Verzameld werk. Deel 1
(1952)–August Vermeylen– Auteursrecht onbekend
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aant.Le Bataillon scolaireBrrroum!!... C'est le bataillon scolaire qui passe! Toute la rue est en émoi; le monde s'amasse; les fenêtres se garnissent; chacun abandonne son travail; le domestique cesse de brosser l'habit de monsieur, la cuisinière laisse brûler le dîner de madame, la bonne d'enfants abandonne Bébé qui crie. Tous doivent voir le bataillon, qui s'avance inondé de soleil. Brrroum!!... Sur le boulevard, les désoeuvrés, qui se promènent d'un air ennuyé, sont réveillés soudain de leur torpeur, et suivent le régiment. Les camelots oublient leurs marchandises, pour admirer ces troupiers, tout fiers de leurs fusils de bois. Les ‘Ketjes’ les acclament avec enthousiasme, et se livrent, en tête du bataillon, à une sarabande endiablée, d'une fantaisie toute cynghalaise. Brrroum!!... Des nuées de badauds, enlevés par les sonneries des clairons retentissants, emboîtent le pas à côté de la musique. Et le bataillon, enivré de succès, marche d'un pas triomphal, suivant le casque à paratonnerre du colonel Allard, qui reluit comme un soleil (pas le colonel, le casque), et qui, ni plus ni moins que le panache d'Henry IV, doit les mener à la gloire!... Brrroum!!...
Peut-être vais-je étonner beaucoup de mes lecteurs en leur disant que je n'aime pas, mais là, pas du tout, les bataillons scolaires. D'abord ils nous feraient perdre deux heures le jeudi après-midi et le dimanche matin. Actuellement, l'élève passe six heures à l'Athénée, et doit travailler trois heures chez lui. Je ne parle pas des leçons de musique, de peinture et autres, que reçoivent bien des jeunes gens. Je ne parle pas non plus des compositions qui apportent, tous les trimestres, une augmentation de travail pendant cinq semaines. Il n'y a guère que le dimanche et l'après-midi du jeudi où l'élève soit libre. Et s'il doit dépenser ces moments de loisir en parades, que lui reste-t-il donc? Cependant, il doit de temps en temps sortir, retremper dans l'air pur de la campagne son esprit | |
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lassé, répéter et classer les notions acquises. Il doit surtout lire, lire beaucoup même, car tout ne s'apprend pas à l'Athénée, et il doit corriger un peu par lui-même l'uniformité du moule dans lequel l'enseignement enserre son cerveau; il doit encore suppléer aux deux heures de flamand ou d'allemand par la lecture des auteurs étrangers. Il serait trop facile de me répondre que l'on n'est pas forcé de faire partie de ce bataillon scolaire. Mais le fils propose, et le père dispose. Bien des parents n'accepteraient pas les raisons que je viens de donner. Il règne d'ailleurs quant au goût de la lecture un préjugé déplorable: je connais nombre de gens qui appellent cela de la paresse, et qui se soucieraient fort peu de ce que leur fils n'ait plus le temps de parcourir un auteur français ou flamand.
D'autres encore s'écrieront en me lisant: ‘Mais les manoeuvres que vous exécuteriez au bataillon scolaire suppléeraient au cours de gymnastique. On reconnait l'insuffisance d'exercice que se donne l'élève. Il faut équilibrer le travail de l'esprit avec celui du corps: Mens sana in corpore sano. Le bataillon scolaire est la solution de ce problème.’ Franchement, je ne crois pas, pour ma part, que nos muscles seraient fort développés par deux heures de: ‘demi-tour à droite’, ‘demi-tour à gauche’, ‘en avant, marche!’ Je me permets donc de demander à nouveau: ‘Quelle est l' utilité d'un bataillon scolaire?’ Le Conseil communal l'a cependant voté, paraît-il. Et sous peu, nous verrons les nouveaux guerriers du dimanche, en pantalon bouffant, armés d'un sabre de bois et d'un fusil en papier mâché, jouer au soldat dans les rues de la capitale, ou aller parader dans les autres villes - comme le bataillon de Liège. J'entends dès maintenant le commandant grogner dans sa moustache: ‘Scrongneugneu! Quel est c't' espèce d' merlan d' moutard qui rogne ses ongles?’ Ou bien: ‘Caporal Un Tel, ôtez vot' doigt d' vot' nez. Pourvu, par exemple, qu'on n'oublie pas la cantinière, armée d'un panier renfermant une bouteille de ‘calichezap’, des ‘gozettes’ pour les grands et des ‘crottes à sirop’ pour les petits... | |
