Verzameld werk. Deel 3
(1953)–August Vermeylen– Auteursrecht onbekend
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aant.V. La question de l'Université flamandeD'abord, pourquoi faut-il une université flamande? Il est peut-être superflu de s'étendre encore sur ce point. On ne peut plus contester, à moins de se bander les yeux et de se boucher les oreilles, que l'immense majorité du peuple flamand la réclame instamment. Le doute n'est plus permis après les manifestations de tout genre, combien importantes parfois, qui se succèdent depuis vingt ans, les votes des conseils provinciaux, les pétitions signées de milliers de diplômés académiques. Il est même remarquable que l'idée d'une université flamande ait suscité un tel enthousiasme dans les masses; je croyais dans le temps que, de par sa nature même, elle ne pouvait intéresser vivement que les intellectuels: mais il faut avoir vu le frémissement de passion qui agitait jusqu'à des foules de village, dès qu'un orateur évoquait cette idée. Elle est devenue par la force des choses la revendication centrale du programme flamand, et, pour bien des gens très en dehors du mouvement scientifique, un véritable article de foi. Cela n'a rien de ridicule; ils sentent instinctivement que le salut viendra de la pensée. Et il est très beau qu'une conscience collective s'échauffe à tel point pour un but idéal. Il semble au surplus qu'à l'heure actuelle, en dehors | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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aant.des milieux proprement flamands, la plupart des esprits qui se préoccupent des problèmes de notre avenir soient acquis à la création d'une université flamande. Ce n'est pas là une ‘concession’: du moment que les voeux des populations s'expriment aussi clairement, on ne peut guère nier notre droit à obtenir un établissement flamand d'instruction supérieure, puisque la liberté des langues, garantie par la Constitution, suppose évidemment les instruments nécessaires à l'exercice de cette liberté. Mais, en fin de compte, ce sont les arguments tirés de l'utilité sociale qui auront le plus de poids. Et après les développements du chapitre précédent, je puis me contenter de répéter qu'il nous faut une université, parce qu'il nous faut une élite intellectuelle plus forte, qui puisse avoir une action sur la masse de la population flamande. Il n'est peut-être pas inutile de répondre encore à certaines objections faites à ce principe même, quoique, à la vérité, je n'en voie pas de bien consistante. Comme langue scientifique, le néerlandais a fait ses preuves. Il se prête même mieux que le français à la vulgarisation, parce que les formations de termes empruntés au latin et au grec y sont souvent remplacées par des radicaux germaniques que tout le monde comprend sans préparation philologique. En Hollande, l'enseignement universitaire se donne tout entier en néerlandais, et l'on n'ignore pas que ce pays se distingue par une production intellectuelle intense, cotée très haut dans le mouvement scientifique international. Je ne rappelle ici, comme témoignage palpable, que les nombreux prix Nobel obtenus par des savants bollandais. J'ajoute que | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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la littérature de vulgarisation en néerlandais est considérable et de tout premier ordre. Elle est même plus vraiment européenne que la littérature de vulgarisation française, parce que les savants français, comme les savants allemands et les savants anglais, ont une tendance à voir surtout ce qui se fait chez eux, à ne tenir compte que d'une province de l'esprit européen ou mondial. Tandis que le savant qui n'a qu'une langue de faible expansion est bien obligé de regarder au delà de ses frontières, et regarde au delà de toutes ses frontières. Il pratique plus aisément qu'un autre cet internationalisme éclectique si fécond pour la science. On nous demande encore: l'organisation d'un enseignement supérieur en langue néerlandaise ne va-t-il pas isoler la production scientifique flamande, ce qui serait préjudiciable à nos intérêts et à ceux de la science en général? La question s'est déjà posée, sous sa forme la plus large, dès le jour où l'on a abandonné le latin comme langage scientifique: ce n'est plus seulement chez nous, c'est depuis longtemps dans tous les autres pays qu'on a cessé de considérer les savants comme une c'ste séparée de vulgaire par un idiome hermétique; c'est depuis longtemps que dans les autres pays, même les plus petits, s'est réalisée la notion désormais irrésistible d'une nationalité plus vraiment organique, où la culture supérieure est ouverte à tous et réagit sur tous. Mais à mesure que s'accusait le fractionnement du langage scientifique, la science y remédiait par toutes sortes de moyens appropriés, notamment par l'organisation plus complète et plus méthodique de la bibliographie internationale et par le fonctionnement d'offices centralisateurs | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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aant.pour