Monsieur G. Cabel, Bruxelles.
Londres 6 Juillet 1871.
Mon chèr Mr. Cabel,
Après vous avoir dit que je ne savais pas pleurer, vous m'avez vu pleurer, et après vous avoir promis de ne jamais vous écrire, voilà que je vous écris. Riez maintenant, si cela vous plait! Si votre tour en est venu pour un moment, profitez-en, je ne m'en plaindrai pas! Je ne me soucie plus de toutes ces petites choses là! Je suis trop loin de vous pour cela. J'avais bien des choses à vous dire encore avant mon départ, et je ne vous ai rien dit du tout! C'est que j'avais peur de pleurer, et j'ai pourtant pleuré! Enfin, c'est passé, n'en parlons plus! Je ne vous dirai pas combien je vous suis reconnaissante pour toutes les peines que vous vous êtes données pour moi, ni que je vous prie de me pardonner toutes les méchancetés que je vous ai dit. Vous savez tout cela déjà et je n'ai plus besoin de vous le dire. Mais ce que je ne saurais taire, le voici. Vous avez été si bon pour K. et j'ai été si heureuse de la concession que vous lui avez faite, que j'aurais au moins voulu vous dire combien votre bontéGa naar voetnoot1 m'avait touchée et combien je vous en étais reconnaissante. - Mais je ne dis plus rien maintenant, puisque toutes ces paroles ne signifient rien pourtant, je vais me taire, et puis je vais vous raconter autre chose.
Notre voyage a été assez bon jusqu'à présent. Nous sommes encore tous en vie et personne ne s'en plaint. Nous avons été très malade cette nuit et nous en avons ri ce matin! Voilà bien la vie! Ce qui fait pleurer aujourd'hui, fait rire demain! Pourvu que le rire soit toujours pour le dernier jour! Ah, oui, en parlant de rire, c'est à votre portrait que je pense, à cette figure dure et désillusionnée qui semble n'avoir jamais ri! Il m'en faut un autre, comme vous savez, un meilleur, un moins dur, avec des yeux qui regardent. Et puis, il me faut une lettre à New-York; poste restante s.v.p. car si l'une de nous doit attendre l'autre, ce ne sera pas moi, mais ce sera elle qui attendra! Et si vous ne me repondez pas, ma seconde lettre sera une carte de visite, et ma troisième sera une déclaration de guerre en forme de dépèche télégraphique. Demain je tâcherai d'écrire à K. quand nous serons à Liverpool. J'ai écris à Papa en même temps qu' à vous, mais je suis tellement fatiguée ce soir, que je meurs de fatigue. Grace à cette raison là, j'ai pu rester à l'hôtel, car la famille S. m'avait invitée pour l'opéra, qui ne me tentait pas ce soir. Ingrate! n'est ce pas?