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aant.Nuit triste | |
ICe soir là, il faisait bien froid dans la mansarde du vieux Jacques, et il faisait bien sombre dans son coeur. Sa petite-fille Marie était malade; assis à côté du lit de fer où elle dormait, il la veillait à la lueur vacillante d'une chandelle fumeuse, pendant que, la tête dans les mains, il repassait dans son esprit tous les malheurs qui l'avaient assailli. Sa fille était morte trois ans après la naissance de Marie, et deux mois plus tard, son gendre s'était fracassé le crâne en tombant d'un échafaudage. Par une pâle et grise matinée d'hiver, on l'avait ramené sur une civière, les bras pendants, la tête renversée, les cheveux plaqués sur la face par les caillots de sang. Le vieux avait reporté alors toute son affection sur l'enfant et il s'était juré de remplacer le père et la mère. La vie avait été bien dure pour gagner le pain de sa petite-fille. Jacques, qui était mécanicien, avait travaillé sans relâche. Mais son corps s'était usé par les longues veillées passées à l'ouvrage, ses yeux s'étaient affaiblis de plus en plus, et enfin, sa main tremblante avait été prise dans un engrenage qui lui avait coupé deux doigts. Il s'était subitement trouvé sans travail et sans pain. L'enfant devait vivre pourtant... Alors le pauvre vieux, presque aveugle, était allé jouer du violon dans les rues. En été, il avait gagné tout juste ce qu'il faut pour ne pas mourir de faim, en parcourant les promenades fréquentées par les bourgeois de la ville. Mais maintenant, en hiver, c'était la misère noire. O les longues soirées sur les boulevards, par la pluie, la neige, la gelée! Malgré les privations qu'il s'imposait, il ne pouvait pas toujours donner du pain à l'enfant, au retour. Pour comble de malheur, la petite Marie venait de tomber malade. La couleur rosée qui faisait ressembler ses joues à des pêches mûres avait disparu, et une toux opiniâtre déchirait sa faible poitrine. Et maintenant, par cette sombre soirée, le vieux n'avait plus de pain! Il avait été jouer d'antiques Noëls, aux portes des maisons riches; mais les domestiques l'avaient renvoyé, et, comme il | |
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s'était assis grelottant sur le seuil d'une de ces portes, on lui avait jeté un seau d'eau dans le dos, pour le faire partir. Il était revenu, glacé, et s'était laissé tomber sur une chaise, songeant avec désespoir à sa situation, pendant que la neige fouettait les vitres de la lucarne, et que la bise gémissait et hurlait dans la nuit. | |
IILa petite Marie dormait toujours, enroulée dans ses minces couvertures. Le vieillard se leva, ôta sa veste et l'étendit sur le lit. Elle avança les mains, ouvrit ses grands yeux étonnés, d'un bleu profond, et, se soulevant à demi, elle dit d'une voix faible: - Oh, grand-papa, j'ai fait un beau rêve! Il sentit les larmes lui monter aux yeux, et, sans répondre, il remit les petits bras de l'enfant dans le lit. Elle poursuivit: - J'étais dans le ciel, bon-papa. Cela était si grand, si grand, si beau, que je ne pourrais te le raconter. Au milieu, le petit Jésus était assis sur une chaise en or. Et j'ai vu aussi papa et maman. Ils m'ont dit qu'ils m'attendaient, et ils m'ont embrassée, et alors je me suis éveillée. - Le petit Jésus viendra-t-il ici cette nuit, dis, grand-papa? Jacques sentit une douleur intense lui étreindre le coeur. Il se rappela qu'au temps où les parents vivaient encore, ils déposaient toujours, la nuit de Noël, un jouet quelconque dans le sabot de Marie. Et maintenant, il n'avait même pas de pain à lui donner!... Demain matin, que penserait la pauvre enfant lorsque, seule au monde, elle se verrait aussi abandonnée du ‘petit Jésus’? Et le grand-père, ne sachant que répondre, suffoqué par les sanglots qui lui montaient à la gorge, pressait dans ses longues mains décharnées les menottes de la petite fille... - Dis, grand-papa, viendra-t-il cette nuit? - Oh! c'est trop, c'est trop, balbutia le vieux. Il décrocha son violon d'un geste nerveux, voulant encore essayer de gagner quelques sous, puis, après avoir embrassé longuement l'enfant, il redescendit le sombre escalier. | |
