La henriade dans la littérature hollandaise
(1927)–H.J. Minderhoud– Auteursrecht onbekend
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La Traduction de Feitama.Si Klinkhamer a été un poète obscur, dont on rencontre à peine le nom, on parle de Sijbrand Feitama dans tous les grands manuels de littérature du XVIIIe siècle. C'est peut-être, après l'auteur de Q. Horatius Flaccus Dichtkunst, le poète qui a exercé le plus d'influence, et qui peut être considéré comme le représentant le plus parfait de l'esprit de la société ‘Nil volentibus arduum’.Ga naar voetnoot1. Son grand-père, également nommé Sijbrand, droguiste, écrivit une série de Christelijke en Stigtelijke Rijm-oeffeningen, publiée en 1684. Son oncle Edouard et son père Isaac firent aussi des vers. C'est le cas de dire que le jeune Sybrand fut un enfant de la balle, avec, heureusement, un peu plus de mérite que ses prédécesseurs. Les parents du jeune Sybrand, pieux mennonites, voulurent que leur enfant, né le 10 décembre 1694, fût pasteur, et lui firent apprendre le latin. Mais d'une santé délicate, il entra au bureau du marchand Jan Willink. D'assez bonne heure orphelin, et se voyant à la tête de quelque fortune, il se retira des affaires, et se voua aux belles lettres. Doux et aimable, il ouvrit sa maison à tout le monde, et devint l'ami et le confident d'un groupe de poètes de son genre, qui l'ont vénéré, et qui ont exalté ses mérites. Feitama a eu l'avantage d'avoir été l'élève de Lambert ten Kate, qui écrivit e.a. un traité sur les arts plastiques et la poésie, publié, en 1724, en français sous le titre de Discours préliminaire sur le beau idéal des peintres, sculpteurs et poètes. Dans le chapitre sur Klinkhamer, nous avons déjà parlé de son Oeffenschets over het vereisch der dichtkunde, resté en manuscrit.Ga naar voetnoot2. Mais l'homme dont Feitama a subi surtout l'influence, c'est Charles Sébille, fils d'un pasteur wallon de Goes, marchand à Amsterdam, mécène, critique d'art et poète, qui devait son autorité | |||||||||||||||||||||
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plutôt à sa façon de critiquer qu'à ses produits littéraires, car ceux-ci ne consistent qu'en quelques traductions de pièces de théâtre.Ga naar voetnoot1. Feitama admirait ces traductions comme des chefs d'oeuvre, et vénérait le traducteur comme un oracle, comme un aristarque. Il mettait en pratique la devise que Sébille s'était choisie: ‘le tems est un grand maître’, variante du fameux ‘polissez-le sans cesse et le repolissez’. Comme Sébille, Feitama a été convaincu que la valeur d'un poème dépend surtout du temps que l'auteur y a mis. Le premier ouvrage que Feitama publia fut une traduction de la 2e Satire de Boileau, où il remplaça les noms des poètes français par ceux de poètes hollandais (1715). Dans cette traduction, qui n'est pas sans mérite, Feitama est injuste pour Cats et Jan Vos,Ga naar voetnoot2. mais il a raison en raillant Boom, Van der Hoeven, Van den Burg, Tyssens, Van Swanenburgh, Droste et Van Leuve. En 1719 parut une tragédie, Fabricius, pièce très faible, où le roi Pyrrhus s'efforce en vain de corrompre l'ambassadeur de Rome. L'intrigue est peu intéressante; les personnages raisonnent trop, Fabricius, non moins que les autres. Sans cesse il se retranche derrière ses principes inébranlables. Parmi les moyens dont le roi se sert pour intimider le Romain, se trouve aussi un éléphant (den Schrikkelijksten Elefant), montré, sans succès, entre le IVe et le Ve acte. Fabricius retourne sain et sauf à Rome. Ce qui nous frappe, c'est qu'à la fin du premier acte, Fabricius, comme Rodrigue, exprime ses hésitations dans un monologue lyrique. Outre cette tragédie originale, Feitama écrivit encore deux pièces didactiques: de Triomfeerende Poëzy en Schilderkunst (1724) et de Schadelijke Eigenliefde of de Vrindschap der Waereld (1733) dont la dernière ne parut que dans Nagelaten Dichtwerken. Les personnages de ces deux pièces sont des allégories. Les autres ouvrages de Feitama sont des traductions. D'abord onze tragédies, nommées par Hoogvliet: ‘eene schoone rij van fijne treurjuweelen’Ga naar voetnoot3.: Darius (de T. Corneille), Pertharitus (de P. Corneille), Romulus (de De la Motte), Marius (de De Caux), Stilico (de T. Corneille), Brutus (de Voltaire), Pyrrhus (de Crébillon), Titus Vespasianus (de P. Corneille), Gabinia | |||||||||||||||||||||
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(de Brueys), Jonathan (de Duché), De Machabeen (de De la Motte). Plusieurs de ces pièces ont été jouées. Pyrrhus et Gabina avec un peu de succès; Marius et Stilico tombèrent, malgré quelques ‘améliorations’ à la fin. Brutus fut supplanté par une traduction de Jan Haverkamp, en 1736. Darius et Pertharitus firent fiasco, parce que les grands acteurs de l'époque, Punt et Duim, s'en moquaient et ‘rabraakten het met spelen’.Ga naar voetnoot1. Si Feitama s'était borné à ce que nous avons mentionné jusqu'ici, il n'aurait pas été le ‘verheven Puikpoëet’Ga naar voetnoot2. ou ‘onze Amstelfenelon’.Ga naar voetnoot3. C'est que Feitama a traduit encore deux ouvrages, qui ont fondé sa ‘gloire’. D'abord les Aventures de Télémaque. Comme tant de ses contemporains, Feitama était d'avis que c'était une épopée, à laquelle la forme poétique manquaitGa naar voetnoot4.. Ainsi il a tâché d'en faire un poème. Pour trouver une forme concise, dit-il dans sa préface, il a rimé beaucoup de vers de trois ou quatre façons différentesGa naar voetnoot5.. C'est le succès de ce travail laborieux qui poussa Feitama à entreprendre la traduction de la Henriade, son dernier produit littéraire. Car quelques années après la publication de Henrik de Groote, sa santé périclita et il mourut, après avoir lentement perdu ses forces, le 13 juin 1758, dans les bras de son ami Frans van Steenwijk. Passons maintenant à la traduction de la Henriade. En 1734 déjà Feitama avait commencé ce travail, mais il y travaillait avec peu d'ardeur, son ami Sébille ayant déclaré que le poème était intraduisible. Cependant, après avoir lu quelques passages traduits du IIe Chant et après avoir reçu de son ami l'assurance qu'ils lui donnaient lieu de se rétracter, il continua courageusement, toujours sous l'oeil critique de son ami. Mais voilà que la mort inattendue de Sébille vint interrompre ce travail. Cependant, une année plus tard, il le reprit et le finit en 1743. S'il avait publié tout de suite la traduction, Klinkhamer aurait peut-être retiré la sienne. Mais | |||||||||||||||||||||
