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Acte second.
Scène I.
(Le théâtre représente une grande salle où brulent quantité de lustres, elle est jonchée de papiers. Une écharpe sur un fautueil.
ILDÉGONDE, peu après ROBERT.
(Ildègonde pensive est assise au lever de la toile sur une chaise, slle soupire, et laisse échapper le nom de Lancelot. Un moment après Robert entre, jette son bonnet sur un sopha et se place inapercu derrière elle, il lui prend la main, elle se lève.)
Comme te voilà pâle Ildégonde! Es-tu malade, dis-moi?
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Moi? non, je ne le suis pas, mais je voudrais bien l'être, alors, peut-être.....
Quoi! tu le voudrais? Quoi, Ildégonde! fuis-tu déja le bonheur? Allons! sois heureuse! regarde les lustres qui seintillent et chante.
(le repoussant.)
Je ne le puis, Robert. - Lancelot, Lancelot! si Dieu ne m'eût pas permis de rompre mon serment, jamais, cher amant! je ne serais devenue parjure; un cloître aurait dérobé aux regards du monde mes traits ridés, mes yeux brûlés de pleurs, et maintenant encore quoique le ciel, quoique le St. Pere Ambroise, m'ait assuré que j'étais pure, innocente, déliée de mon serment, cependant ce coeur, hélas! ne me rassure pas!
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Cesse ce langage, Ildégonde! crains le ciel, confie-toi en lui; écarte ces images sinistres, laisse Lancelot en paix dormir, les morts ne tournent plus aux vis de leur cercueil; viens plutôt dans mes bras, o ma bien-aimée! brûles-y d'amour et de plaisir! -
C'était un beau tournoi que ce matin, une belle fête, n'est-ce pas? Cet Yvain, comme il tomba, comme il roula sur le sable, peut-on en vérité faire plus sotte figure! Si mon bouffon eût été là, je gage qu'il aurait payé plus cher encore sa défaite. Mais quel plaisir, quel triomphe pour moi! Ah, Ildégonde! je ne connais rien de plus flatteur. Quand on entend retentir son nom par la foule qui applaudit, alors, oh! on se dresse plus fièrement sur son cheval, on serre de plus
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prés les flancs de son coursier, et encore, j'en ai un, tu le sais, qu'on renomme, Ebène est fier et jeune, et tu aimes à caresser sa belle crinière qui flotte si bien sur son cou noir, on se dresse sur ses étriers, et l'on tressaillit, et on ne sait si c'est de gloire ou d'amour. La foule ne songe plus au vaincu, pas même le vainqueur, personne que sa bien-aimée, qui s'arrache une larme en silence, et qui partage sa défaite. - Comme on m'applaudissait, moi, le héros de la fête, moi, le fiancé! Ah! quelle gloire! quelle gloire! Ensuite le vainqueur reçoit la couronne de sa dame.... Ah! Ildégonde, peuxtu concevoir ce que c'est que cette sensation? Tous les yeux étaient fixés sur moi!,.. Et puis lorsque je baisai ta main!.. Ah! ma chère! ta main était blanche et veloutée... donne-moi ta main. (Il prend
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sa main et la baise avec transport.) Oh! chère amante! maintenant ce baiser me semble plus ardent encore! Si je suis à l'agonie, je baiserai ta main, et je vivrai quelques instants de plus. Maintenant, nous sommes seuls! mon amie, nous sommes seuls! Une belle nuit, rien que les étoiles qui nons regardent! Ah! cela vaut bien le tournoi, bien le bal! Maintenant loin de nous toute étiquette, nous nous regardons face à face et nous aimons! Ah! mon amie, mon ange! ce que c'est que de se voir à loisir une nuit de noce, les bras entrelacés, alors de baiser cette belle tête qui repose sur mon épaule, de tressaillir d'amour!....
