Verzameld werk. Deel 3
(1953)–August Vermeylen– Auteursrecht onbekend
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aant.III. Le développement du mouvement flamand et la situation linguistique actuelleLe mouvement flamand s'affirma dès le début comme une tentative de relever le peuple flamand de sa déchéance intellectuelle et de le ramener dans le grand courant de la civilisation, à l'aide du seul instrument efficace d'une large propagation des idées: la langue maternelle. Faut-il dire qu'il n'est pas un phénomène isolé, et se présente comme une des multiples manifestations du réveil des nationalités, qui se dessine au XIXe siècle à travers toute l'Europe et n'est qu'un produit de l'individualisme moderne?Ga naar voetnoot1 Ce mouvement prit d'abord un caractère littéraire. Sous l'impulsion de J.F. Willems, des philologues s'effor- | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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aant.cèrent de réveiller l'amour du flamand, en rappelant un passé non dépourvu de gloire, et en montrant qu'une forte conscience nationale - ce que les romantiques appelaient l'âme d'un peuple - était intimement liée à la culture de la langue. Bientôt Henri Conscience, dont on a pu dire qu'il ‘apprit à lire à son peuple’, concrétisait ces aspirations en une oeuvre vivante, qui s'adressait à l'imagination et au coeur; Ledeganck chantait ses odes aux ‘Trois villes soeurs’, Van Duyse et Th. Van Rijswijck, celui-ci en des accents vraiment populaires, donnaient à la langue poétique une nouvelle souplesse, prouvaient la vitalité de l'idiome méconnu. Les plaintes des Flamands se multipliaient. Le pétitionnement de 1840, appuyé de plus de 100.000 signatures, revendiquait le droit de la population flamande à être administrée, jugée, enseignée en sa langue (jusques et y compris l'enseignement supérieur). La lutte se poursuivit dès lors avec une intensité croissante. Il n'est pas possible d'en donner ici un aperçu quelque peu détaillé. Elle présente les aspects les plus divers: propagande des sentiments et des idées par la littérature et la presse, résistances individuelles, protestations collectives, organisations de groupes, action politique. En 1856, le gouvernement se décida à nommer une commission chargée d'examiner les griefs flamands; il se refusa d'ailleurs à publier son rapport, rédigé par Snellaert, - la Commission le fit paraître en 1859. C'est surtout dans le domaine judiciaire que la voix populaire réclamait des réformes immédiates: les condamnations de prévenus flamands par des juges qui n'entendaient pas leur langue faisaient sentir vivement l'injustice du régime établi. Cependant, | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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aant.malgré les efforts répétés de quelques députés flamands, il fallut attendre longtemps pour obtenir une première satisfaction: la loi du 17 août 1873 sur l'emploi de la langue flamande en matière répressive. Elle était bien insuffisante; on dut la reviser à plusieurs reprises. Puis vinrent les dispositions relatives à l'emploi de la langue flamande en matière administrative (loi du 22 mai 1878) et à l'emploi de la langue flamande dans l'enseignement moyen (loi du 15 juin 1883). Ces lois ne s'appliquent qu'au pays flamand. L'introduction du suffrage universel en 1892 donna une nouvelle impulsion au mouvement flamand, essentiellement démocratique. La loi du 18 avril 1898, relative à l'emploi de la langue flamande dans la publication des lois, s'appliqua au pays entier et vint enfin sanctionner officiellement un principe, l'égalité de nos deux langues nationales en matière législative. On la nomma la loi d'égalitéGa naar voetnoot1. L'emploi du flamand en matière répressive, qui avait fait l'objet de la loi du 17 août 1873, puis de celles du 3 mai 1889 et du 4 septembre 1891, fut réglé à nouveau par la loi du 22 février 1908. Puis vint la loi du 12 mai 1910 (concernant l'étude des langues modernes dans l'enseignement moyen du degré supérieur), qui entendait empêcher l'enseignement libre de trop négliger l'étude de la langue flamande en pays flamand. Elle fut suivie de la loi du 2 juillet 1913 sur l'usage des langues à | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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aant.l'armée (tendant