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y trouvant encore trop d'imperfections, il mit son travail sur le ‘métier’ et le ‘rabota’ pendant dix longues années encore. Ce n'est qu'en 1753 que Feitama osa publier son Henrik de Groote, convaincu d'offrir au public un ouvrage défectueux et s'excusant de n'y avoir pas mis assez de temps.Ga naar voetnoot1. Dans notre introduction nous avons déjà mentionné le fait que le traducteur a encore profité des éditions Ledet, publiées entre 1745 et 1749, et a supprimé plusieurs passages, à son avis indécents ou contraires à la révélation divine. C'est à contre-coeur que Feitama inséra dans la première édition un grand nombre de panégyriques. Il trouvait que c'était un ‘entassement de flatteries’, qui faisaient tort à l'oeuvre ou à la réputation de l'auteur. Aussi ses autres ouvrages ne contiennent-ils que rarement de pareilles poésies. Lorsqu'il prépara la deuxième édition de Télémaque - qui ne parut qu'après sa mort - l'auteur résolut de les supprimer tout à fait, afin de donner l'exemple. Avant de mourir, il pria instamment son ami Van Steenwijk de retrancher de ses oeuvres posthumes tous les épithalames. La traduction de Feitama passa pour un modèle et pour le summum de perfection auquel un traducteur puisse jamais parvenir. Les poètes qui la vantaient n'étaient pas les premiers venus. Si on les compare aux grands artistes du XIXe siècle, ces gens-là étaient des rimeurs, des poétereaux; mais en ce XVIIIe siècle anémique, ils étaient cependant les premiers: Lucrétia van Merken, Pieter Langendijk, Arnold Hoogvliet, Jan Luyken, Bernardus de Bosch, F. van Steenwijk, Nicolaas Simon van Winter. Lucrétia van Merken dit que Feitama mérite les plus grands éloges, avec Pope et Vondel. Langendijk met la Henriade à côté de l'Iliade, et invite Voltaire à remercier son interprète. Hoogvliet nomme le traducteur: ‘le Fénelon de l'Amstel’. Feitama fit paraître sa traduction sous le titre de: Henrik de Groote, uit de Fransche Heldenvaerzen van den Heere De Voltaire in Nederduitsche Dichtmaat overgebragt, onder de Zinspreuk | |||||||||||||||||||||
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Studio Fovetur Ingenium, et la dédia au Hélicon hollandais, qui l'avait forcé à la publier. Examinons maintenant la deuxième traduction, et suivons l'ordre de notre enquête concernant celle de Klinkhamer: Le poète a-t-il compris ce qu'il voulait rendre? A-t-il apporté des modifications? Quelles sont les qualités de sa version? Quoique Feitama ait une connaissance du français bien plus grande que celle de Klinkhamer, le nombre de ses fautes est encore assez grand, trop grand, en vérité, pour quelqu'un qui a ‘travaillé sous l'oeil critique d'un Français’. Nous faisons un choix: Ch. I v. 9-12.
Que l'oreille des rois s'accoutume à t'entendre.
C'est à toi d'annoncer ce qu'ils doivent apprendre;
C'est à toi de montrer aux yeux des nations
Les coupables effets de leurs divisions.
Gewen aan uwe stem het oor der Opperheeren.
U voegt het voor te slaan wat hen betaamt te leeren;
U voegt het, in 't gezicht der volken, hen ronduit
Te ontdekken wat verderf uit hun verdeeldheid spruit.
‘Opperheeren’ pour ‘vorsten’ n'est pas beau, et ‘voorslaan’ est autre chose qu' ‘annoncer’, mais il ne faut pas chercher midi à quatorze heures. Ce qui est plus grave, c'est que Voltaire invoque la Vérité pour montrer aux peuples les suites de la dissension des princes. Le traducteur l'invoque pour montrer franchement aux princes le résultat de leur discorde. Ch. I v. 35-38.
Quélus et Saint-Mégrin, Joyeuse et d'Epernon,
Jeunes voluptueux qui régnaient sous son nom,
D'un maître efféminé corrupteurs politiques,
Plongeaient dans les plaisirs ses langueurs léthargiques.
't Was Quelus, Sint Maigrin, Joyeuse en Epernon,
Wier wulpsche drift het hart huns laffen Konings won;
Wier staatkunde, op zijn' naam, verwaand den meester speelde,
Terwijl men hem verwijfd deê tuimlen in de weelde.
Le traducteur a intercalé que les jeunes voluptueux ‘gagnaient le coeur de leur roi’. Au troisième vers, il a ajouté le mot ‘verwaand’. Mais où se trouve le troisième vers de Voltaire? Feitama | |||||||||||||||||||||
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écrit tout court: ‘Wier Staatkunde’. Le dernier vers surtout a été mal rendu. C'est le roi qui est plongé, tandis que le texte dit que ‘ses langueurs léthargiques furent plongées dans les plaisirs’. Ch. I v. 57-60.
On voyait dans Paris la Discorde inhumaine
Excitant aux combats et la Ligue et Mayenne,
Et le peuple et l'Eglise; et, du haut de ses tours,
Des soldats de l'Espagne appelant les secours.
De helsche Tweedragt noopt Mayenne en de Eedverwanten
Tot dappren weêrstand, stookt de woede aan alle kanten,
En roept, op trans en muur, den traagen Kastiljaan,
En Roomschen Mijtervoogd van verre om bijstand aan.
Nous constatons ici la même faute que chez Klinkhamer. La Discorde excite la Ligue, Mayenne, le peuple et l'Eglise, et appelle des tours de Paris le secours des Espagnols. Chez les deux traducteurs, la Discorde appelle le secours de l'Espagne et de Rome. Feitama s'est-il laissé influencer ici par la traduction de son prédécesseur? ‘Tot dappren weêrstand nopen’ ne se trouve pas dans le texte. Le nom de ‘Paris’ manque. Ch. III v. 65-66.
On vit paraître Guise; et le peuple inconstant
Tourna bientôt ses yeux vers cet astre éclatant.
...Daagt Guise listig op: het Volk, welhaast bewogen,
Staat voor den luister van dat Dwaallicht opgetogen.
‘Le peuple inconstant’ est tout autre chose que ‘het Volk, welhaast bewogen’. Le hollandais ‘dwaallicht’ correspond au français ‘feu follet’, ce qui n'est pas un ‘astre éclatant’. Voltaire ne dit pas que le peuple était ravi. Ch. V v. 29-34.
L'Eglise a, de tout temps, produit des solitaires,
Qui, rassemblés entre eux sous des règles sévères,
Et distingués en tout du reste des mortels,
Se consacraient à Dieu par des voeux solennels.