les différentes disciplines. L'université a un double but: elle est un foyer de culture supérieure dont l'action médiate ou immédiate doit se faire sentir sur toute la population du pays; elle est aussi un milieu de production scientifique nouvelle qui doit profiter à l'humanité. En face de ses devoirs, le savant flamand sera placé identiquement dans la même situation que le savant hollandais ou suédois ou russe ou japonais: il est un peu puéril de s'imaginer que, si l'enseignement se fait en néerlandais, le savant flamand ne saura plus le français et s'abstiendra soigneusement de rien écrire en français. Actuellement, tout savant qui ne sait pas au moins trois ou quatre langues se trouve dans un état d'infériorité inexcusable. S'il veut avoir une influence quelconque sur son peuple, il écrit la langue de son peuple, bien entendu; mais s'il fait une découverte qui intéresse le progrès de la science en général, il s'arrange pour que les résultats de son travail passent immédiatement dans une des grandes langues internationales. Encore une fois, l'exemple de la science hollandaise est bien fait pour nous rassurer à cet égard. Il est vrai qu'on se plaît à nous donner, de ce qui se passe en Hollande, une image singulièrement dénaturée. Se basant simplement sur le fait que les Archives des sciences exactes et naturelles et les Archives de Physiologie s'y publient en français, - et c'est une preuve de ce que je viens de dire, - l'auteur d'une brochure sur La Question des langues dans l'Enseignement nous affirme qu'en Hollande ‘si le néerlandais est la langue courante usitée pour les leçons, c'est-à-dire pour la vulgarisation, c'est aux langues mondiales que professeurs comme étudiants ont recours lorsqu'ils abordent | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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aant.véritablement le domaine de la science, c'est en ces langues que scientifiquement ils pensent’. Nul homme un peu au courant du mouvement scientifique hollandais ne lira ceci sans sourire. Qui admettra que tels savants universellement célèbres de Leyde ou d'Amsterdam ne font que ‘de la vulgarisation’ quand ils s'adressent à leurs étudiants, mais abandonnent le néerlandais dès qu'ils ‘pensent scientifiquement’? En quoi ces mêmes étudiants les imitent ‘lorsqu'ils abordent véritablement le domaine de la science’? Est-ce donc en français, en allemand ou en anglais que s'expriment ces savants quand ils professent dans leurs laboratoires? On ignore peut-être que bon nombre des travaux publiés dans les Archives des sciences exactes et naturelles étaient écrits originairement en néerlandais, et traduits par les soins d'un de nos savants... flamingants. Et enfin, il est trop facile de constater que, pour quelques livres édités en allemand, parfois en anglais, comme les études bouddhiques de Kern ou les conférences faites en Amérique par Hugo de Vries, très rarement en français, la grande masse des ouvrages scientifiques hollandais est publiée en néerlandais. Même Hugo de Vries, que l'on cite toujours, a publié les trois quarts de son oeuvre en néerlandais. C'est surtout en cette langue que publient non seulement les philologues, les historiens, les philosophes, mais encore les biologistes, les physiciens, les chimistes. C'est un travail en néerlandais qui a valu le prix Nobel à Van der Waals. C'est en néerlandais que parut d'abord le traité de chimie de Holleman, qui fut bientôt traduit en allemand, en anglais, en russe, en polonais, en italien. (Il faut avouer que la traduction | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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française ne vint que dix-huit ans après, en même temps que l'édition japonaise.) Comment nous faire croire que les savants hollandais abandonnent leur langue? Le vrai, je le répète, c'est qu'ils font le possible pour concilier les devoirs nationaux et les devoirs internationaux de la science. Pourquoi les savants flamands ne les suivraientils pas en ceci? Il y a tel travail qui s'adresse avant tout à quelques spécialistes disséminés dans le monde, il y en a d'autres qui peuvent féconder la pensée d'une masse plus profonde, susciter en elle des applications nouvelles. On peut s'etonner d'ailleurs de cette distinction entre la ‘vulgarisation’ et la pensée scientifique pure. Tout vrai savant sait que seul l'homme qui fait la science est capable de la vulgariser de façon convenable. Il n'y a pas là deux formes de pensée différentes. Je me suis arrêté un instant à cette question, parce que ces considérations sur l'intérêt supérieur de la science sont les seules qu'on puisse encore opposer parfois à l'institution d'une université flamande. Elles sont sans fondement, puisque ceux qui les produisent sont les premiers à prouver que dans les pays où l'enseignement supérieur se fait en une langue de circulation restreinte, les savants ne mettent pas les intérêts supérieurs de la science en péril par un nationalisme étroit et exclusif.
