Bilderdijk et la France
(1929)–Johan Smit– Auteursrecht onbekend
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Bilderdijk et la langue françaiseWie kann man einer Sprache feind sein, der man den gröszten Teil seiner Bildung schuldig ist. On s'est plu à représenter Bilderdijk comme un ennemi acharné de la langue française,Ga naar voetnoot2 et il serait facile d'étayer cette assertion gratuite de quelques boutades véhémentes du poète. Mais on prouverait en même temps qu'on a lu superficiellement. C'est qu'il devait une très grande partie de sa culture à la langue française qui a occupé dans sa vie une place considérable. Sa bibliothèque, vendue en 1797, et comptant au moins 6000 volumes, ne contenait pas mois de 26 p.c. de livres français. Il est vrai que ce nombre se réduit à 12 p.c. dans la bibliothèque vendue en 1832, mais c'est toujours plus que la part des autres langues modernes.Ga naar voetnoot3 Cela explique que | |||||||||||||||||||||||||||
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Bilderdijk ait persemé ses ouvrages de citations ou d'annotations empruntées au français ou qui y renvoyaient. Le français était du reste la seule langue étrangère qu'il parlait et dont il s'est servi pendant son exil de onze ans dans son commerce avec les gens du monde et ses élèves. Il connaissait beaucoup d'autres langues, mais ne les parlait pas. Quant à l'allemand - il a été pendant neuf ans en Allemagne -, il avait une aversion invincible à le parler. En outre il était très au courant de la littérature française depuis le moyen-âge jusqu'à ses jours, et il a consacré à la langue française des études intéressantes. Si le poète lance, dans les dix dernières années de sa vie, l'anathème à l'adresse de la langue qui l'a occupé pendant soixante ans, il doit y avoir un autre motif que la haine de la langue. Sinon, comment expliquer que la première femme du poète lui écrit, après un an de séparation (elle était restée en Hollande): ‘J'ai utilisé autant que possible le temps de notre séparation pour suppléer aux défauts de mon éducation; j'ai fait des lectures, je me suis exercée au chant, je sais assez bien l'anglais, et si je continue cette année ainsi, j'aurai, à votre étonnement, fait des progrès en français’.Ga naar voetnoot1 Quels reproches n'évoque pas cette phrase? - Et comment expliquer que le poète recommande l'étude du français à sa fille et se plaint qu'elle soit si lente à apprendre cette langue?Ga naar voetnoot2 Et pourquoi lui écrirait-il des lettres françaises, si ce n'est pour la stimuler à en faire de même? Il n'a pas | |||||||||||||||||||||||||||
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même craint de la faire confirmer dans l'Eglise réformée française quand elle était en Allemagne.Ga naar voetnoot1 Les boutades sur le français s'expliquent d'abord par le fait que notre poète est extrêmement difficile en matière de langue. On chercherait vainement dans toute son oeuvre un seul mot bienveillant pour l'allemand,Ga naar voetnoot2 si ce n'est pour l'ancien allemand; pour l'anglais de même, bien que le poète fasse la concession: ‘quand l'Anglais sait parler français, sa prononciation devient tout autre [qu'écoeurante et lâche], et alors on peut dire qu'il parle’.Ga naar voetnoot3 Il n'y a que le grec, l'italienGa naar voetnoot4 et l'espagnolGa naar voetnoot5 que l'auteur loue sans réserve, c'est-à-dire, les langues qu'il n'a jamais entendu parler. Car le hollandais même devient détestable partout où il l'entend parler.Ga naar voetnoot6 C'est que le poète, vivant dans son royaume intérieur, n'a entendu que des voix de rêve, la voix de sa muse parlant une langue idéale qui