De Kerk, van ouds verdrukt, in ballingschap gezonden,
Herbloeide in woestijniers, aan strenge tucht gebonden;
Verzaakte al 't aardsche, en bleef, door eedler liefdegloed
Dan 't ovrig Christenvolk verknocht aan 't hoogste goed.
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Voilà quatre vers de Feitama qui diffèrent tant du texte qu'on se demande si le traducteur a voulu donner ici un passage de son propre fonds. S'il en est ainsi, l'‘interprête’ de Voltaire n'est pas heureux, car ce qu'il écrit est un nonsens. Qu'est ce que veut dire ‘kerk, in ballingschap gezonden’? Est-ce que ‘woestijniers’ est la même chose que ‘solitaires’? La belle phrase: ‘de kerk bleef verknocht aan 't hoogste goed door eedler liefdegloed dan 't ovrig Christenvolk!’ Ch. V v. 45-48.
Ceux qui de Dominique ont embrassé la vie
Ont vu longtemps leur secte en Espagne établie;
Et de l'obscurité des plus humbles emplois
Ont passé tout à coup dans les palais des rois.
Zij, die den regel van Dominicus bezweeren,
Den Iber dezen naam van overlang ziende eeren,
Verhieven onverhoeds zich, uit het nietig stof,
Als kerkbeschermers in 't bestier van 't Spaansche hof.
Le deuxième vers de Feitama, qui veut dire probablement que les Dominicains se sont vus honorés en Espagne, ne rend pas ce que Voltaire écrit. ‘De l'obscurité des plus humbles emplois’ n'est pas: ‘uit het nietig stof’. Puis le texte ne dit pas qu'ils ont passé à la cour ‘als Kerkbeschermers’. Ce n'est pas seulement à la cour d'Espagne qu'ils ont pénétré. Ch. VI v. 69-72.
Dans ce temps malheureux, par le crime infecté,
Potier fut toujours juste et pourtant respecté.
Souvent on l'avait vu, par sa mâle constance,
De leurs emportements réprimer la licence,
In tijden, door elende en gruwlen zo berucht,
Volhard Potier, steeds vroom, en echter steeds geducht,
De looze Smeders van der burgren ongelukken
Met onverschrokken taal het momtuig af te rukken,
‘Par le crime infecté’ a été rendu librement par ‘door gruwlen zoo berucht’. Au vers suivant ‘juste’ n'est pas ‘vroom’, et ‘respecté’ est autre chose que ‘steeds geducht’. Puis Voltaire dit: ‘réprimer la licence de leurs emportements’ dont Feitama fait: ‘het momtuig afrukken aan de looze Smeders van der burgren ongelukken’. ‘Par sa mâle constance’ a une autre signification que ‘met onverschrokken taal’. | |||||||||||||||||||||
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Ch. VI v. 325.
Ses yeux semblaient remplis de tendresse et d'horreur:
Waaruit de ontferming straalt in al haar minzaamheid;
‘Miséricorde’ manque dans le texte. ‘Horreur’ manque dans la traduction. Ch. VII v. 113-114.
Tandis que du héros la raison confondue
Portait sur ce mystère une indiscrète vue,
Terwijl Vorst Henrik, op zijn Reden veel te stout,
Tot zijn verbijstering die verborgenheên beschouwt;
La raison du héros est confondue, voilà pourquoi il ose regarder indiscrètement ce mystère. Feitama écrit que le héros, rendu trop téméraire par la conscience d'être raisonnable, jette un regard indiscret sur ce mystère, et en est confondu. Ch. VII v. 221-228.
Non, s'il est infini, c'est dans ses récompenses:
Prodigue de ses dons, il borne ses vengeances.
Sur la terre on le peint l'exemple des tyrans;
Mais ici c'est un père, il punit ses enfants;
Il adoucit les traits de sa main vengeresse;
Il ne sait point punir des moments de faiblesse,
Des plaisirs passagers, pleins de trouble et d'ennui,
Par des tourments affreux, éternels comme lui.
Neen; zijn menschlievendheid gruwt voor een vloekbesluit,
Waarin zijn heilig Recht vermetel word misduid:
Die teedre Vader, mild, onëindig in 't beloonen,
Verdelgt zijns ondanks dus hen, die zijn goedheid hoonen.
Bienque trop librement traduit, le sens des quatre premiers vers de Voltaire, se retrouve dans les trois premiers vers de Feitama. ‘Dieu borne ses vengeances’ (v. 222) = ‘God gruwt van een vloekbesluit’. ‘Sur la terre on le peint l'exemple des tyrans’ (v. 233) = ‘waarin zijn heilig Recht vermetel word misduid’. L'homme trouve que Dieu est un tyran, méconnaît ainsi témérairement le droit sacré de Dieu de punir les pécheurs. ‘Ici c'est un père’ (v. 224) = ‘die teedre Vader’. ‘Prodigue de ses dons’ (v. 222) = ‘mild’. ‘S'il est infini, c'est dans ses récompenses’ (v. 221) = ‘oneindig in 't beloonen’. Les autres vers du texte | |||||||||||||||||||||
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ont été supprimés, tandis que le dernier vers de Feitama dit précisément le contraire de ce que Voltaire écrit. Ch. VII v. 343-344.
Des princes de mon sang ennemis déclarés;
Tous deux haïs du peuple, et tous deux admirés;
Twee geesels, die, wat twist ze ons Nageslacht verwekken,
Van Hof en Volk gehaat, ons tot verwondering strekken;
Le premier vers de Feitama est ajouté. ‘Des princes de mon sang ennemis éclairés’ est autre chose que: ‘van 't Hof gehaat’. Puis Feitama confond ‘admirer’ et ‘étonner’. Mais son deuxième vers ne donne pas le sens du vers de Voltaire. Le poète veut dire que le peuple haïssait les ministres et les admirait à la fois. Feitama traduit que le peuple les haïssait, et que nous en sommes étonnés. Ch. v. 401-404.
D'un oeij d'indifférence il regarde le trône.
Ciel! quelle nuit soudaine à mes yeux l'environne!
La mort autour de lui vole sans s'arrêter;
Il tombe au pied du trône, étant près d'y monter.
Hoe onverschillig zien ze al 't aardsch'! ... Maar welk een nacht
Verrast dien Held? Mijn Zoon! De Dood velt onverwacht
Hem aan den voet uws troons, gereed dien op te stijgen.
Henri IV, regardant passer sa postérité, voit le duc de Bourgogne s'approcher du trône. ‘Le trône’ a été rendu par ‘al 't aardsch'’. Puis le traducteur se trompe au vers suivant: ‘Quelle nuit soudaine à mes yeux l'environne’. Ce n'est pas le dauphin qui est surpris par une nuit soudaine! C'est Henri IV qui voit un nuage environnant l'image de ce prince; ce nuage, c'est l'ombre de la mort, qui l'enveloppe. Excepté l'idée de la mort, tout le vers 403 manque dans la traduction. Le hollandais du dernier vers n'est pas clair non plus: ‘De Dood velt onverwacht. Hem aan den voet uws troons, gereed dien op te stijgen’. Qui est prêt? Le trône, lui, ou la Mort? Pour finir: Ch. VIII v. 104-105.
