Verzameld werk. Deel 3
(1953)–August Vermeylen– Auteursrecht onbekend
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aant.Impressions de Russie | |
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aant.I. IntroductionCe livre reprend quelques articles publiés en même temps par plusieurs journaux socialistes. Je ne les ai que légèrement remaniés. Il était à prévoir que certains détacheraient de mon exposé telle ou telle phrase isolée, afin de présenter l'ensemble sous un faux jour. La publication présente rendra ce procédé plus difficile. Comment voulez-vous qu'on parle de la Russie actuelle sans voir aussitôt surgir les malentendus? C'est tout un monde qui s'élabore la et l'on s'y trouve confronté avec les problèmes les plus complexes. Je connais mes limites, hélas, et il y a bien des points sur lesquels je n'ai pu me faire une opinion, même provisoire. Je puis seulement affirmer que je me suis efforcée de regarder impartialement et de dire honnêtement ce que j'ai constaté, en bien et en mal. Cela m'a valu pas mal d'aménités, de côtés divers. Mais je ne suis sensible qu'aux reproches de quelques camarades socialistes et voudrais ici leur répondre brièvement. Si j' ai écrit ces articles, c'est à la demande des rédactions du Peuple (Bruxelles), de Vooruit (Gand), de la Volksgazet (Anvers) et de Het Volk (Amsterdam). J'étais totalement indépendant. J'ai été en Russie à | |
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aant.mes propres frais; je n'y étais invité par personne; je n'ai même pas profité du moindre congrès pour obtenir certains avantages. J'ajoute que je n'ai pas eu à montrer patte blanche en passant la frontière et que, pour obtenir un passe-port, je n'ai dû répondre à aucune question indiscrète, pas plus que l'avocat d'opinion catholique qui m'accompagnait. Le but de mon voyage, c'était avant tout les trésors d'art des musées et des églises, et particulièrement le tableau que, depuis des années, j'avais le désir impérieux de voir enfin, l'Enfant Prodigue de Rembrandt, à l'Ermitage. Mais j'en ai profité pour visiter des écoles, des clubs, des établissements de repos, des sanatoriums, des ‘parcs de récréation et de culture’, des plaines de jeu, des usines, une cuisine géante, un tribunal, un asile de prostituées, une ‘ville’ d'enfants abandonnés, la ‘ville des tracteurs’, près de Stalingrad, le grand sovkhoz (exploitation agricole d'Etat) près de Rostov, l'exploitation vinicole de Massandra, en Crimée... Et des boutiques, des cinémas, des églises à l'heure du service divin, des instituts, des musées de la révolution, des musées anti-religieux... Je n'avais pas encore publié une ligne que déjà l'on avait soin de mettre le lecteur en garde; d'abord parce que, paraît-il, il n'y a pas moyen de voir grand'chose en Russie, que tout y est truqué, comme au temps où Potemkine édifiait des décors de carton sur le passage de Catherine II, pour faire croire à la prospérité des campagnes; et ensuite parce qu'après tout je n'étais qu'un intellectuel, c'est-à-dire un bon benêt toujours prêt à prendre des vessies pour des lanternes. Il est | |
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aant.remarquable que ces mêmes critiques accueillent souvent sans sourciller les canards les plus absurdes qui nous viennent de Riga. Il semble bien que celui qui n'a jamais mis les pieds en Russie en sait plus long que celui qui y est allé, que lui seul détient la vérité et a le droit de parler. Et puis on fait des réserves: on veut bien admettre que tout n'est pas à rejeter de ce qui se crée dans l'U.R.S.S. Mais cependant, quelles ombres au tableau, qui font pâlir les quelques points lumineux! Le plus comique, c'est que, de toutes ces réserves, il n'en est pas une que je n'aie faite moi-même. La seule différence, c'est que je ne m'en suis pas tenu aux réserves. L'affirmation la plus confondante, c'est qu'en Russie le voyageur est sans cesse le jouet d'agents soviétiques, qui ont soin de ne vous laisser voir que quelques aspects trompeurs. Je regrette que mon souci de la propriété des termes m'oblige à parler aussi crûment: cette affirmation-là est d'une indicible sottise. Il est évident que les gens là-bas font ce qu'ils peuvent pour vous donner une idée favorable de leur oeuvre. Mais il est faux que l'on ne puisse voir autre chose que ce qu'ils veulent bien vous montrer. Mon voyage a duré cinq semaines; après les grandes villes du Nord, Léningrad, Moscou, Nijni-Novgorod, j'ai descendu le Volga par Kazan, Samara et Saratov, jusqu'à Stalingrad (l'ancien Tsaritsin), pour gagner ensuite Rostov-sur-le-Don, le Caucase et Tiflis et revenir par Batoum, la Crimée, Odessa et Kiev. Qui pourra croire que tout sur ce parcours était camouflé? J'ai encore la naïveté de dire qu'on nous a montré sans difficulté tout ce que nous demandions à voir. Je connais | |