se voile dès qu'elle passe par une bouche. La langue est un don divin,Ga naar voetnoot7 qu'il faut conserver pur et transmettre intact aux générations à venir. C'est pourquoi Bilderdijk l'entourait d'un sollicitude jalouse, et qu'une langue qui change s'abâtardit à ses yeux.Ga naar voetnoot8 Il n'a pas pu comprendre, malgré ce qu'il en dit, que vivre, c'est changer, même quand il s'agit d'une langue. La langue n'est donc pas une chose artificielle. ‘Un des artifices les plus abominables de l'ennemi [moral] est que la | |||||||||||||||||||||||||||
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langue soit là par convention’.Ga naar voetnoot1 Non, elle est née des besoins de l'âme, en elle se mire l'âme de la nation. ‘La langue est la véritable pulsation des nations, à laquelle on peut reconnaître leur santé ou leur souffrance intellectuelles’.Ga naar voetnoot2 Pour connaître un peuple, il faut donc avant tout connaître sa langue. Mais au fond, pour éviter la contagion d'une nation pervertie, il faudrait ne pas faire connaître sa langue à la jeunesse surtout. Le point capital pour notre poète est le fait que sa chère langue néerlandaise est menacée par deux intruses: la langue allemande et la française. La langue est le bien précieux entre tous d'une nation; quand la langue périt, c'en est fait de la nation. Tous les peuples ont compris cela: la lutte pour la langue, c'est la lutte pour l'indépendance nationale. Aussi n'est-il pas étonnant qu'un poète qui, de par sa vocation, sent cela plus directement, avec une acuité douloureuse, ne cesse d'élever sa grande voix orageuse pour chasser les intruses qui menacent d'encanailler la noble langue maternelle! Le poète exagère-t-il quand il affirme en 1779 qu'un Français avait parcouru toute notre république sans savoir un seul mot de hollandais, mais qu'il se trouva dans la nécessité d'apprendre l'allemand et l'anglais pour pouvoir visiter l'Allemagne et | |||||||||||||||||||||||||||
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l'Angleterre?Ga naar voetnoot1 Ainsi le français serait devenu une espèce de langue auxiliaire pour la Hollande. Dans 200 ans, dit un auteur en 1787, la langue hollandaise sera devenue méconnaissable par suite de l'invasion d'expressions françaises et allemandes.Ga naar voetnoot2 Aux jeunes filles hollandaises Bilderdijk dit en plaisantant: ‘Le français est votre langue ordinaire, et vous écrivez le hollandais au moins aussi bien que si vous aviez été élevées à Paris’.Ga naar voetnoot3 La langue française constitue donc un danger continuel. Ce que Bilderdijk dit sur elle n'étonnera plus après ce qui précède. Il prétend qu'au fond, c'est l'Académie de Richelieu qui a gâté la langue française en la fixant, car une langue est une chose vivante.Ga naar voetnoot4 ‘Le français du siècle classique a été corrompu par les philosophes qui l'ont rendu inaccessible à la poésie et à la vraie éloquence’.Ga naar voetnoot5 L'Académie a achevé l'oeuvre de destruction par le changement de l'orthographe.Ga naar voetnoot6 Pourtant, pour autant que l'impureté de ses voyelles le permette, elle est encore une des langues les plus douces qui existent.Ga naar voetnoot7 Quand, après 1813, avec l'usurpateur français sa langue n'a pas disparu, Bilderdijk commence à l'accabler d'ironies et d'invectives. ‘La langue des bêtes était alors aussi généralement connue qu'à présent le français’, déclare le poète dans une fable très amusante,Ga naar voetnoot8 pour rendre plausible que les bêtes parlaient. Le français est ‘clinquant de mendiant’, et ‘vain verbiage’.Ga naar voetnoot9 Après 1820, peut-être sous l'influence de l'opposition de la population wallonne contre l'établissement en Belgique du hollandais comme seconde langue officielle,Ga naar voetnoot10 peutêtre aussi parce que J. Kinker, ancien ami du poète, ami de | |||||||||||||||||||||||||||