Tel que dans nos jardins un palmier sourcilleux,
A nos ormes touffus mêlant sa tête altière,
En prijkt gelijk een palm, wiens wijde bladertop,
In onzer linden hoogst en weligst loof gestrengeld,
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‘Sourcilleux’ a été supprimé. ‘La tête altière’ n'est pas ‘de wijde bladertop’ et ‘ormes’ n'est pas ‘linden’. Le nombre des fautes, chez Feitama, n'est pas si grand que chez Klinkhamer, mais il est pourtant assez considérable. En lisant les exemples cités, le lecteur aura pu constater que le nombre des vers de Feitama ne diffère pas, ou diffère peu de celui de Voltaire.
Feitama intercale, entre les v. 82-84, 15 vers de l'édition de 1723.
où Feitama ne traduit pas les vers: 424-426, v. 435-436, v. 457-460, v. 463-472, et v. 473-494.
On ne peut donc pas reprocher à Feitama d'avoir été prolixe. Quelques chants sont devenus plus courts. Les modifications qu'il a apportées dans le texte, sont du même genre que celles que nous avons trouvées dans la traduction de Klinkhamer. Partout, et à un plus haut degré que chez le premier traducteur, on voit que c'est un protestant qui a traduit. C'est le protestantisme de Feitama qui explique aussi les suppressions du dernier chant. Voici quelques exemples: Ch. I v. 107-110.
De la Religion, terrible en son courroux,
Le fatal anathème est lancé contre vous.
Rome, qui sans soldats porte en tous lieux la guerre,
Aux mains des Espagnols a remis son tonnerre:
Denk dat de Mijtervoogd, in grammen overmoed,
Zijn' vloek gebliksemt heeft op u en al uw bloed,
En, zonder heir nochtans, gespitst op 't oorelogen.
Zijn kettermoordend zwaard betrouwt aan 't Spaansch vermogen.
Le traducteur a accentué quelques expressions: ‘courroux’ est | |||||||||||||||||||||
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rendu par ‘overmoed’Ga naar voetnoot1.; ‘lancé’ par ‘gebliksemt’Ga naar voetnoot2.; ‘porter en tous lieux la guerre’ par ‘gespitst zijn op 't oorelogen’Ga naar voetnoot3.; ‘tonnerre’ par ‘kettermoordend zwaard’Ga naar voetnoot4.. Dans la dernière expression surtout. c'est le protestant qui parle. Ch. I v. 152-154.
Trop vertueux soutien du parti de l'erreur,
Qui, signalant toujours son zèle et sa prudence,
Servit également son Eglise et la France;
Mornay, die vrome steun der Hugenootsche zij';
Wiens veder en rapier zich teffens ijvrig kweten
Ten dienst van zijn Kerk, den Staat, en 't vrij geweten;
‘Trop vertueux soutien du parti de l'erreur’ est devenu: ‘die vrome steun der Hugenootsche zij’Ga naar voetnoot5.. Au dernier vers il ajoute: ‘'t vrij geweten’Ga naar voetnoot6.. Ch. III v. 121-129.
Par sa feinte vertu tout le peuple échauffé
Ranima son courroux encor mal étouffé.
Il leur représentait le culte de leurs pères,
Les derniers attentats des sectes étrangères,
Me peignait ennemi de l'Eglise et de Dieu:
‘Il porte, disait-il, ses erreurs en tout lieu;
Il suit d'Elisabeth les dangereux exemples;
Sur vos temples détruits il va fonder ses temples;
Vous verrez dans Paris ses prêches criminels’.
De blinde ketterwoede is naauwlijks aan 't bedaren,
Of Guise ontvonkt ze opnieuw in 't hart der burgerscharen,
Prijst haar den outerdienst der Vadren driftig aan,
Doet haar met afschrik 't oog op de Eeuwhervormers slaan,
Maalt mij als vijand van Gods kerke, als Aartsverleider.
Navarre, (vaart hij uit), die ketterij-verbreider,
Volgt stout Elizabeths doemwaardig voorbeeld, sticht
Zijn kerk op 't puin der uwe, en zal Parijs 't gewigt
Van 't juk doen voelen dier onstuimige ijveraren.
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‘Courroux’ est rendu par ‘blinde ketterwoede’Ga naar voetnoot1.. ‘Représenter’ est devenu: ‘driftig aanprijzen’. ‘Sectes étrangères’ est traduit par ‘Eeuwhervormers’Ga naar voetnoot2.. ‘Ennemi de l'Eglise’ devient: ‘vijand van Gods kerke’, puis ‘Aartsverleider’Ga naar voetnoot3.. ‘Il porte ses erreurs en tout lieu’ est rendu par ‘ketterij-verbreider’, ‘dangereux’ par ‘doemwaardig’Ga naar voetnoot4.. Le sens du dernier vers a été atténué en: ‘zal Parijs 't gewigt van 't juk doen voelen dier onstuimige ijveraren’Ga naar voetnoot5.. Ainsi tantôt le traducteur corse les expressions de Guise pour les rendre plus détestables, tantôt il choisit des termes atténués quand il s'agit de ses coreligionnaires. Ch. III v. 269-271.
Enfin, maître absolu d'un peuple révolté,
Le coeur plein d'espérance et de témérité,
Appuyé des Romains, secouru des lbères,
Volkomen meester van des Volks misleide zinnen,
Vermetel in zijn hoop van alles te overwinnen,
Gestijfd van 't woelziek Rome in 's Ibers oorlogsmagt,
‘Appuyé des Romains’ est devenu: ‘gestijfd van 't woelziek Rome’Ga naar voetnoot6.. Ch. III v. 350-352.
Rome de la discorde allume les flambeaux:
Celui qui des Chrétiens se dit encor le père
Met aux mains de ses fils un glaive sanguinaire.
Ja, Rome, verr' van schrik in zo veel ramps te toonen,
Stookt zelf die blinde woede; en hij, die met drie kronen
De Christenvorsten trotst, die Vader van de Kerk,
Wijd zijner Zonen kling tot zulk een gruwzaam werk.
‘Verr' van schrik in zoo veel ramps te toonen’ est intercalé. ‘Flambeaux’ est devenu ‘blinde woede’. Puis le traducteur prend un ton ironique: ‘die met drie kronen de Christenvorsten trotst’Ga naar voetnoot7.. Non seulement il ‘met l'épée aux mains de ses fils’, mais encore il ‘bénit’ cette épée. Ch. V.
L'Argument dit: Les assiégés sont vivement pressés.
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La Discorde excite Jacques Clément à sortir de Paris ......
Feitama écrit: Terwijl Valois, gesterkt door Henriks heldenmoed,
Der Muitren benden in de rijksstad houd besloten,
Besielt de Tweedragt, door haar' helschen ijvergloed,
Het kerkgedrocht Clement ......