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aant.les objections. Et c'est entendu: je ne prétends pas généraliser. Cependant, si même il n'y avait que ce que nous avons vu, ce ne serait déjà pas si mal. Nous déclarions au directeur d'une école à Moscou: si l'on nous dit en Belgique que c'est toujours dans la même école que l'on mène les étrangers? Il en était un peu suffoqué. Comment? Mais il y avait encore cinq écoles de ce genre à Moscou, il nous donna l'adresse et la superficie de chaque école, nous n'avions qu'à y aller voir, mais il n'y avait pas de quoi s'enorgueillir: c'était tout à fait insuffisant; on allait encore en construire quatre, mais il en faudrait bien plus!... J'ai remarqué que l'ampleur des projets d'avenir rendait les bolchévistes assez modestes en face des réalisations actuelles. J'ajoute que nous ne nous laissions pas toujours guider. C'est ainsi que, pour nous rendre compte de la machine judiciaire, nous sommes entrés dans le premier tribunal de quartier qui se présentait. Et nous avons visité une usine qui ne pouvait vraiment pas passer pour un modèle up to date. Mais l'esprit qui présidait au règlement du travail n'en était pas moins intéressant. Je me base donc sur bon nombre de faits qui n'étaient pas ‘arrangés’. Si d'autres sont en mesure de corriger mon témoignage, tant mieux! Il est inévitable que de tous les témoignages réunis sorte tout de même un bon morceau de vérité. On peut dire que je n'ai pas tout vu: rien n'est plus certain. Si l'on dit que j'ai mal vu, qu'on le prouve, et je m'incline. Il n'est d'ailleurs pas étonnant que l'avis de voyageurs également sincères puisse différer selon les lieux qu'ils ont visités et l'époque où ils sont allés en Russie. L'évolu- | |
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aant.tion y est si rapide que de grands changements se produisent en quelques mois. La ligne politique elle-même zigzague souvent. Ce qui était vrai avant-hier ne l'est peut-être plus aujourd'hui. Il faut toujours dater mes observations: août-septembre 1931. Il est exact que je ne sais pas le russe. On me l'a répété à satiété, en négligeant avec une inconcevable myopie un fait que j'avais eu bien soin de mettre en lumière: notre petit groupe de cinq personnes comprenait une dame polonaise, qui avait fait son éducation à Varsovie sous l'ancien régime et parlait donc couramment le russe. Ainsi nous n'en étions pas réduits aux renseignements donnés par nos guides, par des employés soviétiques ou des personnages plus ou moins officiels, mais nous pouvions prendre contact avec l'homme dans la rue, bavarder avec n'importe qui, dans le train, dans le tramway, en bateau, à l'usine, dans les boutiques, interroger l'ouvrier ou la fille de fabrique pris au hasard. Ce qui allait d'ailleurs tout seul: le Russe est toujours prêt à faire la causette. De sorte que nous avons pu nous rendre compte, au moins pour une bonne part, de ce qui se passait dans l'esprit de quantité de gens différents, dans les couches les plus diverses de la société. Je dois cependant reconnaître une grande lacune: nous n'avons guère eu l'occasion d'entendre des paysans... Dans les villes les gens du peuple, en général, parlent très ouvertement, avec une simple franchise, qui ne trompe pas. On a souvent l'impression de grands enfants, d'ailleurs intelligents. Certains de nos camarades ont vivement regretté que des iournaux socialistes aient publié ces articles. Il paraît, | |
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aant.en effet, que les communistes en firent usage pour leur propagande. Que voulez-vous? Personne n'est à l'abri de ce precédé qui consiste à extraire quelques phrases d'un exposé pour en tirer d'autres conclusions que l'auteur lui-même. Peut-être aussi la façon dont souvent on présentait la révolution russe, pour combattre chez nous les communistes, appelait-elle tout naturellement quelques corrections. Mais aux militants que mes articles gênent un peu, je voudrais simplement poser cette question: faut-il, oui ou non, se taire au sujet de l'U.R.S.S., garder un silence absolu, ou, si ce n'est plus possible, faut-il déguiser la vérité? Faut-il ne montrer que les ombres du tableau? Si l'on m'attaque, que