Le roman picaresque hollandais des XVIIe et XVIIIe siècles et ses modèles espagnols et français
(1926)–Joseph Vles– Auteursrecht onbekend
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Chapitre V
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Het Kind van Weelde of De Haagsche LichtmisGa naar voetnoot(2)Ga naar voetnoot(3).Il ne faut pas prendre l'auteur anonyme de cet ouvrage au sérieux, quand il dit au début de son roman qu'il a écrit son autobiographie pour nous amener à être plus sages et plus circonspects qu'il n'a été. Du reste dans la préface du premier tome il reconnaît qu'il n'a pas | |
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eu l'intention de nous faire de la morale, mais qu'il a seulement voulu se divertir et montrer en même temps ce qu'il faut penser des soi-disant vertueux Hollandais: ... maer zoo gy anders gelooft, (l'auteur s'adresse au lecteur) dat ik een oprechte Haagsche Lichtmis ben (gelijk mijn geheele Boekje de naam daar van voert) zoo kond gy wel denken, dat ik u door mijn voorbeelden tot geen deugd zoek te vermaanen, alhoewel ik in mijn Inleiding daar iets van aangeroert heb; doch zulks is meer om welstaans halven, als uit een goede mening geschied. Maar om u dan met korte woorden te zeggen wat mijn inzicht hier mé geweest is, zoo weet, dat ik deze beschrijving alleen voor mijn eigen vermaak gedaan heb; en om aan de Waereld eens te toonen, wat voor lieve Kindertjes de deugdzame Hollanders voor den dag brengen, die in alle Landen de roem hebben datse de bezetste en gematigste Luiden van den geheelen Aardbodem zijn; maar ik geloof zeker, dat ze dat, geduurende hun geheele leeven, in voorige tijden wel geweest zijn, eer de Hollandsche onnozelheid door het aangaan van Huwelijken met vreemde Land-aard verbastert wierd; doch sedert eenige jaaren herwaarts hebben zij al mé, gelijk als alle andere volkeren, wat dieper in ontucht en zonde vervallenGa naar voetnoot(1). Dans l'avant-propos de la seconde partie il répète avec cynisme la même chose, tout en disant qu'il y a d'autres livres mieux faits pour nous sermonner: ... om het overige van mijn guiterijen aan de weereld bekend te maaken. Hier heb ik geen ander inzicht mé gehad, dan de ledige jeugd wat tijdkorting te geeven, maar niet hen tot de deugd aan te maanen; want ik laat my daar zeer weinig aan gelegen zijn, of de Hollandsche Kinderen deugdzaam zijn, of niet, dewijl ik uit het een noch het ander geen voordeel te gemoet zie: ten anderen heb ik die inbeelding, dat al diergelijke vermaaningen vruchteloos zouden zijn; want zoo het mogelijck was, dat zy door het leezen tot de deugd opgewekt wierden, men zou geen Haagsche Lichtmissen van nooden hebben om daar toe te geraaken, vermits 'er andere Boeken genoeg zijn, welker Maakers hun eenigste oogwit geweest is anderen in de vroomheid en wel-leevendheid te onderwijzen; maar de zulke leggen achter de bank, en worden niet eer geleezen, dan wanneer men de ouderdom begint te naderen, en dat men beducht is dat de Dood den draad des levens af zal kortenGa naar voetnoot(2). | |
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La vie d'un vrai chenapan, digne pendant de tous les héros qui ont illustré les romans picaresques espagnols, nous est décrite dans cet ouvrage. Frédéric, enfant de bonne famille et dont les parents sont tombés gravement malades, est mis en pension chez le proviseur du lycée qu'il fréquente. Là, avec le concours de Wilhelmus, fils de ce dernier, il commet son premier vol, en vidant pendant la nuit les poches d'un de ses condisciples. La mort de ses parents, autant que sa conduite scandaleuse, le force à quitter le collège et à chercher un emploi. Par l'intermédiaire de son oncle, son parrain et tuteur, il trouve d'abord une place chez un pharmacien, ensuite chez un barbier. Il se sauve de chez l'un parce qu'il ne s'y plaît point, il quitte l'autre pour avoir souillé le lit de son patron, et dès lors il commencera une vie orageuse dans laquelle les prostituées jouent un rôle considérable. Enfin il conclut un mariage avec la femme d'un riche vieillard qui avait été autrefois sa maîtresse, lorsqu'elle était encore l'épouse d'un perruquier italien et qui lui avait proposé de quitter son second mari en emportant assez d'argent et de bijoux pour pouvoir subsister. Partis pour la province de Zélande, ils mènent là grand train jusqu'au moment où, leurs ressources étant presque épuisées, Frédéric s'établit comme aubergiste à Harlem. Les moyens dont il se sert dans sa nouvelle condition, pour amasser une petite fortune, rappellent ceux dont usaient l'aubergiste de la Pícara Justina et tant d'autres venteros des romans picaresques espagnols. Il vole honteusement ses clients et même il profite de ce que gagne une fille, installée chez lui, en se livrant à la débauche. Cependant il ne jouira pas longtemps de ses gains illicites, car des brigands le volent et mettent le feu à sa maison. Plus pauvres que jamais, notre héros et sa femme auraient été forcés de mendier leur pain si des comédiens ne leur avaient offert une place dans leur troupe. Dans les voyages que Frédéric et sa femme Sophie entreprennent avec les cabotins, il commet toutes sortes de méchancetés et, comme les rapports entre lui et son épouse deviennent de moins en moins amicaux, il résout de l'abandonner en emportant des bijoux et tout l'argent dont il peut s'emparer. Après mainte aventure, il entre au service d'un gentilhomme français qu'il accompagne à Londres. | |
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Là, un soir, il défend bravement la vie de son maître qui, depuis lors, lui voue une reconnaissance sans bornes. Cependant, comme un homme a été probablement tué dans la bagarre, ils se voient forcés de quitter l'Angleterre et ils s'embarquent pour la France. La vie dissolue qu'y mène Frédéric est cause que son maître lui enjoint de s'en aller pour quelque temps, et il part à tout jamais. Bientôt, une terrible maladie, effet de sa honteuse vie, se déclare. Les soins d'un habile barbier le sauvent et cette fois-ci il se promet fermement de se corriger. Il se rend à Leyde, où il apprend la comptabilité, et peu après il entre au service d'un riche marchand de drap. Celui-ci a une fille unique qui s'éprend de Frédéric et lui déclare son amour. Elle se sauve avec son amant, se marie avec lui et écrit ensuite à son père une lettre pour lui demander son pardon. Le vieillard ne garde pas rancune à sa fille ni à son gendre, les nouveaux mariés s'installent chez lui, et c'est ainsi que se terminent les aventures du terrible débauché. Ce roman peut être considéré comme le premier spécimen national de cette littérature picaresque qui pendant de longues années a fait les délices de bon nombre de lecteurs hollandais. Comme dans beaucoup de romans picaresques espagnols, le héros nous fait lui-même le récit de ses aventures qui, pour la plupart, se passent dans notre pays. Bien qu'une grande partie de l'ouvrage soit consacrée à l'amour et à la passion, quelques conditions sociales, celle du pharmacien et celle du barbier, y sont aussi décrites. De plus, grâce à cet ouvrage, on peut se former une idée de la vie de débauche que menaient beaucoup de jeunes gens de l'époque contemporaine, tandis que nous sommes renseignés en outre quelque peu sur la vie de collège et les châtiments qu'on infligeait aux élèves dissipés. Frédéric est un picaro-né. Il ne demande qu'à s'assurer une place au soleil, coûte que coûte. Dès qu'il n'a plus de quoi vivre, il vole, il tue même, au besoinGa naar voetnoot(1); il ne connaît pas la piété filialeGa naar voetnoot(2), il ne respecte pas la foi conjugaleGa naar voetnoot(3), il ne recule devant aucun moyen pour assouvir ses instincts brutaux. Il est vindicatif et cruelGa naar voetnoot(4), tout sentiment humain lui fait défautGa naar voetnoot(5); bref, c'est une franche canaille. | |
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Il y a dans ce roman plusieurs épisodes racontés avec beaucoup de verve et de pittoresque dont voici quelques extraits typiques: Zoo haast als deze ouwerwetze Ridder my aldus had hooren spreeken, vloog hy my om de hals, en kuste my van blijdschap, zeggende; Dat ik de eenigste was, die hy in de tijd van tien Jaaren gevonden had, die zoo wel met zijn humeur zou kunnen accorderen, want, mijn Heer, vervolgde hy; Ik heb de gewoonte van de Hollandsche taal, door dien my de zelve niet civiel en obligerende genoeg dunkt, met eenige Latynsche en Fransche woorden te misceren, om alzoo uit die drie taalen een goede concoctie te maaken; en dit is het geen dat anderen in my vitupereren, alhoewel ik oordeel, dat de zulken geen lieden van verstand of raison zijn, want my dunkt dat 'er niets in de geheele Waereld delectabelder is, als met een bijzondere gratie, een taal te hooren spreeken, die de ornamenten van twee andere taalen met zich sleept. Dit is de oorzaak, en motif, dat ik U Edelheid embrasseer, omdat ik evidentelijk zie, dat gy de zelve cognitie hebt en useertGa naar voetnoot(1). Les deux passages qui précèdent se rapportent à l'aventure avec le pauvre fou AntonioGa naar voetnoot(3) et au tour joué à un paysan avare demeurant près de BruxellesGa naar voetnoot(4). Citons aussi les espiègleries avec une jeune fille d'auberge à LondresGa naar voetnoot(5) et la rencontre à Middelbourg avec le mari légitime de SophieGa naar voetnoot(6). Bien que nous n'ayons pas réussi à trouver pour ce roman des sources précises, il est évident que l'auteur s'est inspiré d'ouvrages picaresques espagnols, dont il y a par-ci par-là quelques réminiscences. Il s'est surtout souvenu des aubergistes dont il est si souvent question dans les romans castillans, et c'est avec un véritable talent | |
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de narrateur qu'il nous a fait la description de leurs honteuses pratiquesGa naar voetnoot(1). Le langage qu'il leur fait tenir correspond parfaitement avec la bassesse de leur âme: Terstond vloog ik uit het bed, en riep: Ha, ritze teef, wat duivel is daar nu weer te doen? Ick hoor wel dat je weer een Pol by je hebt, maar ik sal je van die Krevel koorts wel haast met een endje houts geneesen. Op, op, Wijf, riep ik; steekt eens een kaars op, ik moet die ritze Hoer de ribben eens wat smeerenGa naar voetnoot(2). Du reste notre compatriote, ne reculant jamais devant la grossièreté des termes, s'est exprimé dans son ouvrage entier d'une façon cadrant bien avec le milieu où il transporte le lecteurGa naar voetnoot(3). | |
