La henriade dans la littérature hollandaise
(1927)–H.J. Minderhoud– Auteursrecht onbekend
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Introduction.C'est un travail intéressant au plus haut degré que celui d'étudier l'influence en Hollande d'un auteur comme Voltaire, dont les idées trouvèrent ici tant d'écho que nombre de ses ouvrages furent traduits ou imités. De ses 27 tragédies, on en traduisit 23, et quelquefois les mêmes pièces trouvèrent plusieurs traducteurs.Ga naar voetnoot1. Dans la dernière moitié du XVIIIe siècle, quand les poètes écrivent des pièces ‘originales’Ga naar voetnoot2., beaucoup de ces produits littéraires se trouvent être des imitations des tragédies et des comédies de VoltaireGa naar voetnoot3.. Ses romans et ses oeuvres philosophiques furent accueillis non moins favorablement. Le succès en fut même si grand que çà et là les magistrats jugèrent nécessaire de protéger la religion révélée. Ainsi, par arrêts de la cour de Hollande, de Zélande et de Frise, | |
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on condamna, en 1764, les ‘oeuvres philosophiques’ à être brûlées, etles États de Frise défendirent, en 1765, l'impression et la vente d'une traduction du Traité sur la Tolérance. Malgré cette interdiction la troisième édition de cette traduction vit le jour en 1774. Candide ou de l'Optimisme parut sous le titre de De Gevallen van Candide of de ongeveinsde jongeling et l'Ingénu se nomma: L'Ingénu of rondborstige wildeman, een waare geschiedenis getrokken uit de eigen handschriften van Quesnel 1768. En la même année parut de Prinses van Babylon. Une imitation de Zadig se retrouve dans Abdallah of het onvolmaakte geluk de Jan Nomsz.Ga naar voetnoot1. Donc celui qui veut étudier l'influence de Voltaire n'a pas à se plaindre que la matière lui manque. Nous avons seulement traité l'influence d'une petite partie de l'oeuvre voltairienne, de la Henriade, sur laquelle M. Valkhoff a fixé l'attention dans un article du Nieuwe Taalgids.Ga naar voetnoot2. Le succès de cette épopée, énorme à l'étranger,Ga naar voetnoot3. ne fut pas moins vif en Hollande. Trois poètes se sont donné comme tâche de traduire ce poème, qui a inspiré un certain nombre d'auteurs d'épopées historiques, et dont on peut constater l'influence dans plusieurs poèmes de longue haleine, épopées bibliques, ou - si ce nom leur fait trop d'honneur - biographies rimées de personnages bibliques. Disons d'abord quelque chose des traductions. La première est celle de Govert Klinkhamer, le premier traducteur de Zaïre, comme nous avons vu. Il s'est senti trop faible pour prendre toute la responsabilité d'un travail si difficile, car il dit s'être servi d'une traduction en prose de son ami B. Phaff.Ga naar voetnoot4. Dans sa préface il informe le public qu'il n'abonde pas toujours dans le sens de l'auteur, mais qu'il ne croit pas avoir le droit de changer, ou de supprimer des vers. Il s'excuse auprès du public protestant, d'avoir mis dans sa traduction des ‘expressions’, des ‘descriptions’ qui sont de nature à lui déplaire. Il reconnaît que sa traduction est faible, et qu'il ne l'aurait pas publiée, si Sybrand Feitama n'avait pas tardé à publier la sienne. Comme, en 1743, Feitama semblait y avoir renoncé tout à fait, Klinkhamer hasarda le saut périlleux. La deuxième traduction est celle de Sybrand Feitama, publiée en 1753. | |
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En 1734, dit-il dans sa Voorrede, il avait traduit le premier chant de la Henriade. Encouragé par son ami Charles Sébille, fils d'un pasteur wallon de Goes, il avait continué ce travail, qui fut interrompu en 1738 par la mort de Sébille. Il le reprit, et le finit en 1744. Au lieu de la publier, il le mit sur ‘le métier’, le polit, et le repolit jusqu'en 1753. Il avertit le public que, ‘par suite de sa prudence’, il a pu profiter encore des dernières corrections du poète, qui se trouvent au VIe Tome de l'édition Ledet de 1745. Il déclare qu'il a supprimé quelques passages où la ‘Volupté était flattée dangereusement’, qu'il l'a représentée sous une forme plus décente, et qu'enfin il a omis tout ce qui lui semblait contraire