Le roman picaresque hollandais des XVIIe et XVIIIe siècles et ses modèles espagnols et français
(1926)–Joseph Vles– Auteursrecht onbekend
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IntroductionVers la fin du XVIe siècle la littérature espagnole se trouve enrichie par la naissance d'un nouveau genre de roman, connu sous le nom de género picaresco. Le hasard, l'heureux hasard, pouvons-nous dire, voulut que le premier spécimen de cette nouvelle production littéraire fût un chef-d'oeuvre qui ne tarda pas à se répandre dans une grande partie de l'Europe et à y trouver des admirateurs, des traducteurs et des imitateurs. Ces derniers ne se bornèrent pas à faire des romans d'après leurs modèles, mais ils introduisirent aussi l'élément picaresque dans d'autres genres littérairesGa naar voetnoot(1). Cependant, comme ceux-ci, bien que se rattachant à notre sujet, ne doivent pas en faire partie, nous les laisserons de côté et nous nous occuperons exclusivement du roman picaresque. Or, une première question se pose au sujet du genre nouveau. Y a-t-il eu quelque rapport entre la situation politique ou économique du pays et la naissance de la novela picaresca? Pour répondre à cette question, il faut d'abord dire ce qu'on entend par roman picaresque. La mot pícaro, dont l'étymologie a été étudiée par M. de Haan et M. Adolfo Bonilla y San MartinGa naar voetnoot(2), indique un vaurien, un homme qui, pour gagner sa vie, ne reculera devant aucun obstacle. Le mensonge, le vol, des crimes plus graves même, ce sont là les moyens dont il use pour arriver à ses fins. Il va sans dire que si tout lui est bon pour satisfaire à ses besoins matériels, ses appétits charnels demandant de même à être assouvis, lui feront commettre les péchés les plus honteux. Tel est le personnage principal des romans picaresques, personnage qui n'est pas une création de romancier, mais | |
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qui a été peint d'après nature. En effet, le type, le pícaro, a existé et il a dû probablement sa triste situation à l'appauvrissement de l'Espagne sous Philippe II (1527 à 1598) et sous son prédécesseur, Charles-Quint (1500 à 1558). C'est surtout sous le règne de Philippe II que les finances du pays, guère brillantes à son avènement au trône, finirent par se trouver dans un état déplorable, dû en grande partie aux guerres que ce prince eut à soutenir. Le grand nombre de cathédrales, bâties avec une somptuosité inouïe pendant le règne de Philippe II, l'accroissement du clergé et de la noblesse, voilà les deux facteurs qui ont contribué à épuiser complètement le pays. C'est que les religieux et les nobles n'avaient pas de contributions à payer et que toute la charge en retombait sur les laboureursGa naar voetnoot(1), les artisans et les bourgeois, trois classes pour lesquelles les autres n'avaient qu'un profond mépris. Aussi ne faut-il pas s'étonner qu'on eût honte d'exercer un métier, de labourer la terre ou d'élever le bétail et qu'on s'efforçât d'être incorporé dans la noblesse pour n'avoir plus à s'exposer aux railleries de ceux qui y appartenaient. Puis il y avait des bourgeois désappointés parce qu'ils n'avaient pu servir sous les drapeaux du roi; d'anciens soldats qu'une longue pratique des guerres avait rendus incapables d'aucun métier; des bohémiens qui depuis longtemps déjà, malgré leurs vols fréquents et les persécutions exercées contre eux, s'étaient maintenus en Espagne, autant de groupes de gens qui, sans avoir aucune profession, étaient à la recherche de moyens de subsistance. D'autre part, il y avait les nouveaux riches, qui, au Pérou et au Mexique, avaient amassé des biens considérables, ce qui amena les pauvres à chercher tous les moyens de s'en approprier une partie. Voilà donc comment il a pu se trouver un grand nombre de gens appartenant aux plus basses conditions sociales et ne reculant devant aucun obstacle pour pourvoir à leurs besoins. C'est dans ces milieux que le pícaro a été pris, et voilà pourquoi on est bien autorisé à dire que le roman picaresque offre un réel intérêt historique. Mais il y a encore autre chose - et nous ne songeons pas à la | |
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valeur littéraire du roman picaresque qui fait que la novela picaresca occupe une place prépondérante dans les productions de l'esprit humain, - c'est le caractère satirique, qui lui est propre. En décrivant les faits et gestes de différents vagabonds, les auteurs ont aussi trouvé l'occasion de faire la satire de la société, ce qui jette une vive lumière sur l'époque décrite; encore ils ne s'en sont pas tenus là: ils ont aussi fait oeuvre de moralistes. Quand un écrivain compose le roman de quelque pícaro, il veut en même temps démontrer à quoi aboutit une conduite honteuse, afin de nous amener à ne pas suivre l'exemple du triste héros, à ne pas nous éloigner du sentier de la vertu. Il est bien vrai que souvent on est tenté de se demander si l'auteur est sincère en nous faisant une leçon de morale, vu que la plupart du temps il semble trouver un plaisir réel à mettre sous nos yeux les choses les plus basses, les plus triviales; quoi qu'il en soit, la leçon, la préoccupation éthique s'y trouve, et nous n'aurons qu'à la mettre en pratiqueGa naar voetnoot(1). Ajoutons que le roman picaresque est presque toujours autobiographique, et l'on sera à peu près renseigné sur son caractère général. D'après ce qui précède on peut donc donner cette définition du roman picaresque: c'est l'autobiographie en prose d'une personne, réelle ou imaginaire, qui, n'importe comment, s'efforce de gagner sa vie et qui, tout en relatant ses aventures dans différentes classes de la société, signale les bassesses et les ridicules qu'elle a su observerGa naar voetnoot(2). |
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