Het Nederlands in Noord-Frankrijk
(1997)–H. Ryckeboer– Auteursrechtelijk beschermdSociolinguïstische, dialectologische en contactlinguïstische aspecten
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romanisée. Elle s'étendait de l'embouchure de la Canche jusqu' au nord de Lille. Si le tronçon de la frontière linguistique situé plus à l'est dans la Belgique actuelle n'a pas subi de changements considérables, on constate dans l'actuel Pas-de-Calais un retrait millénaire et constant du néerlandais en faveur du Picard. Faute de documents il est difficile de reconstituer en détail le processus de cette conversion linguistique, mais on peut présumer que ce processus a été la préfiguration de la situation de la Flandre française au XXième siècle, à savoir une situation de diglossie qui provoque une érosion linguistique et finalement une conversion linguistique, qui entraîne le recul de la frontière linguistique (voir Ryckeboer 1977 et 1997).
A l'est de l'Aa, à quelques rares exceptions près seulement le français (dans sa variante Picarde) a servi de langue écrite. Ce n'est qu'à Saint-Omer (jusqu'au XVIIième siècle) et dans les villages situés entre Calais, Saint-Omer et Gravelines que le néerlandais a également servi de langue écrite, mais très peu nous en a été transmis. Ruminghem, Clairmarais, deux hameaux orientaux de la ville de Saint-Omer et le hameau de Schoubrouck (de Renescure) ont été les derniers lieux dans le Pas-de-Calais ou le dialecte néerlandais a survécu jusqu'au début de ce siècle. Ce rétrécissement du néerlandais et le recul consécutif de la frontière linguistique est la conséquence du fait que le Picard a connu dans la région un plus grand prestige que le néerlandais (voir Ryckeboer 1997). La langue parlée qui a remplacé une variante du néerlandais n'était pas le français, mais le Picard régional. Ce progrès constant du Picard à la frontière occidentale du vieux comté de Flandre s'est poursuivi jusqu'au XIXième siècle, p.e. dans le territoire encore bilingue dans ce temps entre Bourbourg et Gravelines et dans quelques villages au sud-ouest d'Hazebrouck, plus particulièrement à Renescure et Boeseghem. On peut le déduire e.a; d'un substrat néerlandais considérable dans le dialecte Picard local de ces lieux (Poulet 1987 et Ryckeboer 1997).
Dans le comté de Flandre de langue flamande, le français a toujours joui d'un grand prestige, mais le bilinguisme s'y limitait à une couche sociale supérieure, constituée de nobles, de fonctionnaires et de marchands. Le néerlandais n'y a jamais été menacée en tant que langue vernaculaire. Ce n'est que depuis la conquête par Louis XIV des châtellenies néerlandophones de Bourbourg, Bergues, Cassel et Bailleul qu'un processus de francisation s'est introduit en Flandre française, processus qui s'est avéré irréversible depuis. A coté de quelques restrictions dans l'administration et la justice le néerlandais a largement conservé sa fonction de langue culturelle jusqu'à la Révolution, certainement sa fonction de langue littéraire. L'activité littéraire intense dans les chambres de rhétorique en témoigne. A partir du XIXième siècle le néerlandais a perdu beaucoup de ses fonctions ce qui a entraîné un dépérissement structurel de la langue. L'influence du français avait, au début un caractère très régional, c'est à dire picard, mais on constate depuis le XXième siècle dans la région flamandophone en France une | |
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conversion linguistique en faveur du français standard uniquement en non plus en faveur du Picard (Ryckeboer 1990 et 1997). | |
Aspects sociolinguistiquesLa politique officielle de la France depuis la Révolution a eu pour but l'éradication de toutes les langues minoritaires ou patois. Surtout dans l'enseignement la législation a institutionnalisé un monopole du français. Néanmoins on a encore utilisé le néerlandais au cours du XIXième siècle comme langue intermédiaire pour l'apprentissage du français. Et en dépit d'une interdiction, dans beaucoup de villages l'enseignement du catéchisme se déroulait en flamand jusqu'au début de la première guerre mondiale. Cela nécessitait la continuation d'une certaine alphabétisation du clergé en néerlandais. Déjà dans les années '80 du siècle précédent certains intellectuels comme M. Blomme et H. Blanquaert se plaignaient de la dévaluation fonctionelle du Flamand comme langue savante. Ils constataient une aliénation culturelle des Pays-Bas et de la Flandre belge et exprimaient leur pessimisme vis-à-vis des chanches de survie de leur langue maternelle (Ryckeboer 1983a et 1989). Etant donné que dans l'entre-deux-guerres quasiment tout le monde devenait bilingue et que le flamand ne fut guère transmis à la jeune génération après la deuxième guerre mondiale, l'usage du Flamand a sans cesse reculé. Cependant ce recul n'a jamais fait l'objet d'une recherche sérieuse en France, même si'il est evident qu'une telle recherche sociolinguistique est indispensable pour définir une politique culturelle ou d'enseignement adéquate (Ryckeboer 1976 et 1994). Ce n'est qu'en 1983 qu'un étudiant gantois a fait sous ma direction une étude sociologique comparative sur le comportement et les attitudes langagières vis à vis du dialecte et de la langue standard dans le Westhoek français et belge. (Ryckeboer-Maeckelberghe 1987).