à la révélation divine. Comme l'ouvrage de Klinkhamer, celui de Feitama est accompagné d'un grand nombre de panégyriques. La gloire de sa traduction a duré jusqu'en 1820, où elle fut effacée en moins de rien par la traduction d' A.L. Barbaz (1819). Barbaz, après avoir parcouru la célèbre traduction de Feitama, avait constaté avec étonnement que ce dernier avait fait tort à Voltaire. Il n'y avait trouvé qu'un squelette, l'âme de Voltaire n'y étant pas. L'esprit catholique y avait été couvert d'un voile de protestantisme, adapté aux idées religieuses du milieu du siècle précédent. D'après lui, l'oeuvre de Voltaire était devenue méconnaissable. Nous examinerons dans la suite si Barbaz avait raison. Le dernier traducteur n'a pas traduit les ‘Arguments’. Il dit qu'il ne s'est pas servi des variantes. Avant de passer aux poètes épiques, ayant subi l'influence de Voltaire, il faut noter un fait très curieux. Tandis que les autres littératures de l'Europe peuvent se vanter d'avoir des épopées antiques, ou des épopées bien antérieures au XVIIIe siècle, la littérature hollandaise n'a aucune épopée originale ou complète avant environ 1700. La Rolantslied n'est qu'une traduction, et on n'en possède que des fragments. Nos romans de chevalerie du moyen âge ne méritent pas le nom d'épopées au sens restreint de ce mot.Ga naar voetnoot1. Vondel, découragé par la perte de sa femme, détruisit, peut-être parce qu'il n'était pas satisfait des chants qu'il avait finis, (Kalff IV p. 259) sa Constantinade inachevée. La première épopée de notre littérature | |
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le Willem de Derde de Lucas Rotgans, parut en 1698 et en 1700. La littérature hollandaise avant 1700 étant presque totalement dépourvue d'épopées, on serait tenté de dire qui les Hollandais ‘n'ont pas la tête épique’. Mais voilà le XVIIIe siècle, ce siècle anémique, qui vient protester contre cette assertion. En 1741 parut de Gevallen van Friso de Willem van Haren, suivi en 1769 d'une épopée ‘épisodique’, intitulée de Geuzen, de son frère Onno Zwier. D'autres épopées virent le jour: en 1774 Klaudius Civilis de Frans van Steenwijk, en 1779 Willem de Eerste de Jan Nomsz, et Germanicus de Lucrétia van Merken, en 1789 Maurits van Nassau, encore de Nomsz. Bien qu'elles appartiennent au XIXe siècle, ajoutons Socrates et de Hollandsche natie de Helmers, en 1812, et de Ondergang der eerste Wareld de Bilderdijk, en 1820. Et le XVIIIe siècle vit paraître non seulement ces épopées profanes, mais aussi nombre de poèmes bibliques, ayant la forme d'épopées. Les critiques du temps leur ont refusé le titre d'épopées et les ont nommés ‘biographies rimées’. C'est Vondel qui en 1662 composa le premier une sorte de ‘biographie rimée’ avec son Joannes de Boetgezant. Petrus Rabus publia en 1681 un pendant à ce récit: De Kruisheld, ofte het leven van den Apostel Paulus, qui avait pourtant si peu de valeur, que Jan van Hoogstraten entreprit, en 1712, un poème sous le même titre. Quatre ans plus tard parut de Coenraat Droste: het Leven van den Koning en propheet David, qu'on avait complètement oublié, lorsque Lucrétia van Merken publia, en 1767, son David en douze chants. Ensuite parurent de Joan de Haes: Jonas de Boetgezant (1724), de Govert Klinkhamer: de Kruisgezant of het leven van den Apostel Petrus (1725), et d'Arnold Hoogvliet: Abraham de Aartsvader (1727). Ce dernier poème eut tant de succès qu'il atteignit, en 1780, sa dixième édition. Pieter Schim de Maassluis, dans son panégyrique, dit que Hoogvliet avait surpassé non seulement Rotgans, mais aussi Virgile et Homère. Nommons pour compléter la liste: Laurentius Steversloot: Jona de profeet (1730), G. Klinkhamer: Het Leven van den Profeet Elisa (1740), Frans van Steenwijk: Gideon (1748), Frederik Duim: Jacob de Aartsvader (1752), Mr. Willem Hendrik Sels: Salomon, Koning van Israël (1765), Lucrétia vanGa naar voetnoot2. | |
