Verzameld werk. Deel 3
(1953)–August Vermeylen– Auteursrecht onbekend
[pagina 211]
| |
aant.IV. Principes et programme du mouvement flamandJe ne sais qui disait que la raison a été donnée à l'homme pour justifier ses passions. Il est certain que le premier mobile du mouvement flamand est un sentiment. L'argumentation vient l'étayer. Mais au fond, il se suffirait à lui-même. Et c'est ce qui fait sa force. Le sentiment est en deça ou au delà de ce que l'intellect appelle faux ou vrai. Le soi-disant instinct de la race (qui est souvent le produit de la vie commune plutôt que d'une unité ethnique plus ou moins altérée) semble en cela aussi intangible que le sentiment religieux. Nos adversaires ne le voient pas toujours: quand ils nous disent que nous avons tout intérêt à apprendre le français, nous y souscrivons largement; mais quand ils nous disent que nous aurions tout intérêt à abandonner une langue de faible expansion pour une langue mondiale, ils devraient savoir que nous n'avons même pas envie de les écouter. Leur amour exclusif du français, qu'ils se plaisent à considérer comme la langue mondiale par excellence, s'alimente d'ailleurs aux mêmes sources mystiques. Proposez-leur de troquer le français pour l'anglais, sous prétexte que celui-ci est plus répandu; engagez les Polonais à passer à l'allemand ou au russe: ils ne vous comprendront pas, et n'auront pas tort de ne pas vous comprendre. Un homme peut | |
[pagina 212]
| |
aant.quelquefois changer d'idiome, quand des circonstances toutes particulières facilitent la substitution: mais jamais un peuple ne renonce à sa langue, pour peu qu'il ait quelques traditions qui la soutiennent. La langue n'est pas seulement un moyen de communication plus ou moins arbitraire, qu'on remplace à volonté, c'est quelque chose d'organique qui tient par mille racines à notre être le plus profond, à cette vie intime qui colore malgré nous toutes nos actions et fait notre personnalité. Et nous y tenons, parce qu'elle est le symbole le plus net de notre personnalité. Cette langue, que des journalistes facétieux croient déconsidérer en l'appelant la ‘moedertaal’, nous est chère par là même: notre mère nous la parlait quand nous étions tout petits - est-ce vraiment là si peu de chose? Cette langue nous relie au morceau de terre où nous avons poussé. Cette langue, c'est nous-mêmes. Les mots les plus simples ne sont pas des termes abstraits, mais des images chargées de souvenirs: traduits aussi littéralement que possible, ils n'ont pas le même contenu spirituel en français ou en flamand. Ils ont la couleur de notre ciel, ils ont la forme de notre nature la plus intérieure. Le sec rationaliste haussera les épaules et traitera tout ceci de sentimentalité. Le pauvre! Nous ne le contredirons pas, sachant que nul plus que lui n'est voué aux défaites. Les alluvions d'inconscient que des générations ont déposées en nous ne se suppriment pas d'un trait de plume. Quelle faute d'ailleurs au point de vue national même, d'en rêver le dragage intensif! Le patriotisme n'est pas seulement l'amour du territoire démarqué par une frontière: il est l'amour de tout ce qui fait l'être collectif; il manque de consistance s'il ne | |
[pagina 213]
| |
aant.part pas de l'amour du clocher; il peut être très fort en ne s'attachant qu'à des symboles extérieurs - tout le monde étant plus ou moins fétichiste - mais jamais autant que lorsqu'il se base sur cette réalité foncière, dont fait partie la langue maternelle. Si l'on parle à un homme sa langue, on ne s'adresse pas seulement à son cerveau, mais à tout son être psychique, on atteint la source même de l'énergie. Gardons-nous en Belgique d'étouffer aucune source d'énergie et de personnalité! C'est avec la langue que nous pensons, après tout. Elle est inscrite dans nos moëlles. Tous les souvenirs de la race sont vivants en elle. L'altérer, c'est embarrasser notre faculté de penser. Ce sentiment qui nous attache à la ‘moedertaal’ tient d'ailleurs, consciemment ou non, à des tendances fort respectables de la vie morale: pour l'individu comme pour la nationalité le désir de se développer selon sa nature propre, selon ses capacités natives, c'est-à-dire à l'aide de sa langue maternelle, le désir d'être soi-même, de ne pas vouloir paraître autre chose, d'être tout à fait ce que l'on est au fond, le désir de se réaliser complètement ne donne-t-il pas la nécessaire unité, cette dignité qui fait l'homme, et quand il aboutit, la libre et sûre aisance de parole et d'action qui distingue les natures vraiment productives et les élève bien au-dessus des ‘métis’ au langage indigent, hésitant, au caractère mal équilibré? Les Belges de langue française qui aiment vraiment le français devraient le mieux comprendre que les Belges de langue flamande, par une raison identique, aiment le flamand. Pourquoi admettons-nous ce sentiment chez les ‘gran- | |
[pagina 214]
| |
des nations’ et non chez les petites? On trouve tout naturel qu'on soit fier d'être Français ou Anglais... Ce sentiment est pourtant plus recevable encore chez les petites nations, parce que là il répond simplement à la conscience d'une dignité personnelle, tandis que chez les grandes nations il tourne facilement à l'exclusivisme chauvin, qui en fin de compte rétrécit l'horizon, perd le sens des proportions, et appauvrit. Ces facteurs sentimentaux et moraux sont peut-être les ferments les plus puissants du mouvement flamand, ceux qui agissent obscurément dans la masse, bien audessous des discours et des programmes. Il vient s'y ajouter, dans le même ordre, un sentiment très simple de la justice. L'homme qui ne sait que sa langue maternelle, ou qui prétend parler habituellement sa langue maternelle, trouve injuste de se voir relégué dans une sorte de caste inférieure, d'être traité en citoyen de deuxième classe. Il trouve injuste qu'il doive souvent se sentir comme un étranger dans son propre pays. Il trouve injuste que, dans son propre pays, il se bute sans cesse à des fonctionnaires et des employés qui ne le comprennent pas. Il trouve injuste qu'il ne puisse obtenir en Flandre la place la plus infime sans devoir prouver sa connaissance du français, alors qu'un ministre peut ignorer le flamand. Il trouve injuste que la population française du pays dispose de deux universités de l'Etat, et que la population flamande n'en ait pas une seule. Il trouve injuste, en un mot, qu'il ne jouisse pas exactement des mêmes droits des mêmes garanties et des mêmes facilités que le Wallon ou le Flamand francisé. L'egalité de droit elle-même n'est rien sans l'égalité de fait. | |
[pagina 215]
| |
aant.L'homme d'Etat me dira que la politique ne se propose pas comme fin la satisfaction de sentiments, d'ailleurs estimables. Il est facile de voir qu'en principe, ce n'est pas nécessairement à ces sentiments que la solution du problème doit être ajustée. Si j'invoque l'amour de ma langue maternelle, je pourrais aussi bien invoquer celui de mon dialecte et réclamer l'égalité de tous les patois. Et si le néerlandais était un aussi faible instrument de civilisation que le cornique, qui s'éteignit dans les Cornouailles il y a un siàcle, on aurait grand tort d'en faire une langue officielle, malgré toute la saveur du parler populaire. D'autre part, la notion de justice ne se présente pas toujours comme une idée d'une netteté rationnelle indiscutable: certaine conception de la justice peut exiger le sacrifice d'un groupe pour le bien du plus grand nombre. Mais l'on voudra bien admettre qu'ici les arguments d'ordre sentimental puisent une singulière force dans le fait que le néerlandais est la langue de l'immense majorité de la population flamande, qu'il représente même une majorité dans l'ensemble du royaume, qu'il s'appuie sur une tradition littéraire de plusieurs siècles, sur l'activité actuelle d'une élite, et sur le renfort des Pays-Bas, avec leur civilisation très complète; on voudra bien admettre encore que les sentiments, s'il n'y a pas lieu de les traduire en formules politiques d'une décisive exactitude, rentrent pourtant dans les facteurs impondérables dont il faut tenir largement compte: ce sont des forces, qu'on ne néglige pas impunément. Enfin, ils ne se preéentent pas seuls: ils trouvent des alliés puissants dans toute une série d'arguments purement | |
[pagina 216]
| |
aant.intellectuels, tirés des nécessitiés de l'organisation sociale, et c'est ceux-là qu'il convient d'examiner maintenant.