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la langue française, avait prétendu, en 1822, dans un essai couronné, que le son hollandais n avait, comme le n français, un caractère nasal,Ga naar voetnoot1 on constate un crescendo de haine injuste et de puissante éloquence: ‘Arrière! vous! ô langage de sons bâtards, dans lesquels glapissent l'hyène et le méchant chacal; vous qui reniez votre origine et votre race...votre bégaiement n'ose pas, dans votre hurlement nasal, se prononcer; détestable français, digne du diable seul, vous qui, avec vos grimaces de singe, vous rendez maître de la terre’.Ga naar voetnoot2 L'auteur a écrit cela en 1822: dans la même année, Victor Hugo publie les Odes et Ballades, avec cette ode admirable Jéhovah, hymne immortel à Celui que Bilderdijk pensait devoir défendre contre ses ennemis. Et les Méditations poétiques de Lamartine charmaient toutes les oreilles de leur douce musique depuis deux ans déjà: Bilderdijk les a goûtées dès 1820.Ga naar voetnoot3 Etait-il jaloux de l'enthousiasme que la nouvelle poésie française excitait parmi les jeunes autour de lui? Peut-être. Mais le fait que le français ‘se rend maître de la terre’, aura surtout provoqué cet éclat de haine. Pourtant, l'année suivante, le poète baisse de ton: ‘le Gaulois mêle la force de l'espagnol à la tendresse italienne, l'Allemand au grognement de sa gorge enrouée!’Ga naar voetnoot4 Cette appréciation finale paraît bien avoir été l'opinion définitive du poète hollandais, qui, du reste, ne se privait pas de citer à tout moment des auteurs français, de traduire un recueil de sermons français,Ga naar voetnoot5 d'imiter un poème de Lamartine,Ga naar voetnoot6 et d'opposer une poésie française de Vigée sur la critique, qui doit être obligeante et délicate, aux procédés grossiers de la critique allemande et à la nullité déconcertante de la critique hollandaise.Ga naar voetnoot7 | |||||||||||||||||||||||||||
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Ce ne sont pas les littérateurs hollandais, c'est la langue hollandaise parlée par le peupleGa naar voetnoot1 et connue par le poète, qui est digne de l'estime du monde entier. ‘Notre superbe langue maternelle qui dans le genre poétique nous donne la supériorité sur toutes les langues modernes’,Ga naar voetnoot2 serait encore plus parfaite si des règles latines, françaises et allemandes ne pesaient pas sur elle, si la prononciation hollandaise n'avait pas été gâtée par l'étude des langues étrangèresGa naar voetnoot3 et par les Réfugiés huguenots,Ga naar voetnoot4 et si la coupe française des vêtements ne rétrécissait pas les épaules et la poitrine.Ga naar voetnoot5 Quoique la langue hollandaise soit anti-musicale, elle est mélodieuse,Ga naar voetnoot6 et renferme surtout une sagesse profonde et une psychologie pénétrante. Il ne faut donc pas la méconnaître au profit de l'impie français.Ga naar voetnoot7 Car, riche étymologiquement à tel point qu'elle est indispensable à l'étude des autres langues et qu'elle est à la base du français aussi - abstraction faite des radicaux latins, italiens et celtes!Ga naar voetnoot8 -, elle est la langue par excellence, qui, n'était la pédanterie de la confrérie des cuistres, rendrait à la terre son aurore!Ga naar voetnoot9 Malheur donc à celui qui y touche; malheur à la langue qui menacerait de l'obscurcir. Bilderdijk serait là pour la traiter en ennemie mortelle, quand même il lui devrait une grande partie de sa culture!