En réalité, la grosse question n'est plus la création d'une université flamande: c'est celle de la transformation, ou, comme on dit, de la ‘flamandisation’ de l'Université de Gand. Pourquoi l'immense majorité des Flamands croit-elle | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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aant.que la seule solution pratique du problème soit la transformation de l'Université de Gand, et quel est le mode de transformation que l'on préconise? Il est certain que si nous avions voulu consentir à un compromis, nous aurions déjà obtenu des résultats appréciables. Et nous tenons évidemment à perdre le moins de temps possible. Nous avons donc tout intérêt à nous montrer conciliants, et beaucoup d'entre nous étaient disposés à bien des concessions, pourvu que l'existence d'une université flamande solidement établie fût assurée. Nous avons étudié et retourné, la question pendant des années et des années, avec la meilleure volonté de trouver la solution la plus raisonnable. Et nous avons dû toujours revenir à la solution prévue par le projet Franck et consorts, comme étant, je ne dirai pas la plus pratique, mais la seule possible. Tous les Flamands qui s'en sont occupés d'un peu près sont d'accord là-dessus. J'admets que si l'on caresse encore l'illusion d'une francisation de la Flandre, on nie la nécessité d'une université flamande; mais si l'on en veut une, on verra bien en fin de compte qu'il n'y a pas de milieu, et qu'il n'est qu'un seul moyen de la vouloir sincèrement. On a proposé d'autres solutions: je ne sais si je puis appeler ainsi le dédoublement d'un petit nombre de cours dans chaque faculté. C'est ce qu'a fait l'Université de Louvain (deux ou trois cours dédoublés dans chaque faculté, en tout onze cours, depuis 1911). Comme elle est la seule université catholique du pays, elle ne peut évidemment pas se transformer radicalement en université flamande, au détrimant des catholiques wallons. Nous possédons deux universités officielles et ne devons donc | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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pas être arrêtés nécessairement par les mêmes considérations. Ce que veulent les Flamands, ce n'est pas quelques cours donnés en leur langue, c'est un foyer de culture complet, c'est un organisme homogène. Le dédoublement de quelques cours ne donnerait pas satisfaction aux Flamands même les plus modérés, et j'ose le dire, parce qu'il le faut, l'état des esprits est tel qu'il ne permettrait pas de pareils atermoiements. Si les Belges de langue française ont leur université complète, l'égalité des citoyens et la liberté des langues si souvent invoquée par nos adversaires, exige que les Belges de langue flamande aient eux aussi leur université compléte. Je ne crois pas non plus qu'il faille s'arrêter longtemps au projet Verhaegen, déposé à la Chambre le 3 mai 1911, qui revient à appliquer un même système bilingue à l'Université de Gand et à celle de Liège, en autorisant le gouvernement à dédoubler certains cours dès qu'un nombre suffisant d'étudiants le demanderaient. Ce n'est là qu'une diversion. Pas plus que les mesures timides dont je viens de parler, ce projet ne donne au pays flamand l'organisme homogène, le foyer de culture complet dont il a besoin. L'ensemble resterait français, les cours flamands n'en seraient qu'une annexe. Ensuite, on peut douter que les Wallons permettent d'entamer à ce point la constitution de l'Université de Liège. Mais s'ils l'admettent, qu'entend-on par ‘un nombre suffisant d'étudiants’? On verra plus loin la très faible population de l'Université de Gand. Sans parler des doctoras scientifiques qui comptent deux ou trois étudiants, bon nombre de cours ont des auditoires si restreints qu'ils ne sont plus guère divisibles. Suffira-t-il alors de cinq | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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ou six étudiants pour obtenir le dédoublement? Le rapport des étudiants flamands aux non-flamands peut varier d'année en année; le dédoublement une fois accordé subsistera-t-il ad vitam aeternam? Il suffirait qu'un nombre déterminé d'etudiants se fissent inscrire une année à tel ou tel cours: le professeur resterait-il en fonction, quand son auditoire se serait dispercé? On voit combien ce système ouvre la voie aux chinoiseries, aux surprises et aux abus. Il apparait inapplicable dès qu'on étudie sa réalisation pratique. En prenant son inscription, l'étudiant, ou plutôt, quand l'étudiant est mineur, et il l'est presque toujours, son père ou son tuteur déclarerait quelle est la langue de son choix. Mais actuellement, l'étudiant a déjà ce choix pour certains cours, sans qu'on fasse intervenir le père ou le tuteur. Si le cours demandé n'existe pas encore, comment pourra-t-on immédiatement donner satisfaction à l'étudiant? C'est une plaisanterie. Et quelle faible attraction l'Université de Gand peut-elle exercer sur les étudiants flamands, qui, pour des raisons de convenances diverses, fréquentent actuellement d'autres universités, s'ils ne savent pas d'avance combien de cours, ni quels cours, leur seront faits en leur langue, et s'ils courent le risque, après avoir commencé telles études en néerlandais, de devoir les terminer en français, ou vice-versa? Quoi d'étonnant, s'ils choisissent alors le chemin le plus aisé, celui de l'unilinguisme? Au surplus, quelle conception de l'égalité - bien belge! - que celle qui ouvre toute Université de Gand, comme celle de Liege, aux étudiants de langue française, sans aucune condition, mais subordonne la liberté de suivre des cours flamands, même à | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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aant.Gand, à certaines conditions de nombre? En réalité, ce que soutiennent les adversaires du projet Franck, c'est le droit de tout étudiant à jouir d'un enseignement français complet à Gand aussi bien qu'à Liège. Ils ne veulent faire de ‘concessions’... que si on leur laisse toutes leurs positions intactes. ‘Concessions’ un peu unilatérales!