‘Kerkgedrocht’Ga naar voetnoot1. a été intercalé. Ch. V v. 41-44.
Leur sourde ambition n'ignore point les brigues;
Souvent plus d'un pays s'est plaint de leurs intrigues.
Ainsi, chez les humains, par un abus fatal,
Le bien le plus parfait est la source du mal.
... En doet, volleerd in schat en hoog gezag te zoeken,
Meer dan één waerelddeel zijn dwinglandij vervloeken.
Dus strekt den sterveling, door dit verbasterd zaad,
Het wezendlijkste goed een bron van 't snoodste kwaad.
Voltaire parle ici du clergé séculier. Le traducteur accentue. Au lieu de ‘se plaindre de leurs intrigues’, il met: ‘zijn dwinglandy vervloeken’Ga naar voetnoot2.. ‘Par un abus fatal’ est remplacé par ‘door dit verbasterd zaad’Ga naar voetnoot3.. Ch. VI v. 53-55.
Qui, tout couvert de sang, de flammes entouré,
Egorge les mortels avec un fer sacré.
't Geen, druipende van bloed, in helsche zegepraal
Godvruchte ketters moord met Godgeheiligd staal;
Il s'agit ici de ce ‘sanglant tribunal, ce monument affreux du pouvoir monacal’, (v. 49-50) l'Inquisition. ‘Mortels’ est rendu par ‘Godvruchte ketters’Ga naar voetnoot4.. Ch. VII v. 335-338.
Richelieu, Mazarin, ministres immortels,
Jusqu'au trône élevés de l'ombre des autels,
Enfants de la Fortune, et de la Politique,
Marcheront à grands pas au pouvoir despotique.
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Armand en Mazarijn, doorslepen Kloosterlingen,
Gespitst om uit hun cel ten rijkstroon in te dringen;
Die Kinders van Geluk en Staatkunde, ijvren hier
Voor 't onbepaald gezag der Roomsche kruisbanier.
Voilà les grands ministres rendus bien noirs. ‘Ministres immortels’ est devenu: ‘doorslepen kloosterlingen’Ga naar voetnoot1.. ‘De prêtres, ils sont devenus ministres’, dit Voltaire simplement. Feitama en fait: ‘gespitst om uit hun cel ten rijkstroon in te dringen’Ga naar voetnoot2.. Les monstres! Ils marcheront au pouvoir despotique. De qui? Des rois. Il s'agit de la monarchie absolue. Feitama le sait mieux; c'est le pouvoir despotique de la bannière de la Croix!’ Ch. X.
On lit à l'Argument e.a.: Famine horrible qui désole la
ville. Le roi nourrit lui-même les habitants qu'il assiège.
Feitama traduit: De ontrouwe Stad, verteerd door 's hongers razernij,
Door 's Konings gunst gespijsd, door 't Priesterrot bedrogen.
Remarquez le mot ‘priesterrot’Ga naar voetnoot3.. C'est également le protestant qui a supprimé quelques passages à la fin. Le moment de la conversion est arrivé. Saint Louis prie le ‘Père de l'Univers’ de ramener Henri IV au giron de l'Eglise. Feitama supprime alors les vers 457-460 du Xe Chant. Et après avoir traduit librement un court passage, il omet les vers 467-494 et les rend par: 't Geloof, op dit gesmeek ten hemel afgetogen,
Beweegt Bourbon, gedwee voor 't outer neêrgebogen,
De wetten van de Kerk, in dezen staatsorkaan,
Tot redding van zijn Volk gehoorzaam te onder gaan.
Le sens du texte original est tout autre. Henri ne se convertit pas parce qu'il aime la ‘lumière immortelle’; il ne se soumet pas à ‘ces mystères saints dont son esprit s'étonne’, mais parce qu'il veut sauver son peuple dans cet ouragan. Jan Nomsz reprendra plus tard les mêmes vers pour les étirer, et en faire un passage anticlérical. Passons ensuite aux vers où le traducteur a fait des atténuations: Ch. III v. 18-22.
Une langueur mortelle en abrégea le cours:
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Dieu, déployant sur lui sa vengeance sévère,
Marqua ce roi mourant du sceau de sa colère,
Et par son châtiment voulut épouvanter
Quiconque à l'avenir oserait l'imiter.
Een veege kwijning sleept, met onöphoudend knagen,
Hem als een veldbloem weg, in 't prilste zijner dagen,
God, die hem stervend' voor zijn strenge vierschaar rukt,
En 't zegel van zijn' toorn in dezen Koning drukt,
Weet hen, die, op dat spoor, door gruwlen zich verheffen,
Door zulk een zichtbre straf in 't wreevlig hart te treffen.
Le premier vers a été rendu par deux, c'est un des cas fort rares où Feitama devient prolixe. Au deuxième vers la ‘vengeance sévère’ de Dieu a disparu; le traducteur a écrit ‘voor de strenge vierschaar rukken’Ga naar voetnoot1.. Aux vers 21-22 Dieu veut ‘épouvanter par son châtiment’, dont Feitama fait: ‘door een zichtbre straf in 't hart te treffen’Ga naar voetnoot2.. Ch. VII v. 207-216.
Le généreux Henri ne put cacher ses pleurs.
‘Ah! s'il est vrai, dit-il, qu'en ce séjour d'horreurs
La race des humains soit en foule engloutie,
Si les jours passagers d'une si triste vie
D'un éternel tourment sont suivis sans retour,
Ne vaudrait-il pas mieux ne voir jamais le jour?
Heureux, s'ils expiraient dans le sein de leur mère!
Ou si ce Dieu, du moins, ce grand Dieu si sévère,
A l'homme, hélas! trop libre, avait daigné ravir
Le pouvoir malheureux de lui désobéir!’
Ach! (roept de Held, door schrik en deernis fel bestreden;)
Indien het menschdom door deez' poel vol ijslijkheden
Bij duizend duizenden dus ingezwolgen word;
Indien een leven, zo vergankelijk, zo kort,
Dus moet verkeeren in een nimmerëindend sterven,
Waar' 't nutst voor 't aardsch Geslacht alle eeuwen 't licht te derven.
Ach! waar' 't op zijn geboorte een prooi der Doodharpij!
Of waar' den zwakken mensch, (helaas maar al te vrij!)
Om 't onvoorzien' verderf gelukkig af te wenden,
De onzaalge magt ontrukt van Gods geboôn te schenden!
