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Le conseil des muses.
Las enfin d'entasser volume sur volume,
Et de se voir sans cesse abreuver d'amertume,
Un cortége nombreux d'infortunés auteurs,
Alla porter sa plainte au conseil des Neuf-Soeurs.
Clio, le front paré du laurier de la gloire,
Pensive, interrogeait les pages de l'Histoire;
Un sceptre d'une main, et de l'autre un poignard,
Melpomène lançant un terrible regard,
Superbe et déclamant nos chefs-d'oeuvre sublimes,
Du Sophocle français faisait tonner les rimes;
L'enjouée Érato lisait Anacréon:
Près d'elle, avec malice, écoutait Cupidon;
Calliope, embouchant la trompette héroïque,
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Chantait le bon Homère et son génie antique;
La joyeuse Thalie, un Molière à la main,
En riant aux éclats lisait monsieur Jourdain;
Euterpe, solitaire, assise au pied d'un hêtre,
Charmait l'écho des bois sur sa flûte champêtre:
Philomèle étonnée interrom pait ses chants,
Et semblait applaudir à des sons plus touchans;
Plus loin, d'un pas léger, la vive Terpsichore
Dansait aux doux accens de la harpe sonore;
Uranie, attentive, et d'un air sérieux,
Sur un globe mouvant étudiait les cieux,
Et Polymnie enfin, dans un brillant délire,
D'une éloquente voix célébrait l'art d'écrire.
Nos auteurs au conseil sont bientôt annoncés,
Et pour être entendus déjà se sont placés.
‘O filles d'Apollon! au nom de mes confrères,
Dit l'un, j'exposerai nos constantes misères.
Depuis long-temps, en vain nos talens, nos écrits
Veulent toucher les coeurs et charmer les esprits;
C'en est fait des Beaux-Arts dans ce siècle d'intrigue!
Il n'est point de succès sans cabale et sans brigue.
Hélas! tel d'entre nous crut avoir triomphé,
Et fut, par la cabale, en un jour étouffé.
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En vain nous enfantons merveilles sur merveilles;
Nous ne pouvons jouir du produit de nos veilles.
Muses! daignez changer notre sort malheureux:
Votre gloire en dépend: j'en jure par les Dieux!’
- ‘Je conçois vos chagrins, répondit Polymnie;
Mais pour monter au rang qu'on accorde au génie,
Quels sont ici vos droits? quels titres avez-vous?’
- ‘Quels titres? écoutez: nous les produirons tous.
J'ai fait pour la jeunesse un traité d'éloquence,
Et maints discours en chaire ont prouvé ma science.
D'ignorans détracteurs les ont jugés mauvais;
Ils ont osé dormir tandis que je parlais!’
- ‘Eh quoi! Typhon, c'est vous! superbe pédagogue,
Qui briguez le surnom de savant philologue,
Vous vous mêlez d'écrire! allez, mon cher Typhon,
Cédez à votre étoile et devenez maçon.
Apprenez ce métier; laissez la rhétorique,
Et dans l'art de bâtir mettez votre logique.’
A ce discours sans fard, le rhéteur un peu sot,
Interdit et honteux s'enfuit et ne dit mot.
Il fait place à Baldus, qui, versé dans l'Histoire,
Voulut de nos hauts faits retracer la mémoire:
‘O toi, qui fais parler l'auguste Vérité,
Toi qui, sur les autels de la postérité,
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Élèves la vertu, fais rougir le coupable,
Sur moi laisse tomber un regard favorable.’
- ‘Sur vous, lui dit Clio? Jusqu'à ce jour, Baldus,
Voschefs-d'oeuvre nombreux ne me sont pas connus.
On m'a dit que, peignant des héros fantastiques,
Vous aviez composé des romans historiques;
Je n'en lis point. l'Histoire est un livre sacré:
Malheur à l'écrivain qui l'a défiguré!
Non, non; n'espérez pas de monter au Parnasse:
Baldus auprès de nous ne prendra jamais place.’
