La henriade dans la littérature hollandaise
(1927)–H.J. Minderhoud– Auteursrecht onbekend
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Les ‘Geuzen’ d' Onno Zwier van Haren.Pas plus que pour Willem van Haren, il n'est nécessaire de s'étendre sur la biographie d'Onno ZwierGa naar voetnoot1.. Nommé en 1734 bourgmestre de Sloten, il devint syndic de West-Stellingwerf, en 1742. Elu député aux Etats Généraux peu de temps après, il s'établit à La Haye, où il défendit les mêmes idées que son frère. En 1748 il assista aux négociations de la paix à Aix-la-Chapelle, mais il y joua un rôle peu importantGa naar voetnoot2.. Probablement victime d'une intrigue politique - Onno Zwier van Haren était l'antagoniste du duc de BrunswickGa naar voetnoot3. - il fut obligé de quitter La HayeGa naar voetnoot4.. Alors, à l'âge de cinquante-trois ans, il prit la plume. En 1769, il publia la tragédie Agon, Sultan van Bantam. L'historie de ce prince malheureux l'attirait, car il y voyait l'image de ses propres souffrances. Le duc de Brunswick agissait-il mieux que la Compagnie?Ga naar voetnoot5. La même année 1769 vit paraître le poème: Aan het Vaderland, dont nous parlerons tout de suite. En même temps que la deuxième édition d'Agon, parut une nouvelle tragédie: Willem de Eerste, Prins van Oranje (1772)Ga naar voetnoot6.. Ces deux pièces sont précédées d'une préface, où l'auteur se montre un ardent admirateur des classiques français. ‘De tous les peuples de l'Europe’, dit-il, ‘les Français seuls ont et méritent la gloire d'avoir égalé les Grecs, même de leur | |
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avoir été supérieurs.’ En parlant de la grande époque de la littérature française, il nomme Corneille, Racine et Crébillon. Aux leçons de ces trois grands maîtres, Voltaire ajouta son génie, qui éleva la tragédie française à un point de perfection que probablement la postérité ne surpassera pas. C'est donc chez les Français, comme étant les meilleurs maîtres de la scène, qu'il faut chercher les règles. L'action d'AgonGa naar voetnoot1., où les trois unités ont été rigoureusement observées, se passe aux Indes néerlandaises, à Bantam, situé dans la partie occidentale de Java. Agon, redoutant la force des Hollandais, veut partager son empire entre ses deux fils Abdul et Hassan, dont le premier aura Bantam, l'autre Tartissa et la main de Fathema, fille du prince de Macassar. Ce dernier, ayant perdu son empire, s'était réfugié à la cour de Bantam, où il mourut peu de temps après sa fuite. Abdul, rival de son frère, ne consent pas au partage de l'empire, qu'il réclame pour lui, en vertu de son droit d'aînesse et espère, avec l'appui des Hollandais, réunir les empires de Bantam et de Macassar, qu'il recouvrera après avoir épousé Fathema. Un renégat, nommé Van Steenwijk, est l'intermédiaire d'Abdul et des Hollandais, qui envoient une flotte sous le commandement du général Saint-Martin, Français au service de la Compagnie. Saint-Martin, arrivé, offre à Fathema l'empire de Boni et la main d'Abdul, si elle renonce à ses prétentions sur l'empire de Macassar. Fathema refuse en termes énergiques. Lorsqu' Agon a refusé également d'accepter les propositions des Hollandais, une lutte s'engage, où Abdul blesse son père d'une main parricide, où Hassan est tué, et où Fathema se tue sur le corps de son amant. Agon, transporté au palais, est informé de l'issue malheureuse du combat et meurt sur la scène. On retrouve dans cette pièceGa naar voetnoot2. la lutte de Mithridate contre Rome, la lutte d'un prince oriental contre une grande puissance. Cette fois c'est contre les Provinces-Unies que se manifeste la haine d'un prince asiatique. Le caractère d'Agon est plus simple que celui de Mithridate, rival de ses fils dans son amour pour Monime. Agon n'a qu'une passion: la haine des Hollandais. Fathema, jeune femme fière et énergique, lance contre les Hollandais des imprécations, rappelant celles de Camille contre Rome. | |