à exiger des officiers et des médecins militaires la connaissance élémentaire du flamand) et de la loi du 19 mai 1914 sur l'enseignement primaire. Chacune de ces propositions de loi rencontra des résistances tenaces. En général, elles ne purent passer qu'après avoir été mutilées et énervées par des amendements, qui souvent rendaient les réformes bien anodines. D'ailleurs, elles furent rarement appliquées de façon complète et loyale. Il est intéressant de remarquer que dès avant le vote de la loi de 1873, des ministres déclaraient à la Chambre qu'il n'y avait plus de griefs flamands: la phrase que nous entendons si souvent aujourd'hui est traditionnelle. Ajoutons qu'à chaque nouvelle concession arrachée au pouvoir, fût-elle si équitable que personne, aujourd'hui, n'ose plus la critiquer, on clama que les flamingants poursuivaient la division du pays, qu'ils déchiraient ‘le pacte de 1830’; on agitait le spectre d'une révolution en Wallonie. Un nouveau pas vers l'égalité était chaque fois la fin de la nationalité belge. Cependant, les sanctions politiques n'étaient que des manifestations, je dirais volontiers extérieures, de la vitalité croissante d'une conscience flamande. Un développement interne, doué de toutes les forces de la spontanéité, une poussée incessante de sève faisait craquer l'écorce. La littérature s'épanouissait avec une belle continuité, malgré les circonstances défavorables, la terre longtemps négligée, le climat inclément. J'y vois le témoignage le plus probant d'une vie profonde, incompressible. Songez que depuis quatre-vingts ans il n'y eut pas de rupture, pas un seul arrêt dans l'évolution, | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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aant.mais une expansion graduelle, qui a toute la puissance de la nécessité, une floraison qui, tout en s'affinant, devient de plus en plus riche et touffue. Aux ouvriers de la première heure succède une génération moins romantique, plus soucieuse de vérité et de personnalité, du détail observé et du sentiment vécu, celle des Sleeckx, des Van Beers, des Vuylsteke, des de Geyter, des Hiel, des Loveling, des Tony Bergmann, d'autres encore. En même temps, avec Dautzenberg, de Cort, Van Droogenbroeck, le goût se fait plus délicat, la forme plus souple, le sens de la beauté s'ennoblit. Un homme résume alors la vie essentielle de l'âme flamande en une poésie pure, très naturelle et pourtant de la plus rare subtilité rythmique et verbale: le West-Flamand Guido Gezelle. Après le premier épanouissement de son génie, un destin absurde vint le reléguer, pendant plus de vingt ans, dans un isolement taciturne. Mais son esprit vivait en d'autres; il avait formé Hugo Verriest, et Hugo Verriest forma Albert Rodenbach, l'une des natures les plus fortement douées, l'un des plus beaux exemplaires d'humanité que nous eûmes, et que la mort enleva à vingt-quatre ans. Mais l'évolution ne s'arrêta point. Pol de Mont contribuait à donner à la poésie un brillant plus moderne; Stijns orientait le roman vers un réalisme plus sincère. Puis, dans le courant des années 1890, le mouvement s'amplifia; poètes et prosateurs surgirent de partout; comme vivifié lui aussi par cet air de renouveau, Guido Gezelle sortit de son silence, nous apportant la surprise d'un art plus frais, plus puissamment sûr, plus souple, plus nuancé que jamais. Depuis un bon quart de siècle, une légion nouvelle s'est affirmée, que je ne puis m'attar- | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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aant.der à dénombrer; citons, parmi ses représentants les plus éminents, Prosper Van Langendonck, Cyrille Buysse, que Maeterlinck égalait à Maupassant, Stijn Streuvels, Herman Teirlinck, Van de Woestijne, Félix Timmermans... Une caractérisation, même rapide, devient ici impossibleGa naar voetnoot1. Mais on peut, me semble-t-il, admettre que cette littérature flamande, qui est fort estimée en Hollande et que des traductions commencent à répandre dans les pays germaniques, présente un ensemble aussi digne d'admiration et de respect que la production française des Van Lerberghe, des Verhaeren et des Maeterlinck, et que, là où elle réalise, comme chez Gezelle, Streuvels et d'autres encore, l'harmonie entre l'inspiration populaire et le sensitivisme artistique moderne