De Twee Vermaarde Fortuyns Kinderen ofte Het Wonderlyk Leeven en zeldsame bedryven van Jonker Michiel van der Moesel, Heere van Toornvliet en Van Niclaes de Molembais, Delft, 1681.A l'influence exercée par les romans picaresques espagnols on doit probablement l'existence de cet ouvrageGa naar voetnoot(4). Il se compose de deux romans qu'aucun lien ne rattache. Cependant une seule fois le nom du héros de l'un est mentionné dans l'autreGa naar voetnoot(5). Les deux ouvrages ne sont pas autobiographiques et contiennent les aventures de deux HollandaisGa naar voetnoot(6) de fort basse extraction qui, très jeunes, ont quitté la maison paternelle afin de pourvoir euxmêmes à leurs besoins. Les moyens dont tous deux se servent pour arriver à leurs fins sont de ceux dont usent les filous les plus raffinés. Ils trompent et volent tout le monde et commettent beaucoup de vilenies sans avoir la moindre pitié de leurs pauvres victimes. Tantôt la fortune leur sourit et les pourvoit amplement d'argent, tantôt elle leur tourne le dos en les réduisant à la plus profonde misère. | |
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Ils n'observent ni ne critiquent les conditions sociales où le sort les a placés, mais emploient seulement leur esprit subtil à imaginer des ruses pour s'enrichir du bien d'autrui. Leur vie dissolue ne leur a rien appris, et quand la mort termine enfin leur déplorable existence, ils ne se sont encore nullement corrigés. Bien que les différentes aventures des deux voyous ne puissent nous inspirer qu'un profond dégoût, l'ouvrage, dans son triste réalisme, nous renseigne cependant sur certaines choses qui ne sont pas dénuées d'intérêt. C'est ainsi que nous y apprenons qu'à l'époque où se passe ce roman, c'est-à-dire au XVIIe siècle, il était très facile d'échapper aux mains de la justice, pourvu qu'on changeât de domicile; de même il paraît qu'on pouvait aisément planter là sa femme et se remarier ailleurs. On y voit aussi que dans ce temps l'alchimie comptait beaucoup de fervents et que plus d'un, attiré par la soif de l'or, se laissait duper par ceux qui disaient professer cet art: Als nu dit Accoord gemaakt, en bij een Notaris beschreeven was (want den Kleyne gaf voor, dat hy niet gaarne naderhand moeite sou willen hebben) deed hy alle de forneizen, ovens, en meer diergelijke instrumenten, welke men tot deese dwaase oeffening gebruikt, om ver werpen, en weer andere werken opmetselen, welke hy zeide daar bekwaamer toe te weesen; en seker deese dingen hadden vry wat schyns; want wat het setten van ovens en forneisen belangd, daar had myn Heer Kolonel al eenige Kennis af, ten minsten zoo veel, als 'er van nooden is om zijn geld met d'Alchymie voor den Duivel te helpenGa naar voetnoot(1). Un autre passage confirmera ce que nous venons de dire: 't Is seker te verwonderen, dat men noch luiden vind, die sich op deese manier laaten bedriegen; want de menigvuldige voorbeelden behoorden hen wijser te maaken; maar de zugt tot rijkdom verblind hen d'ogen zodanig, datse op geen voorbeelden acht geven; te meer, dewijl se sich altijd inbeelden, datse wyser en voorzichtiger zullen zyn, als degeenen welker rampen hen van hun dwaasheid af behoorden te trekken; en ondertusschen vallen ze in den selven kuil, daar d'anderen ingevallen zijn; en 't argste van alles is, dat ze gemeenlijk niet eer hun bederf zien, voor dat ze zich daar zoo ver ingewikkeld hebben, dat ze den voet seer beswaarlijk weer terug konnen haalenGa naar voetnoot(2). Sur la façon dont étaient constituées les troupes mercenaires on trouve aussi dans cet ouvrage des détails fort curieux: | |
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Toen den Kleyne weer in de handeling van penningen was begon sijn geest die nu soo lang gelijk als begraven was geweest, met sijn gewonelijks luyster te herleven. Hy begeeft sich dan weer aen het Hof, en versoekt permissie om een Regiment Voet-knechten op sijn eygene kosten te mogen werven, 't geen by de Staten in achting genomen synde, wierd hy op den 4. Juny van den Jare 1674 aengesteld als Kolonel over een Regiment Voet-volck, met last aen een yegelijck van hem daar voor te houden, en te erkennen; welke Acte by eenigen gesien, en den galm daar van vervolgens door gantsch Holland en andere plaetsen, gevloogen sijnde, sodanig een toeloop van gelicentieerde Officiers veroorsaakte, dat het voornoemde huys (want den Overste Molembais hield nu daar sijn residentie) naeuwelijcks door den gemelden Kasteleyn beheerd konde worden. Ieder was de voor baerigste om by Requesten, Memoriën, Missiven, &c., te doen sien sijn verdienste, bekwaemheyd, en genegentheyd, om den Staet onder het gebied van mijn Heer den Kolonel te mogen dienen; waer op den Kleyne, gelijck een wijs en verstandig Heer, door den voornoemden Kasteleyn by forme van een generaele dispositie op hun overgeleverde Requesten &c., liet weten, dat hy Overste in agting nemende hunne verdiensten en getrouwheid, de Zielen in gunstige recommandatie neme, om hem by gelegentheid te verplaatsen, ofte te vorderenGa naar voetnoot(1). | |
De Wandelende en Spreeckende DukaatGa naar voetnoot(2)Le titre curieux de ce roman n'est pas de ceux qui nous renseignent sur la nature de l'ouvrage en question. Cependant dès les premières pages on s'aperçoit qu'il s'agit d'une véritable oeuvre picaresque quant au fond, mais que la forme diffère essentiellement des autres specimens. Grâce aux conjurations d'un jeune astrologue, un ducat, frappé depuis plus de soixante ans, acquerra le don de la parole et racontera alors tout ce qui lui est arrivé depuis qu'il a vu le jour en Hollande à l'hôtel des Monnaies. Appartenant tour à tour à un page, à un juge, à une fille de mauvaises moeurs, appelée Hélène, à un escroc français, à une prostituée hollandaise, il aura pour dernière propriétaire une princesse italienne, très jolie et fort vertueuse. | |
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De tous ceux qui ont possédé le ducat pendant un temps plus ou moins long, il nous raconte par le menu ce qui leur est arrivé tant qu'il leur appartenait. Le vol, l'adultère, les fourberies, bref, toutes les vilenies propres au monde interlope des vauriens, font tous les frais de cet ouvrage. Ce qui est très curieux, c'est que dans ce roman nous retrouvons la traduction intégrale de la Hija de CelestinaGa naar voetnoot(1) de Barbadillo, ce qui, à notre avis, indique que cette oeuvre espagnole n'était pas très connue au XVIIe siècle dans notre pays. En effet, s'il en avait été autrement, l'auteur anonyme n'aurait jamais eu la hardiesse de faire passer pour sienne une production qu'il avait empruntée d'un bout à l'autre à la littérature espagnole. Outre pour ce plagiat, qui montre d'une façon on ne peut plus évidente que l'auteur hollandais a puisé à pleines mains aux sources espagnoles, l'influence du roman picaresque castillan est également manifeste en un autre endroit. C'est celui où nous retrouvons l'écornifleurGa naar voetnoot(2), dont il nous a été tracé un si magnifique portrait dans Guzmán de Alfarache, et qui, comme nous le verrons plus tard, a également inspiré notre compatriote Heinsius dans son Vermakelyken Avanturier. A l'inverse des autres romans picaresques, celui-ci contient des biographies détachées avec pour unique lien le ducat qui passe successivement en d'autres mains. En voici quelques fragments: Ontrent twee maanden nadat ik door den gemelde Don Markos, die nu den ouderdom van twaalf Jaaren bereikt had, gevonden was, trad hy in dienst van een der Grandes of Grooten van Spanje in de hoedanigheid van Pazi. Men gaf hem zijn geld om af te leeven, gelijk men aan alle de dienaars in Spanje doet; en hoewel hy ieder dag niet meer als vijftien of zestien stuivers te verteeren had, wist hy ten koste van zijn buik daar zoo zuinig mee om te springen, dat hij de drie vierde deelen daar af bespaarde. Zijn gestalte was van natuure zeer dun: maar door zijn veelvoudig vasten wierd hy zoo droog en dor als een Mumie. Wanneer hy de tafel diende, droeg hy goede zorg om de borden in tijds op te neemen, die hy dan zoo schoon likte, dat ze niet gewasschen behoefden te worden; en zoo 'er eenige spijs van belang op was blijven leggen, stak hy die in een ledere zak, welke hy ten dien einde gemaakt had, om des anderen daags zyn holle darmen daar mee te vullenGa naar voetnoot(3). | |
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Comme la division en chapitres, accompagnés d'une notice de ce qu'ils contiennent, fait défaut dans cet ouvrage, à l'opposé de tant d'autres de l'époque, l'attention du lecteur est toujours tenue en éveil, ce qui augmente de beaucoup l'intérêt avec lequel nous suivons les péripéties des différents épisodes. De plus, l'auteur raconte des choses assez scabreuses avec aisance, et même avec une pointe d'esprit, le plus souvent sans avoir recours à cette grossièreté de langage si commune dans les oeuvres du XVIIe siècle: Omtrent zes maanden na dat deeze zaak voorgevallen was, kwam den deugtsaamen Ieronimo door een raazende ziekte, die hem dikwils zeer vreemde dingen deed zeggen en begaan, te sterven. Antonette was daar zeer droevig over, en droeg de rouw een geruime tijd in haar hert; maar gelijk de tijd alles doet slijten, verdween haar droefheid ook eindelijk zoo zeer, dat zy niet meer dacht om haar traanen aan haar verlies te besteeden. Ondertusschen, gelijk zy van geen natuur was om zich met haar ouden Man te belijen, en dat haar akker een jonger arbeider vereischte, liet zy 't oog vallen op een schoon jongman van een goede afkomst, welkers gestalte en wakkerheid haar bekwaam dochten om haar rivier te bevaarenGa naar voetnoot(2). | |
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Den Vermakelyken Avanturier
