Mijn leven
(1877)–Mina Kruseman– AuteursrechtvrijMadame F. Bruxelles.
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spire, et eux, ça leur effraye! La seule chose qui me fait peur, c'est de chanter en anglais! Cette horrible prononciation anglaise tue le son, mais le public ne s'inquiète plus de la musique du moment qu'il s'agit de chanter en anglais, s'il comprend ce que vous dites il lui importe bien peu sur quelles notes vous lui racontez la chose! - Et cela dans un pays ou l'on a l'amour du son à un tel degré, qu'on aime tout bruit, n'importe à quel genre il appartient! Il y a un nègre ici, Tom l'aveugle on l'appelle, qui est pianiste; je ne l'ai pas entendu, mais, d'après ce qu'on dit, il doit avoir un talent hors ligne; eh bien, ce nègre, lors-qu'il était petit, aimait tellement les sons, qu'il était toujours derrière des enfants plus petits que lui, pour les battre, les pincer ou les bruler, afin de les faire crier, ces cris l'amusaient tant, qu'on le trouvait souvent dans une exaltation voisine à l'extase! | |
13 Avril.Que c'est difficile d'écrire quand on est dans une famille! Tantôt un enfant qui pleure, un autre qui tombe, un troisième qui étudie ses leçons et vous questionne sur des substantifs et des verbes tout autres que ceux que vous avez dans votre tête! Oh! les enfants! Je les souhaite dans la lune bien souvent! Que faites-vous si longtemps à Wilmington, vous demanderez peut-être. Ce que j'y fais?... J'attends. Je suis en correspondence avec un monsieur qui veut m'engager pour un tour en Australie, qui doit finir par l'Angleterre, l'Ecosse et l'Irlande. J'aimerais énormément ce voyage, mais je ne sais pas encore quelles seront les conditions et je ne puis le savoir avant trois semaines, quand j'irai chanter à Columbia, où je ferai la connaissance de mon nouveau manager, et où nous tâcherons de nous arranger pour l'avenir. Après tous mes succès ici, dans le Sud, il m'est assez facile de trouver un autre engagement, le difficile c'est d'en trouver un qui soit bon (lucratif) car le monde est excessivement pauvre par ici. Dans le Nord ce n'est pas l'argent qui manque, on y compte les millions par dollars plus souvent qu'on ne les compte par francs en Europe; seulement les engagements ne s'y font pas aussi loyalement qu'ils se font par ici, et l'argent qu'on offre à l'artiste se paye à la femme. Rien n'est plus difficile pour une femme que de rester pauvre à New-York. On vous offre tout ce que vous pouvez désirer dans le monde, succès et triomphes, voitures et maisons, n'importe quoi enfin, mais à l'artiste seule on ne donne rien, pas même le droit de se produire en public et de travailler pour vivre. ......................... Dimanche passé j'ai été à l'église baptiste, où j'ai vu baptiser un jeune homme et une dame. Figurez-vous qu'après le ser- | |
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mon, la chaire s'en va sur des roulettes avec tout le plancher de l'estrade `au fond de l'église (changement de décoration!) et découvre un bassin, rempli d'eau, dans lequel le ministre entre le premier, suivi par un des confirmés, qu'il baptise en le plongeant entièrement sous l'eau. Après celui là vient un autre, et ainsi de suite, le ministre restant toujours jusqu'à la poitrine dans l'eau, et terminant la cérémonie par une prière et par une bénédiction, qu'il prononce dans son bain! Rien n'est curieux ici comme les fictions religieuses et politiques. On se querelle pour une suposition, on se bat pour une promesse et au fond de tout cela, il n'y a de réel que la folie humaine! Les églises se révoltent les unes contre les autres, se méprisent et se condamnent réciproquement! Si toutes pouvaient avoir raison en jugeant les autres, elles finiraient toutes en enfer! En fait de politique, la part du bon sens ne vaut pas mieux qu'en fait de religion. La liberté et l'égalité Américaine, tant prônées, tant admirées, tant enviées de loin, n'existent pas ici. Les nègres n'ont pas d'autre droit que celui duGa naar voetnoot1 vote, parce qu'ils n'ont pas d'opinion à eux, et