le plus raffiné, elle acquiert une signification spéciale dans les lettres européennes. Et le Wallon cultivé qui prétend n'avoir aucun intérêt personnel à apprendre le flamand, devrait bien se documenter un peu. | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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aant.Le mouvement littéraire n'est qu'un des aspects de la renaissance flamande. Dans tous les domaines, on peut constater les mêmes fermentations, les mêmes efforts d'une vie qui tend à se développer. La presse, représentée d'abord par quelques petites feuilles locales, a pris graduellement une extension considérable; il s'édite actuellementGa naar voetnoot1 en Belgique, autant de revues flamandes que françaises; le théâtre a suivi la même progression; un mouvement musical très intense, qui s'alimente aux traditions de la race et dont Peter Benoit fut le plus ardent protagoniste, a pu justifier la création de l'Opéra flamand d'Anvers, en 1907. En même temps, malgré le défaut d'université, l'expression flamande gagnait aussi la science; des philologues, des critiques, des historiens d'art publiaient des ouvrages importants, parmi lesquels je signalerai seulement ceux de Paul Frédéricq et de Max Rooses. Les congrès flamands de sciences et de médecine, inaugurés en 1897, ne cessèrent depuis de prospérer. Ils furent bientôt complétés par les congrès des juristes et les congrès de philologie et d'histoire, qui réunirent un nombre de plus en plus énorme d'adhérents (le total était d'environ 1.500 en 1910). En somme, ce mouvement flamand, où d'aucuns se plaisaient à ne voir que l'agitation superficielle d'une poignée d'énergumènes et de brouillons avides de sinécures, ce mouvement flamand que presque toute notre presse française ridiculisait quand elle le croyait faible, attaquait avec virulence quand elle se sentait désormais impuissante à l'enrayer, ce mouvement flamand n'est qu'une des formes du sourd | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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aant.travail qui forme la conscience moderne, le désir des hommes et des peuples à être eux-mêmes, à se posséder pleinement. Il est admirable. On voulait n'y pas distinguer autre chose que les manoeuvres de quelques politiciens intrigants - tout comme on trouve encore des gens qui tiennent le socialisme pour un phénomène sans profondeur, imputable seulement à certains démagogues amis de l'eau trouble. Il n'est aucun parti, il n'est aucun groupe social, dont tous les membres méritent une égale estime; - et parmi les flamingants comme parmi les socialistes, on a pu voir, pour des raisons identiques, des hommes de culture insuffisante jouer un rôle disproportionné à leur taille. Mais pense-t-on à ce que, dans son ensemble, ce mouvement flamand représente d'énergies spontanées, de dévouements que rien n'abattait, et qui devaient, si mal armés qu'ils fussent, conquérir le terrain pied à pied? Le vrai, c'est que dans cette Belgique souvent trop matérielle, le mouvement flamand a été un des plus vastes et des plus glorieux efforts collectifs vers un idéal. En général, le Belge de langue française ignore la situation réelle en Flandre, parce que la presse qu'il lit ne l'a jamais renseigné sur les manifestations de la pensée flamande; on l'a habitué à considérer le flamand comme un patois parlé seulement par les paysans et les petites gens. S'il visite une ville flamande, il juge d'après des observations rapides, le nombre d'enseignes françaises par exemple. Il ne se dit pas que si l'usage du français est assez répandu, pour des raisons pratiques, et si le français jouit d'un indiscutable prestige, ne fût-ce que parce que la ‘bonne bourgeoisie’, dans les grandes | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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villes du moins, est francisée, le fond est pourtant irrécusablement flamand. Il constate qu'au restaurant on lui parle le français, et s'il rencontre un intellectuel flamand, la conversation s'engage évidemment dans la langue qu'ils savent tous deux. Il en conclut que la civilisation en pays flamand est essentiellement française. Il n'a vu que quelques indices tout extérieurs. Mais en fait, il ignore la civilisation de ses compatriotes flamands, ni plus ni moins que s'ils étaient des Moldo-Valaques.