Restent les propositions discutables, en dehors du projet Franck: dédoublement de tous les cours de l'Université de Gand, ou création d'une université nouvelle, indépendante de celle de Gand, soit à Gand même, soit dans une autre ville, par exemple à Anvers. J'indique tout de suite qu'Anvers serait un milieu beaucoup moins favorable que Gand: une métropole commerciale ne crée pas une atmosphère très propice à l'intellectualité pure (comparez en Hollande Rotterdam, en Allemagne Hambourg), et surtout, en admettant que les communications entre la Flandre et Anvers, aujourd'hui très défectueuses, fussent améliorées, il resterait que la province d'Anvers, de population relativement peu dense, fournirait à l'université un contingent d'étudiants beaucoup plus faible que la Flandre; l'Université de Gand, sise au milieu d'une population plus dense, continuerait à attirer le très grand nombre d'étudiants qui, pour des raisons patentes, doivent choisir l'université la plus proche. Examinons d'abord le dédoublement de tous les cours à l'Université de Gand. Il ferait surgir des difficultés sans nombre. Quiconque est mêlé de façon active à l'enseignement universitaire s'en rend compte à première vue. On ne distingue pas bien, par exemple, comment on | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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aant.pourrait dédoubler les laboratoires. Comment deux professeurs se partageraient-ils un laboratoire où l'on travaille toute la journée? Je sais bien que le projet Franck n'écarte pas complètement le dédoublement, mais comme celui-ci ne serait que partiel et temporaire, ses inconvénients se trouveraient réduits au minimum inévitable. Il est remarquable qu'à l'étranger, là où l'on a substitué dans l'enseignement supérieur la langue populaire à la langue traditionnelle d'une minorité, à Prague, à Lemberg, à Cracovie, à Helsingfors, à Dorpat, jamais on n'a recouru au dédoublement complet, j'entends: un seul local abritant une double université. A Prague, où se trouvait l'unique université de Bohême, l'université tchèque a été créée de toutes pièces et est indépendante de l'université allemande. A Helsingfors, c'est le professeur qui décide lui-même s'il fera son cours en finnois ou en suédois. A Dorpat, le russe a remplacé l'allemand dans presque tous les cours. A Cracovie et à Lemberg, l'allemand a cédé la place au polonais. En somme, le dédoublement complet revient à la fondation d'une nouvelle université, avec quelques dangers en plus. Ils'agit donc de voir quelles sont les objections qu'on peut élever contre la fondation d'une nouvelle université. Je n'insiste pas sur les dépenses énormes qu'elle entraînerait. C'est le petit côté de la question. S'il n'y avait que des raisons d'argent pour empêcher que s'établissent la concorde et la paix, j'ose espérer que l'on consentirait volontiers à tous les sacrifices nécessaires. Mais encore ces sacrifices ne pourront-ils, après la guerre, excéder certaines limites et, dans la pratique, il faut envisager toutes les inconséquences qu'entraînerait la création d'une cin- | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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aant.quième université. Je voudrais attirer tout d'abord l'attention sur les défauts de la dispersion scientifique. Nous avons déjà trop d'universités. Nous en avons relativement plus que la France, l'Angleterre ou l'Allemagne. Il vaudrait mieux en supprimer, si faire se pouvait. Elles sont trop mal dotées. Un budget annuel de plus d'un million est désormais insuffisant, et fort insuffisant. La situation faite à beaucoup de nos professeurs est telle que nous n'oserions pas la dévoiler à l'étranger. Nous sommes par excellence le pays de ‘la science pauvre’. Notre outillage scientifique ne répond pas aux exigences modernes. C'est un point que je tiens pour fondamental: si nous voulons une Belgique plus forte et plus belle, qui tienne son rang dans le monde, il nous reste énormément à faire pour renforcer l'efficacité de notre enseignement supérieur. Chaque année on réclame de nouvelles chaires, de meilleurs instruments de travail, des bibliothèques mieux fournies, des laboratoires plus nombreux et mieux outillés. Et les exigences se multiplieront: la science se spécialise de plus en plus, Au lieu de concentrer les efforts, au lieu d'avoir une couple d'universités bien armées, allons-nous encore consacrer des millions à dédoubler ce qui existe? Je plaide ici l'intérêt de la science même. Dans un pays de communications aussi faciles que la Belgique, la concentration s'impose. Une université nouvelle diminuerait encore les ressources des universités actuelles: malgré toute la bonne volonté dont, en principe, on voudrait faire preuve, nous savons bien que chaque progrès un peu important à réaliser (laboratoires, création de doctorats nouveaux comprenant tout un ensemble de cours) devrait vaincre des résistances bud- | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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gétaires plus fortes que jamais, quand il le faudrait réaliser dans trois universités officielles au lieu de deux. On pourrait invoquer l'exemple de la Hollande, qui a trois universités de l'Etat, et de la Suisse, qui possède même sept universités. Mais la Hollande est un pays de très ancienne culture scientifique, et ses traditions lui donnent une grande avance sur nous. La Suisse attire un nombre considérable d'étudiants étrangers (en 1908, plus de la moitié de la population universitaire) et son enseignement souffre d'ailleurs du même défaut que le nôtre. Les noms de quelques professeurs éminents ne suffisent pas à faire illusion là-dessus. Qu'on aille voir à Fribourg, à Neuchâtel ou même à Bâle. Même en Hollande, quand un incendie eut détruit une grande partie des locaux de l'Université de Groningue, en 1906, des voix s'élevèrent pour demander la suppression de cette institution. Considérons encore que l'‘outillage’ scientifique ne comprend pas seulement les instruments matériels, il comprend aussi les professeurs. Il suffit de parcourir un programme des cours pour voir quelles sont aujourd'hui déjà les nécessités de la spécialisation. Or, nous sommes un trop petit pays et, nous pouvons bien le dire, nous ne produisons pas dans tous les domaines assez d'hommes de premier ordre. Pour chaque spécialité, le pays doit trouver actuellement quatre professeurs; il ne les trouve pas toujours; le fait qu'il faut si souvent s'adresser à l'étranger