Verzameld werk. Deel 3
(1953)–August Vermeylen– Auteursrecht onbekend
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aant.Quelques aspects de la question des langues en Belgique | |
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aant.I. IntroductionNous n'avons pas seulement à guérir nos plaies; nous n'avons pas seulement à regagner le temps perdu. Après la période d'épreuves qui nous a secoués, un nouvel afflux de vie nous incite à faire une Belgique plus forte et plus belle. Mais qu'on s'en pénètre bien: nous ne ferons rien que de fort instable, si nous ne parvenons à résoudre l'irritante question des langues. En dehors même de toute préoccupation d'ordre moral, la reconstitution de la Belgique, avec les problèmes si complexes et si divers qu'elle comporte, exige que nous nous entendions. Ne gaspillons pas notre énergie à nous combattre! Nous devons en tout cas réduire autant que possible les causes de discorde. Il le faut absolument, quand il s'agit d'une question qui intéresse le principe même de notre nationalité. Il importe d'assurer à chacun ses conditions de libre développement, mais en surmontant toutes les tendances qui aboutiraient à scinder la Belgique. Car une Belgique scindée n'affaiblirait pas seulement les Flamands et les Wallons: elle encouragerait forcément des pressions étrangères, et - que ce soit dans cinq ans, que ce soit dans cinquante, - notre pays faillirait au rôle qu'il doit remplir en Europe. L'existence d'une Belgique unie est une nécessité internationale. | |
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aant.Et qu'on ne pense pas qu'il soit possible, au lendemain de la guerre, d'éviter le problème linguistique, de le remettre à plus tard. Dans la situation actuelle, il se soulève tout seul, quoi qu'on fasse. Il occupe trop les esprits. Il est fondamental. Il serait puéril de vouloir louvoyer autour. La temporisation ne ferait qu'énerver. L'heure demande des solutions franches, et rien n'est d'ailleurs plus propice aux solutions équitables et pacifiantes que le mouvement patriotique, le large courant de bon vouloir sur lequel, après la délivrance, nous croyons bien pouvoir compter. Le problème est si épineux, parce que, comme la question religieuse, il touche au sentiment et déclanche la passion: dans l'attachement à l'idiome maternel, il entre des raisons intimes, qui ne se laissent pas toutes réduire à la pure raison; elles ont leurs racines dans la profondeur de l'inconscient; elles n'en sont pas moins légitimes, et elles n'en sont que plus vivaces. Et le problème se présente sous une forme particulièrement grave, parce que chez nous les différences de langue s'accentuent de différences économiques et politiques: prédominance - environ dans la proportion de 2 à 1, - d'une population agricole et catholique dans le pays flamand, d'une population industrielle et libérale ou socialiste en pays wallon. Il est fort probable que ce contraste ira s'atténuant par l'industrialisation croissante de la Flandre. Mais en attendant, il existe. Et il explique même une bonne part des tendances séparatistes, qui, depuis 1912, se manifestaient en Wallonie. Enfin, la solution est rendue plus difficile encore par les malentendus surgis pendant la guerre. Au lieu de s'en | |
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aant.tenir à l'application des lois belges, le gouvernement occupant, dans le but évident de nous diviser, a mené une politique flamingante qui bousculait violemment nos traditions. La honte ne nous a pas été épargnée de voir un certain nombre de Flamands lui prêter leur appui, et les Wallons ont eu de leur côté leur poignée ‘activistes’, favorisant la désunion. Malgré les protestations de flamingants notables (je citerai seulement la lettre au gouverneur von Bissing contre la transformation de l'Université de Gand, celle au chancelier Bethmann-Hollweg contre la séparation administrative, celle au chancelier von Hertling contre les menées du Conseil de Flandre et la séparation politique, la protestation énergique adressée au Conseil Communal de Bruxelles par les sociétés flamandes de la capitale, etc.), malgré l'emprisonnement en Allemagne de maint ‘passiviste’ coupable d'avoir combattu les traîtres qui souillaient l'idéal flamand, malgré les manifestations anti-activistes si catégoriques dont les villes flamandes ont été le théâtre, la masse du public n'a pas toujours compris que l'immense majorité des flamingants, vinculée, ne pouvait guère se faire entendre, et l'a trop souvent confondue avec les ‘activistes’ dans sa réprobation. D'autre part, il faut bien dire que l'attitude inconsidérée de certains adversaires du mouvement flamand a agacé maint tempérament peu patient, et les gouttes quotidiennes de poison perfidement distillées par les seuls journaux flamands qui pussent paraître au grand jour ont dû corrompre des esprits peu judicieux. N'oublions pas que si l'odieuse politique ‘flamboche’ révoltait certains impulsifs contre toute revendication d'ordre linguistique, | |
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aant.la question, mise au premier plan, discutée par tous, mûrissait aussi dans bien des cerveaux; au surplus, le progrès de l'idée démocratique, et la théorie du droit des petites nationalités à développer leur vie propre, accéléraient encore le mouvement de la conscience flamande. Tandis que la lutte héroïque contre l'envahisseur, que les souffrances communes et les sacrifices communs nous rapprochaient, de nouveaux ferments d'hostilité faisaient leur oeuvre. Le devoir le plus urgent est donc d'éclairer les esprits. Il faut que l'on sache, - il faut que l'on se connaisse, que l'on se comprenne. Le public de langue française, même le plus intellectual, ignore généralement ce qu'est le mouvement flamand et sa force interne: il y a là un grand danger. Il semble parfois que la question linguistique soit la seule qu'on puisse aborder sans documentation, sans étude de toutes ses données réelles. Notre presse française n'a jamais accordé d'attention sérieuse aux manifestations de la pensée flamande. Peut-être commence-t-on à voir aujourd'hui qu'il ne suffit pas de ridiculiser la langue parlée par une grosse moitié de la population belge, et de considérer tous les flamingants comme des politiciens brouillons, des meneurs avides de sinécures ou des énergumènes. Il y en a, c'est certain; il y en a même dont il faut singulièrement se défier, les èvénements l'ont assez prouvé. Et parmi les autres, il se rencontre bon nombre de fort honnêtes ‘primaires’, amateurs de formules simplistes: ils ne se rendent pas compte des mécontentements qu'ils accumulent d'autre part. Qu'au moins tous les hommes de bonne volonté | |
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qui ont souci de l'avenir de la Belgique, se gardent de sous-évaluer les éléments en présence. Et qu'ils s'efforcent de voir clair. Ces pages n'ont d'autre but que de les aider en cet examen objectif. Je les ai écrites en français, pour ne pas prêcher seulement les convertis.
10 novembre 1918. |
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