Outre la langue française en général, c'est aussi son étymologie et sa versification qui éveillent l'intérêt - d'une sentinelle perdue parfois - du poète hollandais. Ayant beaucoup étudié les langues occidentales et orientales, doué d'une divination linguistique extraordinaire, Bilderdijk tâche de deviner, plutôt que de rechercher, les familles de mots et la base commune de | |||||||||||||||||||||||||||
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toutes les langues indo-européennes.Ga naar voetnoot1 Son caractère fougueux n'avait pas la patience méthodique qu'il faut pour dévoiler délicatement les affinités obscures qui relient les langues. Il le savait lui-même, et mettait en garde contre ses notes étymologiques, qui ‘ne sont que des suppositions, par conséquent souvent erronées’.Ga naar voetnoot2 Au lieu de chercher à comprendre les lois phonétiques, il se fâchait de voir un mot changer: c'était déroger à ses yeux, et peut-être cela contrariait instinctivement son humeur conservatrice qui n'admettait pas d'évolution. Il n'est donc pas étonnant que le linguiste français Pougens, avec tout le respect qu'il avait devant le génie de notre savant poète, lui recommandât de la prudence!Ga naar voetnoot3 Mais Bilderdijk savait désarmer la critique: ‘Il ne faut pas disputer sur les étymologies, puisque la science en est encore à former,Ga naar voetnoot4 écrit-il au philologue allemand J. Grimm, révélant ainsi sa perspicacité scientifique. Il y a donc beaucoup de justesse et un peu d'erreur dans les étymologies de Bilderdijk. C'est ainsi qu'il explique (dans une lettre: il semait ses notes linguistiques partout) le mot lendemain comme l'endemain,Ga naar voetnoot5 mais il fait dériver le français oui du hollandais wel, et mais du latin magis et du hollandais maar;Ga naar voetnoot6 il se fâche que le hollandais bassa ait dû faire place au français pacha, Sina à China (du français Chine);Ga naar voetnoot7 il raconte l'origine de goede cier maken et de faire bonne chère, où chère signifie visage (du grec kara),Ga naar voetnoot8 et voit la parenté de roc > roche > rots, de brek > brêche > bresse,Ga naar voetnoot9 de pluk > pluche > pluis,Ga naar voetnoot10 analyse correctement désormais et dorénavant;Ga naar voetnoot11 mais fait dériver jalouzie non de jalousie mais de yellow, de sorte que jalouzie est jaunisse (geelzucht) = envie (nijd).Ga naar voetnoot12 Parlant du | |||||||||||||||||||||||||||
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mot naïf, devenu un terme d'art, il dit que ce mot signifiait autrefois naturel, par exemple dans: la rose avait perdu sa naïve fraîcheur, mais qu'on ne parle pas de naïve férocité comme dans l'ancienne langue. A propos de ce mot il trouve nécessaire d'insinuer ‘que chez les Français, où les idées sont toujours flottantes et où par conséquent les mots ne sont jamais employés dans un sens absolument fixe, le mot naïf s'emploie chaque jour tout autrement, à ce point qu'il passe tantôt pour simplement naturel, tantôt pour ce qui est simple, tantôt pour piquant. C'est ainsi qu'ils font de tous les mots, surtout des termes d'art quand ils commencent à avoir la vogue; et c'est cette confusion à l'égard de toutes sortes de sciences qui donne sans cesse lieu à des méprises considérables et à des milliers de sophismes avec lesquels ils obscurcissent toutes les vérités, renversent toute morale, par quoi leur langue est devenue le véhicule de toutes les sottises et de toutes les erreurs’.Ga naar voetnoot1 - Ceci est un bien frappant exemple de l'esprit d'ergoterie et de fausse généralisation de notre linguiste. Une langue dont les mots n'auraient pas de nuances passerait vite à l'état fossile. Mais ce jugement venimeux est publié en 1821, dans la période où la partialité du poète fait commettre d'autres bévues pareilles au savant,Ga naar voetnoot2 qui avait le tort de vouloir faire de l'étymologie à la lueur de foudres prophétiques. Et pourtant, ses conférences sur la langue, tenues surtout de 1810 à 1813, ont dû être un stimulant pour des recherches ultérieures, témoin le fragment suivant. Après avoir expliqué que le vieux-français vair vient de varius = changeant, prenant peu à peu le sens de bleu clair et qu'on rencontre sous la forme de [yeux] vers ou verts, il dit: ‘On trouve ces formes dans les Contes dévots édités par Le Grand [d'Aussy].... Et c'est ainsi qu'on trouve dans le très vieux poème Le voeu du Héron:
A ches gorgues polies, ches colieres tirant
Chil oeil vair, splendissant, de beauté souriant,
Nature nous semont d'avoir coeur désirant.
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Bij zulk een gladde hals, een boezem zoo aantreklijk,
Zoo'n blauwend oog vol glans, waaruit de schoonheid lacht,
Vermaant en drijft natuur, dat daar het hart naar tracht.