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Dans l'autre pièce: Willem de Eerste, dont l'action se passe à Delft, et qui se termine par l'assassinat de Guillaume d'Orange, le Taciturne consulte deux confidents, le comte Louis, stathouder de Frise et Marnix de Sainte-Aldegonde, sur les propositions de paix, faites par les Espagnols. On y reconnaît Auguste consultant Cinna et Maxime. La pièce n'a que trois actes, comme la Mort de César de Voltaire. Le poème offert au public en 1769 sous le titre de: Aan het Vaderland,Ga naar voetnoot1. n'avait été qu'une esquisse, dit Van Haren dans la préface de la deuxième édition (1771)Ga naar voetnoot2.. Il avoue que le public l'avait reçu froidement, mais l'encouragement d'une compagnie de savants et de critiques judicieux - het Zeeuwsch Genootschap - l'avait rempli de gratitude et l'avait encouragé à revoir, à améliorer et à orner ce petit ouvrage. Ainsi il avait changé de vingt en vingtquatre, le nombre des chants et il avait choisi un autre titre, celui de de Geuzen. L'ouvrage contient l'histoire des premières années de la révolte des Pays-Bas contre l'Espagne, et tend à ‘ériger un monument en l'honneur de la Maison d'Orange et de ceux qui se sont illustrés au commencement de cette lutte de quatre-vingts ans’. Tout comme le Friso, ce poème est animé par le souffle de la liberté. Willem van Haren avait été appelé ‘un Batave qui vit sans maître’; son frère avait pour devise: ‘Orange dans l'âme et esclave de personne’. Aussi Onno Zwier se plaît-il à donner un large tableau des mérites du Taciturne, à vanter les vertus de ces héros qui osèrent secourer le joug de la tyrannie, parmi lesquels se trouvait l'ancêtre des Van Haren: Daam Van Haren, surnommé: Hopman Daam. En ce qui concerne les idées religieuses, l'auteur se montre aussi déiste, dans un passage où il imite les fameux vers de Voltaire du VIIe Chant de la Henriade. Le récit commence par le Compromis des Nobles. Ils présentent une pétition à la gouvernante, à Bruxelles, où ils reçoivent le nom de ‘Gueux’. Philippe II ne répond qu'en envoyant le duc d'Albe. Beaucoup de Hollandais prennent la fuite. Le Prince d'Orange rassemble des troupes, qui font deux incursions, sans succès cependant. Suivant le conseil de Coligny, il continue la guerre par mer et donne des lettres de marque aux Gueux réfugiés. Au VIe | |
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Chant l'auteur nous peint la prise de ‘den Briel’. Puis il interrompt son récit et remplit plusieurs chants de la description d'un songe que fait le Prince. Ayant repris le cours de son histoire, Van Haren raconte la révolte d'autres villes. Ensuite il dépeint la défaite d'une flotte espagnole sous Médina-Celi, sur l'Escaut, et la conquête de nombre de vaisseaux, richement chargés, qui étaient destinés pour Anvers. Une tempête s'élève. Les Gueux cherchent un abri dans le port de Flessingue. Ici l'auteur a jugé le moment propice pour introduire une scène d'amour, comme Voltaire au IXe Chant de la Henriade. Seulement il ne s'agit pas d'une amourette mais d'une scène d'amour conjugal. Aux deux derniers chants, on lit comment plusieurs villes et toute la Hollande septentrionale se déclarent pour le Prince qui, quittant Dillenbourg, s'établit à Enkhuizen. En se plaçant au point de vue qui nous occupe, il convient d'attirer d'abord l'attention sur le songe du Prince d'Orange. C'est une imitation du VIIe Chant de la Henriade. On y reconnaît une transposition libre du passage: ‘Dans le centre éclatant de ces orbes immenses’. Van Haren écrit: ‘Elevé bien au-dessus des astres - L'Être suprême donne ses lois - Le trône où cette loi se donne - Est immaculé et au-dessus de tout éloge. - Tout y est pur et saint - A l'abri des choses souillées de la terre - Les vertus y jouent à l'entour. - Elles offrent de pures prières - Pendant que les faiblesses humaines - Demandent grâce de loin.Ga naar voetnoot1. Adoré des peuples, - Quoiqu'ignoré de tout le monde, - Il est recherché dans les cérémonies - Qu'apprennent le Koran, le Véda, le Zend. - Le sauvage l'honore dans l'air et dans les vents. - Chacun s'efforce de trouver sa loi - Chacun, dans sa douleur, cherche un Temple. - ô, Mortel! C'est dans ta conscience - Que se trouve sa loi inébranlable; - Son temple se trouve dans le coeur vertueux.’Ga naar voetnoot2. | |