Aux premiers vers, Feitama supprime ‘généreux’. ‘Door schrik en deernis fel bestreden’ est beaucoup trop fort pour ‘ne put cacher | |||||||||||||||||||||
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ses pleurs’. Les deux vers suivants ont été assez bien rendus. Puis le traducteur se met à faire des atténuations. ‘Si les jours passagers d'une si triste vie’ est rendu par ‘Indien een leven, zo vergankelijk, zo kort’, où ‘d'une triste vie’ est supprimé. ‘Un éternel tourment’ devient: ‘een nimmer eindend sterven’Ga naar voetnoot1.. Au vers 213, il recule devant l'expression: ‘expirer dans le sein de leur mère’, pour en faire ‘op zijn geboorte een prooi der Doodharpij zijn’Ga naar voetnoot2.. Voltaire parle aux derniers vers de Dieu, ‘ce grand Dieu si sévère qui aurait dû ravir à l'homme le pouvoir malheureux de lui désobéir’. Feitama prend la forme passive et supprime alors ‘ce Dieu si sévère’. ‘A l'homme’ devient ‘den zwakken mensch’Ga naar voetnoot3.. Le brave Feitama a eu honte d'avoir traduit ces vers; car dans une note, il s'excuse, et recommande la lecture d'une étude de John Clarkes sur la raison et l'origine du mal physique et moral, traduit en hollandais par J. Sudermann (1723), où le lecteur trouvera une défense détaillée et concluante de la sagesse, de la bonté, et de la justice divines. Le ton rationaliste de Voltaire a déplu à Feitama, tout autant qu'à Klinkhamer. Il en est de même des passages où le poète se montre déiste. Ch. I v. 225-230.
‘De tout temps, disait-il, la vérité sacrée
Chez les faibles humains fut d'erreurs entourée:
Faut-il que, de Dieu seul attendant mon appui,
J'ignore les sentiers qui mènent jusqu'à lui?
Hélas! un Dieu si bon, qui de l'homme est le maître
En eût été servi, s'il avait voulu l'être’.
Van ouds af (zegt hij,) is het waar Geloof, voor de oogen
Des zwakken stervelings, met nevellicht omtogen.
Moet ik, die al mijn heil van God alleen verbeid',
Onkundig zijn van 't spoor, dat veilig 't Hemwaarts leid?
Een' God, zo minzaam, wierd, waar' 't zijn volstrekt behagen.
All' zijner schepslen liefde eenparig opgedragen.
‘D'erreurs entourée’ a été rendu par ‘met nevellicht omtogen’Ga naar voetnoot4.. Voltaire écrit au vers 227: ‘mon appui’. Feitama met ‘heil’Ga naar voetnoot5.. Au | |||||||||||||||||||||
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vers 229, le traducteur a supprimé: ‘qui de l'homme est le maître’; et, à la fin, ‘servi’ est remplacé par ‘all' zijner schepslen liefde opgedragen’Ga naar voetnoot1.. Remarquez encore qu'on lit dans la version le mot ‘eenparig’Ga naar voetnoot2.. Dans une note le traducteur explique qu'il a trouvé nécessaire de changer ici le sens du vers français, et d'intercaler le mot ‘eenparig’. Par des intercalations pareilles ou par des atténuations, dit-il encore, il a évité autant que possible de présenter sous une couleur spécieuse le déisme et les subtiles objections de l'incrédulité. Ch. VII v. 67-70.
C'est là que sont formés tous ces esprits divers
Qui remplissent les corps et peuplent l'univers.
Là sont, après la mort, nos âmes replongées,
De leur prison grossière à jamais dégagées.
Hier vormde 't Godlijk woord de geesten, die, omvangen
Van 't ligchaam, voor een wijl het aardsche Licht erlangen;
Hier moet de ziel, gekeerd in 's levens oceäan,
Haar eeuwig lot van heil of onheil ondergaan.
On voit la différence entre Voltaire et Feitama, le premier parlant comme un esprit indépendant et Feitama reculant ce ton froid. ‘'t Godlijk woord’, la Parole de Dieu, le Verbe, a formé ces esprits. On peut se demander si le traducteur a bien rendu les deux premiers vers. Voltaire n'a pas voulu parler seulement des êtres terrestres, car il dit: ‘qui peuplent l'univers’. Barbaz a mieux rendu le sens, en écrivant: die geesten zonder tal,
Die wezens leven doen, en weemlen door 't heeläl.
Dans les derniers vers, Voltaire dit qu'après la mort nos âmes, dégagées pour toujours de leur prison, sont replongées dans cet abîme (v. 65). Feitama fait subir à l'âme son sort éternel de salut ou de damnation. Où? Dans ‘het volzalig Hof’Ga naar voetnoot3., dont il parle au vers 65. Ainsi on s'étonne un peu en lisant: ‘Hier (c.à.d. in 't volzalig Hof) moet de ziel ... gekeerd in 's levens oceäan’Ga naar voetnoot4.. C'était sans doute pour trouver la rime. | |||||||||||||||||||||
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Ch. VII v. 239-244.
C'est ce flambeau divin, ce feu saint et sacré,
Ce pur enfant des cieux sur la terre ignoré.
De lui seul à jamais tous les coeurs se remplissent;
Ils désirent sans cesse, et sans cesse ils jouissent,
Et goûtent, dans les feux d'une éternelle ardeur,
Des plaisirs sans regrets, du repos sans langueur.
Gij, heilig Hemelvuur! gij, uit God zelv' gesproten;
Gij, nooit op aard' gekend dan van uw heilgenooten;
Gij, de eeuwige uitvloed van dien zegenrijken God,
Hunn' eindeloozen wensch, hun eindeloos genot;
Gij, gij alleen hebt hen, door uwe onbluschbre vonken,
Die onüitputbre bron van zaligheid geschonken.
Du premiers vers de Voltaire, Feitama fait un hémistiche: ‘Gij, heilig Hemelvuur’. ‘Ce pur enfant des cieux’ a été traduit par: ‘... uit God zelv' gesproten’Ga naar voetnoot1.. ‘Sur la terre ignoré’ devient un vers entier: ‘Gij, nooit op aard' gekend......dan van uw heilgenooten’Ga naar voetnoot2., restriction par laquelle le traducteur change le sens. Car, au vers suivant, chez Voltaire, nous lisons que, bien que ce feu sacré soit ignoré sur la terre, tous les coeurs s'en remplissent pour toujours. Ce vers se retrouve chez Feitama en: ‘Gij, de eeuwige uitvloed van dien zegenrijken God’, ce qui ne nous est pas tout à fait clair. Faut-il voir dans ‘uitvloed’ l'idée de ‘uitstorting - effusion? En tout cas ‘tous les coeurs’ manque. Et quand le traducteur continue: ‘Hun eindelooze wensch’, il s'agit ici du désir des ‘élus’ (heilgenooten) et non pas du désir de tous les hommes. Comme Feitama a apostrophé ‘ce feu sacré’, la forme de ses phrases est tout autre que dans le texte. Ce feu est devenu: ‘leur désir et leur joie infinis’. Il leur a donné ‘die onuitputbre bron van zaligheid’Ga naar voetnoot3., ce qui est encore autre chose que ‘des plaisirs sans regrets, du repos sans langueur’. Puis il y a encore quelques changements aux passages où Voltaire se montre ‘esprit éclairé’: Ch. VII v. 49-56.