‘La Ravallière pensait que cela signifiait yeux verts, et c'est ainsi que Van der Bourg le comprend aussi dans ses annotations sur Clotilde,Ga naar voetnoot1 qui vraiment aurait mérité un meilleur commentateur. - Le Roman de Perceforest parle également de la vue exquise, aux tournois, des clairs visages, des yeux vairs et rians, et des doux regards attrayans des pucelles qui y étaient spectatrices et en spectacle! - On trouve aussi en quelques endroits yeux pers, comme par exemple on en attribue à la belle Yseult aux blanches mains, dans Tristan de Léonnais; mais cela est dû à une fausse prononciation du v, qui, alternant avec f, passait à p dans certaines contrées.Ga naar voetnoot2 En passant je fais remarquer que chez les Francs c'était la couleur nationale des yeux, comme celle des cheveux était blonde. Plus jaune que fin or disent partout les Romans du vieux temps. La couleur noire des cheveux et des yeux est due à la fusion avec les Italiens, les Espagnols et les Maures; de ces derniers viennent aussi les petits nez retroussés qu'ils se plaisent à trouver beaux ...’Ga naar voetnoot3 On voit que cela ne manque pas d'intérêt, et surtout, cela stimule les recherches personnelles. Il faut voir avec quelle joie notre savant, qui veut toujours comprendre ce qu'il apprend, découvre, par la comparaison avec de vieilles formes hollandaises, la construction des mots comme Bois-le-Duc, sauce-Robert, etc; il recommande à ce sujet spécialement la lecture de Joinville. ‘Celui qui veut comprendre notre vieille langue, ne peut trop assidûment lire ce travail de Joinville et d'autres vieux écrits français pour l'influence qu'ils ont eue surnotre langue’.Ga naar voetnoot4 Au reste, la plupart des observations sur le français doivent servir à démontrer la supériorité de la langue hollandaise qui est | |||||||||||||||||||||||||||
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plus souple dans ses constructions. Quand le français accumule les génitifs dans: l'effet de l'art du poète ou de l'orateur,Ga naar voetnoot1 cette langue est ‘pauvre, uniforme et dans son allure toujours lâchement rampante...’ En effet, le hollandais a plus de ressources stylistiques ici; on dit ‘het uitwerksel van de kunst des dichters of des redenaars; of het uitwerksel van des dichters of redenaars kunst’.Ga naar voetnoot2 Suit la plainte ‘que le néerlandais disparaisse de plus en plus du coeur, de l'intelligence et du sentiment’ des Hollandais.Ga naar voetnoot3 De même, Les Epoux réunisGa naar voetnoot4 peut donner lieu à une confusion; le hollandais est ici plus riche: ‘de echtgenooten hereenigd’ of ‘de hereenigde echtgenooten’.Ga naar voetnoot5 Il vante la construction hollandaise: ‘ik doe dat morgen’ [je fais cela demain], au détriment du français: ‘je ferai cela demain’, avec le futur, et pourquoi? Parce que le strict présent ne peut ni être conçu ni exprimé. ‘Les Français disent donc faussement “Je reviendrai demain, lorsqu'il fera beau”, parce que ce qui sera n'est pas, et qu'ici l'action de revenir est liée à ce qui est et non à ce qui sera’.Ga naar voetnoot6 Raisonnement bien spécieux qui prescrirait le présent partout ou le supprimerait tout simplement. Puis, la seconde phrase serait plutôt: ‘Je reviendrai demain s'il fait beau’, si le raisonnement de notre philologue avait quelque semblant de justesse. Probablement le hollandais est ici moins exact que le français, afin d'éviter l'emploi du verbe ‘zullen’, auxiliaire de temps et de mode à la fois, qui allonge souvent la phrase sans l'éclaircir. Pourtant, malgré ces boutades sur le français ‘qui n'est pas une langue, mais un mélange bizarre de germanique, de latin corrompu et d'italien’, Bilderdijk reconnaît ‘l'influence civilisatrice de la langue française de la cour sur le néerlandais. influence dont l'allemand est resté privé’, de sorte que notre langue [néerlandaise] court même risque, sous l'influence grandissante de l'allemand, de mériter qu'on lui applique le mot de Voltaire: ‘M. l'Allemand, je vous souhaite un peu plus de goût et un peu moins de consonnes’.Ga naar voetnoot7 | |||||||||||||||||||||||||||