Voyons le niveau moyen de la culture en Flandre: il est sensiblement inférieur à celui de la Wallonie. C'est un fait patent, qu'on ne peut sincèrement nier. Et demandons-nous de quelle façon on fera sortir du pays flamand, pour le plus grand bien de la patrie commune, le plus d'énergie saine et productrice. L'industrie des provinces flamandes est caractérisée par les longues journées de travail et les bas salaires. La plus importante est l'industrie textile. L'agriculture, sous la forme de la petite culture, constitue encore l'activité essentielle de la population. L'industrie à domicile est beaucoup plus répandue qu'en pays wallon: on sait que, d'une façon générale, elle se caractérise par un salaire dérisoire, des journées de travail épuisantes, l'abus du truck system, des conditions hygiéniques défectueuses, l'emploi de jeunes enfantsGa naar voetnoot1. La mortalité infantile est effrayante, le nombre d'illettrés énorme. On conçoit le défaut de pensée libre, la puissance politique et sociale du clergé et des grands propriétaires fonciers, | |
[pagina 217]
| |
le développement de l'alcoolisme et de la criminalité. Nous souffrons d'autres maux encore: la population flamande, malgré le recul des années 1840 à 1860, malgrlé l'émigration considérable vers le nord de la France, est restée d'une extrême densité. D'où une émigration permanente vers les villes et les centres industriels wallons; l'émigration saisonnière des terrassiers, des briquetiers, des Franschmans qui vont faire la moisson en France (en 1898, ceux-ci étaient 57.262); l'émigration hebdomadaire ou quotidienne d'ouvriers flamands qui vont travailler temporairement dans les mines et les grandes industries wallonnes. Ce sont les bas salaires et le chômage qui chassent ces ouvriers de leurs foyers Ils ont à parcourir parfois de fort longs trajects, et vivent dans des conditions tout à fait anormales, qui entraînent pour eux et leur famille les conséquences les plus fâcheusesGa naar voetnoot1. On s'explique l'animosité des ouvriers wallons: les Flamands qui vont travailler chez eux sont des coolies. En dernière analyse, ce sont là les résultats des effets opposés que la révolution industrielle a exercés dans l'une et l'autre partie du pays. Mais la situation linguistique les a singulièrement aggravés, en privant le peuple flamand d'une culture assimilable, dans la langue qu'il comprend. | |
[pagina 218]
| |
Le revenu national de la Belgique provient pour une très grande part de l'exportation de ses produits industriels. Or, on déplorait déjà que nous exportions surtout des produits qui incorporent beaucoup de matière première et peu de main d'oeuvreGa naar voetnoot1. Mais s'il en est ainsi pour l'ensemble de la Belgique, la situation est encore pire pour la région flamande du pays. Un nombre considérable d'ouvriers doivent s'y adonner à un travail qui, par son essence même, est peu rémunérateur sur le marché industriel international. Ce qui fait leur infériorité, c'est leur manque de connaissances générales et techniques: l'ignorance aboutit ici à un incalculable gaspillage de forcesGa naar voetnoot2. Et tandis que nos hommes émigraient pour faire ailleurs des besognes de manoeuvres, les bonnes places dans notre industrie étaient trop souvent prises par des Allemands: avant la guerre, il y avait même une amicale d'ouvriers allemands à Alost. Il s'agit donc de relever le niveau social du producteur flamand. Ce ne sont point les aptitudes ni l'énergie qui lui font défaut, c'est la culture. On ne peut affirmer que les Flamands soient, de nature, moins intelligents que les Wallons: pendant des siècles, ils ont été, dans le mouvement de la civilisation générale, au même plan que les grandes nations européennes. Qu'on ne dise pas non plus que leur état d'infériorité tient au fait qu'ils sont restés avant tout une population agricole, généralement moins développée que la population industrielle | |
[pagina 219]
| |
des villes. Certes, le développement intellectuel est plus rapide dans les grands centres que là où les points de contact entre les hommes sont moins nombreux et moins différenciés. Mais qu'on pense que la Flandre est tout particulièrement la région des villes. La population des campagnes y est bien plus dense que dans les contrées agricoles du pays wallon. Et il est précisément intéressant de comparer l'agriculture flamande à l'agriculture wallonne: celle-ci est beaucoup plus ouverte au progrès. A la fin du XVIIIe siècle, la Flandre était le premier pays d'Europe au point de vue du rendement méthodique de la terre. Mais les découvertes scientifiques et la révolution industrielle transformèrent les conditions de la productivité. Rien n'éclaire mieux le rôle du ‘savoir’, aujourd'hui, l'influence de la science sur la technique, qui s'ajuste et se règle selon des procédés rationnels, qui succède dans tous les domaines à la routine et à l'empirisme tâtonnant. On ne s'en aperçut bien ici, que lorsque, dans le dernier quart du XlXe siècle, nous souffrîmes d'une crise intense, due à la concurrence des pays nouvellement mis en valeur, tels que l'Amérique du Nord, l'Argentine, la Roumanie et la Russie, où les frais de production étaient plus bas, et qui, grâce aux transports de plus en plus faciles, pouvaient écouler leurs produits sur les marchés de l'Europe occidentale à des prix très inférieurs. Cette crise n'atteignit pas seulement la Belgique, mais elle fut plus grave en Flandre, à cause de la densité de la population, qui maintient les loyers élevés, et de l'état arriéré des paysans flamands. On fit done appel à l'Etat, dont les interventions jusque là n'avaient guère favorisé que le commerce et l'industrie, | |
[pagina 220]
| |
aant.et l'on s'efforça d'atteindre des résultats plus rémunérateurs par l'application des méthodes rationnelles aux engrais chimiques, à la sélection des semences, à l'alimentation du bétail, etc. Or, ces résultats ont été obtenus dans une bien plus large mesure en pays wallon qu'en pays flamand. Il ne faut en accuser que le défaut de culture générale et de connaissances techniques, qui a empêché ces progrès de pénétrer suffisamment dans la Belgique flamande. Le chiffre d'affaires des associations d'intérêt agricole est plus considérable dans les provinces wallonnes que dans les flamandes. En 1906, ces associations achetaient dans la Flandre orientale pour 2.750 francs de semences, dans la province de Liège pour 80.428 francs. Elles achetaient dans la Flandre orientale, pour 197.551 francs d'engrais chimiques, dans la province de Liège pour 3.866.500 francs. Elles achetaient, dans la Flandre orientale, pour 490.584 francs d'aliments pour le bétail, dans la province de Liège pour 4 millions 650.070 francs. Elles achetaient dans la Flandre orientale pour 17.474 francs de machines, dans la province de Liège pour 41.350 francs. Or, la Flandre orientale comptait, lors du dernier recensement agricole (1895), 251.408 personnes s'occupant d'agriculture, tandis que la province de Liège n'en comptait que 85.185Ga naar voetnoot1. Ceci permet de toucher du doigt la différence de culture scientifique dans la province de Liège et dans la Flandre orientale. Et, il serait difficile d'exagérer les résultats qui peuvent être obtenus par une production scientifique. Si l'on veut se contenter d'un seul exemple: | |