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IIIMaintenant, une neige fine tombait comme une brume froide, perçant les vêtements, glaçant les os, et se délayant en boue noire sur le pavé. Cependant, la rue était pleine de gens, au sourire satisfait, qui se hâtaient, portant des paquets soigneusement ficelés. Dans la brume, les boutiques s'allumaient, allongeant sur les trottoirs humides les rouges reflets de leurs devantures. Jacques regardait de son oeil atone, rougi par les larmes, les victuailles qui s'étalaient derrière ces vitrines, comme pour railler la misère de ce pauvre, comme pour mettre de nouveaux désirs dans le coeur ulcéré de cet affamé. Il regardait ces entassements de fruits, ces monceaux de charcuteries, ces cargaisons de gibier, ces alouettes en grappe, ces perdix amoncelées, ces lièvres au poil jaunâtre, ces oies suantes de graisse, ces poulets bourrés de truffes, et cet énorme sanglier aux soies rudes, pendu par les pattes, à la montre. Et plus loin, un magasin de jouets, resplendissant de lumière, où l'on distinguait à travers la buée qui couvrait les vitres, les gros polichinelles vêtus de satin rouge, les belles poupées aux robes brillantes, les soldats de plomb s'alignant à côté des chevaux de bois aux harnais luisants... Puis là-bas, une confiserie, où s'étalaient, embaumées, luisantes, dorées, les boîtes aux couleurs claires, les fruits confits, les gourmandises alléchantes... Et le vieux, avec des larmes de rage, se mit à jouer au violon, debout, les pieds dans la boue, sous un réverbère qui allongeait ses reflets sur le trottoir mouillé, comme une traînée sanglante. Il joua longtemps. Mais dans cette foule joyeuse qui passait, pas un visage ami, pas une main tendue pour le secourir. Et il ne pouvait étouffer le sanglot furieux qui lui étreignait la gorge, et il jouait toujours, de ses doigts bleuis par le froid, des airs gais qui lui navraient le coeur... Rien; pas même un sou! Il sentait qu'il allait être vaincu, dans cette guerre sans gloire du pauvre contre la misère. Il allait retourner, ne sachant plus quel parti prendre, lorsqu'une dame en deuil, déposa, en passant, quelque chose dans la casquette du vieillard. Il se baissa rapidement: c'était une pièce blanche, une pièce de | |
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cinq francs! Comme hébété à la vue de ce secours soudain, il restait là, regardant briller dans sa main, sous la lueur du réverbère, cet argent qui semblait le fasciner... Cinq francs! Et son esprit se reporta vers la mansarde vide et nue où était couchée l'enfant. Une joie immense descendit dans son coeur, le pénétra par toutes les fibres de son corps: le petit Jésus viendrait. Il apporterait des bonbons, des jouets: Et il y aurait fête, là-bas!... Il se dirigea vers un magasin, et après avoir regardé quelque temps à la vitrine, appliquant son oeil affaibli aux places où la buée n'argentait pas le verre, il entra et échangea son argent contre une belle poupée et un grand bonhomme Noël en sucre. Puis, l'âme réjouie, il revint vers la pauvre mansarde. | |
IVLe vieux Jacques monte doucement l'escalier, tâchant de rendre plus sourd son pas fatigué. Il va écouter à la porte: pas un bruit. Il ouvre lentement, allume avec peine une chandelle et va voir au lit de fer. L'enfant s'est rendormie, rêvant peut-être du petit Jésus. Le vieux la regarde longtemps, et il lui semble que son coeur se fond dans sa poitrine à la voir là, si innocente, un bout de pied rose dépassant sous la couverture, et les lèvres gentiment froncées par un sourire. Il songe que peut-être, dans un an, lui-même aura disparu de la terre, et qu'alors il n'y aura plus de Noël pour la gamine. Mais il oublie vite ces noires idées, et ne pense bientôt qu'à la joie de la petite Marie, lorsqu'elle se réveillera. Et devant le lit, bien en évidence, il se met à arranger de ses mains tremblantes la belle poupée à robe de couleur claire, et le grand bonhomme Noël en sucre, la pelisse toute couverte de neige, une branchette de sapin dans les bras, et sur la tête un chapeau blanc en massepain. Puis, souriant de bonheur, le vieillard va s'asseoir dans l'ombre, attendant le réveil de l'enfant. Mais elle ne s'éveille pas. Les heures se passent, mornes. Maintenant, tous les bruits se sont tus. Seul, dans la cour sombre, en bas, | |