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Merken: David (1767), Jan Wesselsz: Het Leven van den Aartsvader Joseph (1769), et Nicolaas Versteegh: Mozes (1771).Ga naar voetnoot1. Nous avons parcouru toutes les épopées profanes, nommées cidessus, et toutes les épopées bibliques, postérieures à l'édition de la Henriade de 1728, et voici ce que nous avons trouvé. Willem van Haren emprunta la matière de son épopée à des chroniques frisonnes, qui racontent que, du temps d'Alexandre le Grand, un jeune prince indien, nommé Friso, chassé par un traître, Agrammes, après de longues pérégrinations, était entré dans le ‘Vliestroom’, et avait fini par être proclamé roi des ‘Alanes’ qui, depuis lors, s'étaient nommés Frisons. Cette épopée est moitié un pendant de l'Enéide, moitié une reproduction des Aventures de Télémaque de Fénelon, mais plusieurs détails ont été empruntés à la Henriade.Ga naar voetnoot2. Ainsi Friso rencontre à l'embouchure du Gange, dans une forêt déserte de hauts sapins, un solitaire à qui il raconte ses aventures, et qui l'initie à la religion de Zoroastre. En arrivant dans l'île de Taprobane, Friso a le bonheur de découvrir une conspiration contre le bon roi Charsis; les prêtres excitent le peuple à la révolte et......l'auteur déblatère contre eux, comme Voltaire au Xe chant de la Henriade. Arrivé en Carmanie, Friso assiste au meurtre du roi Orsines, meurtre qu'on peut comparer à celui de Coligny, au IIe chant de la Henriade. Enfin débarqué en Frise, Friso fait un rêve où un ange lui apparaît, et lui promet qu'il montera sur le trône des Frisons, s'il tue un dragon. Réveillé, Friso, accompagné de l'ange, descend dans un gouffre, tue le monstre, voit en enfer les âmes de ceux qui expient des péchés différents, et, de retour, est proclamé roi. Cette fin a été changée dans la seconde édition de l'épopée, où la descente en enfer est supprimée, et où le rêve se prolonge en une vision, montrant à Friso sa postérité, c'est-à-dire les différents stathouders. Les autres auteurs d'épopées profanes ont pris leur matière dans l'histoire nationale. Onno Zwier van Haren choisit pour sujet l'histoire des premiers jours de notre révolte contre l'Espagne, comme le titre de son oeuvre l'indique, la prise de ‘den Briel’, le voyage de De Rijk en Angleterre, et les premières entreprises des ‘Geuzen’ en Zélande. Dans les Ophelderingen l'auteur dit que le sujet ne se prêtait pas | |
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à l'usage du merveilleux. On y trouve pourtant un passage emprunté du VIIe chant de la Henriade. Dieu envoie à Guillaume d'Orange l'Espérance, qui le plonge en un rêve, où le prince, à la restauration du stathoudérat, se voit au cabinet des tableaux de Witsen à Amsterdam. Ces peintures lui révèlent les faits les plus importants de l'histoire nationale, et la gloire de sa maison. Voltaire introduit l'amour par l'épisode de Gabrielle au IXe chant. Onno Z.v. Haren nous donne quelque chose de pareil dans l'épisode de Rosemond, presque à la fin de son épopée. Frans van Steenwijk prit pour sujet une autre crise de notre histoire, crise peu importante, et on ne peut pas précisément dire d'une date très récente: la révolte des Bataves contre les Romains. La matière lui en avait été fournie par Tacite.Ga naar voetnoot1. A plusieurs endroits on constate dans ce poème l'influence de Voltaire. Les Bataves sont opprimés par les Romains. Civilis quitte la contrée, occupée par la tribu des Bataves, pour aller demander du secours à Brinio, chef des ‘Kaninefates’, qui habitent le littoral. Civilis et Brinio ont un entretien dans la simple demeure d'un vieillard vénérable, qui a joué autrefois un rôle important, mais qui s'est retiré dans la solitude, pour y pleurer la déchéance de son peuple jadis libre. Civilis fait un long récit de la misère où les Bataves ont été plongés, depuis l'arrivée des Romains, et Brinio lui promet du secours. Voilà qui ressemble beaucoup aux deux premiers chants de la Henriade. La lutte commence entre les Bataves, les Kaninefates et les Frisons, alliés contre les Romains, qui subissent une défaite par la trahison du chef de leur cavalerie Labeo, fils du vieillard vénérable. Peu de temps après, ce Labeo fait un rêve, où la Politique lui apparaît sous la forme de la Vérité, comme, au Ve chant de la Henriade, le Fanatisme emprunte ‘de Guise et la taille et les traits’, pour aller trouver Jacques Clément. Les Bataves investissent Castra Vetera, qui après un long siège, se rend, réduit par la famine. Sur ces entrefaites Vespasien est devenu empereur, et envoie des renforts, sous le commandement de Cerialis. Et pour que l'épisode de Gabrielle ne manque pas, l'auteur intercale un passage où il peint l'amour du général romain pour la ‘dartle Klaudia’. L'épopée se termine par la capitulation des Bataves, qui renouvellent le traité après avoir reçu la promesse formelle de n'être plus opprimés. | |