prouve combien le recrutement est parfois. difficile. Il est hasardé de supposer qu'en augmentant le nombre des universités, on augmente sensiblement le nombre des étudiants, et celui des personnalités éminen- | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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aant.tes qui se destinent aux études désintéréssées. On en formera, c'est entendu, mais en formera-t-on plus? Quand il faudra, pour une même spécialité, en choisir cinq au lieu de quatre, ne devra-t-on pas dans bien des cas se rabattre sur la médiocrité? Notre premier devoir, dans la Belgique de demain, serait plutôt de diminuer son rôle. Mais il est un autre argument qu'il convient d'opposer à la multiplication des établissements d'enseignement supérieur: c'est que l'Université de Gand n'a qu'une faible population. C'est précisément la moins peuplée du pays. En 1900-1901, elle ne comptait que 802 étudiants. Ce nombre va croissant jusqu'en 1910-1911, où il se monte à 1.177 (comparez pour la même année les chiffres de Bruxelles: 1.318; Louvain: 2.600; Liége: 2.790). Mais c'est là le total de toutes les inscriptions, y compris celles de l'Ecole de commerce, l'Institut d'éducation physique, etc., et celles des auditeurs libres ne suivant qu'un cours ou deux et ne visant qu'à l'obtention d'un certificat de fréquentation ou un ‘diplôme scientifique’ non légal. Même en se basant sur ces chiffres, on est frappé du petit nombre d'étudiants répartis dans les quatre facultés de philosophie, de droit, des sciences et de médecine: en 1900-1901, ils étaient 61, 119, 91 et 186, soit en tout 457; en 1910-1911: 85, 180, 85 et 147, soit en tout 497. Mais on obtient une image plus fidèle encore de la population réelle des facultés, c'est-à-dire de celle qui se présente aux examens légaux, si l'on prend la peine de noter au Moniteur le nombre d'étudiants inscrits, en cette année 1911, aux deux sessions de juillet et d'octobre (en ne | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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comptant, bien entendu, qu'une seule fois l'étudiant ajourné en juillet, qui se représente en octobre, ou celui qui se présente à deux épreuves différentes). Voici le tableau qu'on obtient:
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Ajoutons peut-être quelques étudiants qui ont pu se présenter devant le jury central; le chiffre total n'en serait pas fort modifié. Et pour être exact, notons encore que certains cours de la candidature en sciences sont suivis aussi par des étudiants des écoles spéciales. Ces réserves faites, le tableau ci-dessus nous donne une idée assez nette de la densité des auditoires que l'on voudrait encore dédoubler, soit que le dédoublement se fasse à Gand même, soit qu'on installe les cours flamands dans une autre ville. Ce ne serait pas seulement ridicule: nous aurions deux universités également anémiques, et autour desquelles on se battrait, n'en doutons pas. Car ces deux universités seraient concurrentes. Pour ces aristocrates de la langue, qui ne manquent pas une occasion d'exprimer leur mépris et leur haine du flamand, qui ne font de concessions que contraints et forcés, et qui deviendront plus acerbes à mesure que la poussée démocratique rendra leur position en Flandre moins assurée, pour ces esprits simplistes qui ne conçoivent nul salut pour un peuple en dehors de la culture française, unique et | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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aant.exclusive, tout progrès de l'institution flamande sera un empiétement. L'existence de l'université française sera mise en péril, ils voudront la défendre plus que jamais. Au lieu de se préoccuper surtout de la science, on fera de la politique. Quelle atmosphère! Et au lieu de l'apaisement que nous souhaitons, les luttes se perpétueront, avec plus d'acuité que jamais, - il faut un optimisme de commande pour ne pas s'en rendre compte, - jusqu'au moment, peut-être, où l'une des deux universités mangera l'autre. Mais dans quelle agonie l'université vaincue se traînera-t-elle? Agonie fort coûteuse, ne l'oublions pas. Que fera-t-on alors de cet énorme capital désormais improductif? Ne vaudrait-il pas mieux éviter cette ère de conflits dangereux et faire donner son plein rendement au patrimoine accumulé depuis si longtemps? Pour remplir le rôle social qu'on est en droit d'attendre d'une université, l'université flamande doit être vraiment forte. On nous dit que nous redoutons la concurrence de l'université française. N'y sommes-nous pas autorisés, puisque pendant fort longtemps cette université française conserverait une situation prépondérate? Qu'on veuille bien le voir: en dehors de toute question de langue, des motifs puissants viendraient limiter en fait la liberté du choix. Pendant de très longues années, l'université flamande serait placée dans un état d'infériorité manifeste vis-à-vis de l'universitée ancienne, forte de ses traditions et de son prestige. L'organisation matérielle prendrait un temps considérable. On n'improvise pas un établissement d'instruction supérieure aussi important. Il faudrait créer un corps professoral tout entier nouveau, ce qui ne serait pas le cas si l'on ‘flamandisait’ l'Université | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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aant.de Gand. L'outillage scientifique serait forcément insuffisant. Pour quelques étudiants qui se destinent aux études de science pure, on ne créerait pas les laboratoires nécessaires (il y en a 32 à Gand), répondant à toutes les exigences modernes. A chaque nouvelle prétention grevant le budget, ce serait une nouvelle lutte à soutenir. Or, le passé nous a appris à nous méfier. Nous connaissons le sabotage perpétuel des lois flamandes par ‘les bureaux’. Et nous avons un exemple probant de ce qui nous attend, en voyant le sort qu'on a réservé au Conservatoire d'Anvers; c'est le plus peuplé du pays, et il ne dispose que de subsides très inférieurs à ceux du Conservatoire de Gand ou du Conservatoire de Liège. Au point de vue des locaux comme au point de vue des ressources, il doit végéter dans une situation fort pénible. Les réclamations se butent au mauvais vouloir de l'administration centrale. C'est ce qui arriverait fatalement à l'université flamande, qui, à ses débuts, devant créer elle-même tous ses organismes, et devant conquérir pied à pied un terrain disputé, serait relativement faible en face de l'institution ancienne.