[pagina 221]
| |
des expériences faites par les agronomes de l'Etat, pendant les hivers de 1901-1902 et 1902-1903, sur les vaches laitières, ont démontré que par un système d'alimentation rationnelle, on pourrait réaliser en Belgique un bénéfice annuel de 41 millions. ‘Ce qui est vrai pour l'alimentation rationnelle du bétail l'est au moins autant pour l'étude des insectes nuisibles et des maladies des plantes; du choix des espèces, des semences, des races de bétail, des engrais, des machines agricoles, etc’Ga naar voetnoot1. Il y a donc un devoir urgent à accroître la productivité en pays flamand; mais on ne peut remédier à son état d'abaissement actuel qu'en y répandant les connaissances techniques, et l'on ne peut y répandre les connaissances techniques que sous condition de développer l'instruction générale, de relever le degré de culture. Dans la lutte des nations, la victoire appartiendra à celles qui auront su tirer le meilleur parti de leur matériel humain en l'éduquant. Une formation professionnelle excellente est la meilleure arme. Or, s'il y a partout une certaine distance entre l'élite et la masse, en pays flamand la différence de langue creuse entre elles un abîme. La plus grande partie de la classe instruite parle le français, la classe populaire parle le flamand. Cette classe populaire porte en elle des possibilités admirables, qu'il faudrait dégager: mais l'action régénératrice ne peut venir que d'une élite qui lui parlerait sa langue. Actuellement, le fond reste inculte. L'élite flamande, qui est le résultat d'efforts individuels, qui a dû en quelque sorte se conquérir elle-même - et | |
[pagina 222]
| |
combien d'énergie, qu'elle aurait pu mieux employer, n'a-t-elle pas dépensée dans le combat pour sa personnalité contre le courant de francisation! - cette élite flamande est insuffisante, mal soutenue. L' action de l'élite française sur le peuple est presque nulle. Je rappelle - il faut le rappeler toujours - que malgré la politique d'après 1830, qui tendait à établir l'unité de langue nationale en enlevant au flamand l'air respirable, malgré un système d'intolérable oppression linguistique qu'on ne se mit à tempérer un peu que dans les années 1870, la Flandre est restée foncièrement flamande: dans les quatre provinces flamandes plus l'arrondissement de Louvain, moins les communes wallonnes, il y a 1,05% d'habitants qui ne parlent que le français, plus 12,80% qui parlent le français et le flamand: en tout 13,85% sachant le français. Encore, de ces 13,85%, y en a-t-il 11,15% qui parlent habituellement le flamand, 2,70% qui parlent seulement ou habituellement le français. La pénétration de la langue française est donc infime, et la pénétration de la civilisation française plus infime encore. On peut le déplorer, mais il faut le reconnaître. J'ai montré que de 1890 à 1910, le bilinguisme ne tend nullement à s'accroître. La politique de 1830 a fait fiasco. Essayer encore aujourd'hui de franciser tout le peuple flamand est une chimère dont les esprits positifs sont revenus depuis longtemps. Il ne reste qu'une issue: que les classes éclairées travaillent au relèvement des classes populaires en se servant de la langue de celles-ci. Répétons que le remède ne peut consister à apprendre le français aux populations flamandes. L'expérience est faite. A l'heure actuelle, moins que jamais, on ne peut | |
[pagina 223]
| |
aant.exiger de cette grande masse (plus de 3 1/4 millions) que, pour se développer, elle soit obligée d'acquérir à grand' peine une langue qui lui est étrangère. Le peu de français que l'on peut apprendre à l'école primaire reste superficiel et disparaît vite, quand le milieu n'est pas français. Nous voulons une culture complète. D'autre part, la connaissance que nos classes francisées ont du néerlandais est trop pauvre pour leur permettre d'exercer une réelle influence civilisatrice. Les intellectuels de langue française pensent en français et ne savent pas s'exprimer convenablement en néerlandais; ils ne peuvent sortir du cercle étroit des conversations qu'on a avec ses domestiques. Le corps du peuple flamand est flamand, la tête est française. Chaque année sortent de l'université des avocats, des magistrats, des fonctionnaires, des médecins, des ingénieurs, dont la pensée n'atteint plus qu'une toute petite partie du monde dans lequel ils se meuvent. Ces couches dites ‘supérieures’ ne sont pas au-dessus de ce monde, elles sont en dehors. Qu'on n'oublie pas que l'université est le principal organe de production intellectuelle que possède une nation, et dont l'influence descend par différents intermédiares dans toute la masse. ‘C'est de la culture supérieure, écrivait le philosophe français A. Fouillée, que le reste découle, comme l'eau fécondante des hauteurs’. L'instituteur primaire est formé par l'enseignement moyen, et le professeur de l'enseignement moyen par l'université. Dans les autres pays, il y a cette circulation bienfaisante qui s'établit entre la pensée supérieure et l'ensemble du corps social; en pays flamand, la différence de langue sépare les intellectuels du peuple. La littérature peut se développer plus ou moins, comme | |
[pagina 224]
| |
activité spontanée de quelques natures exceptionnelles; encore traduit-elle, en Flandre, les instincts de la race plus souvent que l'innombrable pensée moderne. Ce n'est évidemment pas assez. Actuellement, l'influence des intellectuels flamands est forcément trop restreinte, et la plus grande part de cette influence doit encore être abandonnée aux semi-intellectuels, c'est-à-dire à la médiocrité. Il ne suffit pas que les gens instruits aient une connaissance élémentaire du néerlandais, sachent un certain nombre de mots néerlandais: c'est la pensée complète qui importe, et son expression complète. Comment veut-on organiser un enseignement technique sérieux dans la langue de l'ouvrier, si les maîtres qui devraient donner cet enseignement sont formés en français? Chose inouïe, alors que près des deux tiers de la population agricole du royaume se trouvent en pays flamand, et que le paysan flamand ne sait guère d'autre langue que la sienne, le seul institut supérieur d'agriculture est en pays wallon, à Gembloux; la seule revue officielle d'agriculture est française; la seule école vétérinaire de l'Etat est française (celle de Cureghem). Nous sommes donc condamnés a la routine. Autre part, il y a la curiosité sans cesse éveillée, les revues spéciales, la littérature de vulgarisation, les notions scientifiques et techniques qui se répandent même par le journal, les extensions universitaires, les universités populaires; en pays flamand, tous ces instruments de progrès intellectuel et économique sont des plus faibles. Je le répète, une influence civilisatrice réelle ne peut s'infiltrer dans la masse, parce qu'elle ne l'atteint pas par le français. Elle ne peut l'atteindre que par le néerlandais. Il est | |
[pagina 225]
| |
aant.infiniment plus facile de faire passer un homme de son dialecte à la forme cultivée de ce dialecte, que de le faire passer à une lague étrangère (Je suis un peu honteux de devoir encore avancer cet axiome...). Une civilisation vraiment saine et complète ne s'établit que sur la langue maternelle, la langue nationale.