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Prenons maintenant les deux épopées de Jan Nomsz: Willem de Eerste et Maurits van Nassau. Dans la première: Willem de Eerste, of de Grondlegging der Nederlandsche Vrijheid en.........24 (!) chants, l'auteur traite un grand morceau de notre histoire, divisé en quatre périodes: le règne sanglant du duc d'Albe, le gouvernement moins cruel, mais plus dangereux de Don Louis de Requésens, la situation critique des Pays-Bas sous Don Juan d'Autriche, et la période du gouvernement d'Alexandre Farnèse, prince de Parme. Comme Voltaire, qui chante ‘ce héros qui régna sur la France’, Nomsz commence par: ‘Ik zing den vroomen held, die Nêerlandsch recht verweerde ......’ Après l'exposition, qui ressemble beaucoup à celle de Voltaire, et l'invocation de la Sagesse - Voltaire invoque la Vérité - Nomsz continue: Philips, een Spaansche Prins, des vijfden Karelszoon ............ On lit dans la Henriade: Valois régnait encore et ses mains incertaines ...... Après sa première défaite, le prince d'Orange se rend en France, explique à Coligny la situation des Pays-Bas avant l'arrivée du duc d'Albe, et demande du secours. Tout cela prend quatre chants; dans le dernier, l'auteur nous fait un tableau de l'enfer, qui est une imitation de celui du VIIe chant de la Henriade. Le Juge incorruptible, ‘de onkreukbre Rechter’, fait sortir de l'enfer, par l'intermédiaire de l'ange Gabriel, un esprit menteur, qui, prenant la forme de la Sagesse, va donner de mauvais conseils au duc d'Albe. Au XIIIe chant, l'auteur est arrivé au siège de Leyde. Le commandant des troupes espagnoles, De Valdez, se trouvant encore à La Haye, fait la connaissance d'une jeune fille, réfugiée de Leyde, et en tombe amoureux. Le portrait que l'auteur fait d'elle, est la traduction de la description de Gabrielle. Au chant suivant le prince d'Orange est malade, et prie pour le salut du pays. Dans sa prière, Nomsz intercale encore quelques passages du VIIe chant de la Henriade. Cependant le siège de Leyde continue, et l'occasion se présente de placer une description de la famine (Henr. Ch. X). Puis viennent au XVIIIe, au XIXe et au XXIe chant quelques tirades contre les mauvais princes et les prêtres, dont la dernière est une amplification d'un passage du IVe chant de la Henriade. La seconde épopée de Nomsz: Maurits van Nassau, prins van Oranje, en six chants, traite des premiers faits d'armes du prince Maurice, après la mort de son père, principalement de la bataille de Nieuport, et se termine par la Trève de Douze ans. L'auteur | |
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invoque la Poésie, en un passage dont les premiers vers ont été empruntés au VIIe chant de la Henriade. Au second chant on peut lire une tirade anticléricale, prise encore une fois au IVe chant de l'épopée française et quelques vers tirés du VIIe chant. Ces derniers vers reviennent au IIIe chant de Nomsz. A la fin de la Henriade, Henri IV reconnaît ‘l'église ici-bas combattue, le Christ qui descend sur les autels, et lui découvre un Dieu sous un pain qui n'est plus’. Nomsz s'est servi de ce passage pour en faire une longue description des cérémonies de l'Église catholique, finissant par une tirade anticléricale, où il parle de Clément, de Ravaillac et de Balthasar Gérards. Tout cela prend dix pages de son IVe chant. Le Ve chant, qui commence comme le VIIe chant de l'épopée de Voltaire, renferme un songe où le prince Maurice voit paraître son aïeul Adolphe, qui le conduit au palais de Dieu, au delà des astres, où il lui montre le sort de Frédéric Henri, de Guillaume II, des frères De Wit, de Friso, de