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un chien hurle lugubrement. Le vent semble pleurer dans la nuit. Et tandis que la flamme jaune de la chandelle se meurt tristement, en faisant flotter de grandes ombres dans les coins, un silence lourd se répand tout à coup dans la mansarde... Le vieillard sent un malaise qui pèse sur son coeur, une inquiétude soudaine le pousse vers le lit... L'enfant dort toujours, toute pâle. Il saisit de sa main tremblante la petite menotte qui dépasse de dessous la couverture, et la lâche subitement... Elle est glacée, et toute roide, et retombe inerte le long du lit!... | |
VEt le matin, comme le soleil se levait tristement derrière les grises et mornes nues d'hiver, et que le pauvre vieux restait toujours là hagard, anéanti de désespoir, affaissé sur ce corps froid qui se dessinait sous la couverture, une joyeuse voix d'enfant appela de la rue: - Hé! Marie! Viens donc voir toutes les belles choses que Noël m'a apportées... | |
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aant.Triolets funambulesquesCes morceaux, plus ou moins en vers,
Ne sont pas d'un bien grand trouvère.
Il faut être indulgent envers
Ces morceaux, plus ou moins en vers,
Et si tout y est à l'envers
Pour ces vers ne sois pas sévère:
Ces morceaux, plus ou moins en vers,
Ne sont pas d'un bien grand trouvère.
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Au DessertC'était l'instant où l'on digère,
Où l'on fume, où l'on cause et rit;
La causerie, un peu légère,
S'accentuait, pleine d'esprit.
On parlait de l'Amour. - ‘La blague!’
Je voudrais bien qu'on m'y forçât!
L'hymen ne met pas une bague,
Mais une chaîne de forçat!’
Pour renchérir sur ces sornettes
Dites par un vieux muscadin,
Un docteur, orné de lunettes,
Insinua d'un air badin:
‘L'Amour est un bobo chronique,
Qui sert souvent d'apéritif.’
- ‘L'Amour doit être platonique’,
Dit une dame au ton plaintif.
- ‘Les femmes sont trop infidèles,’
Jabotait un jeune luron.
- ‘Les hommes font souvent fi d'elles,’
Ripostait une laideron.
- ‘Il faudrait au moins pour me plaire
Etre artiste ou bien officier;
Je n'aime pas l'amour vulgaire’
Fit la femme ... d'un épicier.
J'écoutais ces gens en silence
Tandis qu'ils parlaient tour à tour ...
... Mignonne, avec quelle éloquence
Tu leur définissais l'Amour!
3 août 1888. | |
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Croquis a la PlumeDes chaumières dormant, mignonnes et discrètes,
avec leurs auvents gris penchés à l'horizon;
Des hêtres tout autour, sentinelles muettes,
Secouant au vent d'Est leur riche frondaison;
Dans leurs niches, les chiens, gardiens de la maison,
allongeant, attentifs, leurs têtes inquiètes;
Tout là-bas, la prairie et sa sourde chanson,
Où sonne par moments le chant des alouettes;
Un clocher, petit, humble, et qui jette le soir,
Sous la voûte d'azur, ainsi qu'un chant d'espoir,
Pour ceux que Dieu bénit, sa note évangélique;
Et dans le calme ému de ce coin radieux,
Sur les cailloux jaseurs avec un bruit joyeux
Dans un ruisselet d'argent la follette musique.
Tourneppe, 4 août 1888. | |
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En PromenadeA R. Wybauw Allons, Wybauw, debout! C'est l'heure désirée
Où l'on jette un instant le fardeau besogneux;
A demain les tracas de la vie affairée,
Nous montons aujourd'hui vers les horizons bleus!
Allons, Wybauw! A nous le grand air et l'espace!
La liberté sauvage et les grands horizons!
Marchons vite, au hasard, avec le vent qui passe...
Regarde, - on ne voit plus les murs de nos prisons!
Wybauw, nous revoici! - Le grand air et l'espace,
La liberté sauvage et les grands horizons,
Hélas! s'en sont allés avec le vent qui passe...
Mais nous allons rentrer plus forts en nos prisons.