Dans le centre éclatant de ces orbes immenses,
Qui n'ont pu nous cacher leur marche et leurs distances
Luit cet astre du jour, par Dieu même allumé,
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Qui tourne autour de soi sur son axe enflammé:
De lui partent sans fin des torrents de lumière;
Il donne, en se montrant, la vie à la matière,
Et dispense les jours, les saisons, et les ans,
A des mondes divers autour de lui flottants.
In 't wijde middenvak dier Lichten, op wier vaart
En afstand ons gezicht zo vol verbaasdheid staart,
Doet Gods almogende arm de wondre dagtoorts blinken,
Die, wentlende om haar' as, ons 's avonds schijnt te ontzinken,
Doch, rijzende uit de kim, de kwijnende Natuur
Vernieuwde krachten geeft; terwijl haar koestrend vuur
Verscheide waerelden, die we om haar heen zien vloeijen,
Door wissling van saizoen, van jaar en dag, doet bloeijen.
Voltaire parle ici comme un élève de NewtonGa naar voetnoot1., fier du génie de l'homme qui a pu suivre les planètes dans leurs cours et calculer leurs distances. Le deuxième vers, où le poète parle des lois découvertes, manque chez Feitama, qui en fait: ‘op wier vaart en afstand ons gezicht zo vol verbaasdheid staart’Ga naar voetnoot2.. Il est simplement ‘étonné’, à la vue de ces ‘lumières’. Au troisième vers, il ajoute ‘almogende’ et ‘wondre’, intercalations provenant sans doute du même sentiment dévot qui lui a fait changer le deuxième vers. Au quatrième, il supprime ‘enflammé’. Puis il supprime également tout à fait: ‘De lui partent sans fin des torrents de lumière’. A-t-il trouvé ce vers irrévérencieux? Le traducteur ajoute: ‘ons 's avonds schijnt te ontzinken’Ga naar voetnoot3., ce qui lui a été inspiré peut-être par l'idée opposée de ‘il donne en se montrant’, et, restant dans la même suite d'idées, il parle de la nature languissante, fatiguée, qui, le matin, se réveille fraîche et reposée. Faut-il y voir encore une atténuation, un besoin d'estomper le sens du texte? Car Voltaire n'en dit rien. Le poète dit simplement que la lumière anime la matière. Les deux derniers vers de Feitama ne rendent pas non plus le sens des vers de Voltaire. Le mouvement autour de leur axe et l'orbite autour du soleil amènent pour les planètes la différence entre le jour et la nuit, entre les saisons et les ans. C'est tout autre chose que ce que dit Feitama: ‘haar koestrend vuur doet door wissling van saizoen, van jaar en dag, verscheide waerelden bloeijen’Ga naar voetnoot4.. | |||||||||||||||||||||
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Ch. VII v. 57-60.
Ces astres, asservis à la loi qui les presse,
S'attirent dans leur course et s'évitent sans cesse,
Et, servant l'un à l'autre et de règle et d'appui,
Se prêtent les clartés qu'ils reçoivent de lui.
Dees starren, door de wet der eeuwige Oppermagt
Elkander schuwende, of door heim'lijke aantrekkracht
Elkaêr genakende, bestralen uit haar kringen
Elkander met den gloed dien ze uit haar bron ontfingen.
On trouve ici le même genre d'atténuations. Voltaire rappelle et explique le fait astronomique, d'après les lois trouvées par Kepler. Pour Feitama cette science est encore suspecte. ‘A la loi qui les presse’ devient: ‘door de wet der eeuwige Oppermagt’Ga naar voetnoot1.. Il ajoute au deuxième vers ‘door heim'lijke aantrekkracht’Ga naar voetnoot2.. Il n'ose pas nier cette attraction, cette gravitation universelle mais pour lui elle est ‘secrète’. Le troisième vers a été supprimé. Dans sa préface, Feitama a prétendu qu'il avait supprimé quelques passages ‘où la Volupté était flattée dangereusement’, ou qu'il avait représenté la Volupté sous une forme plus décente. A vrai dire, on ne trouve pas de vers indécents dans la Henriade. C'est montrer trop de scrupules que de changer des vers, tels que: Ch. IX v. 59.
Et, répandant partout ses trompeuses douceurs,
en: Spreid allerwege 't zoet van zijn vergifte vreugdGa naar voetnoot3.,
Ch. IX v. 175-176.
Son coeur, né pour aimer, mais fier et généreux,
D'aucun amant encor n'avait reçu les voeux:
en: Haar hart, tot min gevormd, maar fier, van eedlen aart,
Is tegen 't minnegif noch onbesmet bewaard;Ga naar voetnoot4.
Ch. IX v. 177-180.
Semblable en son printemps à la rose nouvelle,
Qui renferme en naissant sa beauté naturelle,
Cache aux vents amoureux les trésors de son sein,
Et s'ouvre aux doux rayons d'un jour pur et serein,
en: | |||||||||||||||||||||
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Een lenteroos gelijk, die, nieuwlings voortgesproten,
De schoonheid van haar' blos houd in zich zelf gesloten,Ga naar voetnoot1.
En 't minziek windenheir op teedre bladen stuit,Ga naar voetnoot2.
Doch, van Auroor gekuscht, op 't geurigst zich ontsluit.
On peut se demander même si la traduction n'a pas été plus ‘indécente’ que le texte, dans les passages suivants: Ch. IX v. 27-36.
La flatteuse Espérance, au front toujours serein,
A l'autel de l'Amour les conduit par la main.
Près du temple sacré les Grâces demi-nues
Accordent à leurs voix leurs danses ingénues;
La molle Volupté, sur un lit de gazons,
Satisfaite et tranquille, écoute leurs chansons.
On voit à ses côtés le Mystère en silence,
Le Sourire enchanteur, les Soins, la Complaisanse,
Les plaisirs amoureux, et les tendres Désirs,
Plus doux, plus séduisants encor que les Plaisirs.
De aanprikkelende Hoop wenkt hunne ontelbre schaar',
Gaat juichende allen voor, geleid hen bij 't altaar.
Een trits Bevalligheên, met halföntbloote leden,
Huwt, zijlings af, haar' dans aan hun verliefde leden,
Terwijl hun feestmuzijk den Wellust teder vleit,
Die log, op 't rozenbed, zich door Gedienstigheid,
Door 't lodderlijk Gelonk, door snelgewiekte Kusjes,
Door 't vrolijk hupplend choor van snoeperige Lusjes,
Door 't zwijgend Nachtgeheim en all' zijn' blijden stoet,
Rondom de rustkoets heen al dartlend' ziet begroet.
ou bien Ch. IX. v. 195-197.
L'or de ses cheveux, qui flotte au gré des vents
Tantôt couvre sa gorge et ses trésors naissants,
Tantôt expose aux yeux leur charme inexprimable.
