Bilderdijk et la France
(1929)–Johan Smit– Auteursrecht onbekend
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Imitations françaisesPeu nombreuses sont les poésies de notre poète qu'on a imitées en français. Comme il est presque impossible de traduire le Victor Hugo des Châtiments, c'est une tâche ingrate de traduire Bilderdijk, parce que sa langue extrêmement originale et nuancée, qui est même souvent difficile et fatigante pour un Hollandais, perdrait aux à-peu-près de la traduction. Le poète le savait lui-même: ‘Il y a ici [à la cour du roi Louis] un poète français qui se tue à rimerGa naar voetnoot1 quelques-unes de mes poésies ... Le français ne peut pas rendre nos expressions hardies’.Ga naar voetnoot2 En outre, comme pour le genre dramatique, notre poète n'est guère intéressant, - aussi n'a-t-il jamais été populaire en Hollande -, on concevrait une fausse idée de son génie poétique. On ne rend pas la Ronde de nuit de Rembrandt par une eau-forte, si réussie soit-elle, parce qu'il manquerait la vie, la couleur, ce rayonnement mystérieux qui est comme une révélation splendide d'un univers de rêve. Pourtant il y a des tentatives de traduction plus ou moins heureuses. Mentionnons d'abord l'imitation du grand poème De Ziekte der Geleerden [La maladie des savants], et dont une partie seulement subsiste.Ga naar voetnoot3 L'auteur est inconnu; Bilderdijk même n'a pas su son nom, quoiqu'il ait connu le fragment dont il s'agit ici. Il n'en était pas peu fier. Il écrit à sa femme le 28 mai 1809: ‘The French translation of my Sickness of men | |
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of Study is here printed at Mr. Brill's, for Murray. Neither of them knows the name of the Author’.Ga naar voetnoot1 Le 20 juillet 1809 il écrit à Mirbel: ‘Je ne sais pas si vous savez qu'on traduit à Paris mon Poème sur la maladie des Savants. Je n'en connais pas l'auteur, mais M. Schimmelpenninck, l'ancien grand-pensionnaire de la feue république batave en avait reçu le Mns. et m'a communiqué le premier chant’.Ga naar voetnoot2 L'avis préliminaire de l'imitation porte cette déclaration: ‘Révolté des injustes dédains que les étrangers prodiguent à notre Littérature, qu'ils ne connaissent pas, autant qu'ambitieux de s'exercer sur un original dont aucune langue n'offre de modèle, l'auteur a cru rendre service à sa patrie en mettant en vers français le poème de M. Bilderdijk, intitulé Les maladies des gens de lettres’. Il n'a pas conçu la folle idée de traduire littéralement des vers tous frappés au coin du génie, surtout en maniant une langue moins riche et moins souple que le hollandais. M. Bilderdijk auroit mérité d'être traduit par Racine’. L'auteur inconnu est donc un Hollandais ou un Flamand. Voici deux fragments de ce premier chant:
De ma muse aujourd'hui qui suivra les travaux?
Des Enfants d'AppollonGa naar voetnoot3 je chanterai les maux.
Je dirai quel poison, ennemi du génie,
Des facultés du corps dérange l'harmonie,
Ronge l'esprit avide et trouble l'oeil actif,
Détend le fil des nerfs et rend le sang tardif,
Souffle un feu sans relâche et des tourments sans nombre,
Fait dégoûter du jour et tressaillir d'une ombre;
Désenchante le monde, éteint jusqu'aux désirs,
Et du poids des ennuis accable nos plaisirs.Ga naar voetnoot4
Tel est notre destin! La volupté nous rit,
Sa douceur nous émeut, sa voix nous attendrit;
Tout est charme. - Le coeur avec impatience
Sur l'aile du désir vole à la jouissance.
Il jouit...un instant et le plaisir n'est plus.
Ces éclairs sont passés aussitôt qu'aperçus.
Cette voix caressante est la voix du mensonge.
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Le souffle du plaisir est un poison qui ronge,
Et qui, paralisant nos sens désenchantés
Nous fait puiser la mort au sein des voluptés.
Mais par quel sage ami nous seront donc prescrites
Et du bien et du mal les trompeuses limites?
C'est par ce tact subtil, cet argus précieux.
Oui, Mortels, la Douleur est un bienfait des Dieux.Ga naar voetnoot1
Ceci est du mauvais Delille. Il est vrai qu'on ne lit plus ce poème hollandais pour son plaisir; cela ne dit rien. Mais le traducteur a enlevé toute âme à l'original, témoin les deux expressions relevées en note. Bilderdijk lui-même était ravi: la poésie hollandaise allait briller enfin hors des limites étroites de la patrie! ‘Les éloges, écrit-il en français, que le poète français me prodigue, ne m'aveuglent pas. J'ai lu et relu son travail; et s'il s'est écarté quelquefois de mes idées, il m'a embelli... En lisant le poème français je voudrais l'avoir traduit.... Ma plus grande gloire sera toujours d'avoir pu inspirer un tel intérêt à un poète aussi distingué’.Ga naar voetnoot2 - La politesse de notre poète aura surpris un peu sa sincérité! Parmi les autres imitations françaises il y en a quelquesunes qui sont vraiment réussies. La plupart ont été faites par des Belges en vue de ‘faire disparaître le préjugé qui existe en Belgique contre la littérature hollandaise’.Ga naar voetnoot3 Bilderdijk n'ayant pas été populaire en Hollande, comment pourrait-on le faire aimer ailleurs? On a rendu en français le plus souvent des pièces de peu d'importance littéraire, des poésies légères, pour amorcer le public. Ce n'est pas rendre service à l'homme dont le génie fut plutôt un océan qu'un joli jet d'eau. On trouve des imitations dans: A. Clavareau, Etudes poétiques. Gand. 1824 (deux pièces);Ga naar voetnoot4 Les Bataves. Bruxelles. 1828 (neuf pièces); Impressions de l'âme. Utrecht. 1841 (1 pièce);Ga naar voetnoot5 J.L.A. de Jagher, Imitations. Utrecht. 1846 (2 pièces); Etudes nationales. La Haye. 1850 (2 pièces).Ga naar voetnoot6 F.C. Roud. Petits Etrennes morales. Rotterdam. 1837 (2 pièces).Ga naar voetnoot7 C. Froment. Ma vie. | |
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Astréa, 1855, p. 413.Ga naar voetnoot1 Ch. Simond (Poèmes néerlandais de Bilderdijk. Nouvelle bibliothèque populaire, no. 205. 1890), a traduit en prose plusieurs poésies et fragments.Ga naar voetnoot2 Achille Millien, Poètes néerlandais hollandais et flamands, 1904, a 2 pièces.Ga naar voetnoot3 Il y a des imitations plus nombreuses en allemand. Mais ce qu'on peut dire de la littérature hollandaise en général, savoir qu'elle n'est pas un produit d'exportation, est vrai surtout pour l'oeuvre de Bilderdijk. Là encore, il est resté, comme dans sa vie, un solitaire. |
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