4 août 1888. | |
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En PromenadeMidi! - Par-dessus les sillons
La cloche traîne sa voix douce;
Le cri-cri joyeux des grillons
Crépite sous la moisson rousse;
Sur les iris du flot qui dort
Rêve l'essaim des libellules,
Et la guêpe au corsage d'or
Sommeille dans les campanules.
La Hulpe, 9 août 1888. O Nature, Nature, éternelle charmeuse,
Se peut-il qu'on préfère à tes bois, à tes cieux,
Les cloaqueux pavés de la cité fumeuse
Ou les ciels de fer-blanc d'un théâtre poisseux!
Forêt de Soignes, 9 août 1888. | |
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Réflexions à la CampagneJe voudrais, comme un vrai sauvage,
Loin de m'enfermer sous un toit,
Libre, de rivage en rivage,
Mignonne, courir avec toi.
Concevez-vous pareille idée:
S'enterrer dans une maison
Par des verroux consolidée?
En vain, j'en cherche la raison.
Se priver d'air et de lumière
Se voiler l'aspect du ciel bleu,
Claquemuré dans sa tanière
Aux baisers du vent dire adieu!
Mettre des serrures aux portes,
Faire fi de la liberté,
S'enterrer comme des cloportes,
Cela fait rire, en vérité!
Quoi! Quand sous le ciel tout aspire
A vivre libre et sans soucis,
L'homme est content, quand il respire
A peine dans ses murs roussis!
Quoi! Quand les étoiles si belles
Scintillent là-haut par milliers,
Les hommes brûlent des chandelles
Dans leurs trous inhospitaliers!
Ne faisons pas cette infamie,
Ne restons pas au coin du feu,
Mais allons nous aimer, m'amie,
Sous l'immensité du ciel bleu!
11 août 1888. | |
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Illusions!J'aimai d'un oiselet la folle chansonnette...
Vers ses pères la Mort un beau jour l'emmena.
Puis j'aimai d'une fleur la corolle en sonnette
Hélas! La pauvre fleur aussitôt se fana.
J'aimai Marie. Ainsi qu'un ange elle était belle.
Je la crus chaste et pure autant que Rebecca,
Mais quand enfin j'osai lui parler, la rebelle
Se tapa sur la cuisse en s'écriant: Raca!
Que vous vous fanez vite en cette vie aride,
Chères illusions au mensonge moqueur!
Lorsque l'on croit tenir les pommes d'Hespéride,
On s'aperçoit qu'on presse un navet sur son coeur!!...
14 août 1888. | |
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Rimes captivesJe sais là, sous mon front rebelle,
Mainte rime qui n'en peut mais,
Qui bat sa cage de son aile,
Et qui n'en sortira jamais.
On y gazouille à gorge pleine,
On y tourmente la cloison;
C'est un peuple qui se démène,
Peuple de rimes sans raison.
Efforts perdus, et vaines ruses!
Vous ne prendrez jamais l'essor;
De la cage, pauvres recluses,
Mon coeur a perdu la clef d'or.
Un mot magique peut suffire:
Il n'est pas dans mon coeur perclus.
Il faut être deux pour le dire...
Je suis seul, et ne le sais plus.
Nous l'avons dit souvent ensemble,
Ta main reposant dans ma main...
A ce souvenir mon coeur tremble
Et veut se raffermir en vain.
Mais un jour tu t'en es allée,
Et je n'attends plus ton retour...
Vous ne prendrez plus la volée,
Rimes de jeunesse et d'amour.
16 août 1888. | |
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A L. VedyQue le printemps l'éveille en de vertes poussées,
Ou que l'été la grille au soleil rutilant,
Que l'automne l'émaille en des ocres foncées,
Ou que l'hiver l'endorme en son grand linceul blanc,
Que la rafale passe en sifflant sur la brande,
Que février l'inonde ou juin vienne l'ambrer,
Elle est belle toujours, et toujours elle est grande,
La terre où l'on est libre, où l'on se sent vibrer!
Forêt de Soignes, 20 août 1888. | |
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aant.Le SemeurLe mâle travailleur de la glèbe féconde,
Lorsque s'étend la paix du matin embrumé,
Ensemence le sol d'un geste ample et rythmé,
En songeant au blé d'or qui nourrira le monde.
Tu ressembles, poète, à ce grave semeur,
Toi, le Semeur géant de l'idée et des rêves,
Qui vas, les yeux levés vers de lointaines grèves,
Dominant la cohue et sa sourde clameur.
