Mijn leven
(1877)–Mina Kruseman– Auteursrechtvrij
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voilà pourquoi je ne vous ai pas répondu plus tôt à votre charmante lettre, qui m'a fait tant de plaisir pourtant, car elle ne m'apporta que de bonnes nouvelles vous concernant. Comme je vous souhaite la continuation des bonnes chances que vous avez eues dans les derniers temps! Le mérite est bien une grande chose, mais cependant, il faut un peu de chance aussi pour parvenir! Et puisque vous avez l'un je vous souhaite l'autre pour que les deux, faisant la paire, vous tiennent un sommet de la vogue et vous fassent jouir sans interruption de votre réputation acquise. Je vous remercie bien cordialement de votre portrait que j'ai placé dans mon album en très bonne compagnie. Oui, envoyez-moi quelques pages de votre opéra s'il vous plait! Vous me ferez un grand plaisir; je me mettrai sagement à les étudier, et cela me fera du bien, après toutes mes querelles, soutenues contre notre presse ignorante et prosaïque. ‘Un peu de poesie, mon Dieu!’ c'est la prière de tous les instants, qu'on fait malgré soi dans ces pays de brouillards et de pluie, où les gens ressemblent au temps et se glorifient de la ressemblance! N'avez-vous jamais été à Paris? La ville aux ruînes modernes, sur lesquelles sont écrit en grandes lettres noires: ‘Liberté. Egalité. Fraternité.’ Où se niche le sarcasme! Dans le temps de la guerre on pouvait trouver partout du papier à lettres ‘couleur fumée’, des ornements de toilette ‘couleur cendre’, des pipes à cigares ‘couleur poudre à canon’ etc etc. Maintenant on trouve dans la première ville du monde un opéra sans troupe! Figurez-vous qu'au grand opéra de Paris, j'ai vu Faust, chanté par un ténor sans voix, par une basse, représentant un diable de cent kilos et par une Marguérite de cinquante ans! - C'est que le ‘grand opéra’ tient lieu de tout. Ce bâtiment colossal, d'un style qu'on pourrait appeler, ‘diminué’, est tellement surchargé de dorures, d'ornements de tous genres et d'embellissements de mauvais goût, que la direction compte sur un public d'étrangers, non pas pour venir écouter les chanteurs, mais pour venir voir un bâtiment qui ressemble à une exposition! Et le public vient, regarde, et ne revient plus. N'importe, à d'autre! La population flottante sera renouvelée demain et un autre public regardera cet assemblage de choses chères, comme on regarde un amas d'échantillons! Soit. La direction fait des économies, la presse glorifie les dorures et les glaces, et les bons artistes quittent la France. Tout le monde prend son parti en brave et se tait, donc, tout le monde est content. Vivent la Liberté, l'Egalité, et la Fraternité, qui décorent, là aussi, les murailles extérieures! .........................
Mina Krüseman. |
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