Verzameld werk. Deel 4
(1955)–August Vermeylen– Auteursrechtelijk beschermdaant.Henry van de VeldeLe dr. Brachet étant empêché d'assister à cette réunion, on m'a prié de dire quelques mots en son lieu et place, - et dans ce hasard, j'apprécie beaucoup, mon cher Van de Velde, qu'il me soit donné de vous dire ici mon admiration avec l'accent de ma déjà très ancienne amitié. Car j'ai eu le bonheur d'être à côté de vous à la toute premiére heure, au début même de votre apostolat pour la beauté dans la vie commune. Vous avez commencé votre vaste entreprise par essayer d'une rénovation dans l'art du livre, ce fut votre première action dans la large | |
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voie que vous vouliez ouvrir, et c'est ainsi que vous fûtes l'un des fondateurs de cette royale revue flamande ‘Van Nu en Straks’, où l'avant-garde internationale de l'art et de la décoration se rencontrait avec le groupe des jeunes écrivains les plus épris de toutes les audaces de la pensée. Il y a de cela un peu plus de 30 ans déjà, mon cher Van de Velde, et si je me permets d'évoquer ce souvenir, c'est pour vous remercier encore de l'exemple vivant que vous fûtes alors pour moi, et pour avoir le plaisir de vous dire que vous n'avez pas vieilli. Je vous revois toujours pareil à vous-même, avec seulement une maîtrise plus mûre. On vous tenait pour terriblement excentrique, parce que vous étiez un révolté. Mais comme les gens ont peu le sens de la propriété des termes! Dans l'acception juste du mot, vous vous êtes précisément affirmé le moins excentrique des hommes, puisque depuis 30 ans vous avez fait votre oeuvre selon la ligne droite que vous vous étiez tracée, ne vous retournant jamais aux aboiements, piaillements et gloussements de la sottise, sans une défaillance vous avez toujours été irréductiblement fidéle à vous-même, fidèle seulement à la parole intérieure qui brûlait en vous. Piérard a dit votre labeur d'artiste constructeur, il ne me laisse rien à y ajouter: moi, je salue en vous le caractére, sans lequel il n'est pas d'art vraiment sain. Vous aviez déjà cette vertu des forts, l'intransigeance, vis-à-vis de vous-même comme vis-à-vis des autres, - âme ardente et fière, parce qu'elle se savait au service d'une noble foi. Une noble foi, tout est là! Puis-je vous le rappeler: vous luttiez pour un autre excentrique, encore méconnu alors, Vincent van Gogh, dont nous fûmes les premiers | |
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à publier les lettres si tragiques et si admirables de certitude, et je n'oublierai jamais l'émotion qui nous rapprocha dans ce jardin de Kalmthout, - le savez-vous encore? - en déchiffrant ensemble ces griffonnages parfois fiévreux d'un homme qui avait donné à l'idéal tout le sang de sa vie, qui avec un évangélique amour s'était immergé dans le monde des humbles et des êtres de nature, pour créer un art tout denature et profondément humain, - Vincent van Gogh, ce grand fervent qui dans la religion de l'art et de l'humanité apparaît comme un saint. Si ce souvenir s'impose à moi ce soir, Van de Velde, c'est que je vous y retrouve tout entier, tel que vous étiez alors, tel que vous êetes aujourd'hui. J'y retrouve l'essence même de l'enseignement qui émane de vous. Vous croyiez, et vous n'avez jamais cessé de croire, que l'art a une valeur de moralité; que l'art doit tirer sa sève de la vie sociale; qu'il faudra une refonte de la société avant que puisse s'accomplir dans son ampleur et sa plénitude l'art que nous appelons, l'art qui s'égalera à celui des Parthénons et des cathédrales l'art surgi de la chair et du coeur même des foules et rayonnant sur tous, imprégnant tout entière la vie quotidienne de tous. Mais vous croyez aussi qu'en attendant il faut agir dans le sens de sa foi; vous croyez qu'en attendant, notre art, pour êetre vrai, doit se retremper dans la vérité élémentaire qui est au fond des masses. En fait, nous sommes tous ici de la même équipe. Car la cause de l'art de demain et la cause de la communauté fraternelle de demain, elles se tiennent. Je dis que votre oeuvre et celle du socialisme sont liées. Et de même que des hommes préparent l'avènement d'une société | |
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nouvelle, créent déjà dans l'anarchie de la nôtre les noyaux de cette société nouvelle, de même vous préparez l'art qui en sera l'expression unanime, vous créez déjà parmi la laideur d'aujourd'hui les premières images de cet art, et par vos réalisations, par toute votre vie, vous activez autour de vous les désirs, les espoirs, les efforts tendus vers un idéal désormais défini et certain, - un idéal dans lequel nous communions tous, jusqu'à ceux qui ne le pressentent qu'obscurément : car une même pensée anime ceux qui veulent toute la justice et ceux qui veulent toute la beauté. Cette pensée, vous l'avez rendue plus largement, plus lumineusement consciente. Et cela seul suffirait à justifier la gratitude avec laquelle nous vous acclamons.
1924 |
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