Tous ces motifs militent en faveur du projet de loi Franck-Van Cauwelaert-Anseele, déposé à la Chambre le 31 mars 1911. La plupart des députés flamands s'y étaient ralliés et il avait réuni une majorité dans deux sections sur quatre. En voici le texte:
Article premier. - Les leçons seront données en français à l'Université de Liège; elles seront données en flamand à l'Université de Gand. | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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aant.Art. 2. - L'emploi du flamand comme langue véhiculaire à l'Université de Gand commencera à partir de l'annéee académique 1916-1917 et sera graduellement, d'année en année, étendu aux différentes facultés et écoles, en commençant par les cours de la première année d'études.
Art. 3. - Les professeurs ou chargés de cours nommés à l'Université de Gand avant la promulgation de la présente loi, seront invités à donner leurs leçons en flamand au fur et à mesure que les dispositions de l'article 2 deviendront applicables. S'ils n'y consentent pas, il sera créé un cours fait en flamand à côté du cours fait en français et les étudiants auront le choix entre ces deux cours, même pour l'examen. Les professeurs et les chargés de cours nommés après la promulgation de la présente loi donneront leurs leçons dans la langue prescrite par les articles 1 et 2. Art. 4. - Les leçons de littérature française et de philologie romane seront données en français dans les deux universités. Les langues germaniques et les autres langues vivantes pourront être enseignées dans ces langues mêmes. Il sera créé, par arrêté royal, dans chaque faculté et dans chaque école spéciale de l'Université de Gand un ou plusieurs cours facultatifs, afin de permettre aux étudiants de développer leurs connaissances de la terminologie scientifique et technique française.
Art. 5. - Les cours requis pour l'enseignement du génie civil (grade d'ingénieur des constructions civiles) seront organisés à l'Université de Liège. | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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Art. 6. - Il sera annexé à l'Université de Gand:
Les cours institués en vertu de la disposition qui précède seront faits en flamand dès la date de leur organisation.
Art. 7. - Les écoles et les cours prévus aux articles 5 et 6 seront organisés au plus tard à l'ouverture de l'année académique 1916-1917.
Art. 8. - Il n'est porté aucune atteinte au droit qu'ont les candidats de subir, soit en français, soit en flamand, l'examen devant le jury central institué par l'article 34 de la loi du 10 avril 1891, quelle que soit l'université dont ils ont suivi les cours.
Art. 9. - Le gouvernement prendra les mesures nécessaires pour sauvegarder les avantages matériels dont jouissent les professeurs et chargés de cours actuellement en fonctions. Résumons les principales dispositions: la transformation de l'université se fait progressivement, année par année; aucun professeur en fonctions ne devra quitter l'université; pendant un certain nombre d'années et pour un certain nombre de cours, l'étudiant aura le choix entre un cours français et un cours flamand; il y aura | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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aant.donc en fait dédoublement dans une certaine mesure, mais ce dédoublement est réduit au minimum, et n'est que temporaire; tous les droits acquis sont strictement respectés; il n'y a pas de transformation brusque, mais une période de transition; de plus, des cours français sont prévus même au programme de l'université flamande; je ne vois pas d'inconvénient à ce qu'on en rende certains obligatoires, et l'on ne pourra pas nous accuser d'une hostilité mesquine à la langue française. Le projet est donc fort différent des mesures radicales prises par le gouvernement allemand en Belgique. Il apparaît au contraire comme très modéré, et du moment que l'on veut sauvegarder le principe de l'université flamande complète, et de l'université unique, je ne vois vraiment pas quelles concessions on pourrait encore exiger. Quelles sont les objections qu'on oppose à la transformation de l'Université de Gand? Je ne m'arrête pas à ce mauvais prétexte: les Allemands ont fait une université flamande à Gand, donc il ne nous en faut plus. On ne peut de bonne foi confondre le projet Franck, déposé en 1911, et l'université ‘flamboche’. On ne peut faire payer aux Flamands les impudences de la politique allemande. Ce n'est pas parce qu'il y a des bolcheviki que le prolétariat renoncerait au programme socialiste. On affirme d'abord que nous allons vinculer la liberté de tels pères de famille qui entendent faire donner à leurs fils l'enseignement supérieur en français. Je me suis expliqué plus haut, d'une façon générale (p. 233 et suiv.), sur certaine conception dogmatique de la ‘liberte’, souvent contraire à la réelle liberté d'action du grand | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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aant.nombre, et à la justice. Je ne reviens plus sur ce point de vue. Mais examinons le cas spécial qui nous occupe. Ces pères de famille sont-ils fort nombreux? Le fond de la population universitaire gantoise est fourni par la Flandre Orientale: les parents envoient généralement leurs fils à l'Université de Gand, non pas parce qu'elle est française, mais parce qu'elle est à Gand. Supposons deux universités concurrentes, existant côte à côte; j'ai montré que l'université française aurait sur l'autre une belle avance (cf. p. 263). Un certain nombre de bourgeois gantois continueraient à envoyer leurs fils à l'université traditionnelle, simplement parce qu'elle resterait l'université traditionnelle. Ils constituent la masse flottante et molle, qui se contente de suivre les suggestions de l'habitude. En face d'elle, notre attitude est très nette: elle se soustrait à son devoir social; nous ne voulons pas qu'on use à son égard de coërcition, nous applaudirions à l'idée d'un Institut de Hautes Etudes organisant à Gand des cycles de conférences françaises, mais nous n'admettons pas que l'Etat maintienne au coeur même du pays flamand, je ne dirai pas un foyer d'influence française, mais un instrument de francisation, qui incite la bourgeoisie à négliger son devoir social, son devoir national, qui permet à une élite d'acquérir son développement complet exclusivement en une autre langue que celle de l'immense majorité de la population. J'ai suffisamment indiqué déjà la distinction à faire entre l'influence légitime de la langue française et cette francisation d'une élite, qui francise alors autour d'elle tous les organes les plus importants de la vie sociale (cf. p. 241). Or, si l'Université est devenue pour beaucoup un symbole de la culture | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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aant.française, elle est devenue pour la population de langue flamande un symbole de la francisation, D'innombrables orateurs qui défendaient l'intégrité de l'Université de Gand ont déclaré sans ambages qu'ils la considéraient comme la forteresse de l'esprit francisant en Flandre. Le peuple flamand ne l'a pas oublié, et il ne veut plus être dupe. Il y a là aussi un ‘sentiment incompressible’. Quant aux quelques parents qui n'obeissent pas purement à la sollicitation de ce qui existe, mais ont la volonté bien consciente et arrêtée de faire donner à leurs fils un enseignement français, aucune contrainte ne les en empêche. Tout ce qu'on peut dire, c'est que les facilités dont ils bénéficiaient se trouvent réduites, mais elles ne constituent pas une prérogative imprescriptible. Du moment qu'on ne peut multiplier les établissements d'enseignement supérieur comme les établissements d'enseignement moyen, on ne peut accorder à tous les mêmes facilités et créer une université dans chaque chef-lieu de province. Les Gantois qui désirent un enseignement français auront encore une université de l'Etat et deux universités libres à leur disposition, - trois sur quatre: ils seraient mal venus de se plaindre au nom de l'égalité. L'égalité en Belgique a pour nous aussi certains attraits. Ils devront se déplacer, certes, tout comme l'habitant de Liège qui veut obtenir maintenant le grade d'ingénieur des constructions civiles et doit se rendre à Gand, ou que l'habitant de Bruges, d'Anvers ou de Hasselt qui désirera un enseignement flamand, ou que le Gantois lui-même qui devrait aller à Anvers, si l'on fondait là une université nouvelle sous prétexte de ne pas toucher à celle de Gand. D'ailleurs, les intérêts particuliers d'une | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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aant.petite classe de bourgeois gantois doivent évidemment être subordonnés à l'intérêt général. Ils crieront un peu, c'est inévitable: on crie toujours quand on vous enlève un privilège. Une autre objection, c'est ce qu'on est convenu d'appeler la ‘destruction’ de l'Université de Gand. Mais en y substituant progressivement la langue de la grande majorité à celle d'une petite minorité, on ne détruira pas plus l'Université de Gand qu'on n'a détruit les universités d'Helsingfors, de Dorpat, de Cracovie et de Lemberg, ou qu'on n'avait détruit auparavant la plupart des universités européennes en y substituant les langues nationales au latin. A Gand même, l'enseignement se donnait en latin jusqu'en 1830. Soit dit par parenthèse: si après la révolution il s'y donna en français et non pas en néerlandais, nous le devons surtout à la politique de réaction linguistique qui fut suivie alors et qui lésa gravement les intérêts du peuple flamand. C'est une injustice à réparer, - il n'y a pas de raisons suffisantes, sous prétexte de ‘droits acquis’, pour que nous en supportions indéfiniment les conséquences. Remarquons, encore une fois, que l'université ne perdrait aucun de ses professeurs nommés précédemment; et pourquoi s'imaginer que les professeurs nouveaux leur seraient inférieurs? La dépopulation de l'université n'est pas à craindre. Les étudiants étrangers n'y viendraient évidemment plus, à l'exception des Hollandais. L'ensemble des étudiants étrangers comportait, en 1900-1901, 14,59%; en 1904-1905, 11,31%; puis il y eut une montée brusque: en 1910-1911, 23,19%. Cet accroissement est dû surtout à | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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la révolution russe de 1905; on a constaté le même phénomène à Liége (en 1906, 794 étrangers; en 1907, 1,094) et aux universités suisses (en 1908, Bâle, Zurich, Berne, Lausanne et Genève avaient 6.197 étudiants, dont 2.521 Suisses et 2.553 Russes). C'est là une situation anormale, dont les causes ont vraisemblablement disparu aujourd'hui. Outre les étudiants étrangers, Gand perdra encore un certain nombre d'étudiants belges, difficile à évaluer de façon exacte. Mais ce ne sera également qu'un déplacement dont profiteront nos autres universités, notamment Liège, où le projet Franck prévoit la création d'une école du génie civil. En