De blonde hairlok, die, door Zephirs aêm gestreeld,
Met gouden golven blijde om hals en schoudren speelt,
Zweeft langs de blanke borst, wier zwelling, ijllings de oogen
Verrukkende, ijllings word door 't goudgeel floers betogen.
Le fait que Feitama écrit ici quatre vers pour trois, ne montre-t-il pas qu'il ne faut pas prendre au sérieux la prétention de vouloir ‘épargner l'oreille délicate du lecteur’? | |||||||||||||||||||||
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Faisons, pour finir, quelques observations sur la valeur artistique du poème hollandais. Chez Feitama aussi, nous trouvons des alexandrins, divisés en trois groupes de quatre syllabes. Le nombre n'en est pourtant pas si grand que chez Klinkhamer: Verzuimt men 't on- | derzoek van 't kloos- | terlijk gewaad.
Treed door de Wacht | verzoekt de Ko- | ning zelf te spreken,
Terwijl zijn lo- | gengeest in von- | den onvermoeid.
Indien een le- | ven, zo vergan- | kelijk, zo kort
Dus moet verkee | ren in een nim- | mer eindend sterven.
Quant aux enjambements, on en trouve aussi dans cette seconde version. Citons maintenant encore deux passages pour mettre en lumière les qualités de l'oeuvre de Feitama. Pour faciliter la comparaison, nous prendrons les mêmes vers que chez Klinkhamer: Ch. VII v. 25-30.
Louis, en ce moment, prenant son diadème,
Sur le front du vainqueur il le posa lui-même:
‘Règne, dit-il, triomphe, et sois en tout mon fils;
‘Tout l'espoir de ma race en toi seul est remis:
‘Mais le trône, ô Bourbon! ne doit point te suffire;
‘Des présents de Louis le moindre est son empire.
Vorst Lodewijk, omstuwd van dees verheugde scharen,
Neemt zich de kroon van 't hoofd, stelt ze op zijn' Naneefs hairen.
Verwin; (dus spreekt hij;) heersch; neem de eer uws bloeds in acht:
In u alleen bestaat de hoop van mijn Geslacht.
De scepter, 't minste, dat u Lodewijk kan schenken,
Moet u, mijn waarde Zoon! op hooger heil doen denken.
Le commencement est vif et alerte, et avec un regard en arrière: ‘Vorst Lodewijk, omstuwd van dees verheugde scharen’. Puis le ton devient simple, comme chez Voltaire: ‘neemt zich de kroon van 't hoofd’. Malheureusement Feitama ne sait pas rendre la noblesse du vers suivant; son ton, au lieu de noble, devient affecté: ‘stelt ze op zijn' Naneefs hairen’. Au vers suivant, même affectation: ‘Verwin; (dus spreekt hij;) heersch; neem de eer uws bloeds in acht’. Quelle différence entre son dernier hémistiche et les mots de Voltaire ‘et sois en tout mon fils’. Le vers suivant vaut mieux: ‘In u alleen bestaat de hoop van mijn Geslacht’. Le traducteur prend le ton qui convient. Mais les deux derniers vers nous montrent le défaut de tout à l'heure. Ce n'est pas naturel, c'est maniéré. On | |||||||||||||||||||||
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sent bien, en lisant ces vers, qu'ils n'ont pas été écrits avec négligence; ils ont été forgés avec dextérité par un habile ouvrier, mais le vrai sens des vers de Voltaire ne s'y trouve pas. Ch. VII v. 71-78.
Un juge incorruptible y rassemble à ses pieds
Ces immortels esprits que son souffle a créés.
C'est cet Être infini qu'on sert et qu'on ignore:
Sous des noms différents le monde entier l'adore:
Du haut de l'empyrée, il entend nos clameurs;
Il regarde en pitié ce long amas d'erreurs,
Ces portraits insensés que l'humaine ignorance
Fait avec piété de sa sagesse immense.
De onkreukbre Rechter, door wiens aêm de stervelingen
Het grondbeginsel van onsterflijkheid ontfingen,
Hen hier verzamende aan zijn wondre voetschabel,
Is de Onäfmeetbre, niet dan door zijn Israël,
Zijn geestlijk Volk, gekend in zijn uitmuntendheden,
Op duizend wijzen door al 't menschdom aangebeden,
Die God, in 's hemels troon vermurwd door onze klagt,
Geeft op de onnoembre reeks van wanbegrippen acht;
Hij ziet met deernis hoe de blinde drift, aan 't blaken,
Van de Opperwijsheid durft een spoorloos denkbeeld maken.
Le passage cité montre le même défaut: une trop grande recherche de beaux vers. Dieu a créé les esprits, mais c'est une banalité d'écrire cela. Non, ‘de stervelingen ontfingen het grondbeginsel van onsterfelijkheid’. Feitama est savant: ‘het grondbeginsel’, le principe......de quoi: ‘van onsterflijkheid’......de ‘l'immortalité’. Le beau vers!...‘A ses pieds’ écrit Voltaire, mais ce n'est pas poétique. Feitama en fait ‘aan zijn wondre voetschabel’. Puis il continue de la même façon: ‘Is de Onäfmeetbre, niet dan door zijn Israël, zijn geestlijk volk gekend in zijn uitmuntendheden, Op duizend wijzen door al 't menschdom aangebeden!’...Que de bruit! - Il exagère, ce traducteur, gâtant ainsi l'impression qu'il veut produire. ‘Regarder’ devient ‘acht slaan’, ‘long amas’ ‘onnoembre reeks’. Aux deux derniers vers il devient même emphatique. La traduction de Feitama est tout autre que celle de Klinkhamer. Elle n'est ni plate, ni prolixe. Elle témoigne d'une certaine habileté de facture mais le poète a souvent tellement tourné et retourné son vers qu'il faut le relire pour y retrouver le sens du texte français. Te Winkel a fait l'éloge de l'oeuvre de Feitama, disant qu'il a réussi, | |||||||||||||||||||||
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non seulement à rendre exactement le sens français, mais aussi la couleur et la force des mots. Un aristarque comme Sébille, dit-il, a dû reconnaître que ‘le poème hollandais faisait assez bien la même impression que l'original’. Notre examen ne peut pas confirmer cette appréciation. Il y a plusieurs endroits où le traducteur n'a pas compris ce qu'il voulait rendre. Trop de fois il s'est octroyé la liberté de supprimer des vers, d'accentuer ou d'atténuer des expressions. Il faut reconnaître qu'il y a un fond de vérité dans l'assertion de Barbaz que Feitama avait couvert sa version d'un voile de protestantisme. L'opinion du dernier traducteur qu'elle n'est que le squelette de la Henriade est pourtant exagérée. Notons que le style affecté et maniéré, qui nous gêne, n'a pas dû offusquer les poètes du XVIIIe siècle. Pour eux ce style ajoutait au charme de l'oeuvre. La traduction de Feitama a trop de défauts pour pouvoir passer pour un modèle, mais avouons qu'ils proviennent partiellement du temps où elle parut. |
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