Moderne kunst in Nederland 1900-1914
(1959)–A.B. Loosjes-Terpstra– Auteursrechtelijk beschermd
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La sensibilite moderne et le tableauUne erreur entretenue avec zèle par les dilettanti et tous les parasites de l'art tend à faire croire que l'oeuvre est toujours un produit accidentel de l'esprit humain. Rien cependant de plus puérilement faux. Comme toutes les manifestations importantes du génie de l'homme l'oeuvre d'art a ses lois et apparaît à son heure. Pour qui se place à un point de vue un peu élevé, les conditions dans lesquelles se manifestent les fortes époques n'ont rien de surprenant: seule, peut être surprenante leur plus ou moins importante valeur qualitative. C'est ainsi, qu'après le triomphe de la fresque, l'art du tableau est un événement parfaitement logique en correspondance absolue avec les aspirations de l'époque. A Florence, à la Chiesa del Carmine, dans l'oeuvre à fresque de Massacio et de Lippi, cette tendance très nette vers le tableau est sensible; ces peintures de grande dimension n'utilisent plus que très peu d'élements dits décoratifs. Certes, de très beaux tableaux et d'admirables portraits ont été peints pour les églises et les seigneurs du XVer siècle mais il est à remarquer que la technique et les concepts des peintres de cette époque tenaient beaucoup encore de l'ancien mode d'expression. Il est indiscutable que parmi les raisons qui poussèrent les artistes à abandonner la compréhension ornementale de la fresque beaucoup furent d'ordre social mais il en est d'autres et il faut voir dans l'avènement du tableau une évolution complexe de l'esprit pictural. Avec le tableau naquirent d'autres préoccupations, et de nouvelles possibilités furent entrevues par l'artiste. Les jeux de l'ombre et de la lumière lui devinrent plus facilement exprimables que dans l'à-plat ornemental. Le modelé, les perspectives lui permirent des subtilités de nuances. Par le clair-obscur, que pressentit déjà Léonard, l'oeuvre acquit une forme enveloppée, elliptique, fertile en sous-entendus et connut une richesse et une joie plus grande de la matière (Ecole de Venise) par les transparences mystérieuses de l'huile. Cette conception de la peinture s'imposa pendant près de quatre siècles et fut servie par de très grands artistes selon les moyens de leur talent ou de leur génie. Vers la fin du siècle dernier, la sensibilité des peintres se trouva à l'étroit dans des formules vieillies qui la traduisaient mal. L'impressionnisme fut indéniablement la première et la plus importante innovation dans une suite de recherches qui aboutissent aujourd'hui à un concept nouveau de tableau. Le rôle initiateur de Cézanne fut d'ajouter aux soucis de l'impressioniste (soucis limités au coloris) ceux, beaucoup plus importants, de l'ordonnance et de la construction. Il rêva, selon ses propres paroles, de faire de cet art un art qui rejoignit celui des Musées. Le génie très français de Cézanne le poussait de suite à ordonner, à condenser, pour lui donner plus d'ampleur, cette émotivité moderne, encore confuse chez ses contemporains. Des diverses modifications qu'a subies la sensibilité chez les artistes à la fin du siècle dernier, certaines sont du domaine de la philosophie de l'art et intéressent surtout les esthéticiens, d'autres ont des causes simplement évidentes. On ne peut nier l'influence du milieu, constatée à toutes les époques. Les facilités de voyager, en développant dans les villes le cosmopolitisme, nous permet- | |
