Bilderdijk et la France
(1929)–Johan Smit– Auteursrecht onbekend
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Conclusion‘Mon butin est vain mensonge’. Honneur à celui qui, après toute une vie de recherches passionnées faites pour arriver à quelque certitude scientifique, ose s'incliner avec ces mots devant le tribunal de la Vérité. L'orgueil des petites intelligences peut trouver beau d'arborer une gravité niaise, les grands ont le droit de sourire quand, pauvres fourmis qu'ils se savant, ils voient le grain de sable qu'avec des efforts tenaces ils ont apporté à la montagne de la science à venir. Leur sourire exprime un aveu: la science est une école de modestie. Ce sourire communique au regard le plus pénétrant une nuance de mélancolie, et aux lèvres les plus énergiques la joie profonde d'une résignation suprême. Il est l'adoration du penseur devant le Mystère magnifique de la vie. Il est une prière inexprimée. Chez quel peuple trouve-t-on ce sourire de la modestie plus que chez le peuple français. Un de ses charmes n'est-il pas qu'il ose se moquer de lui-même au risque de se voir méprisé de la stupidité vaniteuse? Sa science est si attrayante parce qu'elle est si humaine, étant si modeste, et par conséquent si vraie. La Hollande s'est toujours sentie irrésistiblement attirée vers sa grande soeur, la France, au foyer de laquelle il y a place pour toutes les bonnes volontés. C'est une tradition de notre peuple d'aller cueillir les fleurs de la culture dans ce jardin enchanteur où l'arbre de la science même se revêt des charmes de la beauté. En cela Bilderdijk est encore un traditionaliste. Son attitude | |
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hostile devant les formes de la culture qui, vers la fin du XVIIIe siècle, rivalisaient avec celles de la Hollande et de la France, ne s'explique que par le sentiment intime et impérieux que déroger à la tradition séculaire, ce serait faire dénaturer l'âme néerlandaise. Il va sans dire qu'avant tout il voulait voir sa chère nation indépendante: aussi l'a-t-il mise en garde contre la servilité d'une imitation qui aurait amené sa mort. Il a donc été un bon serviteur de son peuple et il mérite pleinement l'éloge d'un des grands hommes de la Hollande:Ga naar voetnoot1 ‘Personne plus que Bilderdijk n'a droit à l'honneur impérissable d'avoir été, dans chaque domaine presque, un avant-coureur, un héraut, un compagnon d'armes dans la lutte soutenue pour faire sortir la nation néerlandaise des ombres de la mort pour la conduire vers la lumière éclatante de la vie’. Une analyse est toujours injuste: elle réduit la mer à une formule et la vie à une statistique. Etudier un auteur, c'est le voir et le faire voir dans le cadre de son temps. On est étonné, en le faisant, du peu d'éléments nouveaux que les hommes célèbres ajoutent au viatique intellectuel que l'humanité porte avec elle dans son pèlerinage à travers les siècles. Bilderdijk ne fait pas exception. Beaucoup de ce qu'il a dit avait été trouvé avant lui. Les règles classiques avaient été attaquées avant lui; avant lui on avait indiqué le sentiment comme source unique de la poésie; il n'a pas été le premier romantique, ni le plus grand; d'autres que lui avaient combattu le culte déraisonnable de la raison humaine; l'entière dépendance dont il faisait le fondement du bonheur, n'était que la conséquence du culte de l'ordre universel; il n'a pas été le seul monarchiste, ni le seul théiste de son temps. Sur aucun terrain il n'a été absolument original. Qui l'a jamais été? Il s'agit seulement de savoir comment un esprit a réagi aux mille influences environnantes. A-t-il été un simple reflet de son temps, ou a-t-il brillé d'un feu intérieur qui fait d'une lueur faible une flamme éclatante? C'est là le problème.Ga naar voetnoot2 | |
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Considéré ainsi, Bilderdijk a été une personnalité extrêmement indépendante, une si violente réaction contre le siècle qui l'avait formé que ses contemporains le regardaient comme un être bizarre, génial peut-être, mais insensé. Il s'est senti à l'étroit dans la petite Hollande où le tonnerre de sa voix éveillait et éveille parfois encore des échos ridicules. Et pourtant il aimait sa patrie au point de vouloir la défendre, malgré elle, contre l'invasion de puissances spirituelles venant du dehors. Il a dû par conséquent se faire le contempteur d'une parenté intellectuelle à laquelle il devait une grande partie de sa culture. Mais malgré ses attaques véhémentes contre tout ce qui était contraire à ses convictions profondes, on voit que des liens intimes et indissolubles le rattachent au génie du grand peuple qui cependant a été pour quelque temps une menace continuelle pour l'indépendance nationale de la Hollande. Et s'il est vrai que ‘la race, l'individualité nationale cherche l'expression éminente de son caractère dans quelques hommes d'un talent supérieur’, et que Bilderdijk ait ‘puissamment incarné ce type national’, l'étude de son oeuvre et de sa vie ne peut que nous stimuler à puiser davantage à la source de culture si riche, si puissante et si profondément humaine de la France. |
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