revanche, la création, à Gand, de trois instituts nouveaux, dont une école supérieure d'agriculture et une école des mines (en vue de l'exploitation du bassin campinois), viendra probablement compenser les pertes, tandis que les facultés flamandes attireront de partout les étudiants flamands, plus toute une population pour qui l'usage exclusif du français dans l'enseignement supérieur constituait jusqu'à présent une barrière. C'est ce qu'on a constaté chaque fois qu'on a transformé une université dans le sens démocratique et national: le nombre des étudiants a considérablement augmenté et a suivi une progression constante, à Helsingfors, à Cracovie, à Lemberg. A Prague, l'université tchèque est actuellement beaucoup plus forte que l'université allemande. Tenons compte aussi de l'évolution de l'esprit nouveau, qui, par la fondation de nombreuses bourses d'études, veut faciliter aux fils du peuple spécialement doués l'ascension vers la culture supérieure. J'ai montré plus haut (pp. 236 et suiv., spécialement 245) que la réalisation du programme flamingant n'amènerait | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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aant.pas un recul de l'influence française en Flandre. C'est là pourtant la grosse objection, peut-être la seule vraiment importante encore, qu'on fasse à la transformation de l'Université de Gand. Qu'on le veuille ou non, nous dit-on, la disparition progressive de l'université française sera considérée comme un acte hostile à la France. Cette objection est surtout d'ordre sentimental, par quoi je ne veux d'ailleurs pas en diminuer la portée, les sentiments jouant dans cette question un rôle énorme. Certes, un acte hostile à la France serait, à l'heure actuelle, du dernier odieux et tout à fait inexcusable. Mais ne peut-on éclairer l'opinion, ici et là-bas, pour éviter les interprétations fâcheuses? Chaque fois que j'ai discuté la chose avec des Français, je les ai trouvés plus compréhensifs, plus ouverts à nos raisons que beaucoup de nos compatriotes de langue française, lesquels, au fond, en veulent surtout à la poussée flamande parce qu'elle les gêne dans leurs habitudes et parfois dans leurs aises. Ce qui serait plus grave, c'est une pression directe du gouvernement français, dans le sens du discours que prononça, en 1913, le ministre du commerce David à la Chambre des Députés, - discours qui fit parmi nous plus de tort à la cause française que ne pourraient en faire les énergumènes flamingants les plus forcenés. Qu'on ne l'oublie pas, rien de bon ne pourrait venir de la contrainte: elle ne produirait que désaffection, justifierait les oppositions. Nous devons à la France une imprescriptible dette de reconnaissance. Mais les Flamands se disent que si la France s'est battue pour nous de façon incomparable, ils se sont aussi battus pour elle, et que si nous avons tant immolé à notre indépendance, c'est | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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aant.bien le moins que nous puissions maintenant en jouir librement. Quant à nos frères wallons, ne doivent-ils pas reconnaître que la question de l'Université de Gand n'est pas pour eux d'un intérêt vital, comme elle l'est pour nous? Ce qui leur importe, c'est qu'ils ne soient plus livrés à l'exclusif gouvernement de parti que leur majorité a dû subir pendant plus de trente ans, c'est encore qu'on ne leur impose pas le bilinguisme là où il ne répond pas à une nécessité manifeste. Mais la transformation de l'Université de Gand, en établissant simplement l'égalité, n'empiète pas sur leurs droits. Et, à ce point de vue, leur opposition pourrait grandement nuire à l'unité belge. Imaginons un instant le gouvernement hollandais de 1851 installant une université néerlandaise à Liège et parvenant, par des circonstances historiques propices, à se maintenir dans notre pays: aujourd'hui, il y aurait à Liège plus d'éléments flamands qu'il n'y a d'éléments français à Gand. Mais qui songerait encore à empêcher les Wallons d'avoir l'université qu'ils désirent? Qu'ils se mettent un instant à notre place, et il sera si facile de s'entendre. Actuellement, l'Université de Liège ne peut que gagner à la transformation de l'Université de Gand. Au point de vue économique, le relèvement du peuple flamand tendra à diminuer l'exode d'ouvriers qui vont faire baisser les salaires en Wallonie. Ce n'est pas l'intérêt des gros industriels, mais celui de la communauté. Enfin, l'instruction aidant, les idées de progrès se répandront plus largement et atténueront les différences d'opinion entre les populations wallonnes et flamandes. | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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aant.Ce petit livre de bonne foi, je l'ai écrit avant la fin de la guerre: seul le souci de la patrie belge m'a guidé. Je ne parle pas pour avoir raison, mais pour éclairer les autres, aussi sincèrement qu'il est en moi: j'attends tout de la libre discussion. Puissions-nous être d'accord pour voir où est la vérité, ce que veut la justice et ce qu'exigent les nécessités du moment! A l'heure où se proclame le droit universel des peuples à régler leur vie, à l'heure où nous devons être unis pour l'oeuvre immense de demain, des résistances systématiques, s'inspirant d'autres motifs que celui du bien commun, ne pourraient que dégager le radicalisme latent qui m'inquiète dans les masses flamandes, et compromettre l'avenir de notre pays. |
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