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tent d'observer et de comparer journellement des types de races les plus différentes. Les moyens rapides de deplacement, nous faisant voir des paysages très différents dans un court laps de temps, nous ont amenés à une vision plus synthétique de la nature. Les réalisations scientifiques offrent à notre oeil des formes jusqu'ici inconnues. Les machines, le moteur, l'électricité ont altéré l'idée que nous avions du mouvement et de la force. L'activité industrielle a bouleversé l'aspect des cité's en créant des perspectives inattendues, des architectures audacieuses, des dissonnances bizarres. Des notions capitales se sont déplacées. La machine aux angles durs nous a donné du mouvement une image violente et mathématique que ne pouvait laisser prévoir autrefois la marche d'un homme ou la course d'un animal. L'artiste trouve un intérêt spéculatif dans le décor qu'il subit quotidiennement; il ne se satisfait pas en traduisant directement la représentation de la vie moderne; il cherche à en donner l'équivalence plastique. Toutefois cette représentation du mouvement moderne ne nécessite pas l'idée fixe de l'automobile à quinze roues et les dissonnances de la rue (violences de l'affiche et du panneau réclame) n'imposent par au peintre l'emploi exclusif de leur tonalités. Ce serait là un concept facile qui éluderait par un pittoresque enfantin et maniéré toutes les difficultés du problème pictural que tente de résoudre chaque époque d'art. C'est ici précisément que se place le rôle créateur et ordonnateur de l'artiste. Son cerveau enregistre des formes, des lignes, des couleurs, un rythme nouveau. Il en tire des éléments de beauté neuve pour créer une langue avec laquelle il s'exprime, souvent même à propos de tout autre chose que de la rue, des usines, de la mécanique. Il n'entre pas dans l'intention de l'artiste de systématiser les données nouvelles de la perception. Il entend fournir à l'époque dans laquelle il vit son mode d'expression propre, suffisamment humain et puissant pour défier le temps. Les lois qui présidaient à l'ordonnance du tableau ancien ont évolué. L'esprit moderne s'est lassé des équilibres attendus. Il donne aux surfaces primordiales de l'oeuvre des délimitations plus imprévues, affirmant ainsi la rapidité et la diversité de ses concepts. Le schéma (soit qu'on le nomme encore arabesque ou ligne abstraite du tableau) ne cherche pas à s'imposer aussi directement, mais à apparaître comme le résultat d'une relation de volumes, de formes, de tâches colorées. Dans son désir de prendre connaissance de l'objet, l'artiste ne se satisfait plus de modelé savant et de la perspective de ses devanciers: il observe les modifications subies par cet objet dans l'espace et cherche à en donner une inscription concise qui en décuple la force de représentation. En établissant une rampe, comme l'on dit en termes d'optique entre l'image et nous, le clairobscur la séparait des réalités extérieures par les à-peu-près intuitivement évalués de la vraisemblance; il multipliait les accidents plastiques de l'ombre et de la lumière. La complexité moderne, lassée peu à peu de la monotonie du ‘pleinairisme’, ne pouvait négliger ce mode d'expression qu'ignorèrent les orientaux, les primitifs de tous temps et que Rembrandt illustra génialement. Cependant l'inscription nouvelle des formes et des volumes, en diminuant l'importance de la rampe optique, permet à l'artiste un jeu plus libre d'ombre et de lumière qui sert mieux la mobilité et la variété de ces concepts. | |
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Une modification parallèle se fait sentir dans le coloris. En accordant aux anciens la part la plus large à l'intuition, nous constatons que tout leur effort les portait à conserver aux couleurs principes, leurs résonnances ou leur justesse dans les différents accidents de l'ombre, de la demi-teinte ou de la lumière. Il s'en suivait une harmonie que notre sensibilité, autre, rejette et qu'elle rompt dans un désir d'animer d'une vie plus multiple, plus intense, la surface colorée. Aussi les tons se juxtaposent-ils avec moins de ménagement dans les transitions. Des trous, voulus, se créent et des souplesses délicates s'établissent quand l'accord est moins distant. De ce contraste de dissonnances et d'accords le coloris gagne en intensité. Une préoccupation trop souvent négligée est celle des matières qui, vouées à un rôle nouveau, pourraient doter l'oeuvre d'une puissance d'expression, sinon capitale, du moins très importante si l'on ne veut négliger l'avantage marqué qu'offre sur la fresque la peinture à l'huile. Le choix des matières minces, grasses, fluides, transparantes ou neutralisées, riches