Dédaigneux des crachats que la foule te lance,
Tu te fais un rempart de ton orgueil vainqueur,
Et quand le soir des ans vient planer dans ton coeur,
L'oeil serein, tu descends dans l'éternel silence.
Car tu sais que ces temps, ces hommes passeront
Avec le bruit confus de leurs fureurs grotesques;
Tu sais que lentement tes rêves gigantesques
Tes songes d'Avenir sous les fronts germeront.
Tu sais qu'un jour enfin éclora la semence
Que largement ta main jeta dans les cerveaux,
Et qu'alors surgira l'aube d'âges nouveaux,
Ependant ses splendeurs à l'Orient immense.
Un Elève de l'Athénée de Bruxelles | |
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aant.EnterrementQue le cercueil soit grand comme le tonneau de Heidelberg, car j'y mettrai mon amour et mes souffrances... Apportez un cercueil tendu de satin rose,
Un cercueil attiédi de langoureux parfums,
Car je veux enterrer tous mes espoirs défunts,
Ces pauvres morts qui font saigner mon coeur morose.
Apportez un cercueil, car voici que le soir
Pour mes chers trépassés tisse un suaire d'ombre;
Dans la rue obscurcie un brouillard froid et sombre
A chaque réverbère attache un crêpe noir.
Et jetant dans la nuit ses plaintes et ses râles,
Le bronze des bourdons, en sanglots assourdis,
Pour mes grands rêves morts clame un ‘De Profundis’
Au coeur mystérieux des vieilles cathédrales.
Un Elève de l'Athénée de Bruxelles | |
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aant.Rimes antimufflistes
Dèche Noire
Le gosier sec, la bouche sèche
J'enfonce en une atroce dèche...
De l'Apurimac à l'Ardèche,
Du Yang-Tsé-Kiang à la Dvina,
Oncques mortel de la d'vina;
Nulle autant ne me bassina!
Ainsi qu'un bandit de Calabre,
J'ai trop pillé le bourgeois glabre,
Mon maigre crédit se délabre.
J'ai porté mes frusques au clou.
Depuis lors je vais, le licou
De la misère autour du cou.
Loin du ‘Lapin’ où se délace
En riant la Phryné salace.
Je bois aux fontaines Wallace.
Plus de nuits où de bac en bac
On roule, épatant ‘wallebak’
Discourant ab hoc et ab hac,
Las! Le ‘Chat noir’ qui se pavoise
De caricature grivoise,
Me refuse net sa cervoise.
Sevré des Rosas, des Margots,
Je me plie aux jeunes bigots,
Et suce d'outrageux mégots.
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La haine dans mon coeur s'immisce.
Je voudrais que la paix s'y misse,
Mais je deviens si pessimisse!
Puisque dans ces siècles grigou
De philistins topinambous,
Nul ne veut me prêter cent sous,
Vaincu dans l'humaine palestre,
Je quitte ce séjour terrestre...
(Ici trémolos à l'orchestre).
Je mourrai donc, tas d' fess'-Mathieu!
Je vais avaler, nom de Dieu
Le cours de Tiberghien!... Adieu!...
Gust | |
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aant.Rimes antimufflistes
Ballade estudiantine
Ohé, marchand de cornichons,
Bourgeois aux pleines escarcelles,
Philistin aux airs godichons,
Toi qui de bêtise étincelle
De Molenbeek au Bas-Ixelles,
Nous savons te faire enrager,
Tapageons comme des crécelles,
L'esprit libre et le coeur léger!
Sans payer, nous rigolbochons.
En de plantureuses vaisselles
Nous galimâfrons. Nous sèchons
Des pots grands comme des nacelles;
Et les rêves que tu récèles,
O Roederer, nous font nager
En des gloires universelles.
L'esprit libre et le coeur léger!
Etant jouvenceaux folichons,
Nous adorons les jouvencelles;
Au Cantersteen, nous accrochons
Maints regards de gentes pucelles,
Et souvent enlevons d'icelles
Les vierges boutons d'oranger...
Nous scandalisons tout Bruxelles,
L'esprit libre et le coeur léger!
Gust | |
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aant.Villanelle sentimentalepour mon excellent ami Sadi du ‘Chat noir’ Alphonsine a perdu son mac.
Pour dénicher ce cher Alphonse,
Elle roule de bac en bac.