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Mirandor, le principal personnage, est le fils d'un tailleur tué dans une querelle avec un laquais, à propos d'un manteau qu'il lui fallait changer. Après la mort de son mari, la mère de Mirandor, qui n'a jamais respecté la foi conjugale, mène une vie de débauche et, comme elle est très méchante pour ses enfants, le héros de notre récit quitte secrètement la maison paternelle pour aller chercher fortune ailleurs. Le pauvre enfant, qui avait été maltraité par ses parents, n'aura pas un sort meilleur chez son premier patron, aubergiste à Anvers. Aussi le quitte-t-il au bout de quelque temps et entre-t-il alors au service d'un avocat de Bruxelles dont l'extrême avarice le fait terriblement souffrir. Cependant sa situation change brusquement, quand il est engagé à Bruxelles par un marquis dont le fils Belindor se prend d'amitié pour lui. Dans la maison de ce bon maître il trouve l'occasion de se développer à côté de son jeune compagnon, et quand celui-ci est envoyé à Louvain pour y faire son droit, Mirandor doit l'accompagner. A Louvain son coeur subira sa première atteinte: il tombe amoureux d'une très jolie fille, appelée Isabelle. La trahison d'une amie jalouse, Dorothée, leur sera cependant fatale. Mirandor a le malheur de tuer le frère d'Isabelle, et celle-ci meurt de chagrin. Mirandor semble inconsolable de la perte qu'il vient de faire, mais peu à peu il ne reste de sa première passion qu'un pâle souvenir. A Gand, où le marquis a rappelé son fils et Mirandor, Belindor retrouve celle avec qui il a toujours joué lorsqu'il était petit et leur inclination mutuelle ne tarde pas à se changer en un amour parfait, qui un jour sera consacré par le mariage. Cependant avant de s'unir par les liens de l'hymen, Belindor part avec Mirandor pour Paris, où il trouvera un accueil gracieux dans la maison du comte d'Aspremont, le frère du marquis. Mirandor, dont le coeur s'enflamme promptement, sera de nouveau la victime de l'amour, et cette fois-ci l'objet de son culte semble de beaucoup dépasser en beauté celle qu'il a chérie la première fois. Clarice, tel est le nom de sa nouvelle conquête, est également folle de lui; mais un ancien prétendant, Brion, rend leur union impossible, et Mirandor, éconduit et ne sachant plus que faire, se rend en Angleterre comme maître d'hôtel de l'ambassadeur de France. A Londres il a des aventures fort curieuses: il y retrouve son frère Florimond, qui lui fait le récit de sa vie fort mouvementée, et il a le bonheur | |
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de pouvoir lui rendre sa bien-aimée Rosamire, qu'il croyait perdue et à qui il sera uni par le mariage. Chargé par l'ambassadeur de repartir pour Paris, Mirandor rencontre Clarice et sa mère dans le jardin des Tuileries. Elle n'avait pas été mariée à Biron parce qu'une jeune fille, séduite par lui, l'avait réclamé comme mari; maintenant il n'y a plus rien qui empêche son union avec Mirandor. Grâce à l'influence du comte d'Aspremont, les dernières difficultés - l'obscure origine de Mirandor - sont aplanies, et Mirandor se trouve l'heureux possesseur de celle qu'il aimait éperdument. Toutefois son bonheur ne sera pas de longue durée: Clarice ne peut pas survivre à la mort de sa mère, et Mirandor, le coeur saignant, se rend en Hollande. Voilà le contenu fort succinct de ce gros roman qui se compose de deux parties, subdivisées chacune en six livres. Il s'agit d'examiner maintenant à quels titres cet ouvrage porte le nom de roman picaresque et d'indiquer ses rapports et ses différences avec le type espagnol. Le personnage qui forme le pivot du roman est-il un pícaro comme Guzmán de Alfarache ou comme le Buscon? Certes non. Il quitte la maison paternelle seulement par désespoir, pour échapper aux mauvais traitements qu'il y subit et pour tenter la fortune dans un pays étranger. Il ne part pas comme Carriazo ‘llevado de una inclinación picaresca’Ga naar voetnoot(1), mais poussé par la dure nécessité de se procurer une petite position. Afin de ne pas manquer d'argent, il vole à sa mère quelques ducatons, chose blâmable certes, mais non pas impardonnable, vu son jeune âge et les circonstances où il se trouve. Il commet un nouveau vol à Anvers, en dérobant à l'aubergiste, son maître, le terrible ventero des romans espagnols, une cuiller d'argent, et cette fois-ci il se rend bien compte qu'il commet une action répréhensible: Ik beken, dat dese daad wel een weinig te veragten is, maar wanneer men betragt, hoe goddeloos mijn meester mij gehandeld en daarbij meer van mijn drinkgelt afgenomen had als de lepel bedroeg, soo ben ik verzekert, dat men mij so een groot onregt niet geven kan, dewijl ik, so te reekenen, alleenlijk het mijne namGa naar voetnoot(2). | |
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Dès que Mirandor est entré au service du marquis, sa conduite ne laisse rien à désirer. Bien au contraire. La femme impudique du marquis ne trouve pas en lui un jeune homme disposé à satisfaire sa volupté. En outre, dans le commerce qu'il a avec les jeunes filles, aucun reproche ne saurait lui être fait: il se montre toujours respectueux à leur égard et, si ses instances amoureuses les poursuivent, c'est toujours dans le but d'obtenir une union légitime. S'il a eu le malheur de tuer le frère d'Isabelle, sa bien-aimée, celui-ci l'a défié, et dans mainte autre bagarre il s'est seulement battu pour se défendre. Plus d'une fois il protège l'innocence ou ce qu'on prétend être telGa naar voetnoot(1), et aucun méfait ne saurait lui être imputé. A la rigueur on pourrait lui reprocher la farce qu'il a faite à un vieux cuisinier amoureux, qui lui doit d'être terriblement malmené par des bohémiens afin de le guérir de sa passion sénileGa naar voetnoot(2). Par conséquent le personnage de Mirandor n'a pu faire donner à cet ouvrage le nom de roman picaresque. Il faut donc chercher ailleurs. Et ici une question se pose. Est-il étonnant que des enfants élevés dans un milieu de débauche en aient subi l'influence pernicieuse? Sinon, nous ne saurions être surpris que le frère de Mirandor, Florimond, resté plus longtemps que lui chez sa mère, se soit conduit comme un véritable pendard. Ayant quitté à son tour la maison paternelle, il se rend à Amsterdam chez un cousin qui lui fait un bon accueil. Cependant la déplorable influence d'un autre gamin, Philax, qui a un grand ascendant sur lui, lui fait commettre des vols et toutes sortes de méchancetés, et bien que son cousin sévisse contre lui dès qu'il a connaissance de ses méfaits, le vaurien reste incorrigible. En désespoir de cause, son parent prend la résolution de l'envoyer aux Indes néerlandaises, mais le petit garnement se sauve et se rend à Hambourg avec un charlatan. Ce dernier lui enseigne l'art des tire-laine et des coupe-bourse, et bien que cette profession ne plaise guère au jeune voyou, il ne manque pas d'escroquer à un galopin une grande somme d'argent volée qu'il lui faudra cependant à son tour déposer entre les mains du charlatan. Echappé de chez | |
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ce dernier, il s'enrôle comme soldat, et à Cologne il rencontre de nouveau son ancien compère Philax, devenu chef d'une bande d'étudiants voleurs. Faisant semblant d'aider son vieil ami dans un mariage que celui-ci négocie, il le vole, mais il ne tarde pas à s'apercevoir que bien mal acquis ne profite jamais, car des cavaliers espagnols le rançonnent et le laissent sans le sou. Recueilli par des comédiens ambulants, il devient le plus grand acteur de la troupe, s'éprend d'une jeune fille qui raffole de lui, tue son rival qui l'avait enlevée et finit par l'épouser. On le voit, Florimond mérite bien le nom de pícaro, bien que sa vie ne soit pas un enchaînement d'actes honteux. Une fois qu'il fait partie d'une troupe de comédiens, sa conduite ne laisse plus rien à désirer, et même il arrache aux mains de son agresseur celle qui un jour deviendra sa femme. Philax, au contraire, le pícaro par excellence, qui a été l'instigateur de tous les crimes de Florimond, restera un pécheur endurci jusqu'à sa mort. Depuis son séjour à Londres, où il s'est battu avec Florimond pour le punir du tour qu'il lui a joué à Cologne, il s'est remis à voler, et quand enfin on a pu les saisir, lui et sa bande, la pendaison sera un châtiment exemplaire des meurtres et des autres méfaits où il a été pour quelque chose. Un troisième pícaro, c'est le faux comte messinois, dont l'agréable physionomie et les bonnes manières avaient tellement séduit le père de Belindor qu'il l'avait invité à passer quelque temps chez lui. En guise de remercîment, le chenapan vole de l'argent à son hôte en jouant aux cartes avec lui, et quand il se voit démasqué par le cousin du gouverneur de la ville qui l'avait gardé à dîner, il se sauve en montant sur le meilleur cheval du marquis. On le poursuit et l'on ne tarde pas à le rejoindre et à l'arrêter; mais, condamné à la potence, il réussit à s'évader. Plus tard l'escroc reprend ses viles pratiques à Paris, et c'est à l'intercession de quelques dames influentes qu'il devra d'être seulement condamné aux galères. Aux trois pícaros dont nous venons de parler nous pourrions encore ajouter La Fleur, un serviteur du marquis, dont les filouteries sont de la pire espèce; le second fils du comte d'Aspremont, un abbé qui sous son habit de prêtre cache le caractère le plus infâme, et d'autres personnages secondaires, mais il suffit de constater que si d'un côté l'auteur nous introduit dans la haute société française, | |
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d'autre part il nous fait connaître à merveille ce monde interlope de voleurs et de meurtriers, la description des faits et gestes duquel permet assez de caractériser ce roman et de lui assigner une place parmi les autres ouvrages picaresques. Si nous avons donc suffisamment indiqué pourquoi l'oeuvre de Heinsius porte à bon droit le nom de roman picaresque, il nous reste encore à indiquer les rapports et les différences avec les modèles castillans. Comme dans la plupart des romans picaresques espagnols, le personnage principal est de fort basse origine, et il court tout seul le monde pour y tenter la fortune. Lui-même fait le récit de ses aventures, et c'est autour de lui que se groupe tout ce qui se passe dans l'ouvrage. Par conséquent, il a ceci de commun avec les romans picaresques espagnols qu'il est également autobiographique. Une autre analogie avec ses ancêtres castillans, c'est la satire à laquelle Heinsius recourt parfois pour faire ressortir quelques abus des conditions sociales. Cependant il ne vise pas là à atteindre à la hauteur de ses modèles, évidemment parce que la situation politique et économique de notre pays et de la France n'y donnait pas lieu. Comme son ouvrage ne poursuit point un but didactique, il ne moralise pas, et en cela il diffère également de ses anciens modèles. Il dit expressément qu'il n'aime pas à faire la morale, il s'est seulement proposé d'amuser ses lecteurs: Indien ik niet een geswore vijand van het moraliseren was...Ga naar voetnoot(1). Ajoutons que parfois Heinsius intercale des récits épisodiques, tout comme les auteurs picaresques espagnols et françaisGa naar voetnoot(2). Il y a encore bien d'autres analogies avec le roman picaresque espagnol, mais nous en parlerons plus loin, quand nous rechercherons tout à l'heure les sources auxquelles Heinsius a puisé pour écrire son ouvrage. Pour quiconque a étudié quelques romans picaresques espagnolsGa naar voetnoot(3), une lecture, même superficielle, du Vermakelyken Avanturier | |
