Bilderdijk et la France
(1929)–Johan Smit– Auteursrecht onbekend
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Deux pendants: l'Angleterre et l'AllemagneO Hollande, Paradis de la terre. Si Bilderdijk ne nourrissait pas un amour exagéré pour la France, du moins il l'estimait comme la patrie de Calvin, de Pascal, de Malebranche, de Corneille, de Racine, de Voltaire. Par contre, sa haine de l'Angleterre et de l'Allemagne est presque sans mélange: il détestait cordialement l'Angleterre et exécrait du fond de son âme l'Allemagne. L'Angleterre, quoique de beaucoup préférable à l'Allemagne,Ga naar voetnoot2 était pour lui un pays de perdition, d'orgueil, d'égoïsme;Ga naar voetnoot3 la langue anglaise est écoeurante quand les Anglais ne savent pas le français.Ga naar voetnoot4 Mais c'est surtout l'art et la philosophie de l'Angleterre qui provoquent la colère de notre poète, parce qu'ils ont corrompu aussi la civilisation du continent.Ga naar voetnoot5 Locke est leur mauvais génie, Newton est inférieur à Descartes.Ga naar voetnoot6 Shakespeare, bon connaisseur du coeur humain, est plein de boursouflures, de bassesses, de caprices enfantins indignes de notre attention.Ga naar voetnoot7 Pope, dont Bilderdijk a traduit l'Essay on Man,Ga naar voetnoot8 est un méchant homme;Ga naar voetnoot9 Richardson le plus dangereux de tous les empoisonneurs.Ga naar voetnoot10 Il n'y a que Spenser et Milton qui soient loués sans réserve. Aussi des Français ont invité le poète depuis longtemps à écrire un ouvrage méthodique sur la | |
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poésie, le goût et la littérature d'Angleterre, et sur leur vraie valeur... Sa faiblesse croissante l'en a empêché; ‘si un jour je revivais, je me ferais un devoir de rendre ce service à toute l'humanité. Mais m'en sourait-elle gré? Non!Ga naar voetnoot1 Dans sa Geschiedenis des Vaderlands, le poète appelle l'Angleterre la terre maudite de Dieu et de l'humanité, le dragon marin de l'Apocalypse, comme la France est le dragon terrestre.Ga naar voetnoot2 En 1826 seulement, poussé peut-être par la politesse, le poète répond à un poème laudatif d'un Anglais par des compliments sur Albion.Ga naar voetnoot3 De plus, il commence à goûter Walter Scott et reconnaît le génie de Byron, malgré ‘je ne sais quoi de repoussant’.Ga naar voetnoot4 L'Angleterre n'était donc pas un pays idéal pour lui, mais elle avait l'avantage de n'exercer que peu d'influence sur la Hollande et sa langue. L'Allemagne au contraire, la voisine et proche parente, était un danger continuel. De là les critiques exaspérées que le poète lui prodiguait. ‘En Allemagne on était assez poli pour épargner mes oreilles, et ceux qui avaient de la culture, s'adressaient à moi en français ou en anglais’.Ga naar voetnoot5 Ainsi parla le poète quinze ans après qu'il eut quitté ce pays. Sa haine doit donc avoir eu des racines profondes. Et pourtant, dans sa jeunesse il admire l'Allemagne de Lessing, de Mendelssohn et de Klopstock.Ga naar voetnoot6 Mais ce sentiment change sous la menace de l'invasion allemande, que son ami Kinker, ami de la culture française, lui signala,Ga naar voetnoot7 s'il a fallu qu'on lui ouvrît les yeux.Ga naar voetnoot8 Dès que le poète est obligé de se réfugier en Allemagne, il adopte envers ce pays et sa culture l'attitude hautaine qui a inspiré à un Français du XVIIe siècle la phrase: ‘Un Allemand peut-il avoir de l'esprit?’Ga naar voetnoot9 Et, différant en cela de nombreux réfugiés français,Ga naar voetnoot10 il ne change pas d'attitude en faisant la connaissance du pays. Au contraire. Il avertit sa fille de ‘se méfier de tout ce qui a été écrit dans cette dernière trentaine d'années | |
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et surtout des ouvrages qui viennent d'Allemagne. Car c'est dans ce pays-ci que s'est établie depuis ce temps-là la conjuration infernale contre la parole de Dieu, et c'est de ce centre qu'elle s'est répandue par toute l'Europe’.Ga naar voetnoot1 Il ne cesse de lancer contre elle toutes les invectives que sa verve mordante peut inventer,Ga naar voetnoot2 et qui amuseraient si elles ne témoignaient pas d'un aveugle parti-pris, d'une stupéfiante prévention contre les plus grands génies de son temps qu'il condamnait pêlemêle avec les horribles fabricants de drames ou de poèmes à la mode: Schiller avec Von Haller, KlopstockGa naar voetnoot3 avec Gessner, WielandGa naar voetnoot4 avec Kotzebue;Ga naar voetnoot5 Goethe, KantGa naar voetnoot6 et FichteGa naar voetnoot7 y ont même passé; tous les poètes, Bilderdijk les écarte par la fameuse phrase: ‘la poésie allemande ne devrait plus être mentionnée parmi les hommes de goût et d'esprit’.Ga naar voetnoot8 Le poète hollandais ne fait exception que pour Lessing,Ga naar voetnoot9 et bien entendu, pour Gottsched, partisan du classicisme français, et pour ‘le grand Hagedorn’.Ga naar voetnoot10 Bien que, sur le compte de Goethe, le poète soit un peu revenu de ses jugements sévères,Ga naar voetnoot11 il n'a cessé de signaler le danger venant d'Allemagne, ‘l'école de nos imbéciles’,Ga naar voetnoot12 pour la culture hollandaise, de sorte que les Allemands qui viennent trouver le poète, débutent par la phrase: ‘Obgleich man weisz das Sie die Deutschen nicht lieben...’Ga naar voetnoot13 Et alors le poète est assez poli pour ne pas dire du mal de l'Allemagne.Ga naar voetnoot14 Il est sûr que pendant le règne de Louis-Napoléon, et surtout vers 1808, la haine du poète a été le plus forte. Elle s'exprime dans la lettre suivante écrite en français, dont voici un fragment: ‘.....ces Allemands dont elle [la Hollande] ne fait | |
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qu'adopter le faux goût, les moeurs basses et révoltantes, l'irréligion, et jusqu'à la langue barbare, avec toute l'ignorance et l'arrogance qui de tout temps a caractérisé ces Messieurs, dont la cupidité a servi de risée à tous les peuples du monde, alors qu'assurément ils étaient bien moins ridicules et bien moins bêtes qu'ils ne le sont dans ces temps, et depuis qu'ils se sont avisés de s'ériger en docteurs d'abord d'esthétique, et puis de philosophie, deux branches qui leur doivent également d'être devenues le véhicle (sic!) du fanatisme immoral et impie qui désole l'humanité...’Ga naar voetnoot1 Si Bilderdijk a été caricaturiste en parlant ainsi de l'Allemagne, comme on l'a prétendu,Ga naar voetnoot2 cette caricature doit avoir été pour lui une hantise, puisqu'elle n'a jamais fait place à un autre portrait d'après nature. |
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