Alors, que nous faut-il, en somme? Notons, dès l'abord, s'il est encore nécessaire, que la régénération flamande ne se résume pas dans la question linguistique. Elle embrasse les problèmes sociaux les plus complexes, c'est bien entendu. Mais la question linguistique est plus ou moins liée à tous ces problèmes, et c'est sur elle seulement que je prétends ici attirer l'attention. Cela dit, que faut-il donc? Il faut que tout l'enseignement, de haut en bas, soit organisé de façon à nous donner une élite parlant la langue de l'immense majorité. C'est ce qu'indiquait déjà, il y a longtemps, le grand sociologue Emile de Laveleye. Et je prends ici le mot ‘élite’ dans son sens le plus large; il y a une élite dans chaque classe: un ouvrier qui fait parfaitement la besogne qu'il est appelé à faire y appartient aussi bien que l'homme d'Etat qui fait convenablement la sienne; au point de vue de l'utilité générale, il n'y a qu'une espèce d'homme supérieur, c'est celui qui est à sa place, the right man. Il faut encore que dans tous les domaines officiels cesse la suprématie du français sur la langue de l'immense majorité. Il faut que l'administration, il faut que la justice, Il faut que l'armeé cessent d'être francisées; il faut, en un mot, que toute l'armature sociale créée par les pouvoirs cesse d'être francisée. Là même où le bilinguisme s'im- | |
[pagina 226]
| |
aant.pose, le flamand ou néerlandais, en pays flamand et pour toutes les affaires concernant le pays flamand, doit néanmoins être la règle. Voilà ce que veut le mouvement flamand, et ce qu'il veut avec ténacité, parce qu'il sait que le relèvement du peuple flamand est à ce prix. Je ne vois pas ce qui, dans ce programme, peut porter ombrage aux Wallons. Nous demandons simplement pour nous ce qu'ils ont déjà pour eux. La tolérance ne peut être basée que sur la réciprocité. Les Wallons qui désirent un emploi, là où les nécessités du service exigent une connaissance suffisante du flamand, devront bien admettre qu'il leur faut apprendre cette langue. Dans un excellent article paru pendant la guerre dans une revue clandestineGa naar voetnoot1, je note ceci: ‘Le seul obstacle réel, c'est la mauvaise volonté. Dans beaucoup de maisons de commerce, on réclame des employés la connaissance des langues étrangères et l'on trouve aisément le personnel nécessaire. On le trouvera tout aussi bien dans les administrations publiques, où les emplois sont de loin préférables par la stabilité, le taux des émoluments et l'avantage de la pension.’ Les Wallons jugeront eux-mêmes de ce qu'exige leur intérêt propre et celui du pays. Je sais bien qu'on a fait des concessions aux Flamands. Mais ils réclament toujours plus: ils sont donc insatiables? C'est que les Flamands ne veulent pas de ‘concessions’: ils veulent ce qu'ils trouvent juste, c'est-à-dire, | |
[pagina 227]
| |
aant.au point de vue linguistique, les mêmes droits et les mêmes facilités que les Wallons, rien de plus, mais aussi rien de moins. Il est plaisant de voir les gens qui ont combattu - haineusement souvent - les lois flamandes les plus équitables, s'imaginer qu'ils pourront encore, par quelques demi-mesures, mettre un terme à la vie qui se développe, à la conscience qui grandit. Qu'ils perdent toute illusion à cet égard: l'heure des palliatifs et des petites roueries est passée. En ce temps d'évolution démocratique rapide et de ‘droit des nationalités’, la paix ne sera basée que sur des solutions franches et loyales. Et c'est peut-être le seul moyen d'enrayer un radicalisme excessif qui, si on le laissait grossir, enlèverait les barrières et mettrait en péril l'existence même de la nationalité belge. Quelles sont alors les réformes urgentes, j'entends celles auxquelles il convient de travailler immédiatement. D'abord, qu'on applique sincèrement les lois existantes? Ce qui a le plus aigri les Flamands, ce n'est pas l'opposition parlementaire à certaines de leurs revendications, ce n'est pas la lutte ouverte: c'est le sabotage sournois de toutes les lois flamandes par ‘les bureaux’, II faut donc qu'une réforme administrative sérieuse leur donne des garanties suffisantes, sans quoi les plus belles lois du monde restent en fin de compte inefficaces. Actuellement, pour ce qui concerne le pays flamand, la langue de l'administration interne est le français; les avis au public sont bilingues et seul l'employé en rapport direct avec le public est tenu de savoir les deux langues. Ce n'est pas assez, ce régime établissant toujours la prédominance du français. Il faut en arriver à ce que, dans la règle, le | |
[pagina 228]
| |
aant.flamand soit la langue administrative du pays flamand. S'il est difficile de réaliser cela d'un coup, que du moins l'on en tienne compte dans les très nombreuses nominations qui vont se faire; qu'on institue dans chaque département un secrétariat flamand, et un service de ‘contrôle linguistique’ analogue à celui qui fonctionne depuis bien des années déjà au Ministère de la Marine, des Chemins de fer, Postes et Télégraphes: ce système permet de régler à l'amiable et de façon pratique bien des questions de personnes, en sauvegardant aussi bien les exigences administratives que les convenances d'ordre linguistique. De même, la question du flamand à l'armée va se poser dans toute son acuité. Il n'est pas admissible que l'armée nationale soit un instrument de francisation. On sait la part considérable que les Flamands ont prise dans la lutte héroïque et sanglante pour l'honneur et la liberté: il y avait au front 85% de Flamands. Après cela, l'esprit démocratique, la plus ordinaire justice et le soin même de notre dignité exigent impérieusement que l'égalité absolue soit établie à l'armée entre les Belges de langue flamande et les Belges de langue française. L'état d'infériorité dans lequel les premiers étaient maintenus, et dont ils ont souvent si cruellement souffert, ne peut durer plus longtemps. Que les Wallons s'imaginent la situation, si la plupart des officiers ne savaient ou ne voulaient parler que le flamand. Dès que nos hommes seront rentrés au pays, et qu'ils pourront nous fournir les données nécessaires, il faut examiner quelle solution conciliera le mieux nos voeux légitimes avec le souci d'une armée une et vraiment forte. | |
[pagina 229]
| |