se prètent sans observations au choix qu'on leur impose. Pour le reste, ces pauvres noirs ne sont en rien égaux aux blancs. Ils ne sont admis ni aux écoles, ni aux théatres, ni aux concerts, ni aux églises même. Quand un nègre veut apprendre quelque chose, il lui faut le double d'intelligence, d'énergie et de perséverance pour parvenir à moitié aussi bien qu'un blanc. Rien ne les encourage, et quand ils sont parvenus, rien ne les récompense. J'ai entendu un nègre prècher dans une pauvre petite église de noirs, c'était le meilleur sermon que j'ai entendu en Amerique. On me dispute le droit de le dire, puisque ce n'était qu'un nègre! Et pourtant, que de luttes, que de peines, que de souffrances cet homme a dû subir pour en arriver là! Ministre dans une misérable, petite église, dont l'ignorante congrégation ne le comprend pas et ne l'appréciera jamais! Dans les écoles on n'admet pas des noirs. ‘Ils ont leurs écoles à eux.’ dit-on. Oui, à huit heures du soir, quand ils sont fatigués à dormir debout, on leur fait payer 50 centimes par semaine pour apprendre à lire et à écrire! Quant aux amusements, c'est plus fort encore; au théatre le paradis est reservé aux noirs, aux concerts on leur refuse l'en- | |
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l'entrée voudraient-ils payer dix fois le prix de leur ticket! Moi, qui n'admets d'autre égalité que celle de l'intelligence et de l'âme, je suis bien ici, au milieu de toutes ces quasi libéralismes que je dépasse d'un siècle! On me trouve insensée et sauvage (autant qu'en Europe) de plus on me trouve dangéreuse, parceque j'entraine les gens qui veulent me convertir à suivre ma religion, qui n'en est pas une! Tout le monde ici à commencé par me demander à quelle église j'appartenais et, comme la réponse était invariablement ‘a aucune’, chacun se crut obligé de me gagner pour la sienne. On m'a appelée ‘payenne’ et ‘athée’, on m'a fait des speeches sur la foi et sur la grâce divine, on m'a promis des passeports pour le ciel, on m'a envoyée en enfer sans aide du tout, seule et delaissée comme une paria, on a tout fait enfin pour me faire comprendre que j'étais ignorante et pervertie et par conséquent malheureuse et damnée. Mais tout ce qu'on y a gagné, c'est que je leur ai prouvé, le doigt sur la plaie, que la religion, en général, est une arme pour les forts, un masque pour les faibles, un spectre pour les sots, une protection pour les mauvais, mais rien du tout pour les gens justes et raisonnables. - ‘Impie!’ on m'a appelée, et tout en acceptant la dénomination, je leur ai prouvé plus de cent fois qu'ils étaient plus impis que moi. ......................... C'est que je ne puis pas finir quand j'ai commencé à causer avec mes amis au Ioin. J'ai tant à vous raconter encore! Tant d'histoires pénibles et tristes, gaies et comiques, mais je n'ai ni le temps ni l'occasion d'écrire ici. Quand on est toujours entouré de toutes sortes de gens qui crient et parlent, se disputent ou pleurent, on n'a guère la tête à soi et on ne sait plus soi-même à la fin, ce qu'on a dit et ce qu'on a oublié de dire! - Comme un de mes amoureux, qui est devenu fou l'autre jour; on me dit que c'est ma faute, parceque je ne voulais pas le marier, comme si je pouvais marier tous les fous qui deviennent amoureux de moi! Il y en a deux à New-York qui, ne m'ayant vue que dans l'omnibus et dans la rue, m'ont demandé mon adresse dans le journal, pour venir me voir et faire ma connaissance ‘dans un but honorable.’ Les amours en Amérique! Je pourrais en écrire un volume très amusant, peut-être le ferai-je un jour! La semaine prochaine j'ai trois concerts encore, à Rockingham et à Augusta, puis les catholiques veulent me tenir ici par charité, ainsi que les méthodistes, tous veulent donner des concerts, quand ils peuvent avoir les artistes pour rien, mais moi, je m'en vais, je suis lasse de toute cette charité cruelle, qui n'affiche le bien que pour pouvoir faire impunément le mal. .........................
Mina Krüseman. |
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