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C'est le déiste qui parle ici. ‘Il donna la naissance, la force et la vie - A des globes sans nombre - Qui flottent dans l'espace immense, - Se préservant de tomber. - Il a mis en équilibre, - Aussi bien ceux qui sont invisibles par la distance - Que ceux qui paraissent immobiles, Comètes, mondes ou soleils - Tous suivent la loi immuable - Dans leur repos ou dans leur cours’.Ga naar voetnoot1. ‘La Divinité voit les douleurs secrètes. - Elle sait comment les désirs de Guillaume d'Orange - Surpassent les forces humaines - Elle fait un signe: - L'Espérance, montée, se met devant son trôneGa naar voetnoot2.. Toi, Espérance, va chasser les appréhensions d'Orange, - Chasse sa crainte par des rêves joyeux, - Et montre-lui l'avenirGa naar voetnoot3.. Montre-lui, par quelles grandes actions, - L'ouvrage de sa main - Sera le plus beau pays de l'Europe; - Comment ses fils seront victorieux; - Comment la force redoutée de la Hollande - Se fera sentir de l'Equateur jusqu'au pôle.Ga naar voetnoot4. Je mets à votre disposition - Le Repos, le Sommeil et les Rêves. - Pars! - A tire d'aile - L'Espérance atteint la terreGa naar voetnoot5.. Elle éveille le Sommeil, elle appelle les RêvesGa naar voetnoot6.. | |
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‘Venez’, dit l'Espérance, ‘et suivez les ordres - De votre Créateur et du mien.’Ga naar voetnoot1.. La Nuit, sur son char d'ébène, - Soutenu par des nuages noirs, - A reçu également ses ordres. - Elle redouble l'obscurité.Ga naar voetnoot2. - Les autres s'empressent d'entourer - La couche d'OrangeGa naar voetnoot3. - Les Rêves se jouent devant son esprit - D'abord tout est confus - De plus en plus tout s'éclaircit - Tout à coup la confusion et les ténèbres disparaissentGa naar voetnoot4.. Le Prince se voit à Amsterdam, au moment où Guillaume IV va entrer dans la ville. Les cloches de Waterland sonnent. - Les pavillons flottent sur les toursGa naar voetnoot5.. L'Espérance prend la forme de la Vertu, et dit: ‘Je veux vous expliquer quelle est la cause de cette joieGa naar voetnoot6..’ Elle le mène par les rues, et l'introduit dans la maison de Witsen, où il voit les tableaux de sa postérité et des grands hommes, jusqu'à la restauration du stathoudérat. D'abord il voit un tableau représentant la flotte invincible, ensuite les portraits. Ce sont: Van der Does, Heemskerk, Barentz, Van Dam, Van Goens, Hulst, Van Noort, Tasman, Roggeveen, Tromp, De Ruyter, Tjerk Hiddes, Evertsen, Van Galen, De Witte, Cortenaer, Van Gend, Hugo de Groot, Maria van Reigersberg, Barneveldt, les frères De Wit, Huygens, 's Gravezande, Leeuwenhoek, Vondel, Dou, Rembrandt, Bijnkershoek, Van Beuningen, Van der Stel, Grovestins, Hop, Heinsius, Slingelandt, les princes de la Maison d'Orange. Puis, au XIIe Chant, l'Espérance et le Prince sortent pour voir | |
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l'arrivée de Guillaume IV à Amsterdam: ‘Regardez avec étonnement ce peuple nombreux - L'air retentit, la terre tremble des coups de canon. - Le Prince est ici. - Voyez-vous à côté de lui son épouse royale? Ces deux ou trois (Van Haren lui-même était parmi eux) sont de vieux amis, - Qui, fidèles et constants, servaient avec désintéressement la maison d'Orange.Ga naar voetnoot1. Mais écoutez! entendez-le s'adresser aux bourgeois d'Amsterdam. Autour d'eux des cris joyeux se lèvent.Ga naar voetnoot2. Au milieu de la foule, une femme, vivement émue, regarde fixement le yacht. Tout à coup elle pâlit. ‘Je meurs tranquille’, dit-elle à ceux qui s'élancent à son secours. ‘J'ai vu, ô Dieu, ta main nous rendre Orange et la Liberté’Ga naar voetnoot3.. ‘Qui n'aimerait’, s'écrie le Prince, ‘un peuple, montrant tant d'amour! Ce sont les grandes actions de Guillaume premier, qui ont répandu ces semences précieuses. Cet amour restera le partage de la Hollande, - Tant qu'Orange aimera la Liberté.’Ga naar voetnoot4. Pendant que l'Espérance fortifie et console l'âme du Taciturne, - La moitié de notre globe fait un tour vers le nord. - L'obscurité disparaît en orient. - L'éclat des astres pâlit par les rayons de | |