en teinture ou rompues, présentent à l'artiste une multiplicité de ressources pour traduire la vivacité de son émotion ou en cristalliser la complexité. Il ne s'agit pas uniquement d'obtenir sur la surface colorée le sentiment de la substance des choses (préoccupation réaliste) ou leurs fugaces apparences (impressionnisme) mais bien de mettre au service de l'intuition ce pouvoir étonnamment suggestif et cette vie intérieure que la peinture peut contenir dans son éclat, dans ses mysterieuses transparences, ou dans son rayonnement profond. Plus que jamais le sujet n'est pour le peintre que ‘prétexte à peindre’. La préoccupation excessive du sujet ne s'est jamais rencontrée que dans les écoles maniérées ou décadentes. Un autre manièrisme serait sa suppression totale, pour le simple jeu des volumes ou des taches colorées. S'il supprimait ce duel si passionnant qui se livre entre son cerveau et la vie extérieure l'artiste aboutirait à une peinture d'état d'âme d'un intérêt plastique forcément restreint. Certes beaucoup de ces considérations seraient à envisager plus longuement qu'il n'est possible de la faire en prévenant ainsi quelques objections faciles. Des esprits superficiels out tenté notamment d'infirmer ces recherches en les taxant de ‘théories’. L'artiste véritable n'est point théoricien aux sens étroit du mot et l'on ne saurait nommer ‘théories’ ce continuel enchaînement de préoccupations qui sont précisément d'un très grand intérêt dans la création d'une oeuvre. L'ampleur d'expression qui jaillit d'une série de concepts élaborés dans l'inconscient et disciplinés par une logique très sûre échappe au theoricien qui haït l'intuition et dont l'impuissance à généraliser se caractérise par la préoccupation maniaque d'un unique coëfficient d'émotivité. Sur ce coëfficient, incapable de doter de force et de plénitude une oeuvre d'art, le théoricien bâtit mille petits systèmes, plus ou moins ingénieux toujours très maniérés. Il y a toujours eu ‘les théoriciens de l'époque’. Nous avons eu Monsieur Armand Point avec le néo-classicisme, Monsieur Emile Bernard avec le symbolisme pictural, Monsieur Séon avec la Rose-Croix. Pourquoi s'étonner s'il en est de création plus recente. La théorie (et non les méthodes) avec sa petite part de vérité et son grand nombre d'erreurs souvent métaphysiques ou littéraires répugne toujours au peintre. Les méthodes, utiles pour se créer une convention logique, adéquate à l'expression de la sensibilité ne sauraient exister par ellesmêmes sans l'intuition, ce feu intérieur qui anime et généralise les concepts, bouleverse souvent | |
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les prévisions de l'artiste pour se traduire parfois avec âpreté et violence au grand désespoir des théoriciens et des ‘gens dits de goût’. Bien que se présentant avec un inattendu peut être déroutant pour les esprits paresseux cette conception nouvelle du tableau s'imposera pourtant à notre époque parce qu'elle parle la langue des sa sensibilité. Les intelligences affinées distingueront et apprécieront de plus en plus des différences qualitatives (puissanee, charme, subtilité etc.) d'oeuvres qui apparaissent trop souvent sur le même plan aux esprits vulgaires. Ce sera la meilleure réponse à ceux qui s'effraient du nombre croissant d'artistes(?) qui sans la moindre conscience et l'ombre du talent s'avancent au nom de l'art moderne dans une voie où ne les appellent pas leurs précédentes recherches. Peut-être même verrons nous des peintres qui avant-hier encore exploitaient ‘utilement’ le filon des pleinairistes s'élancer avec une foi toujours nouvelle vers un art toujours nouveau. Les jeunes peintres qui poursuivent une évolution lente et réfléchie s'inquiéteraient à tort de ces encombrantes impersonnalités. L'oeuvre d'art possède en propre une force qui ne souffre pas la confusion, qui l'immunise contre le rire des incompréhensifs et l'impose tôt au tard. Pour créer, aussi bien que pour juger les âmes de qualité savent toujours se placer hors des contingences mesquines. le fauconnier |
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