Pour l'enseignement, le but poursuivi est évidemment d'assurer aux Flamands l'instruction intégrale dans leur langue. La grosse question, et la plus immédiate, est celle de l'université. Je lui consacre plus loin un chapitre spécial. C'est d'après celle-là qu'il faudra régler l'ajustement graduel de l'enseignement moyen aux situations nouvelles; ceci demande une étude détaillée; il semble bien d'ailleurs que l'on doive procéder à une refonte complète de l'enseignement moyen. En attendant, il importe qu'on crée les écoles normales flamandes nécessaires pour former les professeurs et les instituteurs primaires appelés à enseigner en néerlandais. Avant la guerre, l'Etat n'avait pas une seule école normale flamande d'instituteurs ou d'institutrices dans le Brabant. La Ville de Bruxelles n'en possède pas non plus. Qu'on me permette encore d'attirer l'attention sur l'enseignement primaire, ce qui nous amènera à mieux éclairer certaines vues générales. La loi du 19 mai 1914 établit ce principe: ‘Dans toutes les écoles communales, adoptées ou adoptables, la langue maternelle des enfants est la langue véhiculaire aux divers degrés de l'enseignement’. C'est la raison même, et il n'est de pédagogue en aucun pays - excepté peut-être en Belgique, - qui songe à y contredire. L'école doit tenir compte de toutes les facultés innées de l'enfant et de celles qu'il a acquises dans ses premières années, elle ne fait que poursuivre l'enseignement inconscient dont il s'est en quelque sorte imprégné avant d'entrer en classe. ‘La seule langue, dit Justin MéraultGa naar voetnoot1, que chacun puisse connaître à fond | |
[pagina 230]
| |
est sa langue maternelle. L'enfant la possède héréditairement, les formes en sont latentes dans son cerveau; elles n'attendent que l'éveil; dès qu'il les entend formulées dans son entourage, elles s'animent en lui; ces premières impressions sont indélébiles; le génie de la langue s'indure dans le cerveau et trace les seuls chemins que la pensée suivra désormais naturellement’. Lui donner l'enseignement dans une autre langue que celle qu'il parle et comprend le mieux, c'est en faire, selon l'énergique expression de Maurice Barrès, un ‘estropié’. La loi ajoute: ‘La langue maternelle ou usuelle est déterminée par la déclaration du chef de famille’.De l'esprit même de la loi, des discussions à la Chambre, du rejet de l'amendement Lemonnier et Féron dans la séance du 22 janvier 1914Ga naar voetnoot1, il ressort nettement que le chef de famille a le devoir de faire une déclaration authentique, et non point le droit de choisir selon son bon plaisir entre le flamand et le français. Or, c'est de cette dernière façon qu'on interprète généralement, du moins dans l'agglomération bruxelloise et spécialement à Bruxelles, le texte de cette disposition. Comme les couches supérieures sont françaises ou francisées, l'administration l'est aussi, et les instituteurs et directeurs sortent d'écoles normales où la langue de l'enseignement est le français. La tendance à réduire les classes primaires flamandes au plus strict minimum s'explique donc suffisamment. On se garde bien d'éclairer le père de famille comme il conviendrait: il s'imagine volontiers | |
[pagina 231]
| |
que pour apprendre le français, son enfant doit fréquenter la classe française. Et comme pour son entendement myope, toute l'instruction consiste à ‘savoir le français’, il n'hésite pas dans son choix. Il n'en faut pas sourire: l' ‘éducateur’ ne voit généralement pas plus loin que lui. Je pourrais citer des cas de pression directe exercée sur l'enfant ou ses parents, Aussi constate-t-on parfois une situation très différente dans des écoles pourtant fort voisines, et les classes françaises sont-elles plus ou moins peuplées d'enfants qui ont grand'peine à suivre la leçon. Je ne sais rien de plus triste que de voir sur les bancs de l'école ces pauvres bambins qui ne saisissent pas la parole du maître, qui lisent des phrases qu'ils ne comprennent pas, et dont toute la préoccupation - quand leur esprit ne s'endort pas - doit être d'ânoner et de retenir des mots, des mots, des mots, alors qu'à ce moment il importerait de former le cerveau, de lui apprendre à penser, de lui donner, non pas des formes creuses, mais les notions assimilables dont il est avide. Je demandais à une institutrice wallonne, qui faisait une petite classe communale dans un de nos quartiers populeux, comment elle s'en tirait, puisqu'elle ne savait guère parler le flamand. Elle me répondit: ‘Quand on sait dire “rammeling” (raclée), ça suffit amplement’. Boutade, si l'on veut, mais elle peint l' esprit. Le résultat est pitoyable: Bruxelles fournit un contingent relativement considérable d'‘arriérés’, et bon nombre d'élèves ne parviennent pas à finir le 3e degré à 12 ans. L'école n'a pu les décrasser de leur patois, ils n'ont pas appris suffisamment leur langue maternelle pour qu'elle leur soit un instrument de culture. En revanche, ils n'ont guère | |
[pagina 232]
| |
mieux appris le français, ils en ont même appris bien moins que les petits Flamands sortis des écoles de Molenbeek, où l'on suit des méthodes moins irrationnelles. Ils sont incapables de s'exprimer - c'est-à-dire de penser - de façon convenable en aucune langue. Et en résumé, on a fabriqué une race d'avortés. Les mieux doués échappent seuls. Le système fonctionne d'ailleurs dès l'école gardienne, où le français est la règle; cela simplifie les choses: vers six ans, l'enfant qui a passé par là a déjà une légère couche de français, ce qui permet de le verser sans peine dans une classe française. C'est ainsi que l'on pratique de manière systématique le ‘déracinement’. Les quelques classes flamandes sont le refuge des enfants les plus pauvres, les plus négligés, les plus obtus, ceux qui ne saisissent pas un mot de français. Ces classes ne servent d'ailleurs qu'à leur en enfourner assez pour qu'on puisse les réunir au troupeau au bout d'un an ou deux. Ils perdent encore un peu plus de temps que les autres, voilà tout. Et les parents en sont venus à craindre qu'on ne mette leurs rejetons dans ce qu'ils appellent ‘la classe pouilleuse’ (de luizenklas). Aussi avait-on, il y a quelques années, complètement supprimé les classes flamandes à Bruxelles; étant donné le régime établi, c'était en somme assez raisonnable... Si j'insiste sur la situation spéciale créée dans l'agglomération bruxelloise - où près de la moitié de la population, ne l'oublions pas, a le flamand comme langue maternelle - c'est que la question a plus qu'un intérêt local: elle peut avoir, au point de vue national, les plus graves conséquences. Grâce à l'école, Bruxelles se francise méthodiquement. De ce train-là, on peut prévoir le | |
[pagina 233]
| |
aant.moment où, malgré l'immigration rurale, l'élément vraiment flamand serait ici quantité négligeable. Ce jourlà l'unité du pays court grand risque d'être rompue. La capitale ne jouera plus son rôle de trait d'union entre la Flandre et la Wallonie. Elle ne rencontrera plus qu'hostilité dans le bloc flamand, qui se ‘flamandise’ de plus en plus. On a grand tort de considérer toujours Bruxelles comme un territoire auquel il faut faire, dans les lois flamandes, une situation exceptionnelle. Qu'on y songe bien, c'est peut-être, pour une bonne part, dans les écoles primaires de Bruxelles, que se serait décidé, au bout de vingt ou trente ans, le sort de notre patrie.