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l'aurore. - Dillenbourg voit les cimes de ses montagnes, blanches de la lumière du jour naissant. Le Prince s'éveille.Ga naar voetnoot1. Citons, pour finir, quelques strophes du chant où Van Haren imite le IXe Chant de la Henriade. ‘Cependant les nuages en courroux, violemment agités, font sentir leur action non seulement sur les côtes de la Flandre, mais aussi sur le littoral occidental, couvert de dunes, de l'île de Walcheren. Située un peu plus vers l'est, la ville de Vere a essuyé moins de dégâts, mais on y a entendu tout de même la houle de la tempête. Où n'a-t-on pas peur quand on a, par un gros temps, sur l'onde dangereuse, un père, un époux, un enfant!Ga naar voetnoot2. Mais personne n'a vu tomber la nuit d'orage avec plus d'angoisse que la vertueuse Rosemond. Voilà précisément huit ans, que Rosemond, riche en vertus, vous donna sa foi, à vous, De Lange, le plus heureux de tous les mortels, à vous qui parvîntes au comble de vos désirs par l'heureuse possession de Rosemond.Ga naar voetnoot3. Combien heureuses passaient les heures, lorsque le jeune couple était réuni; quand, en hiver, auprès d'un bon feu, ils comptaient le bénéfice d'une année; quand, assis autour de la table, après un souper frugal, aux lentes approches de la nuit, elle lui racontait ce | |
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que disaient les enfants; comment ils pleuraient souvent son absence et comment elles les consolaitGa naar voetnoot1.. Elle dit: ‘Je ne vous survivrai jamais, mon cher époux, tant aimé! si vous perdiez la vie, pour la patrie, soit sur terre soit sur mer. Cependant je préférerais la mort à la honte d'apprendre que les Espagnols ont vu mon mari être lâche, ou à la honte de devoir apprendre qu'il est resté lâchement oisif, lorsque la patrie avait besoin de lui.’Ga naar voetnoot2. Il répond: ‘O, ma femme tendrement aimée, tout ira bien pour moi, pourvu que Rosemond sache que son De Lange est digne d'elle. Je vais chercher la liberté ou la mort pour la religion et le pays, pour Rosemond et pour nos enfants. Et Orange ne se repentira jamais d'avoir eu confiance en moi, lorsqu'il sera en péril ou que la Zélande ou les Gueux seront en détresse.’Ga naar voetnoot3. ............ ‘Qui sait’, dit-elle, par une pluie battante, ‘qui sait où il se trouve à présent, où il erre sur la mer houleuse! L'autre jour ils parlèrent d'appareiller et de n'épargner nulle part la flotte espagnole, pas même sur la côte ou dans une rade d'Albion.Ga naar voetnoot4. O, que le temps puisse venir où toute jeune femme faible n'aura pas besoin de trembler pour son mari ou de s'inquiéter du sort de ses enfants orphelins. Orphelins!’ Rosemond, émue, sent les larmes obscurcir ses yeux, larmes que sa main essuie bientôt. Mais les plus | |
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âgés parmi les enfants cessent de jouer, pour conjurer, par leurs caresses, le chagrin que tout le monde rédoute.Ga naar voetnoot1. ‘Mais’, pense-t-elle, ‘à quoi bon se faire des soucis; il est, ô Dieu! en ta main. Soit que les vagues l'engloutissent, soit qu'il fasse son devoir sur terre, il me faut vivre pour mes enfants. Donnons encore une fois le sein au plus petit.’ Puis, après avoir éteint la lampe, Rozemond, en prière, s'adresse à la bonté ineffable du Ciel et s'endort tranquillement.Ga naar voetnoot2. |
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