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Dans un essai de grande envergure,Ga naar voetnoot1 où l'auteur étudie la versification depuis les Grecs jusqu'à ses jours, il constate qu'après l'invasion des Barbares en Italie, la Hollande forme avec la France un seul territoire, la France étant le trait d'union entre la Hollande et l'Italie. Ainsi notre versification allait de pair avec la versification française pendant des siècles après Charlemagne.Ga naar voetnoot2 Maerlant, l'auteur néerlandais, imita les Français. Ne comprenant pas en quoi consistait l'harmonie du vers, on se mit à compter les syllabes. ‘On s'y borna jusqu'au siècle de Clément Marot que les Français honorent à bon droit comme le père de leur versification, ou plutôt (car depuis longtemps ils ont passablement oublié leur propre histoire littéraire) qu'ils avaient coutume de regarder comme tel; et l'on sait que ce siècle a été aussi celui de Ronsard et de François Ier, et également du célèbre Bartas’.Ga naar voetnoot3 ‘L'art de faire de beaux vers réguliers avec la césure appelée la coupe féminine, Marot l'avait appris d'un Néerlandais, Jean le Maire, dit de Belges, dont Marot témoigne lui-même: Qu'il l'âme avoit d'Homère le Grégeois’.Ga naar voetnoot4 La règle qui a régi longtemps la poésie française: le repos obligatoire après la quatrième syllabe dans les vers de dix syllabes, et après la sixième dans l'alexandrin, date de Jean le Maire, donc d'un Néerlandais. On comprend avec quelle satisfaction le poète constate ce fait qu'il n'a trouvé attesté nulle part dans la littérature française après Du Bellay. La Harpe, son contemporain, qui reconnaît le grand talent de Marot, ne mentionne pas même Jean le Maire dans son Lycée. De récentes études ont reconnu que | |||||||||||||||||||||||||||
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le Néerlandais, ‘le père [poétique] de Ronsard’,Ga naar voetnoot1 est bien, au point de vue de la forme, ‘l'un des révolutionnaires les plus radicaux qu'ait connus la littérature française’,Ga naar voetnoot2 et qu'il a été ‘le restaurateur de l'alexandrin’.Ga naar voetnoot3 Bilderdijk se trouve donc avoir été un observateur perspicace en cette matière.Ga naar voetnoot4 Il concède pourtant que des poètes provençaux avaient déjà appliqué la même règle et la tenaient de l'italien.Ga naar voetnoot5 Eh bien, dit-il, les Français ne sont jamais allés plus loin;Ga naar voetnoot6 et même il est arrivé que leurs meilleurs poètes comme Corneille, ont péché contre cette structure logique des vers. Bilderdijk allègue entre autres le vers:
Arrête une main prête à lui percer le coeur,Ga naar voetnoot7
où le mot ‘prête’ est trop lié au second hémistiche pour permettre la suspension. Il expose ensuite avec force détails que cela détruit le vers.Ga naar voetnoot8 Puis, il ajoute: Chez nous, en Hollande, on tarda longtemps à adopter l'artifice de Marot; mais la connaissance grandissante des poètes français (surtout Ronsard et Du Bartas, celui-ci pour sa Première Semaine, laquelle fut traduite en hollandais par Heynz) fit adopter peu à peu le repos français. Cependant Hooft et Vondel, formés indépendamment de la France, observèrent bien le repos, mais non dans le sens absolu du français que Boileau exprime en enseignant: ‘Que toujours dans vos vers le sens coupant les mots, suspende l'hémistiche’.Ga naar voetnoot9 Leurs vers seront donc plus variés, | |||||||||||||||||||||||||||
