Les Bataves à la Nouvelle-Zemble, poème en deux chants, suivi de poésies diverses de Tollens, de Bilderdyk et du traducteur(1828)–Willem Bilderdijk, Aug. J.Th.A. Clavareau, Hendrik Tollens– Auteursrechtvrij Vorige Volgende [pagina 213] [p. 213] Caïn. Le soleil avait fui; la nuit couvrait la terre Et la lune aux humains refusait sa lumière: Des nuages roulaient dans les cieux obscurcis Caïn, sombre et pensif, dévoré de soucis, Oubliant de son Dieu la bonté protectrice, D'une main envieuse offrait son sacrifice. Tout-à-coup, de la nuit le silence est troublé, Et par un bruit affreux l'autel est ébranlé. Un tourbillon épais de fumée et de flamme Se répand sur Caïn et vient glacer son ame. Interdit, il recule, il chancèle, il veut fuir; Mais un pouvoir secret semble le retenir. L'autel tombe: au milieu de ses débris en cendre, Une terrible voix alors se fait entendre: [pagina 214] [p. 214] ‘Pourquoi donc trembles-tu? dissipe ton effroi. Je veux te pardonner. Caïn, corrige-toi. Toujours le repentir désarme ma colère; Mais malheur au mortel qui n'aime pas son frère!’ La voix se tut. Caïn, d'un pas précipité, De ce funeste lieu s'enfuit épouvanté. Le remords le poursuit et l'effroi l'environne; Mais écoutant sa rage, il s'arrête, il frissonne; Et, tournant ses regards, voit, de son frère Abel, Le pieux sacrifice élevé vers le ciel. ‘Le voilà donc, dit-il, celui que l'on préfère, Cet heureux favori de son Dieu tutélaire! Fuyez, fuyez, mes yeux, ce spectacle d'horreur. Les tourmens de l'enfer sont entrés dans mon coeur. Le voilà, ce flatteur qui, trompant mes tendresses, D'un père que j'aimai m'enlève les caresses! Épouse, père, enfans, par lui j'ai tout perdu. C'est trop souffrir; allons... Malheureux! que dis-tu? O terre, entr'ouvre-toi! dans tes profonds abîmes, Je veux ensevelir et ma honte et mes crimes. O Mort! viens terminer mes déplorables jours! Viens, ô Mort! je t'attends; toi seule es mon recours! Ah! mon père! mon père! en quel gouffre effroyable, Nous a précipités ta faute irréparable! [pagina 215] [p. 215] Je devrais t'approcher et m'offrir à tes yeux Avec ce désespoir et cet air furieux; Tu verrais quel malheur sur nous vient de descendre Et quel triste avenir ta race doit attendre! Ah! n'exécutons pas cet horrible dessein. Adam doit-il toujours partager mon chagrin? Soyons malheureux seul: du bonheur de mon frère, N'allons pas nous venger sur le repos d'un père. Hélas! il en mourrait! et d'un tourment nouveau, Mon coeur devrait porter le pénible fardeau. Depuis assez long-temps la vengeance céleste A fait peser sur moi le sort le plus funeste; L'Éternel m'a maudit; le doigt d'un Dieu vengeur A marqué sur mon front le sceau réprobateur. Je voudrais me cacher à toute la nature. Ah! j'ai bien mérité les tourmens que j'endure! Caïn ne peut souffrir qu'un autre soit heureux, Et tout dans l'univers lui paraît odieux.... Grand Dieu! de te fléchir laisse-moi l'espérance; Rends à mon coeur troublé sa première innocence, Ou bien, dans le néant d'où ta main l'a tiré, Replonge pour jamais Caïn désespéré. Que dis-je? l'Éternel m'a dicté ma sentence: Tu veux me pardonner, Dieubon, Dieu de clémence! [pagina 216] [p. 216] C'est toi qui m'as parlé; j'ai reconnu ta voix. De mes iniquités je sens l'énorme poids: Je suis bien malheureux, mais ta vengeance estjuste. J'entends, j'entends encor cette parole auguste: Caïn, corrige-toi; je te pardonnerai! Dieu, n'abandonne pas un mortel égaré; Mais si mon frère un jour doit être ma victime, Anéantis Caïn, frappe et préviens mon crime. Vorige Volgende