Elle parcourt les culs-de-sac,
Où le brouillard de nuit se fonce.
Alphonsine a perdu son mac.
Interrogeant maint ‘wallebak’
Sans en obtenir de réponse,
Elle roule de bac en bac.
Plus de sou, ça donne le trac!
Et voici l'hiver qui s'annonce.
Alphonsine a perdu son mac.
Son pauvre estomac fait tic-tac;
Contre elle le sort se prononce.
Elle roule de bac en bac.
Son soulier crevé dit clic-clac.
Ah! la vie a plus d'une ronce!
Alphonsine a perdu son mac.
Quelques instants d'amour, puis crac!
V'la sur nous l'anangké qui fonce!
Elle roule de bac en bac.
Son pauvre coeur est en micmac.
A la recherche elle renonce.
Alphonsine a perdu son mac.
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Pour chemise elle prend un sac.
Et dans un noir couvent s'enfonce.
Plus ne roule de bac en bac.
Alphonsine a perdu son mac!
Karl-Christian-Friedrich Krause | |
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aant.Rondels vieux Système | |
Ipour Alida A l'Ida, dit une chronique
Des temps lointains où tout un stock
De dieux et demi-dieux en toc
Peuplait l'Archipel ionique,
Riant, baisant, sablant le broc,
Pâris fixa son choix inique
Sur la Callipyge hellénique.
Pour Vénus, son coeur fit tic-toc
A l'Ida.
O barreuse, ange satanique
Aux préjugés faisant la nique,
Canotière avide de bock,
A Vénus il eût dit ‘bernique!’
S'il t'eût vue, ô peu platonique
Alida!
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IIpour la petite Marquise de D. Dans le boudoir de crépon rose,
Fleurant l'ylang-ylang pervers
Et les capiteux vétivers,
A deux, nous oubliions nivôse.
Pour bercer ton rêve morose,
Je te lisais de vagues vers,
Dans le boudoir de crépon rose
Fleurant l'ylang-ylang pervers.
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Enlaçant les rythmes divers,
Je dis tes grâces de chlorose,
Et ces deux saphirs, tes yeux verts...
Et puis - nous fîmes de la prose
Dans le boudoir de crépon rose.
Fritz Darêne | |
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aant.Almanach Universitaire des Apaches pour du BonEnfin l'almanach vint... Et il étala aux vitrines des libraires d'outrancières couvertures, symboliquement ornées d'un Peau-Rouge (très rouge même) et d'un immense soleil jaune se levant en un ciel sanguinolent! Et la grande ombre de Kicking-Bear a tressailli d'allégresse. Car l'Almanach des Apaches pour du bon (puisqu'il faut le nommer par son nom) est destiné non seulement à révolutionner la société moderne (il a repris les pires sophismes de J.J. Rousseau et conseille le retour à l'état de nature: voir p. 12), mais encore à bousculer notre jeune littérature nationale (cf. op. cit. passim) et à rénover l'art crocodilien, que des causes diverses, sur lesquelles je n'insisterai point, avaient fait tomber en décadence depuis l'année 1856Ga naar voetnoot*. Cette fois-ci, les Apaches ont attiré les visages pâles dans un de ces guet-a-pens dont on parlera longtemps sous la tente, pendant les longues veillées d'hiver. Avec une ruse digne d'être appliquée à de meilleures besognes, les trois redoutables chefs (oh! combien trois!): le Parapluie-Méchant, le Chapeau-qui-grince et le Haricot-Turbulent, ont fait circuler un prospectus promettant des rigolades pures et de très étranges voluptés à celui qui lirait leurs oeuvres, le tout au prix modique de quarante sousGa naar voetnoot**. Les masses se sont précipitées sans défiance sur ce bouquin plus désastreux que le poison dont les Sioux et les Indiens de quelques autres paroisses adornent la pointe acérée de leur tomahawk. Et, poussées par une curiosité malsaine, les populations ont lu... Après avoir parcouru les premières pages, les visages-pâles, sentant le vent de l'aile du ramollissement frôler leur cervelas, voulurent rejeter loin d'eux L'Almanach des Apaches pour du bon... Trop tard! Ils ne pouvaient plus se décider à le quitter, et les larmes que le fou rire amenait à leurs cils les empêchaient de voir | |