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suffit pour y découvrir des épisodes qui se trouvent plus ou moins identiques dans les premiers. De même les auteurs français Sorel et Scarron ont été mis à contribution par notre compatriote. Il se pourrait que Heinsius soit allé puiser aux mêmes sources que les auteurs de romans picaresques espagnols et français, mais, comme nous ne disposons pas jusqu'à présent de matériaux qui puissent soutenir cette hypothèse, il faut la rejeter encore provisoirement. D'autre part, Heinsius, qui aimait beaucoup à lire, qui dévorait même des romansGa naar voetnoot(1), doit avoir consacré maintes heures à la littérature picaresque espagnole et française dont il pouvait consulter les originaux aussi bien que les traductions. Qu'il se soit appliqué à imiter ses modèles, il n'y a pas de quoi en être surpris, vu la vie mouvementée qu'il a menée et son goût inné des aventures. Cependant comme il ne veut que procurer un agréable passetemps à ses lecteurs, il ne s'érige pas en censor morum et il mettra seulement dans son oeuvre des récits et des histoires qui peuvent les amuser. Toutefois il est clair qu'une autobiographie, que l'auteur assure être vraie, doit aussi de temps à autre enregistrer des événements plus ou moins tragiques; mais, grâce à la légèreté avec laquelle il glisse là-dessus, ils ne nous laissent pas longtemps sous l'impression de la tristesse et ne nous émeuvent pas profondément. Le début du roman déjà est tout identique à celui du Lazarillo et du Buscon. Les parents de Mirandor sont de dignes pendants de ceux-ci qui, au lieu de consacrer tous les soins possibles à l'éducation de leurs enfants, leur font passer de si mauvais jours que, les uns après les autres, ils se sauvent de chez eux. Mirandor, tout comme Lazarillo et don Pablo, tournera le dos à la maison paternelle pour chercher ailleurs à gagner sa vie. Son premier maître, un aubergiste à Anvers, ressemble fortement à tous les mesoneros dont les romanciers picaresques espagnols ont brossé avec une grande habileté de pinceau l'ignominie et la rapacitéGa naar voetnoot(2), et la faim dont souffre Mirandor chez lui nous rappelle de nouveau el hambre du pauvre Lazarillo. | |
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Il se peut que Heinsius se soit souvenu de Guzmán quand il donne à Mirandor un aubergiste comme premier maître. Guzmán, lui aussi, mourant presque de faim quand il se rend de Cazalla à Madrid, entre au service d'un ventero qui l'initiera aux filouteries de sa profession: Alli supe adobar la cebada con agua caliente, que creciese un tercio, y medir falso, raer con la mano, hincar el pulpejo, requerir los pesebres y, si alguno me encargaba diese recaudo á su cabalgadura, le esquilmase un tercioGa naar voetnoot(1). L'analogie est trop frappante entre le premier patron du pauvre Guzmán et celui de Mirandor pour que nous ne croyions pas immédiatement à une imitation. Mirandor tombe de Charybde en Scylla quand il a trouvé son second patron, un avocat fort avare à Bruxelles. Le premier repas qu'il y fait nous rappelle celui que Guzmán prend dans une petite auberge à deux lieues de San Lazaro. Qu'on compare les deux textes: Hizome sentar en un banquillo cojo y encima de un poyo me puso un barredero de horno, con un salero hecho de un suelo de cántaro, un tiesto de gallinas lleno de agua y una media hogaza más negra que los manteles. Luego me sacó en un plato una tortilla de huevos, que pudiera llamarse mejor emplastro de huevosGa naar voetnoot(2). On le voit, les deux dîners sont également mauvais et servis de façon à peu près identique. Après avoir inauguré son nouveau lït, Mirandor se lève le lendemain, la figure tachetée comme s'il avait la rougeole, et le sort de Guzmán ne sera pas meilleur quand il aura couché pour la première fois dans une auberge: les puces ont livré à nos deux compagnons un combat très acharné dont leur figure porte des traces bien visibles: | |
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No sé, si me pusieran en medio de las plazas de Sevilla ó á la puerta de mi madre, cuando amaneció el domingo, si hubiera quien me conociera. Porque fué tanto el número de pulgas que cargó sobre mí, que pareció ser tambien para ellas año de hambre y les habian dado conmigo socorroGa naar voetnoot(1). Et dans Heinsius on lit: ... ik was nog geen quartier uurs op deze wanhopige rustplaats geweest, of ik gevoelde mij door een vijandlijke, en niet min verwoede menigte van smagterige vloijen, die de Duiven nagelaten hadden, op een onchristelijke wijs bespringen, en mijn gantsche lichaam en aangesigt door dit ongediert bedekkenGa naar voetnoot(2). Un déjeuner substantiel aurait certes dédommagé Mirandor des attaques de la terrible vermine, mais il ne tardera pas à s'apercevoir que chez son nouveau maître on danse devant le buffet. On ne saurait s'imaginer homme plus avare, plus sordide que celui-ci. C'est un type qui ressemble comme deux gouttes d'eau au licencié Cabra chez qui Alonso Coronel de Zúñiga envoie son fils et don PabloGa naar voetnoot(3): Gedurende deze nuchtere maaltijd, sprak hij mij niet anders als van de soberheid en wat een gruwelijke laster de lekkerheid en de gulzigheid was...Ga naar voetnoot(4). Cependant les analogies avec le roman de Quevedo ne s'arrêtent pas là. Quand don Pablo a appris par une lettre de son oncle, le bourreau de Ségovie, que son père est mort, exécuté sur l'ordre de la justice, et que sa mère n'aura pas à attendre longtemps pour partager son sort, il se met en route pour recueillir son héritage. Non loin de Torote il fait la rencontre d'un homme assis sur un mulet et qui ne le voit pas, bien qu'il marche à ses côtés. On échange les compliments d'usage et Pablo s'aperçoit bientôt qu'il a affaire à un fou, puisque celui-ci rêve de mettre la mer à sec au moyen d'éponges: Bien ve vuesa merced que la dificultad de todo está en este pedazo de mar: pues yo doy órden de chuparle todo con esponjas, y quitarle de allíGa naar voetnoot(5). | |
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Heinsius raconte de son héros une scène tout à fait analogue: Mirandor, se rendant à Lyon pour aller y voir sa chère Clarice, doit passer une nuit dans une petite auberge à quelques lieues de Paris. Il y partage son lit avec un fou qui se lève la nuit, réveille tout le monde pour avoir une bougie et qui, quand enfin l'aubergiste irrité lui a remis cet objet si précieux pour lui, informe Mirandor qu'il a trouvé le moyen de conquérir la Hollande. Le roi de France n'aura qu'à pourvoir ses soldats de semelles de liège et de cette façon il leur sera facile de tenir tête à l'eau des écluses et de triompher de la résistance de l'ennemiGa naar voetnoot(1). Une autre réminiscence de la lecture du Buscón, c'est le récit du maître d'escrime qui vient rendre visite à Belindor et à Mirandor pour leur enseigner l'escrime et la danseGa naar voetnoot(2). Ses extravagances et son langage bizarre ont pour effet que ses deux interlocuteurs lui rient au nez; plus tard ils apprendront qu'il a été placé dans une maison de santé sur l'ordre du roi. Buscon, dans son voyage à Ségovie, rencontre un fou tout pareil: Yo no entendi lo que me dijo, y luégo temi lo que era, porque más desatinado hombre no ha nacido de las mujeres. Preguntóme si iba á Madrid por linea recta, ó si iba por camino circunflejoGa naar voetnoot(3). Le langage que tient le pauvre homme tout le temps qu'ils cheminent ensemble ne fait que confirmer les soupçons de Pablo que le maître d'escrime qui l'accompagne est un fou fieffé, et la nuit il joue une scène identique à celle que Heinsius a attribuée au compagnon de lit de Mirandor. Pour les vilains tours joués par don Pablo, Heinsius - qui se peint lui-même en Mirandor - a dû créer un type qui ressemblât au triste sire du roman de Quevedo. Ce type, c'est Philax, le mauvais génie du frère de Mirandor, Florimond. Sur les instigations du vaurien, Florimond, qui n'est pas encore foncièrement corrompu quand il arrive chez son cousin à Amsterdam, vole des poules et du plomb, pour remettre ensuite, en l'absence du maître du logis, à différentes maisons des lettres sans contenu et qui n'étaient délivrées que moyennant une certaine taxe. Or, cet | |
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expédient pour se procurer de la monnaie, nous le trouvons aussi dans le Buscón. Don Pablo a quitté son oncle le bourreau et arrive à Madrid, où il s'affilie à une bande de chevaliers d'industrie. Parmi ceux-ci il y en a dont il est parlé en ces termes: Y diciendo esto, sacó más de veinte cartas y otros tantos reales, diciendo que no habia podido dar aquellas. Traia cada una un real de porte, y eran hechas por él mismo; ponia la firma de quien le parecia; escribia nuevas que inventaba á las personas más honradas, y dábalas en aquel traje, cobrando los portes, y esto hacia cada mesGa naar voetnoot(1). On voit bien qu'il s'agit d'un expédient tout semblable, avec cette seule différence qu'ici les enveloppes ne renferment pas de papier blanc, mais des lettres réelles dont la teneur est sortie de l'esprit inventif du pícaro. Le personnage de Philax, ce vaurien tellement vicieux qu'il menace sa mère de la frapper, parce qu'elle a refusé de lui donner de l'argentGa naar voetnoot(2), est le portrait achevé du héros picaresque espagnol, par ses nombreux vols et par ses autres méfaits, et c'est pourquoi nous croyons pouvoir dire sans exagérer nullement que cette création doit sa naissance à la création des Pablo et des Guzmán de Alfarache. A Cervantes Heinsius n'a pas beaucoup emprunté. Cependant il y a une page qui semble inspirée par Rinconete y Cortadillo. Quand Philax a rencontré Florimond à Cologne, il lui dit qu'il est devenu le chef d'une bande d'étudiants bandits dont les occupations consistent à dévaliser les gens, à tricher au jeu et à commettre des vols avec effraction. Tout comme Monipodio, qui a assigné à chacun de ses complices le quartier où ils auront à exercer leur vile besogne, Philax a aussi réparti les travaux parmi ses compagnons. Il ne souffrira pas qu'un de ses subalternes le trompe; si cela arrive, le châtiment ne se fera pas attendre et sera exemplaireGa naar voetnoot(3). Monipodio est encore plus sévère pour ceux qui le trompent. Ils doivent observer les lois de la bande, et malheur à quiconque oserait les violer. En somme Monipodio est un personnage répugnant et plus féroce encore que Florimond, mais la ressemblance entre leurs faits et gestes est évidente. | |