Le tragique Cimmer s'avance lentement,
Adresse à Melpomène un pompeux compliment,
Arrange son maintien, compose son visage,
De ses drames obscurs déclame maint passage,
Et d'une voix sinistre et les cheveux épars,
Se plaint que, loin de lui détournant ses regards,
Au sort le plus funeste Apollon l'abandonne,
Et fait siffler partout ses vers et sa personne.
Melpomène, à ces mots, perdit sa gravité,
Pour la première fois montra de la gaîté,
Et d'un souris moqueur répondant au poète,
Poursuivit sa lecture en secouant la tête.
Cimmer fuit en courroux, et, d'un drame nouveau,
Roule le vaste plan dans son brûlant cerveau.
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D'un air riant, Cliton se présente à Thalie,
Et veut, bon gré, malgré, lire sa comédie:
‘Aujourd'hui, pour briller, il faut de grands efforts;
J'ai su faire jouer les plus heureux ressorts:
L'intrigue, l'intérêt, ce vrai pouvoir magique,
Et quelques calembourgs pour le côté comique,
Tout se trouve en ma pièce.’ - ‘Excepté le bonsens.
Je ne sais pas flatter, ni, d'un trompeur encens,
Follement enivrer un rimeur misérable
Qui, dans un autre état, peut se rendre estimable.
Auprès de vos badauds, charmés de votre esprit,
Recueillez votre gloire et restez en crédit.’
Milin parut alors: sur un ton spasmodique,
Il chantait les airs faux de sa maigre musique.
A ces sons discordans, les Neuf-Soeurs à la fois
Se mirent à bâiller..... Milin perdit la voix.
Gambillard le suivit. Gambillard, dans la France,
Selon lui, n'eut jamais son égal pour la danse.
Dansomane érudit, composant des ballets,
Dans Corneille et Racine il prit tous ses sujets,
Et possédant à fond l'art de la pantomime,
Rendit le qu'il mourût d'un coup de pied sublime.
Terpsichore assez mal accueillit le danseur,
L'accusa d'avilir Melpomène sa soeur,
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Et dans les noirs accès d'une étrange manie,
De vouloir, comme un fou, danser la tragédie.
Lysidès arriva: traducteur sans renom,
Qui mutila Catulle, Horace, Anacréon:
‘O divine Érato! du poète des Grâces,
Lysidès, pour vous plaire, ose suivre les traces.
Recevez cet ouvrage et soyez son appui.’
A ces mots, effrayé, Cupidon s'est enfui.
Érato condamna le traducteur stérile;
Lui dit qu'il eût été calculateur habile;
Mais que jamais ses vers, dans le sacré vallon,
N'obtiendraient un regard des filles d'Apollon.
Chapelain de nos jours, rimeur fécond sans verve,
Damis fit un poème en dépit de Minerve:
‘Oui, le voilà, dit-il, ce poème en vingt chants,
Ce livre infortuné, victime des méchans!
O Muse des héros! réparez l'injustice
Que me fit des mortels le perfide caprice.’
- ‘Allez, dit Calliope; allez, froid écrivain;
Rien ne saurait changer l'immuable destin:
Faites de petits vers, rimez quelque bleuette,
Et craignez désormais d'emboucher ma trompette.’
Nouveau Nostradamus dans l'étude des cieux,
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Clytophon avançait d'un pas silencieux,
Et pour mieux honorer la savante Uranie,
Apportait sa physique et son astronomie,
Ses systèmes, ses plans, ses tubes, ses compas.
La Muse l'observait et se moquait tout bas:
‘Croyez-moi, Clytophon, abjurez la folie
De prétendre des cieux expliquer l'harmonie.
A faire un almanach consacrez vos instans,
Et fixez, avec art, la pluie et le beau temps.’
Nos auteurs déploraient leur fatale aventure:
Le courroux était peint sur leur blême figure.
Ils s'éloignent enfin; et tous, par un serment,
Promettent de venger leur affront.... en rimant.
Telle est du peuple-auteur la triste maladie:
Chacun pense ici-bas être en butte à l'envie.
Le chemin du Parnasse est-il fermé pour eux?
Le public est injuste et jaloux à leurs yeux.
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