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juste. Comme ces malheureux abandonnés à la triste passion de la morphine, ils étaient possédés!... Et ils lurent... Ils lurent la dédicace, et eurent la coupable complaisance de la trouver réussie. Ils lurent l'avant-dire, la notice, l'approbation, l'avertissement, que sais-je encore? Ils s'égayèrent au Calendrier apache et aux Ephémérides politiques. Ils jugèrent les vers bon enfant du Parapluie-Méchant dignes de Ch.-L. Juvenis. Et alors défilèrent devant leur esprit halluciné toutes les abracadabrantes inventions des trois sinistres zwanzeurs: l'Histoire du paysan qui jouait aux pigeons avec des fromages dans une petite cage d'osier!... des fables on ne peut plus apaches, des recettes utiles que nous signalons aux esprits curieux, des pensées ouvrant parfois des horizons tout nouveaux, telles que: ‘Les grands hommes meurent souvent ignorés; leur tombe se ferme seule et sans bruit comme les portes munies de l'appareil Morton. - Quand la pluie tombe au boulevard du Régent, le pavé en boit (Epse Theunissen). Quand les visages pâles furent arrivés au Coin des Grands-Hommes (où ils remarquèrent surtout l'Intrus de Martelinck et l'Inestimable trésor de Macule Tendès), leur hébétude grandit en raison directe de leur abrutissement. Les regrettables conséquences de ces lectures troublantes, vous les voyez d'ici, si vous n'êtes pas un idiot. Depuis les trisaïeules jusqu'aux moutards hauts comme ça, les générations bafouillèrent, flanchèrent de l'encéphale et se gagaïsèrent à l'envi, biribi, à la façon de Moncapi mon ami. Un monsieur de tempérament sanguin s'écroula subitement au coin de la rue de la Montagne et des Galeries St-Hubert... Détail navrant: on trouva sur lui l'Almanach des Apaches pour du bon. Enfin, des magistrats et des Anglais même devinrent tout à coup si exhilarants, qu'on les vit descendre le Cantersteen en chantant à tue-tête la Marseille apache: Mou raf mek noui pof tro fami lo }
-Trou car foul si kept crou crou lo } bis en choeur
Siaf bul vio nauk mos hnik pif! }
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Que ces déplorables exemples servent de leçon aux étudiants gosses que leur inexpérience de la vie peut faire tomber dans l'embûche de quelques Buffalos sans scrupules, et que surtout ils n'aillent pas acheter, au prix modique de 2 francsGa naar voetnoot* l'Almanach des Apaches pour du bon. | |
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23-7-33
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2e Sixain (3 h.)Dans la dune onduleuse où la flemme me couche,
Je vois des amoureux s'embrasser sur la bouche.
Moi seul je reste seul, avec mon air cucu,
Et le doute m'étreint: serais-je point cocu?...
Finissons: je suis prêt à me faire trappiste.
Dieu! que je me sens vieux, laid, sale, bête et triste!
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3e Sixain (24-7-33)Seigneur! que je m'ennuie en ce lieu de délice!
Tous ces seins rebondis et toutes ces peaux lisses
Inclinent ma pensée à d'autres-horizons.
Je pourrais comparer aux plus mornes prisons
L'infini sans amour où mon âme rouspète.
Dieu! que je me sens vieux, laid, triste, sale et bête!
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aant.Uit St. MoritzVerlost uit haar gevangenis,
Heeft mijn ziel hier haar ski's aangebonden.
Zij heeft er een blank paradijs gevonden
Van onbevlekte ontvangenis.
Je monte aux pics, arpente le trimard
Et pionce comme au pays de Cocagne:
Je suis l'homme de la montagne
Et du plumard.
Combien ce site enfin m'allège
Des fatigues dont je mourais!
Neiges au soleil, et forêts
De sapins verts, quel sortilège
Que ces deux tons dans l'air alpin!
Renaîtrai-je pas tout rupin,
L'âme blanche comme la neige,
Au reste vert comme un sapin?
Dans St. Moritz la blanche,
Quel soleil de dimanche!
Mon âme a mis des skis...
Il fait exquis!
Conception immaculée,
Azur et neige, paradis!
Faudrait une âme mal calée
Ou ne plus avoir un radis,
- Car enfin la vie est si brève! -
Pour ne pas prolonger ce rêve.
Que Gand m'appelle un salopard,
Je m'en paie encore une tranche,
Et veux retarder mon départ,
Pour rentrer au matin, dimanche,
Avec un coeur tout battant neuf,
A huit heures quarante-neuf.
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