Mijn leven
(1877)–Mina Kruseman– AuteursrechtvrijMonsieur G. Cabel Bruxelles.
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et si je n'avais pas eu assez de succès pour vous pardonner votre paresse. ......................... Il faut être un peu millionnaire pour donner des concerts ici, aussi je ne crois pas que je me donnerai encore la peine d'arranger quoi que ce soit, en fait de musique moi-même. Les managers dépensent de quarante à soixante mille dollars pour faire la réputation d'une troupe à New-York, puis ils font une tournée dans les autres Etats de l'Amérique et se rattrappent là bas. La Dolby-troupe, qui a donné des concerts à Steynway Hall, a régulièrement perduGa naar voetnoot1 six mille dollars par soirée! Allez lutter avec des calculs pareils, quand vous êtes toute seule dans le monde! Je ne l'essayerai même pas. Il y a bien des moyens de réussite ici. Jusqu'a présent je n'en ai pas trouvé un seul de convenable. Un homme m'a vue et m'a offert un engagement pour l'opéra bouffe. Les bonnes gens ne connaissent pas d'autre musique française ici que l'opéra bouffe, de sorte qu'ils vous méprisent hardiment quand vous dites chanter en français! ‘Les français ne savent pas chanter, ils n'ont pas de voix, ils sont toujours rauques et chantent du nez.’ Voilà l'opinion de la presse, et Strakosch trouve moyen de lui faire prôner sa Nilsson-troupe comme une compagnie italienne! Capoul seul a de la peine à se faire accepter, à cause de sa réputation française; quant aux autres chanteurs: Jamet, Duval etc: on n'en sait rien, on les accepte en toute confiance et on les trouve très Italiens. Rien n'est plus comique que les comptes rendu des journaux. Le même journal qui disait, il y a trois jours, ‘qu 'excepté la Nilsson, toute la troupe n'était bonne qu'à chanter dans les choeurs,’ ce même journal dit aujourd'hui que ‘Capoul a été magnifique dans la Traviata, pas français du tout, et tout à fait à la hauteur de la Diva Nilsson!’ Pauvre Strakosch! Ce changement d'opinion si subit lui aura coûté quelque chose! Plus beau encore! Ce même journal dit: La Nilsson a fait de la Traviata une création nouvelle, splendide, sublime! Elle joue son role en grande dame, avec une distinction parfaite, nous épargnant ces contorsions, ces toux, ces douleurs physiques qui caractérisent cette répugnante maladie, qu'on appelle phtysie. Elle meurt d'amour.’ Demain peut-être il dira: ‘Elle ne meurt pas du tout!’ Tout cela est très vrai, mais Dumas et Verdi, auraient été bien étonnés de voir leur pauvre dame aux camélias mourir ainsi. Quelle histoire vraisemblable! Un peu avant la Nilsson nous avons eu | |
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les concerts de la Moulton. Une grosse commère, qui base sa réputation de chanteuse sur l'amitié de l'ex-impératrice Eugénie, et qui chante à la Thérésa, en tapant sur l'épaule de son baryton d'une façon si délicate et si sonore, que le pauvre homme a de la peine à se tenir debout sur l'estrade et à se faire entendre au milieu des applaudissements unanimes, qui répondent en échos au son mélodieux du soufflet de la Lady.Ga naar voetnoot1 On est très aristocratique ici, tellement aristocratique qu'on a toujours peur de ne pas l'être assez! C'est très amusant à voir! Personne n'éprouve cela mieux que moi peut-être, et personne n'en rit plus que moi. On ne sait rien de moi ici. On m'appelle ‘la Réna’ tout court, et l'on m'écrit, l'on vient me voir avec une familiarité, une assurance qui dénotent uue supériorité bien sentie et une condescendence extrème de leur part. Je reçois tout ce monde là avec une politesse si parfaite, mais en même temps avec une réserve si hautaine, qu' après quelques paroles d'échangées on modifie le ton, et l'on part, chapeau bas, bien étonné de ne pas avoir trouvé une étoile d'Offenbach dans ‘la Réna.’ - Au concert j'ai produit le même effet. On est habitué ici à de vraies toilettes de carnaval; des garnitures ‘à la mystification’ et des coiffures qu'on appelle ‘le rève;’ des choses tellement chères, multicolores, brilliantes et absurdes, que les noms doivent être inventés encore! Moi, j'étais en tule blanc, garni de dentelles blanches, et, pour tout ornement des perles fines et quelques branches de lièrre verte. C'était simple et riche et ce qui est plus, c'était nouveau. On m'a regardée en silence, puis on m'a applaudie; on m'a appelée ‘mariée’ et ‘reine’ après. Mon premier procès était gagné. Le second était plus difficile à gagner. Pour la musique, j'avais tout contre moi. Le club italien qui rit de la musique française et le club allemand qui la méprise; la presse, que je n'avais pas vue du tout et les managers qui m'avaient promis de me faire tomber. J'étais tellement sûre d'être maltraitée par tout le monde que je n'avais plus peur du tout; peut-être ne chanterai-je plus jamais avec autant de calme et d'assurance que ce soir là! Mon premier morceau, en latin, à été reçu avec hésitation, on m'a applaudie, mais rien de plus! ‘Der Wanderer’ a eu plus de chance, grâce à l'Allemand, on m'a applaudie, rappelée, bissée, et il m'a fallu chanter autre chose encore; naturellement ‘La flamme brille’ avec le trille en poitrine, après quoi mon second procès etait gagné | |
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comme le premier! Le Directeur du conservatoire est venu me voir dans ma loge pour me complimenter, toujours sur ce pauvre ‘Wanderer’ qui a fait pleurer deux vieux devant moi, qui ont dû frapper leurs gants en pièces. N'est-ce pas étrange, que j'étais si calme, moi qui n'ai jamais chanté dans une si grande salle et devant un public de plus de mille personnes? - Ce n'est pas beaucoup ici, il y avait plus de cinq cents places inoccupées encore. J'ai dérouté tout le monde ce soir là, en chantant dans quatre langues différentes, puis monGa naar voetnoot1 pauvre medium et mon assurance imperturbable m'ont fait passer pour une vieille chanteuse! A quelque chose malheur est bon, je puis tirer parti de cette définition du Journal de musique, qui m'appelle aussi ‘Mezzo Soprano dramatique du Grand opéra de Paris’ probablement parce-que je ne veux rien savoir de l'opéra bouffe. Je suis une vraie curiosité ici, à ce que je commence à comprendre, car jamais une femme comme moi n'est venue toute seule en Amérique pour se créer une position. ‘Que voulez-vous faire ici, toute seule?’ C'est la première question de tout le monde; et puis: ‘Combien d'argent voulez-vous dépenser pour établir votre réputation?’ ‘Pas d'argent du tout.’ ‘Quelles sont vos relations? Vos amis? Quelle protection avez-vous ici?’ ‘Je n'en ai pas.’ ‘Mais alors, qu'espérez-vous de la presse, du public?’ ‘J'espère faire sa connaissance d'abord et l'avoir pour ami après.’. ‘Sans le payer?’ ‘Pas autrement qu'en notes!’ ‘Votre indépendance est folle! Mais elle est originale, elle plait, peut-être elle vous servira mieux que nos vieilles façons d'agir, qui coutent plus d'argent qu'elles n'en rapportent parfois!’ En attendant je ne fais rien, et je ne sais trop ce que je ferai après. Il y trois moyens de réussir ici: l'argent, la protection et le temps; les deux premiers ne me conviennent pas, j'essayerai donc du dernier. Le conservatoire m'a offert une place de professeur de chant dans un pensionnat de jeunes filles, trois mille francs de revenue, et pas de dépenses, mais c'était en Louisiana, et je l'ai refusée. Je l'aurais refusée partout, car je suis trop vieille pour me mettre en pension! | |