l'on réponde d'abord nettement à ceci. D'ailleurs, à mesure que les voyages en Russie se multiplient, il apparaît de plus en plus que la politique de l'autruche est la plus bête de toutes. La vérité, nous en avons impérieusement besoin. L'ignorance pourrait nous jouer de mauvais tours. Elle n'empêche pas les événements de se produire. Il n'y a plus moyen de fermer les yeux devant la réalité: l'U.R.S.S., cela existe, et cela existe même assez solidement, à ce qu'il me semble. Le plus piquant, c'est que les économistes bourgeois et leurs journaux n'ont pas les mêmes scrupules que nous. Chaque mois des publications anglaises, allemandes et américaines, conçues dans un esprit objectif, viennent nous éclairer. C'est dans le Nieuwe Rotterdamsche Courant que, depuis des années, j'ai trouvé les documents les plus sûrs concernant la situation en Russie. Dans l'intérêt même de la civilisation, nous devons | |
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aant.être à même de déterminer notre attitude vis-à-vis d'un Etat de cent soixante millions d'habitants, qui déploie une formidable activité. Et faut-il montrer le danger de mettre au ban une telle puissance, sous le prétexte ridicule - et hypocrite - qu'elle serait aux mains d'une horde de bandits, Gardant quand même et pour Dieu sait quand Le couteau rouge entre les dents?...Ga naar voetnoot* En dénigrant systématiquement l'oeuvre de la révolution russe, n'écarterions-nous pas de nous quantité de jeunes esprits ardents, qu'une telle partialité révolterait à juste titre, et ne nous ferions-nous pas les alliés du monde capitaliste contre la première grande république prolétarienne? Ne serait-ce pas trahir le prolétariat russe, qui lutte là-bas pour son idéal de vie meilleure, et qui lutte avec héroïsme? Est-ce une attitude défendable, quand les puissances capitalistes veulent prendre ce peuple à la gorge? Si elles menacent de lui faire la guerre, est-ce de leur côté que nous devons nous ranger, et les aiderons-nous, ne fût-ce que par notre passivité? Mais c'est cela qui fournirait aux communistes une arme terrible contre nous! Je persiste à croire que nous combattrons mieux la tactique des communistes en disant la vérité, mais toute la vérité. Rien ne les embarrasse autant. Et si l'on sent que nous servons la vérité, nos objections n'en auront que plus de poids. En face de ceux qui acceptent sans plus les mots d'ordre de Moscou, montrons que le bolchévisme est essentielle- | |
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aant.ment un phénomène russe, et que l'instauration d'un ordre nouveau en Europe devra envisager de tout autres méthodes. La Révolution russe fut conditionnée par des circonstances historiques spéciales. Elle a pu immédiatement donner la terre aux paysans, qui composaient l'énorme majorité. Le capitalisme n'avait pas là-bas la forte assise qu'il a en Occident. Le fait même que le peuple y était si arriéré a permis l'action de la dictature. Et l'U.R.S.S., avec son immense population et les ressources d'un territoire qui comprend le sixième des terres émergées, peut en fin de compte, au prix de grands efforts, se rendre dans une mesure appréciable économiquement indépendante du reste du monde. J'ajoute qu'il faut aussi tenir compte de ces circonstances historiques pour juger la Révolution russe, avec la même objectivité que l'historien sérieux met, par exemple, à juger la Révolution française. C'est ainsi seulement qu'on pourra discerner à quel point certains de ses actes avaient un caractère de nécessité. On verra mieux en même temps quelle importance relative ils conservent dans l'ensemble. Si, au lieu de s'attacher à certains aspects seulement de ce bouleversement et de cette reconstruction, on pouvait toujours considérer les détails en relation avec le tout! Je sais bien que ce n'est pas facile, mais il faut avoir la bonne volonté de s'y efforcer. Moi-même, ne disposant pas de tous les éléments nécessaires, je suis incapable d'énoncer aujourd' hui une conclusion nette sur toute la Révolution russe. Il y a encore dans mon esprit trop de points d'interrogation. Au moins, que l'on ne considère pas seulement en fonction de notre politique locale cette formidable | |
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aant.commotion qui a ébranlé le monde, cet événement qui, par son ampleur et ses conséquences, prend une place unique dans l'histoire de l'humanité, - et qu'on en finisse une fois pour toutes avec le parti pris! |
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