Oh! je le sais, on fait intervenir ici le principe de ‘la liberté du père de famille’, et ceci élargit le débat. On oublie que, si le Belge répugne heureusement à un jacobinisme coërcitif et outrancier, la ‘liberté’ du père de famille ne peut pas être pourtant l'arbitraire pur et simple, et qu'en face d'elle, il y a le droit de l'enfant à recevoir une éducation rationnelle. Ce droit-là doit être sauvegardé aussi. Je citerai l'opinion que défendait déjà Charles Buls en une séance de la Chambre du 30 novembre 1886: si l'enfant comprend mieux le flamand que le français, qu'on le place dans la classe purement flamande; s'il comprend mieux le français, qu'on le place dans une classe purement française [tout en lui apprenant aussi l'autre langue, bien entendu]. Un membre demanda: ‘Du consentement des parents?’ - M. Buls: ‘Non, mais je vais arriver à ce point. Je dis que la question est pédagogique, et je ne saurais admettre qu'en matière de pédagogie, il faille consulter | |
[pagina 234]
| |
aant.les parents’. Et M. Thonissen, alors ministre de l'Intérieur et de l'Instruction publique (le commentateur de notre Constitution!) interrompit par ces mots: ‘Vous avez raison’. Je me plais encore - tout en n'allant pas aussi loin que cet acerbe polémiste, - à citer quelques phrases de M. Maurice Wilmotte lui-même, qu'il écrivait dans La Flandre Libérale du 6 mars 1910, à propos de l'instruction obligatoire: ‘M. Vandervelde a parlé du droit de l'enfant. Et ç'a été une plaisante stupeur chez ses adversaires que de l'entendre formuler des axiomes, dont nos sociologues ne contestent plus guère; l'évidente simplicité. M. Lanson, pour ne citer qu'un pédagogue, a écrit sur ce passionnant chapitre des pages vraiment décisives. A la Chambre, on voyait ces bons députés avec Dieu écarquiller les yeux. Héritiers égoïstes des maximes du vieux code romain, transformant le pater familias en justicier, disposant de la vie et des biens de tous les siens, il leur paraissait monstrueux d'entendre dire qu'un pacant stupide, que le dernier des boutiquiers de faubourg ne serait peut-être pas meilleur juge que l'Etat de ce qui convient à la formation intellectuelle et morale de l'enfant. Cette vérité élémentaire, que sur dix pères, il y en a neuf plus ou moins incapables de décider en connaissance de cause des vrais intérêts intellectuels de leur progéniture, comme ils le sont de corriger ses devoirs d'école et ses fautes de langage, cette vérité dépassait leur entendement. J'ai trouvé que nos amis mettaient un excès de modération à la proclamer’. Ah! ils sont beaux, les résultats de ‘la liberté du père de famille’, quand, pour les besoins de la cause, on en fait un pouvoir absolu! Et l'on ne voit pas tout de suite | |
[pagina 235]
| |
ce qu'il peut y avoir de tartuferie sous ce mot de ‘liberté’ Quelle aberration, d'abord, de l'ériger en principe sacrosaint, qui tranche en dernier ressort, sous lequel on écrase les objections sans se donner la peine de les discuter! Mais e fondement même de toute loi est de restreindre la liberté individuelle dans l'intérêt de la communauté. On n'a pas hésité à protéger l'homme économiquement faible ou la femme ou l'enfant contre l'exploitation et les influencces délétères, physiques ou morales. Seuls, quelques derniers manchestériens protesteront encore, mais, comme le fait remarquer l'Anglais ShadwellGa naar voetnoot1, les seuls défenseurs logiques de la libertétabou sont les anarchistes: ‘Ses autres soi-disant adhérents appliquent cette théorie pour autant qu'ils le jugent bon; ils arrêtent une ligne arbitraire à un point généralement déterminé par leur intérêt, tout en aimant à se baser sur quelque principe et à identifier leur propre avantage avec celui de la communauté’. Il est paradoxal que même des socialistes nous opposent parfois cette intangible ‘liberté’: ils savent pourtant bien, eux, que la liberté de droit n'est pas la liberté de fait. Et pour le cas qui nous occupe, je demande si le prolétaire ou si le petit employé est vraiment libre de se développer en sa langue maternelle, la seule qui puisse lui assurer son développement rapide, sans déchet d'énergie, et son développement intégral, je demande s'il est vraiment libre de choisir, du moment qu'il vit, lui Flamand, dans une société où, en fait, l'administration est française, où toute la superstructure est française, où l'Etat encourage | |
[pagina 236]
| |
aant.par toutes ses institutions la formation d'une classe supérieure francisée, où enfin l'on ne peut monter d'un échelon - même au plus bas de l'echelle, - sans que la connaissance du français ne s'impose? Contrainte d'autant plus efficace qu'elle agit indirectement et constamment par tout un ensemble de forces établies qui se tiennent. C'est pourquoi l'on ne peut s'étonner de voir, dans le programme flamingant, un ensemble de revendications qui se tiennent aussi. Au-dessus de la ‘liberte’, il y a la justice, qui est le bien de la communauté.
Mais, voici que surgit une autre objection, toujours prête, celle-là, et qui a la vie dure: les flamingants sont poussés surtout par la haine du français, - et ‘le français est tout de même une plus belle langue que le flamand’ - et le recul du français en Flandre serait un recul de la civilisation même. On néglige de nous dire sur quels motifs psychologiques se baserait cette haine du français. Quelle raison aurions-nous de détester une langue admirable, qui nous met en contact avec une des grandes et des plus nobles et fècondes civilisations du monde? Tout au plus pouvons-nous avoir une impression d'agacement quand on nous impose le français: de là, chez l'homme qui ne le possède pas suffisamment, une source d'animosité. Il est, en effet, gênant, en pays flamand, de se sentir entourê de rouages officiels français: on ne se sent plus ‘chezsoi’, et l'on récrimine. Les vrais ennemis de la culture française, en somme, ce sont ceux qui ont voulu imposer, en Flandre, la suprématie du français: une pareille prétention ne peut que légitimer toutes les résistances. Mais | |
[pagina 237]
| |
aant.pourquoi aurions-nous la haine stupide du français, et de quoi se nourrirait-elle, du moment qu'on nous donne la possibilité réelle de nous développer librement et sainement selon notre nature propre? Ce jour-là je serai le premier à soutenir et à multiplier les oeuvres de propagation française en Flandre. Il est vrai que certains considèrent le flamingantisme comme une machine cléricale: nous voulons que le Flamand reste ignorant pour le maintenir dans sa sujétion; nous voulons lui éviter tout rapport de pensée avec la France de la Révolution et la république combiste! Faut-il y répondre? Si tel réactionnaire, ressuscité du crétacé, se berce encore d'un espoir aussi enfantin, il se défie bien plus du néerlandais tout proche, - la langue de la Hollande calviniste et rationaliste - comme l'atteste un célèbre discours de monseigneur Waffelaert, évêque de BrugesGa naar voetnoot1. Il suffit de rappeler que l'ennemi le plus redoutable du mouvement flamand fut le haut clergé, tandis que ce mouvement s'appuyait sur des hommes comme Vuylsteke, de Laveleye, de Geyter, Max Rooses, Mac Leod, Paul Fredericq, de Raet, Waxweiler, Louis Franck, Camille Huysmans, et combien d'autres encore, qu'on ne peut vraiment faire passer pour des suppôts de l'obscurantisme. Ceux-là prétendaient que le seul moyen de propager largement instruction, c'était de le faire dans la langue de tous, et qu'il y avait avantage à ne pas laisser au seul curé le privilège de s'adresser en flamand à ses ouailles. Mais, nous dit-on, quelle idée de vouloir remplacer une | |