Guillaume IV et de Guillaume V. On le voit, c'est en quelque sorte, tout le songe du VIIe chant de la Henriade. Et à la fin (ch. VI) Gabrielle reparaît dans la description de l'Infante Isabelle. Quant à la dernière épopée profane, le Germanicus de Lucrétia van Merken, qui fait vivement penser à la Pharsale, nous n'y avons rien trouvé qui révèle quelque souvenir de Voltaire. Passons maintenant aux ‘épopées bibliques’. Nous pouvons écarter tout de suite: Jona de Propheet de Laurentius Steversloot, Jacob de Aartsvader de Frederik Duim, et Het Leven van den Aartsvader Joseph de Jan Wesselsz, où tout indice de l'influence de Voltaire manque. Pour une seule épopée, Abraham de Aartsvader d'Arnold Hoogvliet, nous hésitons. L'auteur suit le récit biblique (Genèse Chap 12-15) mais il introduit dans son poème, en plusieurs endroits, un merveilleux allégorique. Or, nous avons examiné sur ce point Joannes de Boetgezant de Vondel, Het Leven van den Apostel Paulus de Van Hooghstraten, Judas de Verrader et Jonas de Boetgezant de Joan de Haes, tous antérieurs à Abraham de Aartsvader. Le premier et les deux derniers n'emploient qu'un merveilleux chrétien, tandis que le second fait du merveilleux allégorique un usage fort modéré; nous n'avons pas trouvé chez lui l'emploi de la Discorde et de la Politique, qui se rencontrent tant de fois chez Voltaire. Ce qui nous a frappé, c'est que de toutes ces épopées bibliques celle de Hoogvliet est la première qui se sert de ces | |
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deux figures allégoriques. Faut-il y voir encore l'influence des ‘Spelen van Sinne’, ces braves allégories, qui avaient eu tant de succès dans la dernière moitié du XVIIe siècle, et dont nous trouvons encore quelques spécimens chez Feitama, ou faut-il y trouver l'influence de la Henriade? Nous n'osons pas répondre d'une manière décisive. La première épopée biblique, où l'influence de la Henriade est indéniable, est het Leven van den Propheet Elisa de G. Klinkhamer. La matière est prise dans le premier livre des Rois. Chap. XVIII et XIX et dans le second livre des Rois Ch. II-IV-V, VIII, IX-X, XII et XIII. Au Ier chant de Klinkhamer on trouve un passage, où le prophète Élie monte aux cieux dans un tourbillon, et où le poète imite un passage du VIIe chant de la Henriade. Au IIIe et dernier chant on peut lire une imitation de la description de la famine de Paris (Henr. Ch. X). La seconde est le Gideon de Frans van Steenwijk. Le sujet a été tiré du livre des Juges (VI-VIII). Israël est opprimé par les Madianites; un ange apparaît à Gédéon, et lui donne mission de délivrer son pays. C'est ce qui est raconté dans les deux premiers chants de l'épopée, où le poète a imité un passage du IVe chant et tout le rêve du VIIe chant de la Henriade, avec son: ‘Dans le centre éclatant ......’ Dans le reste nous n'avons rien trouvé. Le poète a fait un usage démesuré du merveilleux allégorique, mais comme pour Abraham de Aartsvader, nous ne savons pas s'il faut l'attribuer à l'influence de la Henriade. Nous venons à l'épopée de Mr. Willem Hendrik Sels, intitulée Salomon, Koning van Israël in XII boeken. L'auteur a suivi la Bible, au premier livre des Rois I-XI. Au sixième chant de son poème cependant, après avoir parlé de la seconde apparition de Dieu à Salomon (I Rois IX), il s'écarte du récit biblique, pour raconter la conversion de la reine, princesse égyptienne, jusque-là fidèle à la foi de ses pères. Dans ce passage il peint la reine comme Voltaire sa Gabrielle. Après une courte défaillance - chez Voltaire l'amante de Henri IV s'évanouit de tristesse, en voyant son amant partir - elle se reprend, comme la belle d'Estrée. Au IXe chant de Salomon on voit la Discorde du IVe chant de la Henriade fendre les airs et semer la dissension. Nicolaas Versteegh prit la matière de son Mozes in twaalf boeken dans Exode I-XXXI, Nombres XIII-XXIII et Deutéro- | |
