Verzameld werk. Deel 4
(1955)–August Vermeylen– Auteursrechtelijk beschermdaant.La manifestation PirenneEminent Collègue, très honoré Maître, et permettez-moi de dire: mon cher Pirenne, - je me crois autorisé à vous appeler ainsi, car vous m'avez toujours traité avec douceur, et même un jour que je craignais de vous avoir déplu par je ne sais quelle idée peut-être étourdie, vous m'avez rassuré en me disant: ‘Mais non, mais non: vous, vous n'êtes pas une brute!’ Comme je connais vos façons de vous exprimer, j'ai considéré cela comme une marque spéciale de sympathie, dont je garde le précieux souvenir. Donc, mon cher Pirenne, quoique je représente ici l'Université de Gand, il m'est bien difficile, vous le voyez, de donner à mon discours une allure officielle. | |
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D'abord, parce que c'est vous et que cela ne répondrait pas à votre nature. Et puis, parce que je veux que vous sentiez la sincérité de mes paroles. Et enfin, parce que malgré tout le respect admiratif que nous avons pour vous, nous ne pouvons pas le séparer de cette affection que vous portent tous vos collègues indistinctement, affection dont l'expression la plus vraie est aussi la plus simple. Dans la vie courante, on ne peut pas vous dire ces choses-là, parce que vous êtes un grand homme et qu'on a le sentiment des distances. Mais ici, l'occasion m'est offerte, et j'en suis bien heureux, de proclamer sans ambages combien nous vous aimons. Car vous n'êtes pas seulement un grand homme: vous êtes un Homme, avec H majuscule, et dans la plus large et la plus haute acception du mot. Vous êtes tel que même ceux qui ne partageaient pas vos idées et discutaient avec vous se sentaient pourtant, à chaque fois, plus près de vous. Ce qui sépare les gens, ce n'est pas tant leurs opinions, leurs croyances, c'est la façon dont ils croient. Vous, vous êtes ainsi fait qu'on voudrait croire tout ce que vous croyez. Nous vous aimons pour votre si généreuse ouverture d'esprit, et pour cette admirable vitalité qui émane de vous, qui crée sans cesse de la vie autour de vous, et de l'optimisme, même aux heures sombres. Je vous apporte le salut de cette université à laquelle vous avez donné la plus grande part de votre vie, que vous avez glorieusement illustrée pendant une couple de générations, et dont vous fûtes vraiment le Flambeau, cette université qui vous a vu partir, croyez-moi, avec grande tristesse, et où j'ai toujours l'impression qu'elle | |
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aant.est pleine de votre absence. Heureusement, en dehors de votre souvenir, il y est resté quelque chose de vous: vos leçons y éveillaient l'enthousiasme, et nous tenons à vous remercier de nous avoir donné des disciples qui suivent et perpétuent vos méthodes. C'est au cours de votre enseignement à l'Université de Gand, que vous avez édifié cette Histoire de Belgique, qui compte parmi les oeuvres historiques les plus imposantes de notre temps. La base de la pyramide était solidement et largement établie: quel bonheur que vous ayez pu la construire jusqu'au sommet! Nous avons vu grandir ce monument, d'assise en assise. Je vous loue, soucieux comme vous l'êtes du détail exact, d'avoir donné l'exemple d'une aussi puissante synthèse. Je vous loue d'avoir osé vous inspirer carrément d'une idée directrice, - les historiens qui se défendent de le faire sont dupes d'une illusion: ils subissent, eux, sans s'en douter, les idées des autres, et comme ces idées inconscientes sont généralement amorphes, elles suffisent à troubler leur prétendue objectivité, mais sont incapables de les mener à aucune découverte de quelque importance. Je vous loue d'avoir montré que le génie historique ne peut pas se passer d'une certaine imagination divinatrice. Je vous loue encore parce que, de tous les hommes qui aient jamais tenu une plume dans ce pays, vous êtes celui qui avez infiniment plus que tout autre contribué à créer une conscience belge, non pas ce nationalisme romantique qui s'enferme dans des contours strictement définis, mais cette conscience raisonnée qui nous fait sentir le caractère nécessaire de notre union, - de notre union dans ce pays, petit par le territoire, mais comparable | |
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aant.aux plus grands par la vanité de pas mal de ses querelles intestines. Je vous loue enfin pour cette suprême leçon que vous nous proposez: une vie tout entière donnée à un idéal. Un idéal, j'entends l'attachement à certaines valeurs spirituelles qui font la noblesse même de l'humanité, c'est après tout la seule réalité qui compte, celle qui nous prolonge bien au-delà de nous-mêmes. Vous, vous pouvez être assuré de votre prolongement indéfini! Il n'y a pas de raison pour que vous ne deveniez pas centenaire: mais après ce nombre x d'années qui sont encore dévolues à votre inlassable activité, votre oeuvre, votre pensée, votre âme susciteront toujours de la vie haute et belle. Mesdames et Messieurs, je vous convie à boire à l'avenir de notre grand et cher Henri Pirenne! ‘Lang mag hij leven!’ Vivat, crescat, floreat, proficiat, prosit, ad multos annos, ad fundum!
1932 |
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