Lancelot! Lancelot! tu n'a pas en nuit de noce si amoureuse, alors le ciel était
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noir et orageux, et maintenant au contraire..... Ah! viens sur mon coeur, je suis à toi! Votre union commence sous de meilleurs auspices. Hélas! Lancelot on t'éclipse! (Elle se précipite vers Robert, qu'elle tient embrassé quelques instants; pendant qu'ils sont ainsi en extase, la cloche sonne une heure, Ildégonde s'effraie, lâche tout-à-coup Robert.)
Vierge!
Qu'est-ce Ildégonde? Tu t'effrayes? Hé de l'horloge!
Cette horloge sonne si fort! et dans la nuit quand tout est si tranquille, quand tout dort, excepté nous, mon amant! ce son me semble si grave, si lugubre! (Plusieurs lustres se sont éteints, elle les
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regarde.) Mais la nuit s'avance, les lustres s'éteignent, allons, Robert! dérobons à notre vue cette salle, dont le désordre ne nous rappelle que le souvenir d'un plaisir passé, et les souvenirs sont toujours tristes, mon ami! Les meubles sont dérangés, le plancher jonché de billets (elle en ramasse un) d'amour! Voyez on les donne, on les lit, on les oublie.... Va! nous ne nous oublîrons pas, mon amour, n'est-ce pas? Voilà encore une écharpe oubliée.
Qu'importe! qui l'a oubliée la fera reprendre, s'il lui plaît, sinon..... (il la met autour du cou d'Ildégonde.) Je ne crois pas cependant que ce soit un objet de beaucoup de valeur, un don!... on ne laisse pas un présent d'amour errer à l'aventure.
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C'est selon (Elle ôte l'écharpe.) Mais, à propos, mon ami! une idée me vient. Demain matin nous irons entendre la messe n'est-ce pas?
Sans doute! nous rendrons grâces à Dieu de notre bonheur.
Eh bien! alors il nous faudrait offrir à l'enfant Jésus.... (on entend des pas.) Mais.... n'entends-tu rien, Robert?
Des pas... des toux, dans la nuit! (à part) Adolphe! Withilde! si c'étaient les vôtres! (à Robert) Mais tu me défendras?
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(Elle lui prend la main, et se serre contre son corps.)
Sois tranquille Ildégonde cette epée et moi, nous te défendons. Cache tes traits.
(Elle cache son visage sous son voile, et se place derrière Robert, qui a la main sur son épée.)
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Scène II.
LES PRÉCÉDENTS, AMBROISE, QUATRE MOINES portant des lanternes.
Nobles et vertueuses ames, salut!
(Elle court vers Ambroise ainsi que Robert.)
C'est vous, mon père! A cette heure! quel malheur?...
Père Ambroise! comment, vous ici et
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si tard! Un pressentiment de malheur vient, hélas!... Mais parlez.
(à part)
Horrible prédiction!... mais non, c'est impossible!
Il me faut, mes enfants! déchirer vos ames. Je sais qu'il est dur de se voir plonger dans les abymes du malheur, je crois qu'il l'est davantage de laisser une épouse chérie, pour un lit de mort, quand le plaisir et le bonheur....
Mon père! je vous ai compris j'y volerai. Vit-il, puis-je lui parler encore? Mes serviteurs! (il sonne.)
Seigneur, pourquoi déja vous allarmer?
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Eh bien! je l'avais compris. Quelle autre cause vous amènerait ici à cette heure? (entre un page.) Mon page! dis aux valets de seller mon cheval et les leurs, qu'ils m'accompagnent vers le couvent de Notre Dame. (Le page sort.) Ildégonde, hélas! si peu de moments heureux et nous voilà en deuil! Mais, mon pere! consolez-nous, dites, il se portait si bien encore ce matin, il était si gai lorsque nous sommes venus le voir après la cérémonie, quel accident imprévu menace donc....
Chevalier! l'embonpoint de votre vieil oncle augmentait de jour en jour, vous le savez, nous avons toujours craint, qu'une attaque d'apoplexie ne nous l'enlevât et en effet celle qui est venue l'attaquer il
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y a une heure a été si foudroyante et en même temps si imprévue.... Hélas! en ce moment peut-être il n'existe plus. Cependant notre médecin s'est assis à son chevet.