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plus riches que le vers français et on aurait bien fait de s'y tenir. Mais voilà qu'au XVIIIe siècle on commence à imiter servilement les Français, à polir et à repolir, à le lécher et à ôter toute vie au vers!Ga naar voetnoot1 C'est pourquoi Bilderdijk, qui peut se vanter d'avoir disloqué l'alexandrin hollandais, prêche le retour à la poésie de Vondel. Il montre par des exemples empruntés à Boileau et à Hooft, comment il faut briser la succession monotone des pieds égaux dans les vers.Ga naar voetnoot2 Ce qu'il recommande particulièrement, c'est l'enjambement ‘que le caprice français ne veut souffrir’;Ga naar voetnoot3 il se déclare pour la rime, mais contre la rime riche (de vie: envie, livre: délivre) qui lui paraît ridicule.Ga naar voetnoot4 Pourtant le vers français ayant peu de rythme, la rime lui sera plus nécessaire.Ga naar voetnoot5 Enfin, pour montrer que la régularité du vers hollandais avec ses pieds égaux est plus monotone que la structure correcte du vers français qui laisse plus de liberté à l'accent, le poète donne deux traductions d'une poésie de Racan, l'une en vers réguliers, à la hollandaise, l'autre en vers irréguliers, à la française. Cette dernière, la voici, à côté de l'original. | |||||||||||||||||||||||||||
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Bilderdijk a fait cette conférence en 1810, l'année de l'annexion de la Hollande. On constate son effort pour marquer le rapport entre les deux langues, en soulignant plutôt ce qui les unit que ce qui les distingue. C'est pourquoi il s'adresse à ceux qui sont ‘exempts de préjugés’.Ga naar voetnoot2 Mais il n'hésite pas à accentuer, un peu trop même, le fait que c'est un Néerlandais (d'expression française) qui a fondé la versification française. De là vient qu'en 1824, à la publication de sa conférence, il n'a eu rien à changer ni à ajouter.
Il est difficile de dire si la versification française a influé sur le vers de Bilderdijk. Il s'est plaint que dans sa jeunesse un vieillard morose - son père? - l'ait chicané et l'ait contraint de lécher les vers. Mais les traces de cette contrainte paraissent s'être effacées d'assez bonne heure. Les odes par lesquelles le jeune poète débute, et qu'il continuera d'écrire en assez grand nombre, suivent le précepte de Boileau: ‘Chez | |||||||||||||||||||||||||||
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elle un beau désordre est un effet de l'art’.Ga naar voetnoot1 Dans ses romances originales, la forme la plus fréquente est la strophe de quatre vers de six, sept ou huit syllabes qu'on trouve aussi bien en France qu'à l'étranger. Le rythme est le plus souvent ïambique. Quand le poète se sert d'un autre mouvement, c'est presque toujours par imitation.Ga naar voetnoot2 Dans les autres poésies, qui sont d'une extrême richesse de construction, le rythme est toujours ïambique. Le vers de dix ou de onze syllabes a régulièrement un accent sur la quatrième syllabe, mais parfois aussi sur une autre, ce qui produit de jolis effets:
[De haan kraaide]
Met zoo'n geluid, zoo krachtig en zoo helder,
Dat Pluto er van opsprong in zijn kelder.Ga naar voetnoot3
Le vers le plus souvent employé est l'alexandrin qui, dès 1779, montre une grande variété de rythmes. Il est vrai qu'ordinairement la césure se trouve au milieu; mais souvent l'accent se déplace sur la quatrième syllabe:
U ô vermogendste van alle stervelingen,
U smeeken we alle, voor uw voeten neergebukt,
Dat ge ons, door uwe hulp, aan onze ramp ontrukt.Ga naar voetnoot4
Souvent aussi, l'alexandrin alterne avec l'octosyllabe,Ga naar voetnoot5 comme La Fontaine l'a pratiqué, et comme Marmontel a recommandé de le faire.Ga naar voetnoot6 A côté de ces coupes, on trouve toutes sortes de combinaisons; les enjambements sont fréquents: en un mot, l'alexandrin de Bilderdijk est le plus richement varié qu'on puisse s'imaginer, malgré la monotonie que six ïambes pourraient amener dans un vers germanique, malgré la rime aussi qui est plate comme dans l'alexandrin français. Bilderdijk a été le plus grand artiste du vers que la Hollande ait eu; qu'il l'ait été à une époque où l'imitation française sévissait,Ga naar voetnoot7 ne fait qu'augmenter sa gloire. |
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