Il ressort de cette étude non seulement qu'en Flandre française la langue française couvre plus de domaines et qu'elle est beaucoup plus dominante que le néerlandais dans le Westhoek belge. A défaut d'un enseigement orienté sur le patrimoine linguistique autochtone aussi bien que sur le néerlandais comme langue étrangère et limitrophe, la connaissance du néerlandais et de ses aspects culturelles ou dialectologiques sont très limités en Flandre française.
Les renseignements relatifs à l'usage dans différents domaines et sur la connaissance du Flamand régional ont été pris auprès d' élèves et parents à Hondschoote, petite ville frontalière. Ils indiquent que le dialecte flamand - à une grande exception près - n'est plus transmis à la jeune génération et que seul un quart des parents a encore une certaine maîtrise du Flamand. Ce Flamand n'est plus utilisé comme langue de foyer, certainement pas avec les jeunes et à fortiori il reste tout à fait absent de tous les domaines ou la langue est écrite. La connaissance active du dialecte flamand est donc limitée aux personnes âgées et à une | |
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petite moitié d'age moyen. Les chiffres prouvent que cette connaissance active est remarquablement plus basse chez les femmes (33%) que chez les hommes (48%), tandis qu'elle est quasiment absente chez les jeunes. Ce clivage qui existe entre les générations en ce qui concerne l'usage et la connaissance des langues en Flandre française est tout à fait inexistant au Westhoek belge, où le dialecte flamand joue encore un rôle beaucoup plus dominant dans tous les domaines de la vie quotidienne et où l'usage de la langue standard - à part sa fonction de langue écrite - reste très marginal.
Néanmoins un certain bilinguisme persiste en Flandre française. Sur le plan des attitudes ce bilinguisme combiné à la situation frontalière suscite dans la région un vif intérêt pour l'enseignement des langues. La recherche a indiqué que la demande d'enseignement du néerlandais (la langue des voisins) ou du Flamand régional (la vieille langue maternelle) dépasse de loin l'offre. A la lumière des contacts socio-économiques transfrontaliers et les possibilités offertes par des projets interrégionaux, une recherche sociolinguistique plus élargie et specifiquement orientée vers les possibilités de l'enseignement s'impose dorénavant. Il revient à l'enseignement supérieur, et plus particulièrement aux sections de néerlandais des universités de la région de faire des recherches et d'informer sur le patrimoine linguistique néerlandophone de la région. Ce domaine de recherche et d'étude doit certainement être intégré dans la formation des enseignants de la région (Ryckeboer 1994). | |
Aspects dialectologiquesLe dialecte néerlandais du Nord de la France présente quelques caractéristiques typiques d'une part de la position périphérique qu'il occupe dans le coin sudouest de l'aire néerlandophone, et d'autre part de son contact séculaire avec le français avoisinant et de son isolement étatique des dernières 300 années. Ainsi le néerlandais y a été privé pendant au moins 200 ans de toute influence de la langue standard ou des évolutions dialectales de la Flandre belge. Quoique le flamand de France constitue à beaucoup d'égards une unité avec le reste du Ouest-flamand, il a de sa position unique conservé quelques traits typiquement archaïques. Il conserve par exemple des éléments du moyen néerlandais tels que la forme soe pour le pronom personel de la troisième personne du féminin singulier (Ryckeboer 1972) et le suffixe -ede de l'imparfait des verbes faibles (Ryckeboer 1973). Dans la mesure où les données dialectales fournissent des moyens pour la réconstruction de l'évolution historique de la langue standard, le dialecte flamand de France est une mine d'or où l'on retrouve des éléments indispensables pour la reconstruction du paysage linguistique dans l'aire occidentale du néerlandais (Ryckeboer 1977). | |
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Quelques isoglosses à l'ouest de la frontière étatique réflètent des oppositions très anciennes du néerlandais, notamment la répartition des dits inguénonismes, parmi lesquels la palatalisation de l' u en germanique occidental occupe une position importante (Ryckeboer 1977, carte 3). La réalisation de l'a long est très palatale (quoique ici seulement devant des consonnes vélaires) comme dans le néerlandais parlé le long de la côte néerlandaise (Ryckeboer 1977, carte 4). Parmi les inguéonismes morphologiques on peut compter la suppression de l'-n final dans la syllabe finale des verbes et de certains noms, adverbes ou prépositions se terminant en -en, phénomène qui ne se produit que dans un petit coin situé à l'extrème ouest près de la frontière linguistique (Ryckeboer 1975). Le fait que l'inversion manque lorsque la phrase commence par un syntagme autre que le sujet et la postposition d'un complément essentiel au participe passé sont des exemples de ce qu'on pourrait appeler des inguéonismes syntaxiques, quoique l'influence du français puisse avoir renforcé une tendance préexistante.