Vierge! rends le nous! il est sous ta sauvegarde. Mais toi, Robert, consoletoi. S'il doit mourir, ton vieil oncle, que perd il? Rien. Ce n'est pas lui qui perd, c'est nous. Ses biens sont à l'église, et il a voué sa vie presqu'entière à l'Eternel, que voudrait-on de plus?... Va, il est heureux te dis-je; il chantera devant le trône de Dieu.
Je l'espère, Ildégonde, et je le crois. Mais toutefois il est triste de me voir ravir à jamais le dernier frère de mon père, le dernier homme, qui flottait encore
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en paix sur cet océan, où un chacun périra, de ceux qui étaient jeunes et qui ont vieilli avec mon père, le dernier homme que je chérissais d'un amour filial, le dernier qui m'aidait de ses conseils et de ses vertus, de le voir là, insensible dans la bière. Ma chère Ildégonde! quand je lui fermerai la bouche et les yeux, cela me brisera le coeur!
Consolez-vous, mes brebis! son ame est immortelle!
Il est immortel!... Demain, mon père! prions Dieu pour son ame.
Demain, ma fille le de profundis retentira par le temple, je vous le promets.
(Entre un page.)
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Eh quoi! Robert! tu sors en habit de satin, de fête? Ne fais pas cela, tu auras froid, et puis l'hermine s'en gâtera.
N'importe; il faut partir, le temps presse. (Il prend son bonnet du sopha.) Adieu, Ildégonde! je vais quitter la couche nuptiale qui me souriait, et l'haleine d'une amante qui soupire auprès de moi, pour le râle de la mort et le dernier soupir d'un vieillard qui rend l'ame. Ne t'inquiète pas cependant. Dors, ma chère, sur la foi des saints! Anges! soyez ses gardes. Adieu, ne faites pas de mauvais rêves, Ildégonde. - Et vous, mon père, je vous la recommande, consolez-la. Ac-
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ceptez, vous et votre suite l'hospitalité dans ce château, car la nuit est trop froide pour retourner, et vos mulets marchent mal dans les ténèbres; on vous y servira, comme on me sert, et demain mon char vous ramènera vers votre paisible retraite. Ma reconnaissance vous sera toujours témoignée, et les soins que vous avez pris pour mon vieil ami, mon cher oncle, le Seigneur Dieu vous les comptera parmi vos bonnes oeuvres! Adieu!
Seigneur! je vous bénis! Allez en paix! Puisse l'Eternel détourner encore de votre oncle les coups de la mort, mais s'il nous faut perdre un frère si vertueux, alors ne murmurez pas, mais consolezvous, comme nous nous consolerons.
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Encore un coup, adieu; Ildégonde, un baiser. Je serai triste et silencieux demain, comme cette nuit ta couche, me consoleras-tu alors?
(sanglottant.)
Si je le puis, adieu. Vas-en paix. (Ils s'embrassent encore. Robert après avoir salué le prêtre sort.)
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Scène III.
ILDÉGONDE, AMBROISE puis le fantôme de lancelot.
(Ildégonde au moment du départ de son époux est tombée sur un fauteuil, Ambroise s'est placé derrière elle; après une pause elle paraît tout-à-coup tranquillisée, se lève et sonne. Pendant ce silence on entend le bruit des chevaux.)
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Mon père, il est tard; allons tous les deux vers notre couche, vous pour prier et pour gouter un doux repos, moi pour pleurer.... (à part.) Je crains, hélas! O Adolphe, si tu avais dit vrai!
Madame, un moment encore, votre ame a besoin de consolation. (Entre un page.) (Aux quatre moines.) Allez! mes freres! suivez ce page! il vous conduira où vous pourrez dormir en paix. Salut! n'oubliez pas de prier la Ste. Vierge pour les jours de notre vieux frère, et (plus bas) soyez attentifs à l'horloge.
(tandis qu'ils lui baisent la main)
Dormez en paix!