[pagina 238]
| |
aant.langue mondiale, la plus claire qu'il y ait, par un idiome qui doit, en somme, être assez piètre comme instrument de civilisation générale: vous vous appauvrissez de gaîté de coeur, et vous restreignez votre horizon. - Il serait difficile de ramasser plus de malentendus en une phrase. Je cite encore l'auteur qui s'abritait sous le pseudonyme de Justin MéraultGa naar voetnoot1. ‘Partant du fait que le français, considéré au point de vue général, est une langue supérieure au néerlandais, serait-il permis d'en conclure que le français doit jouir, en Belgique, d'une situation privilégiée? On le dit fréquemment et je le tiens pour la plus grave erreur qui puisse empêcher le règlement équitable de la question des langues. Il n'y a aucun rapport entre la valeur générale d'une langue et la place à laquelle elle a droit chez le peuple qui la parle.’ ‘... La conséquence du caractére naturel, organique du langage, c'est que réellement on ne peut connaître à fond qu'une seule langue. Beaucoup de gens s'imaginent le contraire et les plus convaincus sont ceux qui ne connaissent que leur langue maternelle; les illusions de l'ignorance sont nécessairement les plus tenaces; elles s'expliquent ici parce que celui qui ne connaît que sa propre langue, le français, par exemple, ne fait en s'exprimant qu'une opération naturelle, instinctive, spontanée; il parle comme il respire, il ne se rend pas compte que ce qui est naturel pour lui est artificiel pour un étranger qui veut parler français; pour qu'il le comprît, il faudrait que lui aussi eût fait un effort analogue et essayé d'apprendre | |
[pagina 239]
| |
à fond une langue étrangère. Il pourrait alors juger de la difficulté infinie qui y est attachée; 1'étude du vocabulaire n'est rien, mais les idiotismes, les finesses, les tournures, la construction! Il saurait combien la logique générale est impuissante à faire trouver l'expression propre: elle autoriserait parfois rationnellement vingt formes et c'en est une vingt-et-unième, illogique et déformée en apparence, qui est la vraie, la seule bonne, la seule qui traduise la pensée conformément à l'esprit de la langue. On ne saisit et on n'exprime la pensée d'une façon complète que dans sa propre langue.’ La question a un côte moral: ‘La dignité de l'individu est intéressée a ce qu'il puisse s'exterioriser naturellement, à paraître ce qu'il est; pour cela il doit s'exprimer dans sa langue. Dans toute autre il ne se montre pas avec vérité; il subit une diminution, une partie de sa personnalité ne se produit pas; sa pensée perd de son efficacité et lui-même de son influence. On ne peut pas demander à un peuple de se mettre ainsi à plaisir dans un état d'infériorité... Aucune considération ne saurait prévaloir contre le droit de l'individu d'accorder à la langue maternelle la prééminence sur toute autre et de la conserver comme la langue de la vie. Peu importe aux Flamands que le français soit beaucoup plus répandu que le néerlandais. C'est une bonne fortune évidente pour ceux dont le français est la langue maternelle; c'est une raison pour les autres d'étudier le français, mais ce n'en est pas une pour lui permettre de dominer chez eux. Il ne faut d'ailleurs pas s'exagérer l'importance de la diffusion d'une langue pour ceux qui la parlent. Quatre-vingt-dix-neuf personnes sur cent vivent et meurent dans le pays qui | |
[pagina 240]
| |
aant.les a vus naître; c'est pour elles et non pour la centième que la vie nationale doit être organisée’. Les débats académiques sur la supériorité de telle ou telle langue n'ont rien à voir avec le droit qui exige pour le français et le néerlandais, en Belgique, une situation légale identique: ‘L'inégalité de fait ne saurait entraîner l'inégalité des droits. C'est l'essence du droit, et c'est ce qui fait de lui le joyau de la civilisation, que devant lui le faible et le fort sont placés sur le même pied. Une langue secondaire doit avoir, devant la loi nationale, exactement les mêmes droits qu'une langue très répandue. L'allemand est assurément supérieur au tchèque comme diffusion et comme production savante et littéraire. Mais est-ce là un motif pour que les Tchèques accordent, chez eux, la prééminence à l'allemand? De même les Flamands ne consentiront pas, c'est certain, à accorder au français une prééminence légale... L'égalité du régime légal des deux langues est seule conforme aux aspirations modernes’. Ce point de vue nettement établi - on peut bien le dire maintenant, par un de nos professeurs de droit les plus distingués, - je ne vois pas d'inconvénient à ce qu'on proclame le français la plus belle langue du monde, sous cette réserve, que pour l'ensemble d'un peuple, la langue la plus claire est toujours la langue maternelle: à Florence, c'est l'italien, comme c'est l'anglais à Londres et le polonais à Varsovie. Et je me permets encore cette remarque: chaque langue a son génie propre, qu'on peut aimer ou non, mais le néerlandais, pour n'avoir pas les mêmes qualités que le français, ne le cède à nulle autre en faculté expressive; d'une inépuisable richesse, il a été assoupli par des siècles de culture littéraire, les poètes et les | |
[pagina 241]
| |
aant.prosateurs flamands et hollandais de notre époque l'ont adapté aux raffinements de la sensibilité moderne la plus subtile. Et je ne vois pas que la production scientifique hollandaise soit entravée par l'usage de la ‘moedertaal’. Mais l'erreur la plus confondante est de croire que, si le néerlandais devient en pays flamand la langue de la vie et de la culture, on n'y saura plus le français. Il convient d'insister sur ce point. L'école primaire gardant l'enfant jusqu'à quatorze ans pourra donner à tous ceux qui en ont besoin les éléments de français dont ils ont besoin. Et dans l'enseignement moyen, l'étude du français doit être poussée de la falçon la plus sérieuse. On ne s'imagine pas un Flamand cultivé ignorant cette langue. Nous savons très bien quels immenses bienfaits nous devons au rayonnement du génie français, nous évaluons exactement la merveilleuse influence spirituelle et morale de la France dans le monde, et nous ne désirons nullement nous amputer. Cependant il faut s'entendre une bonne fois là-dessus, et distinguer: nous voulons accueillir aussi largement que possible l'influence française: mais nous sommes d'irréductibles adversaires de la francisation. Nous voulons savoir le français, mais nous voulons être des Flamands, et l'être tout à fait. Que l'on répande le français, du moment que la base est flamande, rien de mieux: mais qu'on ne le substitue pas à la langue maternelle. Voilà tout. On nous dit qu'on ne francise pas les Flamands: ils se francisent tout seuls, par ‘la force des choses’. Quel sophisme, quand l'Etat, par toutes ses institutions, établit la prépondérance du français! | |
[pagina 242]
| |
