libertins, que pour ses hardiesses envers les prédicateurs; Émanuel de Witt, le peintre des superbes intérieurs d'église, jeune homme alors turbulent et caustique, les frères Raphael et Joachim Camphuysen; Simon de Vlieger, qui, à dix-huit ans déjà, s'était fait remarquer par ses plages, ses ports et ses paysages. Tons ces artistes devaient attirer l'attention de celui qui fit alors son entrée dans le monde des arts. Il en était d'autres encore avec lesquels Rembrandt se mit bientôt en relations plus intimes. Je crois pouvoir mettre de ce nombre Nicolaes Moyaert, qui se fixa à Amsterdam en 1624 et entra en 1630 à la gilde des peintres. D'abord sectatenr d'Elsheimer, il était déjà préparé à s'attacher à Rembrandt. Il était coloriste de sa nature. Soit coïncidence, soit influence précoce de la supériorité de Rembrandt, il se développa dans Moyaert un sentiment analogue à celui de van Rijn. J'ai parlé de lui dans la revue des précurseurs. C'est de son atelier que sortit Sa- | |
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lomon KoninckGa naar voetnoot1, qui, préparé de la sorte, se trouva bientôt attiré vers les principes du jeune novateur qui finit par les y entrainer presque tous. Koninck était né en 1609 à Amsterdam. Son père, d'abord joailler à Anvers, s'était établi dans cette ville. En 1630 Salomon était membre de la gilde des peintres. Il se livrait au portrait et à la peinture historique, et s'attacha entièrement aux principes de Rembrandt. Sans avoir la force et la profondeur de ce dernier, les peintures de Koninck montrent un sentiment analogue de la couleur et du clair-obscur. On trouve aussi chez lui les types, les costumes et les sujets de l'école de Rembrandt. Toutefois je pense qu'il fut plutôt son sectateur que son élève. Il avait à peu près le même âge et signait déjà des oeuvres en 1628 et 30. C'est le cas aussi de Joan Lievens, qui continua quelques temps la même voie que Rembrandt, qu'il suivit de près. Dans ses portraits il garde sa manière d'éclairer, et ses eaux-fortes sont aussi dans l'esprit de Rembrandt. Mais plus tard, revenu d'Angleterre et marié à Anvers vers 1634, l'exemple de Rubens et des Italiens modifia son style. Parmi les premiers amis et sectateurs de notre maître nous rencontrons aussi Jan George van Vliet, né en 1610 à Delft d'une famille patricienne et artistique. Il n'est connu généralement que par ses eaux-fortes, mais comme peintre aussi il mérite à un haut degré l'attention. Ses peintures sont très rares. La collection de M. Rolas du Rosey contenait deux portraits, l'un signé J. van Vliet | |
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1643, remarquables par le clair-obscur et le ton bran doré, qui trahissent ses sympathies. Van Vliet est surtout connu par ses eaux-fortes d'après Rembrandt. Il fut le premier qui s'attacha à reproduire les oeuvres du jeune maître. Dans l'inventaire de celui-ci on trouva plus tard ‘une armoire avec des estampes de van Vliet d'après Rembrandt.’ Dèji en 1631 il exécuta d'après lui quelques vigoureuses eaux-fortes, des têtes de vieillard; puis quelques sujets bibliques. En 1632 il publia une série de gueux, entièrement dans le goût de ceux de van Rijn. Il entra profondément dans son sentiment; mais cherchant un effet vigoureux, il a un peu trop appuyé sur le contraste des clairs et de l'ombre, sans les lier par des teintes intermédiaires. Ses planches sont néanmoins d'un effet énergique et pittoresque. Il y eut encore un graveur à Amsterdam qui s'occupa de reproduire les oeuvres de Rembrandt, ce fut Salomon Savry. En 1632 il copia son Vendeur de mort-aux-rats. Voilà bien des preuves que les oeuvres du jeune peintre avaient déjà à son début un grand retentissement. Nous ne savons pas si l'amitié de Rembrandt et de Roeland Roghman date déjà de ces années. On peut présumer que l'analogie des idées sur l'art aura bientôt rapproché le jeune artiste et Roeland, qui ne comptait que dix années de plus que lui. Car il y avait plus qu'une analogie artistique, il y avait conformité de caractère. Roghman se montre dans tout ce que nous savons de sa personne un homme coulé dans son propre moule, de même que Rembrandt; un homme à idées propres, au caractère fortement trempé. Il ne se maria pas et mourut vieux dans un hospice; il ne fut pas compris dans les honneurs officiels de son temps; il fut blâmé pour sa manière ‘rôtie’ de peindre; | |
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chercheur infatiguable et non satisfait d'un succès facile, il disait dans sa viellesse ce mot qui peint l'homme: ‘quand on commence à savoir les choses, on est usé’Ga naar voetnoot1. Mais Roghman, qui avait trente-trois ans à cette époque, était loin d'être usé et savait pourtant très bien les choses de son art.' Un tel homme était tout fait pour Rembrandt. Aussi restèrent-ils amis durant toute la vie. |
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