Quelques caractéristiques du dialecte flamand de France coïncident avec la frontière étatique, p.e. la prononciation de l'ancien sk [ ] (aussi en fin de mot) ou la suppression de la prononciation de -nd- en position intervocalique (Ryckeboer 1987). La frontière étatique est devenue pendant les deux derniers siècles de plus en plus une frontière dialectale. Cette frontière n'est guère structurelle (voir Ryckeboer 1977, carte 1) mais plutôt occasionelle et se manifeste surtout sur le plan lexical. Quelques archaïsmes ou innovations locaux dans le vocabulaire sont énumérés dans Ryckeboer (1987). En raison d'une longue période de bilinguisme, pendant laquelle on pratiquait souvent le code-switching, l'emprunt lexical au français y est beaucoup plus important que dans le Ouest-flamand limitrophe. | |
Aspects du contact linguistiqueC'est précisement ce mélange typique des deux langues qui a souvent été considéré par les Flamands de France comme une sorte de dégénérescence linguistique. Déjà au début du XVIIIième siècle l'instituteur Casselois Andries Steven, auteur d'un manuel scolaire de néerlandais très populaire se plaignent de cette altération dont il disait avoir honte. Et on retrouve les mêmes éléménts dans les observations de l'instituteur M. Blomme d'Armboutscapelle à la fin du XIXième siècle (Ryckeboer 1983a en 1989). Le fait que l'administration ait été graduellement francisée apres l'annexion a eu pour effet que les toponymes, du moins dans la langue écrite ont été francisés. Les résultats et l'ampleur de cette évolution dans le dialecte parlé ont été mis en rapport avec les facteurs favorables ou défavorables à un contact linguistique dans une recherche interdisciplinaire conduite avec l'historien L. Milis (Milis-Ryckeboer 1985). | |
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Pour ce faire les deux auteurs ont compilé une liste de noms français, hydronymes, toponymes et noms de bois dans la région (à l'exception de la Flandre française encore flamandophone). Ces noms ont été présentés aux interlocuteurs du Dictionnaire des dialectes flamands, chargés de les traduire en flamand. Leurs réponses ont été comparées par l'historien Milis avec des formes néerlandaises historiques. La recherche démontre que la survie de vieux noms néerlandais est étroitement liée aux possibilités de communication et de contact sur le plan local et régional. Ainsi, il apparaît que beaucoup de noms néerlandais ne se sont maintenus que s'ils se trouvent à proximité immédiate des locuteurs ou si un contact social ou culturel a persisté. Cela explique, par exemple, la survie dans le dialecte flamand de France de noms néerlandais comme Atrecht, Kamerijk, Dowaai, Kales, Sint-Omaars, Ariën et Rijsel (pour Arras, Cambrai, Douai, Calais, Saint-Omer, Aire et Lille). Ces villes étaient toutes pertinentes dans la vie quotidienne des Flamands de France. Par contre les noms néerlandais de villes frontalières comme Komen, Waasten, Tourkonje et le nom désuet Robaais (pour Comines, Warneton, Tourcoing et Roubaix) leur sont inconnus, parce qu'elles se trouvent déjà trop loin ou n'ont jamais eu une importance administrative ou économique pour eux. En outre, la recherche a démontré combien, dans l'altération de certains noms, les deux codes linguistiques sont enchevêtrés de diverses façons et à des niveaux différents (Milis-Ryckeboer 1985).
Des indications provisoires sur l'interférence du français dans le dialecte flamand de France sont données dans Ryckeboer (1977). Une recherche plus approfondie sur cette interférence et surtout sur l'adaptation phonologique et morphologique des éléments français dans le vocabulaire flamand a été effectuée en 1995 sous ma direction par l'étudiante gantoise R. Vandenberghe et fera l'objet d'une publication ultérieure.
La présence historiquement importante du néerlandais dans la région Nord - Pas-de-Calais se laisse également déduire de l'existence de quantité d'éléménts lexicaux dans les dialectes et dans le régiolecte du Nord de la France (Ryckeboer 1997, dans ce recueil).
L'étude du contact entre le néerlandais et le picard dans le Nord de la France a été entravé jusqu'il y a peu de temps par un manque de données localisées. Cette lacune a été comblée en grande partie par la parution du premier tome de l' Atlas linguistique et ethnographique du Picard et d'une monographie dialectologique de Denise Poulet sur la zone comprise entre Calais, Gravelines et Saint-Omer (Poulet 1987). J'ai relevé de ces sources nouvelles - complétées de quelques autres - un grand nombre d'emprunts lexicaux au néerlandais. La confrontation de leur répartition géographique avec leur attestation historique permet de jeter un nouveau jour sur les aspects diatopiques, diachroniques et diastratiques du contact des langues dans le Nord de la France et sur le substrat néerlandais que le | |
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processus de conversion linguistique a laissé dans les dialectes picards et le régiolecte français du Nord - Pas-de-Calais (Ryckeboer 1997). |