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Au roman de Guzmán de Alfarache, Heinsius a probablement aussi emprunté la scène avec l'écornifleur, qu'il a réussi à raconter avec un véritable talentGa naar voetnoot(1). Il s'agit d'un homme qui, sans avoir été convié par le comte d'Aspremont à un grand dîner, se présente, se met à table et finit par gagner les bonnes grâces de son hôte par sa vivacité d'esprit et sa promptitude à la riposte. Cependant comme il abuse de la bonté de son amphitryon, celui-ci, à la longue, ne demande pas mieux que de se défaire de lui; c'est pourquoi il ordonne à ses valets de ne plus le servir. Les domestiques se hâtent d'obéir à leur maître et un jour que le pique-assiette veut mettre après dîner les pieds dans les galoches qu'il a quittées auparavant, il manque de se casser le cou, parce qu'une d'elles a été clouée sur l'escalier. Après le tour qu'on lui a joué, il ne remet plus jamais les pieds dans cette maison où tant de fois on lui avait réservé un accueil si hospitalier. Cette histoire amusante narrée avec beaucoup de verve est très semblable à celle qu'Aleman raconte dans le chapitre où il parle des parasites qui assiègent l'hôtel de l'ambassadeur de France à Rome, Un de ceux qui commencent à déplaire fortement à Son Excellence. est un Anglais, qui prétendait lui être apparenté. Ecoutons maintenant Guzmán pour voir de quelle façon il éconduit cet importun: Una noche al principio de cena comenzó á desvanecerse con mil mentiras, de que el embajador se enfadó mucho y, no pudiéndolo sufrir, me dijo en español, que el otro no entendía: Mucho me cansa este loco. No lo dijo á tonto ni sordo; luego lo tomé á destajo. Fuíle sirviendo con picantes, que llamaban á gran priesa. Era el vino suavísimo, la copa grande. Iba menudeando. De polvillo en polvillo se levantó una polvareda de la maldición. Cuando lo vi rendido y á treinta con rey, quitéme una liga y púsele una lazada floja en la garganta del pie, atando el cabo con el de la silla y, levantados los manteles, cuando se quiso ir á su posada, no tan presto se alzó del asiento, como estaba en el suelo, hechas las muelas y los dientes y aun deshechas las narices. De manera, que, vuelto en si otro día y viendo su mal recaudo, de corrido no volvió más á casaGa naar voetnoot(2). Il y a encore dans Den Vermakelyken Avanturier d'autres traces de l'influence exercée sur lui par les romanciers picaresques espagnols, | |
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mais il est difficile de dire chez quel auteur Heinsius a puisé, parce que ces choses se trouvent un peu partout. Dans le roman d'Espinel, par exemple, Marcos de Obregon est un jour fait prisonnier par des pirates algériens, dans El Diablo cojuelo, le diable raconte à son jeune compagnon l'histoire de deux amis qui ont aussi été emmenés comme esclaves par des corsaires maures. Or, dans Den Vermakelyken Avanturier, Mirandor, se trouvant un jour dans la diligence de Rouen à Paris, rencontre un capitaine de navire qui a également gémi sous le joug de maîtres africains. Inutile de dire que Marcos de Obregon, de même que les deux amis et le capitaine de navire, s'efforcent d'échapper par leur adresse aux mains de leurs bourreaux; il serait hardi de prétendre que pour ce récit tel de ses devanciers a été exploité par notre compatriote. Il se pourrait même que pour cette histoire épisodique, Heinsius n'ait consulté aucune de ses lectures et que les pirateries du temps l'aient seules inspiré. Par contre, le peu de peine que Mirandor se donne pour trouver un autre maître toutes les fois qu'il en a besoin, rappelle aussi bien El Lazarillo qu' Alonso Moço de Muchos Amos. Dans le roman de Heinsius on lit: Hij scheen geen kleine gerustheid over mijn wederkomst te hebben, vragende mij aanstonds, waar ik vandaan was, en of ik ook dienst sogt? daarbij voegende, dat indien ik lust had hem te dienen, hij mij aanstonds in sijn dienst nemen, en tot sijn kantoorknegt maken souGa naar voetnoot(1). Dans Lazarillo nous trouvons: Andando así discurriendo de puerta en puerta, con harto poco remedio (porque ya la caridad se subió al cielo), topóme Dios con un escudero que iba por la calle con razonable vestido, bien peinado, su paso y compas en órden. Miróme, y yo á él, y dijome: mochacho, ¿ buscas amoGa naar voetnoot(2)? De même dans El Donado Hablador: ... el cual, llegándose á mí, me preguntô de qué tierra era, qué buscaba, pues al parecer era extranjero; si estaba acomodado ô si queria servirleGa naar voetnoot(3). | |
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L'amitié entre Belindor et Mirandor, qui ont un même professeur et sont envoyés ensemble à l'université, n'est-elle pas aussi analogue à celle de don Diego de Coronel et de don Pablos, du moins au début? Puis quand Isabelle, le premier objet de l'amour de Mirandor, lui dit: Ook sei sij mij, dat haar moeder op 't aanhouden van haar Broeder, die hierdoor al het goed alleen meende te besitten, haar binnen weinig tijds in een kloooster meende te senden, om aldaar haar leven door te brengenGa naar voetnoot(1), n'y a-t-il pas dans ce passage une réminiscence de la Garduña de Sevilla lorsque celle-ci adresse la parole en ces termes à Crispin, le faux hermite: ... tuve muchos pretendientes para casarse conmigo, mas mi hermano no se pagaba de ninguno, poniéndoles defetos, ya en la sangre o ya en sus personas, con que no llegó a tener efeto ninguno en su pretensión. Bien creo que era la causa desto desear mi hermano que yo me entrase religiosa en un convento de monjas donde estaban dos tías mías, y desto tuve premisas por ver lo que yo era rogada dellas que fuese allí religiosa; yo nunca tuve intento de serlo, y así, nunca les salí a su pretensión, con que mi hermano no me mostraba muy buen semblanteGa naar voetnoot(2). Au reste, l'influence exercée par les pícaras des romans espagnols sur l'oeuvre de Heinsius n'est pas très grande. Il y a deux types seulement dans Den Vermakelyken Avanturier qui rappellent la Pícara Justina, la Hija de Celestina et la Garduña de Sevilla. Un de ces types est la fille avec qui Belindor a passé des heures de voluptéGa naar voetnoot(3), et l'autre, c'est la coquine que Mirandor rencontre dans une auberge à quelque distance de Moulins. Celle-ci a excité sa pitié par le récit de ses amours et Mirandor la prendra sous sa protection. Le lendemain ils font route ensemble, mais arrivés à un bois, Mirandor se sent tout à coup blessé par un coup de pistolet, tiré par sa dame. En quelques instants il se voit cerné par plusieurs cavaliers qui l'attaquent et le blessent grièvement; quand Mirandor reprend ses sens, il ne possède plus que sa chemise teinte de sangGa naar voetnoot(4). | |
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Si la part fournie par les romanciers espagnols pour la composition du Vermakelyken Avanturier a été très large, Heinsius n'a pas non plus manqué de tirer profit des écrivains français réalistes Sorel et Scarron. Quant au premier, il ne lui a pas fait de grands emprunts, car l'aventure du cuisinier amoureuxGa naar voetnoot(1), qui présente de fortes analogies avec celle de Valentin, le sot mari de LauretteGa naar voetnoot(2), semble ne pas être une création de Sorel. En effet, elle rappelle le tour joué par la vieille bohémienne de La Gitanilla de Cervantes - qui a paru dix ans avant Francion - à un bonnetier nommé Triguillos et demeurant à SévilleGa naar voetnoot(3). Heinsius et Sorel peuvent donc avoir consulté la même source, et c'est ce qui explique la ressemblance entre les deux récits. Il y a seulement des détails qui semblent justifier l'assertion que Heinsius s'est souvenu de sa lecture de Francion quand il a écrit son roman. C'est ainsi que Sorel parle du brigandage exercé à Paris par des chenapans du beau monde: Je vous dirai bien plus, et à peine le croiriez-vous, il y a des seigneurs des plus qualifiés, que je ne veux pas nommer, qui se plaisent à suivre nos coutumes, et nous tiennent fort souvent compagnie la nuit; ils ne daignent pas s'adresser à toutes sortes de gens, comme nous, ils n'arrêtent que les personnes de qualité, et principalement ceux qui ont mine d'être courageux, afin d'éprouver leur vaillance contre la leur. Néanmoins ils prennent aussi bien les manteaux et font gloire d'avoir gagné cette proie à la pointe de l'épée. De là vient qu'on les appelle tire-soyes, au lieu que l'on ne nous appelle que tire-lainesGa naar voetnoot(4). Heinsius de même nous apprend qu'un des fils du marquis d'Aspremont, l'abbé, commet toutes sortes de vilenies et pendant la nuit exerce, déguisé, ses honteuses pratiques: Des avonds ging hij vermomt op de straat, met nog eenige van sijn makkers, die van geen beter leven als hij waren, en die, schoon se so wel als hij het geestelijke kleed droegen, sig evenwel niet schaamden, des avonds, wanneer het donker was, de luiden aan te vallen, en hen met geweld de beursen af te nemenGa naar voetnoot(5). | |