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nome XXXI-XXXIV. On y constate toujours l'influence du IXe chant de la Henriade. Quand, au IIIe chant de Versteegh, Moïse a demandé au sacrificateur de Madian la main de sa fille, Séphora (Exode III v. 16), la jeune fille entre dans ‘la chambre’, apprend en rougissant la prière du jeune homme et ......... c'est encore Gabrielle. Puis, au IVe chant, lorsque l'auteur veut raconter l'apparition de Dieu à Moïse, il est embarrassé, il demande aux anges leurs ailes, pour monter, et voilà ...... il se sent soulevé et transporté au Palais céleste - comme Henri IV au VIIe chant - où l'Éternel lui dit ce qu'il a promis à la progéniture de Moïse. Enfin, au Ve chant, on trouve quelques vers qui sont une réminiscence du passage où Voltaire nous décrit le pape Sixte-Quint (VIIe chant). Dans la préface de David in 12 boeken Lucrétia van Merken s'excuse de ne pas avoir strictement suivi les ‘règles’. Quand un sujet est grand par lui-même, plein de diversité, on n'a pas besoin d'ornements et de digressions. Il vaut mieux renoncer au nom de poète épique que de faire tort à une histoire sacrée, en suivant timidement des règles artificielles. Aussi s'est-elle bornée à rendre fidèlement le récit biblique de I Samuel XVIII-XXXI. Néanmoins elle a introduit au XIe chant un rêve de David, où le patriarche Abraham lui apparaît, pour lui communiquer l'arrêt secret du ciel, et lui faire connaître le passé et l'avenir (Henr. Ch. VII). Quant aux épopées du commencement du XIXe siècle, nous avons trouvé encore l'influence de la Henriade dans deux poèmes de Helmers, qui ont pour titres Socrates et de Hollandsche Natie. Dans le poème Socrates l'auteur raconte la condamnation et la mort du philosophe grec. Comme, au Ve chant de la Henriade, le Fanatisme apparaît sous la forme de De Guise à Jacques Clément, la Superstition, au premier chant de Socrates, apparaît, sous la forme de l'Intérêt, à Mélitus, le grand-prêtre, qui veut la mort du philosophe. Lorsque Socrate fait sa profession de foi, on reconnaît dans ses paroles les idées exprimées par Voltaire dans les vers 107-112 du VIIe chant de la Henrìade. Quand Helmers décrit au deuxième chant, le Temple de Pallas, il s'inspire par la description du Temple de l'Amour (IXe ch.). Au troisième et dernier chant on lit que l'Etre suprême ordonne à l'archange Uriel de chercher l'âme pure du philosophe, et de la porter au paradis. Dans ce passage on constate l'influence des vers: ‘Dans le centre éclatant ... Le dernier poème de Helmers chante la gloire des ancêtres. | |
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Le premier chant, portant le titre de Zedelijkheid, commence par une exposition, et par l'invocation de la Vérité. Vers la fin du IIe chant, intitulé Heldenmoed ter land, le poète est transporté aux Champs Élysées, où il voit les hommes illustres de l'histoire de Hollande. Ce passage contient des vers imités du IXe chant de la Henriade. Au IVe chant, nommé Zeevaart, faisant la description de l'amour d'Egeron pour Adeka, Helmers traduit quelques vers du IXe chant du poème de Voltaire. Et aux deux derniers chants: de Wetenschappen et de Schoone Kunsten, on lit encore des vers inspirés par le fameux passage du VII chant de la Henriade. Dans le poème de Bilderdijk De ondergang der eerste Wareld nous n'avons pas constaté l'influence de Voltaire. Résumons ce que nous avons trouvé. A l'exception de Germanicus, toutes les épopées profanes du XVIIIe siècle en Hollande montrent l'influence de la Henriade de Voltaire et, partant de ce fait que dans la littérature hollandaise le genre épique manque avant le XVIIIe siècle, nous ne croyons pas trop nous hasarder en disant que c'est le succès de la Henriade qui a amené nos poètes à s'engager dans une voie où ils pensaient cueillir des lauriers, conquérir la gloire et l'immortalité. Et cette influence ne s'est pas arrêtée là. Plusieurs auteurs d'‘épopées bibliques’, genre tout hollandais, manifestation caractéristique du protestantisme réformé de nos ancêtres,Ga naar voetnoot1. ont imité les passages de la Henriade qui avaient eu le plus de succès. Ce qu'il nous reste encore à étudier après les traductions et les imitations, c'est la critique de la Henriade dans les revues hollandaises du XVIIIe siècle. Nous traiterons ce sujet dans notre dernier chapitre. |
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