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3 Novembre.......................... Elle me dit encore, que vous avez Mlle de Chastel pour élève ......................... c'est uneGa naar voetnoot1 étoile de plus à l'horizon. Je comprends maintenant pourquoi vous m'oubliez et je vous donne absolution entière; de plus parcequ'elle me dit que vous m'avez écrit comme tous les autres et qu'elle ne comprend pas où vont toutes mes lettres. Moi j'ai compris je crois, et voici ce que j'ai fait. J'ai raconté, en confidence, à la fille qui arrange ma chambre, que je ne recevais jamais de l'argent de l'Europe, et que c'était donc parfaitement inutile de retenir mes lettres à la poste dans l'espoir d'y trouver quelque chose. Le même soir je reçus une lettre de mon Père et le lendemain une de Mr. F. C'étaient toujours les lettres à écritures d'homme, qui s'étaient égarées; je crois donc avoir deviné assez juste en accusant mon adorable nègre de vol de lettres. Maintenant c'est fini. Voici l'adresse de Mr. W. Vous pouvez m'appeler par mon ancien nom, il me connait, car il demeure ici dans la même maison, avec sa famille qui m'a prise en grande amitié et avec laquelle je suis très liée maintenant. Madame est une charmante petite créature qui, sous un dehors indifférent et froid, cache beaucoup de coeur et une bonté inépuisable et qui, en vraie Américaine, se dévoue et paye de sa personne, sans jamais se perdre en belles phrases pour se faire valoir. Les enfants aussi sont charmants et ne sont jamais plus heureux que quand ils peuvent faire quelque chose pour moi. Mon mauvais anglais les amuse et ils se sentent ah, si fiers! de pouvoir corriger une grande personne! Vous savez probablement que la famille S. n'a été sauvée que grâce à la rapidité de leurs chevaux? Leur maison est perdue avec tout ce qui s'y trouvait, et c'est au milieu des flammes, qu'ils se sont enfuis dans la campagne, où ils ont passé plus de quinze jours sans autres habillements que ceux qu'ils portaient au moment de la fuite. Monsieur S. a dû partir de suite pour affaires de chemin de fer, laissant Madame découragée au possible, tandis que la pauvre V. ne faisait que pleurer, et voulait à toute force retourner immédiatement en Europe pour revoir ses parents: ‘avant la fin du monde!’ Que de ravages le feu fait ici! On a ri de moi, les premiers jours que nous étions ici, quand j'ai prédit que l'Amérique était destinée à bruler d'un bout à l'autre. On n'y croyait pas, je n'y croyais pas moi-même, mais j'avais peur; ces sons de cloches et ces sifflets de pompes cessant à peine pour recommencer plus fort après, me donnaient le frisson et me rendaient malheureuse. | |
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Pourtant je ne suis pas peureuse de ma nature, mais le feu me fait horreur! Et maintenant j'ai assez longtemps parlé toute seule. Savez-vous bien qu'il faut une bonne doze de patience pour parler à un sourd-muet comme vous? Aussi c'est la dernière fois que je l'essaye et si vous ne me répondez pas à l'adresse ci incluse, je ne vous écris plus jamais et je vous déclare la guerre net. Mes portraits vous rappelleront que je vous attends ici, car cette ancienne figure dure n'est pas digne d'être à côté d'une si belle reine, jugez-en vous même. Si Mr. A. veut avoir de beaux portraits aussi il doit m'écrire, sinon, il n'en aura pas. Ceux ci sont pour engager, les autres seront pour récompenser. Vous ne méritez ni les uns ni les autres je crois! Et maintenant adieu, portez-vous bien, soyez tous heureux, rappelez-moi au souvenir de vos parents, dites mille bonnes choses de ma part à Mr. et Mme A. et écrivez vite à la toute patiente.
Karcilla Réna.
P.S. Je ne vous ai pas dit une seule bonne parole, j'espère? Si je l'ai fait, n'y croyez pas, car je ne voulais pas le faire. Je suis fâchée, car je vous connais plus paresseux que tous les autres ensemble, et j'ai reçu assez de lettres de mon Père pour ne pas croire à la perte d'une demie douzaine de vous. Je trouve que vous ressemblez affreusement à votre portrait! Et votre silence ne pourra jamais me convaincre du contraire! Là! Est-ce assez maintenant? Etes-vous bien faché? Tant mieux! Car on ne peut pas être faché et paresseux tout à la fois! Adio.
Mina. |
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