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Francion, arrivé dans un village tout près de Lyon, exerce la profession de charlatan et nous révèle la façon dont il fait ses drogues: Francion, pour se donner du plaisir, avoit employé toute la nuit à faire plusieurs onguens avec du beurre, de la cire, de l'huile, du jus de quelques herbes, et d'autres ingrédiens; et s'étoit proposé de leur en distribuer, et d'en prendre de bon argent dont il avoit alors beaucoup affaire. Il avoit appris à composer ces drogues dans des livres qu'il avoit lus par curiosité; et, à n'en point mentir, cela devoit plutôt faire du bien que du mal, car il ne vouloit ordonner aucune chose qu'avec jugementGa naar voetnoot(1). Dans Heinsius le maître de Philax qui s'est aussi fait marchand d'orviétan, nous apprend également comment il prépare ses onguents: Dien gantschen nagt bragten wij door met salven en pleisters te maken, daar hij niet anders als Was en Terpentijn toe nam, gevende hetselve door eenige verven so een kleur als hij begeerdeGa naar voetnoot(2). Voilà tout ce que nous avons trouvé de semblable dans les deux romans. Un butin fort maigre, en somme, mais en revanche l'influence du Roman Comique de Scarron sur l'oeuvre de Heinsius a été plus grande. Est-ce que cette influence supérieure à celle de Sorel s'explique par le fait que notre compatriote n'aimait pas beaucoup les récits grivois dont Francion est plein? Nous ne le croyons pas, vu que Heinsius décrit dans son roman des scènes fort lascives qui se rapprochent même des obscénités de l'oeuvre de Sorel. Si par conséquent Francion ne lui a pas fourni de sources autant que le livre de Scarron, il faut en conclure seulement qu'il n'y a pas trouvé plus de matière à imiter et ne pas attribuer le peu d'emprunts à son aversion pour l'ouvrage de Sorel. Ce en quoi Heinsius imite beaucoup Scarron, c'est dans la création du personnage de Mirandor. Entre celui-ci et Destin, le jeune premier du Roman Comique, il y a une fort grande parenté. Destin a été élevé chez le baron d'Arques dans la compagnie de deux fils, dont l'un, Verville, était très honnête, et l'autre, Saint-Far, fort méchant. Verville aime Destin et le protège, Saint-Far le déteste et attente à sa vie. De même Belindor chérit beaucoup Mirandor et le soutient pendant toute sa vie, tandis que l'Abbé, son cousin, le hait et veut le tuer. | |
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A Rome, Destin sauve des mains de leurs agresseurs Léonore et sa mère; Florimond fera la même chose pour Rosamire. Destin et Florimond se battent tous deux pour l'objet de leur amour et Mirandor, afin de protéger Clarice et sa mère contre les exactions d'un certain Saint-Amant, qui leur doit une grosse somme, est légèrement blessé. Lucrèce, aimée de Mirandor, tout comme Léonore, n'aurait pas hésité à s'unir avec lui, malgré sa basse naissance, si ses parents ne s'y étaient opposés: ... seggende, dat ik, wat haar belangde, geen andere getuigen behoefde, als die ik in mijn wesen en gestadig bij mij voerde en dat, schoon ik van de geringste afkomst des werelds was, mijn deugden en verdiensten mij ver boven graven en marquiesen setten, die dikmaals geen andere voordelen hadden, als die se ter wereld gebragt en uit het bloed van hun Ouders getrokken hadden...Ga naar voetnoot(1). Dans Le Roman comique on tient le même langage: Pour la fille, Stéphano - un aubergiste à Rome - m'assura de sa part que mon mérite lui eût fait oublier ma fortune, si sa mère eût été aussi peu intéressée qu'elleGa naar voetnoot(2). Puis Saint-Far dans Le Roman comique dessert Destin auprès de Mlle de la Boissière, la mère de Léonore, et l'Abbé, le second fils du comte d'Aspremont, révèle au père de Clarice la basse origine de Mirandor. Na de eerste hevigheid van haar droefheid ten laatste een weinig afgenomen, en haar tong wederom een weinig meer vrijheid en kragt om te spreken bekomen had, gaf sij mij te kennen, dat het gantsche onweer, daar onse liefde van geslagen en bestormd wierd, van geen ander veroorsaakt en voortgekomen was, als van dien Cavallier, die Brion, de laatste maal, dat ik bij haar geweest was, met sig gebragt had, die zijnde een Abt en de Soon van den Graaf van Aspremont, en hebbende mij in het huis van sijn Vader in Parijs gesien, aan haar vader gesegt had, dat ik een bedelaar was, die sijn Oom, Belindors vader voor desen van de straat en in sijn dienst genomen had en dat hij mij selver voor desen in Antwerpen, wanneer sijn vader den sal. marquies aldaar eenmaal met hem besogt had, het liverey, als sijn jongen, had sien dragenGa naar voetnoot(3). | |
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Scarron dans Le Roman comique s'exprime ainsi: Saint-Far lui dit sans marchander qu'il était le maître d'un jeune garçon qui avait été assez heureux pour avoir été blessé en lui rendant un petit serviceGa naar voetnoot(1). Une autre ressemblance entre Destin et Mirandor, c'est que leurs bienfaiteurs ne les oublient pas quand ils se marient. Cp.: ... et Verville, qui ne m'oublia point pour s'être marié, me fit présent d'un bon cheval et de cent pistolesGa naar voetnoot(2). Destin et Mirandor sont aussi tous deux tellement émus de la vue de leur dulcinée qu'ils restent interdits en sa présence: Cp.: J'étais si interdit que je ne voyais goutte et que je n'entendis rien du compliment qu'elle me fitGa naar voetnoot(4). Pour terminer nos comparaisons, rappelons que la lésinerie du père de Destin, un marchand de blés, était telle qu'il s'était pendu un jour, parce que, la récolte ayant été universellement abondante, il craignait que son stock ne rapportât pas assez. Or, une voisine ayant coupé la corde, se vit mal récompensée du service rendu, car le ladre lui administra des coups de bâton et la força aussi à payer la corde dont il s'était servi pour se suiciderGa naar voetnoot(6). De ce trait d'avarice Heinsius s'est évidemment souvenu quand il décrit la scène de pendaison du deuxième patron de Mirandor, un avocat à Bruxelles. Ce triste sire, ayant appris par une lettre que quelques tuiles d'une de ses maisons d'Anvers avaient été endommagées par suite de l'incendie d'un bâtiment voisin, est tellement désespéré qu'il va se pendre; c'est grâce à Mirandor, qui coupe la | |
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corde, qu'il a la vie sauve. Comme unique récompense de son action charitable, le pauvre garçon aura des souffletsGa naar voetnoot(1). Une fois établies la plupart des sources où Heinsius a puisé, nous voulons dire deux mots sur le prodigieux succès du roman. En effet, Den Vermakelyken Avanturier a eu jusqu'à huit réimpressions en cinquante ansGa naar voetnoot(2), et il a été traduit en quatre languesGa naar voetnoot(3). Cette grande vogue du Vermakelyken Avanturier ne saurait nous surprendre. Le grand nombre d'aventures, variées à l'infini, vécues par les personnages tant principaux que secondaires, le style redondant, trivial en plusieurs endroits, constituaient autant d'attraits pour l'époque. De même nous ne sommes point étonné qu'après la seconde moitié du XVIIIe siècle, où l'on commençait à devenir beaucoup plus exigeant, l'oeuvre soit tombée dans un oubli presque complet. Contrairement aux autres romanciers picaresques, Heinsius ne critique pas des conditions sociales. Cependant il fait une exception pour le clergé qui a été souvent en butte aux attaques de notre compatriote. A plusieurs reprises il parle de sa conduite honteuse; aussi nous pourrions citer plusieurs passages à l'appui de ce que nous avançons, mais nous nous bornerons à un seul: Indien ik de tijd had, sou ik U duisend schelmerijen van mijn gebroeders (il s'agit de capucins) verhalen konnen, die ik, gedurende de tijd, dat ik mij bij hen ophield, gesien heb; en ik kan sweeren, dat er bijna niet een onder hen was, die sijn hoererij niet met getrouwde en ongetrouwde vrouwen pleegde en somtijds niet in de argste hoerhuisen van de stad ging, onder schijn van de luiden te bekeerenGa naar voetnoot(4). Avec ces attaques à l'adresse des représentants du culte catholique le passage suivant est bien en contradiction: | |
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... liet sig met Rosamire door onsen hofpriester (want hy was mede sowel als ik Roomsgesind) in alle stilligheid te samen gevenGa naar voetnoot(1). Une autre classe de gens dont il nous dit le grand mépris dans lequel elle était tenue, c'est celle des comédiens. Rosamire, qui aime un comédien Pharamond, n'oserait révéler à son père la profession qu'exerce celui qu'elle aime: ... want ik kost wel gedenken, dat myn Vader in der eeuwigheid niet sou toelaten, dat ik my met een comediant en een landloper in den echten-staat begaf, en dat ik, wat meer is, hem het geringste hiervan niet sou openbaren of te kennen geven konnen, dat ik niet syn gramschap en een verschrikkelijke straffe te verwagten hadGa naar voetnoot(2). En maint autre endroit se trahit le peu de cas qu'on faisait alors du comédien. Quant au style, il est par trop souvent prétentieux et boursouflé, et quelquefois d'une platitude terrible: Hy was een man van een al te rijpen oordeel, om niet te bemerken, dat syn eloquentie myn aandagt een verschrikkelijke muilpeer gegeven hadGa naar voetnoot(3). Pour la grossièreté du langage, Heinsius ne le cède à aucun de ses contemporains: Haar begeerte was, dat ik haar de rokken, en het hemt op ieder schouder met spelden vast maken sou, op dat sy sig met dies te meer bequaamheid, so van voren, als van agteren warmen kost. De schaamte, die ik had, van haar hier in te gehoorsamen, most ten laatsten voor de strengheid van haar bevel wyken, en dit alles had ik nog konnen overkomen, indien ik ten laatste ook niet gedwongen geweest was, haar op sekere plaats te krabben, daar de nagels nogtans seer onverdragelyk zijnGa naar voetnoot(4). | |
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Evenwel had sy grote moeite om my aan het naturen te helpen, dewyl een tronie wiens vel dat van een gebraden appel niet ongelyk was, al haar strelen en liefkosen vrugtelos sou gemaakt hebben, indien de beloftenis, van myn arbeid eerlyk te belonen, my dit smakelose voorwerp niet als een tweede Venus had doen betragten, hoewel ik niet besluiten kost, het diere en waarde pand van een tot nog bewaarde en onaagevogtene maagdom, op den eersten aanval, aan so een lelyke en grouwsaame afgod op te offeren: maar dewyl ik al te seer de menschelyke swakheid onderworpen was, om niet een kleine natuurlyke ontroernis te betonen, wist sy my so te stroken en aan den dans te helpen, dat ik mij gevangen most gevenGa naar voetnoot(1). Cependant malgré ces défauts et nonobstant les multiples emprunts qui ont aidé Heinsius à composer son ouvrage, c'est à lui que revient l'honneur d'avoir écrit le meilleur spécimen hollandais d'un genre qui a eu tant d'illustres représentants dans les autres pays.