La statistique nous permet de voir quelle est, en réalité, la situation respective de nos deux langues nationales en pays flamand. On peut assez bien faire le partage, puisque, au recensement officiel de 1910, les Belges sachant le français et le flamand, ou le français, le flamand et l'allemand, durent déclarer quelle était la langue dont ils se servaient le plus fréquemment (les enfants de moins de deux ans étant considérés comme ne parlant encore aucune langue). On objecte que les renseignements obtenus ne sont pas toujours exacts. Je répondrai que, dès qu'il s'agit de totaux aussi considérables, les erreurs ne doivent guère influer sur la réduction en pourcentage. On objecte encore que bien des flamingants, à l'encontre de la vérité, ont affirmé ne savoir que le flamand. Je répondrai que des journaux bruxellois ont engagé ouvertement leurs lecteurs à déclarer, à l'encontre de la vérité, qu'ils ne savaient que le français; que, d'ailleurs, des employés de toute espèce, dont la langue maternelle et usuelle est bien le flamand, ont dû déclarer que la langue qu'ils ‘parlaient le plus fréquemment’, de par les exigences de leur service, était le français; et, enfin, bien des gens, qui | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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aant.baragouinent un peu de français, ont dû être fiers de proclamer qu'ils savaient les deux langues. En somme, on peut négliger ces sources d'erreurs, qui dans l'ensemble se neutralisent plus ou moins, et considérer les résultats totaux comme très approximatifs de la réalité. D'après les chiffres du recensement de 1910 dans les quatre provinces flamandes plus l'arrondissement de Louvain, (je réserve pour le moment l'arrondissement de Bruxelles,) le nombre des habitants ne parlant que le flamand se monte à 79,61%, celui des habitants ne parlant que le français à 2,01%. Le nombre des habitants dont le français est la langue usuelle (c'est-à-dire ceux qui ne parlent que le français, plus ceux qui parlent le plus fréquemment le français): 3,99%. Dans les quatre provinces wallonnes plus l'arrondissement de Nivelles, ces chiffres sont respectivement de 1,18% et 88,14%; les habitants dont le flamand est la langue usuelle représentent 2,39%. Mais ces territoires ne sont pas strictement limités par la frontière linguistique: il y a des communes wallonnes dans le sud des provinces flamandes, comme il y a des communes flamandes dans le nord des provinces wallonnes. J'appelle communes flamandes celles où le nombre d'habitants ne parlant que le flamand ou parlant le plus fréquemment le flamand est supérieur à celui des habitants ne parlant que le français ou parlant le plus fréquemment le français; j'appelle communes wallonnes celles où la relation est inverse. Si nous les déduisons, nous obtenons les résultats suivants: Dans les quatre provinces flamandes plus l'arrondissement de Louvain, moins les communes wallonnes: | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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Voilà sur quoi l'on se base pour proclamer que la Flandre est bilingue! Remarquons en passant que ce chiffre de 1,05% serait encore réduit, si l'on pouvait en défalquer les très nombreuses congrégations françaises qui sont venues essaimer en Flandre. Nous constatons que, dans les quatre provinces flamandes plus l'arrondissement de Louvain, le nombre des habitants ne parlant que le français était, dans les décades antérieures à 1900, respectivement de 60.169, - 64.034, - 60.407: puis, dans la période 1900-1910, il s'élève brusquement à 70.598. Ceci ne peut s'expliquer que par une immigration d'éléments étrangers. Le Bulletin trimestriel de statistique, publié par le Ministère de l'Intérieur, souligne lui-même le fait dans le numéro d'octobre 1912: ‘L'augmentation est spécialement remarquable pour les habitants de nationalité, française. Leur nombre (dans le royaume) a passé de 56.576 en 1900 à 80.747, soit un accroissement de 43%. Il est même de 50% pour le sexe féminin. Cette circonstance, jointe au fait de la prépondérance anormale de ce sexe parmi les personnes de nationalité française fait supposer que l'augmentation extraordinaire du nombre de ces personnes est due à l'établissement en Belgique d'un certain nombre de congrégations françaises’. Or, en pays flamand, l'accroissement est encore plus grand. Le nombre des personnes nées en France et habitant dans les quatre provinces flamandes, passe de 1900 | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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à 1910 de 9.043 à 29.549: il a donc plus que triplé! Corrigeons dans le même sens les chiffres relatifs à la population wallonne. Dans les quatre provinces wallonnes plus l'arrondissement de Nivelles, moins les communes flamandes:
Si, mettant à part l'agglomération bruxelloise, composée de 17 communes (voir ci-dessous), nous prenons l'ensemble des communes flamandes et celui des communes wallonnes du royaume, les chiffres sont un peu plus favorable au français, ce qui est dû au fait que dans les communes voisines de l'agglomération bruxelloise et surtout dans les communes flamandes sises en pays wallon, l'influence ‘francisante’ se fait sentir plus vivement que l'influence ‘flamandisante’ dans les communes wallonnes sises en pays flamand. Voici: Dans l'ensemble des communes flamandes du royaume, sans l'agglomération bruxelloise:
Dans l'ensemble des communes wallonnes du royaume, sans l'agglomération bruxelloise: | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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Voici les chiffres pour la commune de Bruxelles:
Pour l'agglomération bruxelloise, composée de Bruxelles, plus les huit faubourgs immédiats, plus Forest, Jette, Koekelberg et Uccle, ces chiffres sont respectivement de 27,95%; 21,80%; 50,49%; 44,57%. Si nous portons l'agglomération bruxelloise à 17 communes, en y ajoutant encore celles de Watermael-Boitsfort, Woluwe-Saint-Lambert, Woluwe-Saint-Pierre et Auderghem, les chiffres sont de 27,65%; 22,65%; 49,76%; 45,28%. On voit qu'entre la ville de Bruxelles proprement dite, et l'agglomération de 13 ou de 17 communes, la différence est assez minime. Il y a seulement à Bruxelles moins de flamands ne sachant pas le français. Pour l'arrondissement, les chiffres sont 20,80%; 38,52%; 37,38% et 57,49%. L'ensemble du royaume nous donne les pourcentages suivants: | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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Si l'on décompose ces résultats, on constate que la province de Liège et la province de Hainaut, avec leurs communes flamandes, comprennent environ autant d'éléments flamands que la province d'Anvers ou la Flandre Orientale, avec ses communes wallonnes, comprennent d'éléments français:
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Dans la partie wallonne du Hainaut, l'élément flamand est presque autant représenté que l'élément français dans la partie flamande de la Flandre Orientale:
Certains arrondissements wallons à communes flamandes, tels ceux de Waremme et de Soignies, comprennent beaucoup plus d'éléments flamands que même les arrondissements flamands des grandes villes, comme Anvers et Gand, ne comprennent d'éléments français. Mais il est remarquable que, si même nous décomptons les communes flamandes, certains arrondissements wallons des plus importants ne sont guère moins bilingues que les plus importants arrondissements flamands:
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Les habitants qui parlent seulement ou le plus fréquemment le français sont:
Les habitants qui parlent seulement ou le plus fréquemment le flamand sont:
Il est intéressant de noter la répartition des langues en pays flamand selon la densité de la population:
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Voyons maintenant quelle est la proportion des bilingues, ou plutôt des habitants qui parlent le français et le flamand, ou le français, le flamand et allemand. Ils sont évidemment le plus nombreux dans la capitale: à Bruxelles même, ils représentent 50,80% de la population; dans l'agglomération bruxelloise (Bruxelles et seize communes avoisinantes): 32,46%; dans l'arrondissement de Bruxelles: 34,81% Dans les quatre provinces flamandes plus l'arrondissement de Louvain: 12,80% (sans les communes wallonnes: 12,44%). Dans les quatre provinces wallonnes plus l'arrondissement de Nivelles: 4,10% (sans les communes flamandes: 3,73%). Dans l'ensemble du royaume: 12,44%. On devine que les bilingues ne se présentent avec quelque densité que dans les grandes villes. Dans la | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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province d'Anvers, Anvers même en compte 23,13%, les communes de 20.000 à 100.000 habitants, 15,62%; les communes de moins de 20.000 habitants, 6,73%. Dans la Flandre Orientale, Gand en a 25,84%; les communes de 20.000 à 100.000 habitants, 15,00%; les communes de moins de 20.000 habitants (abstraction faite des communes wallonnes), 7,35%. Pour ceux qui croient que l'avenir est au bilinguisme, constatons qu'il a fait, en effet, quelques progrès de 1880 à 1890, mais que depuis, il ne montre guère de tendance à s'accroître; il y a quelque augmentation en Wallonie, diminution en Flandre, et dans l'arrondissement de Bruxelles. Voici, en effet, les pourcentages donnés par les quatre derniers recensements:
Quelles sont les conclusions que nous pouvons tirer de tous ces chiffres? Les chicanes de détail n'y changeront rien: il y a un | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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bloc flamand et un bloc wallon; la transfusion et l'unité ne se sont pas accomplies. En dehors des communes flamandes sises dans les provinces wallonnes, il n'y a immigration un peu sensible d'éléments flamands que dans les arrondissements de Soignies, de Charleroi et de Liège. La pénétration de la langue flamande en Wallonie est infime. La connaissance du français s'est plus ou moins répandue dans les villes du pays flamand et le long du littoral. En chiffres ronds, un quart des habitants d'Anvers et de Gand savent le français, mais il n'en est pas 8% qui se servent habituellement de cette langue. Dans l'ensemble du pays flamand les 4/5 de la population ne savent que le flamand, 1/7 sait le français, moins de 3% se servent habituellement de cette langue, Dans plus de 1% ne sait que le français. La capitale est la seule ville vraiment bilingue. A Bruxelles même, la moitié des habitants sait les deux langues, un peu plus des 3/4 savent le français, il y a pourtant encore 1/6 de la population qui ne sait que le flamand. Le nombre d'habitants dont le français est la langue usuelle et courante est un peu supérieur à celui des habitants qui parlent le plus fréquemment le flamand (50,55% et 44,74%). Dans l'agglomération bruxelloise, composée de 17 communes, ces dernières proportions sont à peu de chose près les mêmes (49,76% et 45,28%), mais il n'est plus que 3/5 de la population qui sachent le français. Dans l'arrondissement, l'élément flamand prédomine nettement (57,49% contre 37,38%), une grosse moitié de la population sait le français. Mais ce ne sont là que des chiffres bruts: il faut voir la réalité qu'ils représentent. Les éléments flamands | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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aant.fixés en pays wallon n'ont guère d'importance au point de vue de la civilisation: en général, ce sont des ouvriers appartenant aux couches tout inférieures. Si les habitants du pays flamand qui usent habituellement du français ne sont que 2,7%, ce groupe comprend bien cette bourgeoisie demi-francisée, qu'on appelle à Bruxelles les Kaekebroeck et les Beulemans, genre hybride et généralement improductif, mais aussi une forte part du monde des professions libérales, du grand commerce, de l'industrie: il n'atteint qu'un pourcentage infime, mais son coëfficient d'influence sociale est relativement très élevé. D'autre part, la majorité de la population signalée comme parlant le ‘flamand’ ne parle qu'un dialecte. En réalité, la ‘langue flamande’ est un terme impropre, nous ne l'employons que parce qu'il est établi par l'usage: il y a des dialectes flamands, et il y a la forme littéraire de ces dialectes que nous appelons le néerlandais. Ce n'est pas autre chose que la langue littéraire des Pays-Bas. Le néerlandais est aux dialectes flamands ce que le français est aux dialectes wallons. C'est la langue unique du livre, de la conférence, du théâtre, du journal, même de la petite feuille locale, depuis La Panne jusqu'à Maeseyck: un néerlandais plus ou moins pur et plus ou moins bien compris, selon le degré d'instruction. Quand les gens cultivés parlent ‘flamand’, ils parlent ce néerlandais (avec souvent, mais de moins en moins, un accent du terroir, quelques flandricismes et certains gallicismes tenaces); le peuple parle son dialecte, qui parfois n'est séparé du néerlandais que par des nuances, ou, d'autre part, ne mérite que le nom de patois. | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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Au-dessus de cette masse, nous avons aussi une élite intellectuelle flamande, diversement graduée, bien entendu. J'ai montré plus haut son activité. Ce sont généralement des hommes qui se sont formés eux-mêmes, ou qui, tout en profitant de l'enseignement en langue française, ont résisté à la francisation, ont lutté pour rester eux-mêmes et se conquérir leur mode d'expression propre. Si nous avons une élite, c'est qu'il y a certaines énergies qui triomphent des circonstances défavorables. Cette élite n'est pas assez forte pour que nous puissions nous en contenter, mais elle est trop forte déjà pour qu'on puisse désormais arrêter le mouvement flamand. |
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