aant.Qu'y gagnons-nous, en somme? Certes, une élite vraiment française, mais trés restreinte, sans action sur la masse, et parmi elle, les gloires exceptionnelles d'un Van Lerberghe, d'un Maeterlinck, d'un Verhaeren. Mais supposez que ces hommes aient grandi dans un milieu flamand, en seraient-ils moins grands? Là où l'expression française ferait défaut, y aurait-il nécessairement le vide? Le norvégien, le suédois et le russe sont des langues peu répandues dans l'Europe occidentale: Ibsen, Bjoernson, Strindberg, Tolstoï, Dostojevsky ou Gorki en ont-ils beaucoup souffert? Et si Mistral rimait en provençal et Rabindranath-Tagore en bengali, cela les a-t-il empêchés d'obtenir le prix Nobel, et d'être lus partout? D'ailleurs, faut-il sacrifier le bien de tout un peuple au désir de voir ses poète's s'exprimer directement en une langue mondiale? Et faut-il payer le bénéfice de posséder quelques francisés complets, par l'isolement de la masse, et cette déplorable demi-francisation d'une petite bourgeoisie, hybride et sans consistance, empâtée de vulgarité, sans cette dignité et cette conscience de soi que donne la personnalité nette: ‘zelfstandigheid’, la qualité de qui réunit en soi toutes ses conditions d'équilibre? ‘C'est, dit Justin MéraultGa naar voetnoot1, une façon bien malheureuse d'aimer sa langue que de vouloir qu'elle en supplante d'autres. Une entreprise aussi contraire à la nature est condamnée à échouer; elle n'entraîne d'autre résultat que de faire abîmer la langue par des bouches mal habiles. Nous entendons de quelle manière les Flamands parlent français. Presque tous, à des degrés divers, ils | |
[pagina 243]
| |
aant.l'estropient: ils en altèrent les sons, ils l'accentuent mal, ils en méconnaissent l'esprit, ils l'emploient sans justesse et sans précision; ils le réduisent à un langage terne et cahoté, sans allure et sans harmonie; c'est du français auquel il ne manque qu'une chose: d'être du français. C'est pour ce jargon-là que les Flamands oublient souvent leur langue et ils le communiquent par contagion à leurs compatriotes de langue française. Est-ce avoir réellement l'amour de la langue française que de favoriser pareille situation? Le nôtre est différent, et, croyons-nous, plus vigoureux. Ce qu'il souhaite, c'est que ceux dont le français est la langue l'étudient à fond et qu'ils prêchent autour d'eux la nécessité de cette étude; qu'ils craignent que le français ne se contamine et ne dégénère en s'étentant au delà de son domaine naturel; qu'ils se pénètrent de cette idée, que la gloire d'une langue, son rayonnement aujourd'hui et dans la postérité, dépendent de sa qualité et de l'intelligence de ceux qui la parlent; le nombre n'est pas le facteur principal et l'accroissement du nombre, lorsqu-il ne peut apporter que des éléments d'altération, est une cause d'affaiblissement.’ Les préjugés les plus ingénus sont décidément insubmersibles: on nous ressert encore souvent ce sempiternel cliché, la ‘muraille de Chine’ dont nous voudrions entourer le peuple flamand. Eh! mon Dieu! ‘muraille de Chine’ vous-mêmes! Ce sont précisément les amis trop exclusifs de la culture française, qui, en détruisant sous nos pieds la base naturelle d'une civilisation propre, empêchent tant d'entre nous de participer au mouvement général de la civilisation. Qu'on donne au peuple sa langue, pour qu'il puisse enfin parler, penser et compren- | |
[pagina 244]
| |
aant.dre: et les grandes idées de ce temps ne s'arrêteront plus à la surface, mais pénètreront la société entière, iront réveiller dans les villes et les campagnes les milliers de forces obscures, inemployées, et qui attendent, frappées de mutisme. Les idées européennes atteindront enfin le peuple entier, parce qu'elles ne peuvent l'atteindre que par le néerlandais. Elles lui seront dispensées par des hommes qui sauront le français, mais auxquels la connaissance du néerlandais aura aussi fourni la clef de l'anglais et des autres langues germaniques. Je ne vois aucun de mes amis flamingants qui ne lise quatre ou cinq langues. Notre plus grand poète, Guido Gezelle - le ‘particulariste!’ - en maniait fort aisément cinq ou six et en lisait une bonne douzaine. Ceux qui nous accusent à tort de nous isoler sont généralement eux-mêmes, et nous avons le droit d'en sourire, ‘emmurés dans le français,’ ainsi que me l'écrivait un jour, en le déplorant, l'un de nos plus célèbres artistes wallons. Ils considèrent la civilisation comme un monopole français, le français comme la seule vraie langue mondiale, qui dispense de toute autre; dans les grands courants de la pensée universelle, ils n'admettent que la pensée française. En somme, ils appartiennent toujours à une province de l'esprit mondial, et ne voient rien au delà. Il y a bien longtemps déjà, je formulais ce programme: ‘Pour être quelque chose, il nous faut être Flamands; nous voulons être Flamands, pour devenir des EuropéensGa naar voetnoot1’. | |
[pagina 245]
| |
aant.C'est même ma ferme conviction, que la politique sociale flamande profitera à l'action de la pensée française en Flandre. Certes, on se servira beaucoup moins du français dans la vie courante, je l'accorde; comme je le montrais plus haut, les vrais amis du français n'y perdront pas grand'chose. Mais, par l'intermédiaire du néerlandais, une beaucoup plus grande partie de la population sera accessible à l'influence des grands courants de la civilisation. Et puis, il faut attendre de cette politique sociale flamande un relèvement du niveau général, et par suite une augmentation des gens sachant plusieurs grandes langues et capables de comprendre vraiment les civilisations qui nous entourent. Or, parmi ces grandes langues, le français occupera toujours la première place, pour toutes sortes de raisons de fait, d'intérêt et de tradition historique, sur lesquelles il est inutile d'insister. Il est piquant de constater qu'en Hollande on lit plus de livres français qu'en Belgique, et que les principaux journaux de là-bas nous éclairent mieux sur le mouvement littéraire et intellectuel de Paris que nos journaux belges.
Mais, dira-t-on enfin, la politique flamande n'aura-t-elle pas pour résultat final, quoi qu'on veuille, une plus grande ‘germanisation’ de la Flandre, - entendez: une plus sûre pénétration allemande? Qu'on n'attache pas trop d'importance aux menées activistes qui viennent de nous désoler. L'histoire - et non pas seulement l'histoire récente, - nous apprend que l'activisme est un phénomène qui accompagne régulièrement les occupations étrangères: c'est un des nombreux abcès que toute guerre fait crever. Et l'on se rappelle la | |
[pagina 246]
| |
aant.façon énergique dont les masses flamandes ont réagi... Si même, à la longue, elles laissaient s'user le souvenir cuisant des crimes et des outrages dont elles ont été victimes, leurs sympathies vont trop peu à l'Allemagne pour se prêter à une absorption. De tout autres traditions nous ont faits tels que nous sommes! Qu'il y eut avant la guerre un mouvement pangermaniste parmi les Flamands est une pure calomnie, qui ne peut s'appuyer sur aucune preuve. On cite toujours la revue ‘Germania’, qui, étayée, je suppose, de capitaux allemands, prêchait la fraternisation; quelques naïfs se sont malheureusement, au début, laissé prendre à ses dehors ‘idéalistes’, mais elle a piteusement avorté au bout de peu de temps. Les gros commerçants teutons établis parmi nous n'avaient que mépris pour notre ‘petite langue’, et, par exemple à Anvers, le faisaient bien voir. L'étude du néerlandais ne figurait même pas au programme de leurs ‘Deutsche Schulen’. En tout cas, les plus indifférents de nous ont maintenant nettement vu le danger. L'histoire est là pour dire que les Flamands ne se sont jamais laissés absorber par personne. Qu'enfin on veuille bien le reconnaître: un Flamand entier et en pleine possession de ses droits est un meilleur rempart contre l'étranger qu'un Flamand mi-parti, insuffisamment francisé et insuffisamment lui-même, sans centre de gravité bien assise et de plus mécontent de ne pas se sentir maître chez lui. |
|