Il nous reste encore à dire quelques mots sur les récits épisodiques et sur la composition du Vermakelyken Avanturier. Tandis que dans la première partie du Vermakelyken Avanturier on ne trouve que deux récits épisodiques, celui du fanfaron Don Rodrigo di Braccamonte et celui du vieux cuisinier amoureux, la deuxième en compte plusieurs. Les aventures ultérieures de Mirandor étant trop peu nombreuses et Heinsius, dans un but d'unité, voulant donner deux tomes de grosseur à peu près identique, a sans doute eu recours à cette répartition inégale pour y pourvoir. Quoi qu'il en soit, ce petit défaut dans la composition de l'ouvrage n'aurait pas attiré notre attention, si parfois les autobiographies intercalées n'avaient été ajoutées fort mal à propos comme, par exemple, celle du capitaine de navire que Mirandor rencontre dans son voyage de Rouen à Paris. Ce récit, au lieu d'être amené tout naturellement, a été inséré par Heinsius dans l'unique but de faire un remplissage. De même l'histoire de la pícara dont Mirandor fait la rencontre dans une auberge à quelque distance du village de Moulins aurait pu être supprimée, parce qu'elle n'a rien à voir avec le roman luimême, dont elle ne fait que retarder l'action suivie. Tous les autres récits épisodiques semblent être nécessités par les circonstances où se trouvaient les différents personnages. | |
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Heinsius a rédigé son ouvrage avec beaucoup de soin, et il s'est efforcé dans l'enchaînement des différentes aventures d'établir des rapports entre les personnages agissants. Ceux-ci se rencontrent tantôt dans l'église, tantôt à l'auberge, parfois dans la rue, tous lieux dont se servaient les romanciers du XVIIe siècle pour mettre leurs personnages en rapport les uns avec les autres. Heinsius n'a nullement songé à nous faire une peinture du caractère de son héros; il a seulement voulu raconter tout ce qui est arrivé dans la vie fort mouvementée de Mirandor, sans faire de celui-ci une étude psychologique. Cependant par la description des habitudes, des vêtements, des faits et gestes de ceux avec qui son héros a du contact, il a réussi à merveille à nous en retracer des portraits. Qu'on songe, par exemple, à l'avocat ladre dont l'accoutrement ridicule et la lésinerie donnent une image si nette de cet antipathique robin; qu'on se rappelle le second maître de Mirandor, l'aubergiste, le plus grand coquin de l'Europe, qui, par la façon indigne dont il exerce son métier, justifie bien cette qualification. ... was syn kleeding niet veel beeter; want, om de selve volgens order, en van boven tot onder te beschryven, so had hy een klein oud hoedtje op, waar van de rand niet boven de twee vingers, ruim gerekent, breed, en van de muisen so beknaagt was, dat het selve so veel tanden, als een saag had, beroemende sig, dat het nog van syn Groot-vader door erffenis aan hem gekomen was... Wat syn Paruik aangaat, geen Christen ziel sou anders gemeint hebben, of het waren twee vosse steerten geweest, die aan ieder zyde van syn hoofd vast waren. Syn mantel was, als ik van hem vernomen heb, eertyds swart geweest, dog sedert de dood van Hendrik de III. had deselve, tot teken van syn getrouwe diensten, een weinig naar het blaauw beginnen te trekken, welke kleur hy met voortgang van tyden, so seer na sig genomen had, dat men nu sou gewwooren hebben, dat hy so geverft was, zynde van een klap beschaduwt, die in groote een gansenbord overtrof, en van een reeks knoopen beset, die ik nog veel te kort doen sou, indien ik se by hoender-eyeren geleek. Ik geloof seker, dat indien dit stuk werks in de Republyk van de stomme Nagtegaals ofte Luisen, om wat duidelyker te spreken, bekent geweest was, hun Overheid, hen, wanneerse iets Crimineels bedreven hadden, geen swaarder en dodelyker straf sou hebben konnen opleggen, als desen mantel te beklimmen, dewyl die so kaal was, dat geen van dit klein gebeente daar de geringste vastigheid op had konnen hebben, | |
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en derhalven door een doodelyken val syn leven had moeten eindigenGa naar voetnoot(1). Pour faire ressortir l'infidélité et la méchanceté de la marquise, la femme du troisième maître de Mirandor, Heinsius lui oppose la bonté et la grandeur d'âme de son époux. Afin de mettre en pleine lumière la grossièreté et la bêtise du chanoine westphalien et de son serviteur Hans, il imagine leur aventure avec une Française raffinée et élégante. Fréquemment Heinsius a recours aux gestes pour nous présenter ses personnages. Qu'on se souvienne, par exemple, du professeur de danse qui, par son courant defensief en offensief, veut apprendre à Belindor et à Mirandor à tuer leur adversaire tout en dansant. N'oublions pas non plus l'Espagnol fanfaron qui croit avoir des droits sur la fiancée de Belindor et qui, par sa fausse bravoure, ses airs et ses paroles, est du plus haut comique: Het was vermakelyk te sien, hoe ootmoedig, en beleeft hy sig aanstelde, wanneer Belindor hem aansag, die syn hoofd en oogen so ras niet naar een andere plaats gewent had, of hy sag hem met de verschrikkelykste blikken, en een dreigend gelaat aan, om hier door syn moed en Couragie aan Diana te tonen, die hier door in haar vorige mening gesterkt wierd, dat al hetgeen hy van syn dapperheid gepogt en gesnorkt | |
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had, niets als bloote Rodemontades waren; want so ras Belindor de oogen na hem toewende, ontfronselde hy syn tronie, liet syn knevels hangen, en sag so sagtsinnig als een Lam, het welk Belindor ten laatste merkende, schepte het grootste vermaak des werelds, van hem so dikmaals, als d'argste Janpotagie van gelaat en mynen te sien veranderen, en had alle moeite van de wereld van doen, om sig van lachgen t'onthoudenGa naar voetnoot(1). Et la scène d'exorcisation du pauvre cuisinier amoureux par des bohémiens corrompus, ne trouve-t-elle pas tout son charme dans la mimique seule? Le chagrin et la joie, la mélancolie et l'enjouement, Heinsius rend ces états d'âme par l'attitude et les gestes de ses personnages, qui pleurent ou qui rient, qui sont ravis ou abattus, selon les circonstances, et qui par leur mimique donnent de la vie et de la couleur au récit, tout en tenant le lecteur en suspensGa naar voetnoot(2). | |
Don Clarazel de Gontarnos
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Heinsius n'a fait que traduire Le Chevalier hipocondriaque, pour la simple raison que le manuscrit de Polignac n'a jamais existé. On ne voit pas très clairement pourquoi Heinsius a voulu tromper ses lecteurs, car malgré les amplifications qu'il a ajoutées, l'examen du texte de du Verdier et de celui de Heinsius les aurait aisément tirés d'erreur. C'est à tort que Ten Brink reproche à Heinsius son manque d'exactitude quand il écrit: Na deze kleine opheldering komt de vermetelheid van Heinsius des te sterker uit. Hij bezat, naar eigen verzekering, een exemplaar van den ‘Chevalier Hipocondriaque’ voor de eerste maal tot Parys by Pierre Billaine in het jaar 1633 gedrukt.’ Dat reeds dit jaartal in 1632 moet worden gewijzigd, is een bewijs, dat hij zich weinig bekommert om nauwkeurigheid, dat hij wellicht de voorrede van du Verdier niet gelezen heeft, of althans zich voorstelt, dat niemand die zal gelezen hebbenGa naar voetnoot(1).
Or, la date 1633 est une faute d'impression de l'édition de 1712, lue par Ten Brink, car dans la première édition de Heinsius de 1697 nous trouvons jusqu'à deux reprises la date de 1632. Don Clarazel de Gontarnos est l'histoire d'un gentilhomme dont l'esprit s'est égaré après qu'il a essuyé le refus d'une jeune fille qu'il aime éperdument. Cependant l'objet de son amour ne lui aurait pas fait perdre complètement la raison s'il n'avait lu l'Amadis de Gaule et d'autres romans héroïques dont l'influence est tellement pernicieuse sur lui que sa démence prend les plus grandes proportions possible. Clarazel, après des faits vraiment héroïques auxquels le force son rôle de chevalier errant - rôle qu'il s'est imposé de son propre mouvement pour gagner les bonnes grâces de celle qui possède son coeur -, change successivement de nom, s'appelant tantôt le Beau Désolé, tantôt le Chevalier Langoureux, le Chevalier du Monstre et le Chevalier de l'Ours. Fidèle à la foi qu'il a jurée à la belle Silviane, la jeune fille qui l'a éconduit, il refuse carrément les propositions que lui font des femmes on ne peut plus belles et charmantes, mais sa folie est telle qu'inconsciemment il rompt deux fois le serment qu'il a prêté, quand par ruse il se trouve dans le lit de celle qui veut l'aimer. Il a le bonheur | |
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de retrouver enfin la jeune fille qui lui a fait verser bien des larmes, et cette bonne fortune guérit en même temps la terrible maladie d'esprit dont il a été atteint. Il épousera Silviane, qui, ayant appris par hasard que don Clarazel est devenu fou à cause d'elle, s'était décidée à aller le chercher. Après le départ de don Clarazel, elle a perdu successivement ses parents et son frère unique, et il n'y a plus personne maintenant qui puisse la contrecarrer dans ses projets. C'est pourquoi, déguisées en hommes, elle et sa femme de chambre Joconde se mettent en route à la recherche de don Clarazel, et, à la fin, après bien des tribulations, faites prisonnières sous l'inculpation d'espionnage et conduites devant le gouverneur de Tours, elles trouvent chez lui le pauvre amoureux. Cependant cette rencontre inopinée a tellement ému notre héros qu'il a failli en mourir. Toutefois après les bons soins d'un habile médecin et un sommeil bienfaisant, il a recouvré ses forces en même temps que son esprit, et c'est alors qu'il s'empresse de revoir celle pour qui il a si longuement soupiré en vain. Le jeune couple, ravi d'être uni, ne tarde pas à repartir pour sa patrie, l'île de Majorque, où le mariage sera célébré en grande pompe. Voilà en quelques mots les principaux traits de ce long roman surchargé d'aventures impossibles dont Clarazel a été le triste héros. Triste, parce qu'en accomplissant ses prouesses, il n'était que l'instrument de ses hôtes qui se servaient de sa folie pour s'amuser à ses dépens. Evidemment l'auteur français a voulu faire ressortir le grand danger qu'il y avait à lire les Amadis de Gaule, les Palmarins d'Olive et les Bergers extravagants; en d'autres termes, par son ouvrage, de même que Cervantes par son Don Quijote, il a voulu réagir contre leur influence malsaine. Cependant une autre question, plus importante pour notre sujet, se pose. Pourquoi classe-t-on cet ouvrage parmi les romans picaresques? Certes, ce n'est pas à cause du personnage principal qui, lui, n'a rien d'un picaro. Bien au contraire, il possède toutes les qualités d'un vrai chevalier: la fidélité, la générosité et la vaillance. En revanche il y a dans ce roman deux personnages, l'écuyer Gandales et le barbier maître Elysée, qui, eux, représentent parfaitement tout ce qu'il y a de méchant et de bas dans la nature d'un | |
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pícaro. Gandales surtout est l'incarnation de la perfidie et de la vilenie. C'est un trompeur, un voleur, un homme d'une conduite scandaleuse, et dont le langage est tellement trivial que son maître ne manque pas de le réprimander vertement à plusieurs reprises. Il a une façon de parler on ne peut plus vulgaire et qui doit avoir blessé les oreilles les moins délicates de ses lecteurs; si le tour de ses phrases ne manque pas par-ci par-là d'un certain comique, le choix de ses termes est le plus souvent si cru et si bas qu'il ne peut que nous inspirer du dégoût: ... verhalende hoe gy met den eersten slag Dardanel zoodanig op zyn stale helm geraakt hebbende, dat uw kostelijk swaard in meer dan vijf hondert stukken vliegende, gy door een noyt gehoorde Courage, en byna wanhopige dapperheid, dien verschrikkelyken Reus, na het wegwerpen van uw' schild, zoodanig by zijn regter been trok, dat hy gedwongen was uit den zadel te vallen, en na gy hem in de gragten van het Kasteel had doen versuipen, zijn Neve Kurdoran, met een knuppel van een schoone taille, de swaarte van uw' onoverwinnelyken arm zoodanig deed gevoelen, dat hy als een schyterige teef het hazenpad koos, doende het overige Garnisoen van het Kasteel voor uw' voeten om kwartier roepen, en den Hartoog Armorand van Bourgogne, en een groot getal andere dappere Ridders, die anders binnen vier ofte vijf uren ellendig hun leven stonden t'eindigen, in vryheid stellen, zonder eens met een lettertje gewag te maken van die onbezuilde stoot, die u dien verdoemden draak met zoo een verschrikkelyk geweld op de borst gaf, dat je met de pisser om hoog, en wel vijf- en twintig voet rugwaarts ter aarden vloogd...Ga naar voetnoot(1). Quant au barbier Elysée, c'est un digne pendant de Gandales, mais il n'a pas eu l'occasion de donner toute la mesure de ses four-beries parce qu'il n'a pas longtemps joui de la société de don Clarazel. Une chose qui frappe à la lecture du premier roman de Heinsius (voir plus haut p. 155) a attiré aussi notre attention dans Don Clarazel de Gontarnos, savoir le mépris du culte catholique et de son clergé: Het is by myn ziel ook waar, zei Gandales, ... men vind een party Geestelyken (Schobbejakken had ik haast gezeid) die de fijnigheid zelver voor de menschen schynen, en wiens lessen niet als met de bestraffingen over die onnozele zondentjens, die de jonge luiden zomtyds | |
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wat onderworpen zyn, zyn opgepropt, en ondertussen maken ze zoo weinig zwarigheid (als 't 'er niemendal kost) hun gat moordadig vol te zuipen, en te vreeten, dat ze schuimbekken als Engelse Doggen, en ook by gelegenheid wel eens een mooije Meid onder de korte ribben te duwen, als ik, by manier van spreken, zwarigheid maak, om een half douzyn bouteilles met de beste Vin de Champagne op myn eygen hand te leegen; en evenwel konnen die zwarte koek-kramers niet nalaten, altyd eerlyke luiden, die het even zoo gaarn als ze het zelven doen, in het hair te zittenGa naar voetnoot(1). Ce qui est bien étonnant, c'est le peu de cas que Heinsius fait des médecins, vu que l'auteur lui-même avait embrassé cette profession: Daar zijn geen wonden zoo dodelijk of gevaarlijk, antwoorde den Barbier, of ze konnen door my genezen worden, al hongen imand de darmen elle lang uit den buik, en al zag men hem het hart, long en lever bloot in het lijf leggen, even als aan Amadis van Gaule, doen hy op het Eiland van de Duivel met dat verschrikkelijke Monster-dier Endriago genaamd, en dat niet anders als de Satan zelver was, gevogten had, wanneer hem al het vlees en de beenen, tot aan het ingewant toe, door dit vreezelyk gedrogt van het lighaam gescheurt zijnde, hy in minder dan acht dagen volkomen van my genezen wierdGa naar voetnoot(2).
La citation précédente suffit à montrer que notre compatriote aimait à se moquer de ses confrères, et cela probablement parce que à cette époque-là, et bien auparavant, les médecins étaient souvent en butte aux railleries des écrivainsGa naar voetnoot(3). Bien que Clarazel de Gontarnos soit un roman fort pénible à lire parce que les sottises dont il est plein nous lassent vite et aussi parce que le style est très lourd, il y a pourtant un récit épisodique qui ne manque pas d'un certain intérêt. Ce récit, fait au chevalier errant par le curé de CuseryGa naar voetnoot(4), contient l'histoire de deux amants, de condition inégale, qui, après bien des épreuves terribles, finiront par goûter les douceurs du mariage. | |
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De Vermakelyke Avanturesse of De Dienstmaagd van FortuinGa naar voetnoot(1)Dans un Avis au lecteur, l'éditeur dit qu'après avoir heureusement renoncé à une vie de débauche, il lui est tombé par hasard entre les mains un livre dont la lecture lui a procuré une si forte joie qu'il a voulu que le public en profitât à son tour. Il ajoute qu'il ignore s'il s'agit d'une histoire vraie ou d'une fiction. Quant au roman lui-même, l'auteur nous renseigne dans une introduction sur le plan d'après lequel il l'a composé. Ce ne sera qu'une relation fidèle des aventures d'une jeune fille qui a eu une vie très orageuse; on n'y trouvera pas la description des moeurs ni des monuments publics ou des institutions des pays où le sort a conduit son héroïne, et pour ce qui est des noms des personnages qui jouent un rôle dans ce roman, ils ont été changés, évidemment pour ne pas les livrer à la risée ou au mépris des contemporains. Autant den Vermakelyken Avanturier était intéressant, autant de Vermakelyke Avanturesse est insipide. Il n'y a pas une page qui nous ait donné quelque plaisir, pas un passage qui nous ait fait sentir que nous avions affaire à un auteur de quelque mérite. Une citation suffira à confirmer ce que nous venons de dire: Myn Meester door zyn verblyf van veertíen dagen in die plaats, had zig in alle gezelschappen doen vinden, het geen hem eindelyk in een meer als gemene kennis met Rozante bragt (het welk de naam van die Juffer was) en waar toe zy van haar kant wel het meeste had toegebragt. Zy deed zig een onbeschryffelyke moeite aan, om een bestendige omgang tusschen hun beide te maken; doch het was enkel om Florimond, aan wien zy al enige malen, onbedekt hare gevoelens had doen verstaan, volkomen in 't net te krygen. Myn Patroon egter meer verblind door de ongemene rykdom dan uitterlyke bevalligheden van die afgeleefde sloof, liet zig dagelyks aan haar toilet vinden; waar 't mogelyk om enige verborgene schoonheden te onderscheppen en te zien, of dezelve overeenkomstiger met zyne belangens, dan hare uitterlyke aanlokzelen | |
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mogten wezen. Maar het zy hem niet vergunt wierd die gade te slaan, dan of ze hem niet gevielen, altoos hy bekwam een weerzin in Rozante, en wierd van dag tot dag veel koelder ontrent haar perzoon: midlerwyl dat haar minnevuur hoe langer hoe heviger wierd; en wanneer zy Florimond door enige medeminnaressen omringd zag, tragte zy door duizenden middelen en wegen hare oogmerken te verydelen: ja geen ogenblik dorst zy myn Meester verlaten, zodanig was zy op hem verzot. Dit verpligte hem om niettegenstaande zyne warsheid voor haar, haar ten enemaal niet te verlaten, maar haar gestadig door een ydele hoop te vleyen, om ze dus te vreden te houden; tot dat zig van langzamer hand een middel mogt opdoen, om geheel en al van zo een lastige minnares ontslagen te rakenGa naar voetnoot(1). La pícara de ce roman, Jeanneton, d'une complexion fort amoureuse, a été mise dans un couvent à Louvain sur l'ordre de son père, afin d'empêcher son mariage avec le fils d'un négociant, appelé Charles. Cependant, comme l'amour est fertile en ressources, Jeanneton réussit à s'évader du couvent avec Charles, qui, après beaucoup d'efforts inutiles, a fini par découvrir le lieu où on la tenait enfermée. De nouveau la mauvaise fortune les sépare quand des brigands les attaquent et semblent avoir ôté la vie à Charles. C'est alors que commence pour Jeanneton une longue vie d'aventures, pendant laquelle elle a l'occasion, chez les différents seigneurs où elle s'engage comme servante, et parfois, déguisée comme laquais, de satisfaire pleinement à ses instincts charnels. Elle ne manque jamais de soupirants, et comme parmi ses adorateurs il y en a très souvent un seul à qui elle donne la préférence, le mariage finit toujours par les unir. Cependant la plupart du temps la mort la prive de son mari, mais comme elle est d'humeur fort joyeuse, elle se console aisément en volant toujours à un autre bonheur. Enfin, après mainte et mainte aventure dans différents pays de l'Europe, elle reverra Charles, mais la fatalité ne veut pas que l'hymen les unisse, parce que de nouveau la mort se place entre elle et son amant. Cette fois-ci elle fait ses adieux aux plaisirs du monde et elle va s'établir à Paris avec son fils pour se consacrer à son éducation et écrire le récit de ses aventures, qui pourra peut-être servir de leçon à quelques-uns de ses lecteurs. Outre l'autobiographie de Jeanneton, il y a dans ce roman | |
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quelques récits épisodiques, celui de son amie Bertranda et celui de son fiancé Lizander; Jeanneton, comme tant de ses soeurs et de ses frères picaresques, a aussi été l'esclave d'un pirate algérien. On le voit, Kersteman a eu l'intention nette d'écrire un roman picaresque identique aux modèles espagnols; seulement le talent de la composition lui a fait défaut, et ni le choix de son vocabulaire ni la façon dont il a tourné ses phrases n'ont été de nature à nous en dédommager. Au lieu de soumettre à un examen critique les conditions sociales où le sort a placé son héroïne, il s'est borné à nous raconter par le menu les aventures amoureuses les plus invraisemblables, et par là il a, on ne peut plus clairement, donné la preuve de son incapacité de marcher sur les traces de ses prédécesseurs. Après lui viendront des auteurs encore plus incompétents, et c'est pourquoi nous sommes autorisé à dire que c'en est fait du roman picaresque hollandais, que d'autres, d'abord les Robinsonades, ensuite ceux de Betje Wolff et d'Aagje Deken, ne tarderont pas à supplanterGa naar voetnoot(1). |
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