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(Tandis que les moines partent précédés du page il leur montre Ildégonde en lui faisant un signe menaçant avec un poignard, qu'il tient caché tous son froc)
Madame, séchez ces pleurs!
Hélas! mon père! savez vous ce que c'est qu'un bal, et après un bal savez-vous ce que c'est que la solitude, de ne plus voir à ses côtés l'objet qu'on adore!
Je me suis toujours tenu éloigné du faste des grands, et je me suis toujours plû dans la solitude, là, j'ai médité, là, j'ai mangé du pain sacré de la religion. Jésus aimait la solitude, quarante jours il a été sur la montagne; là, il a été tenté par Satan, et il lui a résisté; il était seul alors, Madame! Imitez-le.
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Moi, mon père? Une pauvre pécheresse comme moi, hélas! dont le coeur ne voit dans les décrets du ciel que d'absurdes mens....
Arrêtez, Madame! Qu'entends-je! Quel langage profane. Mais je me résignerai, je suis prêtre. Ouvrez-moi votre ame.
Eh bien, mon père! je vais vous faire un aveu dont je tremble moi-même; cependant, écoutez-moi, toute méprisable que je sois; prêtez, prêtez l'oreille à la pécheresse Ildégonde. Quoique le St. Esprit lui-même m'ait annoncé par votre bouche que j'étais libre de mon serment toutefois je ne puis croire à ce décret du ciel, et quoique vous ne sauriez mentir, mon père, car vous êtes saint, cependant
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la raison.... non, mon père, pas la raison, cela ne se peut, mais.... un.... je ne sais quoi me retient, et malgré moi le nom de Lancelot vient toujours et toujours....
Quels discours! loin de vous ce penchant charnel.
Mon père! de grâce! Ecoutez-moi. Hélas! ce n'est pas tout! Lorsque dans la chapelle ce matin j'entrai gaie et joyeuse, et que je me tenais devant l'autel, une crainte m'a surprise: si Lancelot, me disais-je, revenait, s'il venait les yeux flamboyants s'arrêter devant notre couche, si à l'heure mystérieuse, il venait nous regarder avec des yeux ardents, s'il nous embrassait pendant notre sommeil pour ne nous plus faire réveiller, s'il venait avec
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de ces serpents verdâtres dressés par les sorcières à se glisser dans la bouche entr'ouverte de la jeune épouse qui rêve d'amour.... Mais, mon père tout cela est impossible! Lancelot m'aime, il est content de son Ildégonde, je le sais; et cependant, malgré moi, malgré le beau soleil, malgré les sons de l'orgue il me sembla, lorsque je donnai la main à Robert, voir Lancelot, qui se tenait menaçant entre nous; cependant je n'ai rien dit, mon père, car ce n'était qu'une chimère mais quoique chimère cela m'inquiette.... Qu'en pensez-vous mon père?
(après un instant de silence.)
Aimez-vous Lancelot plus que Robert?
Non, mon père! j'adorais Lancelot, mais j'ai vu Robert et Robert m'a vue et nous
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avons brûlé l'un pour l'autre; mais je l'ai refusé car j'avais fait un serment, il m'était sacré, et ce n'est qu'à votre bouche éloquente.... Mais pourquoi vous redire ce qui est votre propre ouvrage.
Je voulais votre bonheur, ma fille! puisque le ciel le voulait, puisque je vous aime comme un père. Soyez bénie d'entre les femmes, Ildégonde! Dieu veille sur vous! (La cloche sonne une heure et demie.) Et si le voile cachait votre noire chevelure, le St. Esprit lui-même vous parlerait, mais maintenant que vous êtes souillée encore par les impuretés du monde, il ne peut vous faire savoir les saints décrets du ciel que par ma bouche.
(Après que la cloche a tinté Lancelot a paru, et maintenant qu'Ambroise tire déja le poignard de son froc il apper-
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çoit, en regardant Ildégonde, un chevalier placé entre elle et lui.)
Ciel! un témoin (à part) Mes complots!
(d'une voix terrible)
Traître, meurs! Satan te réclame!
(à Lancelot, en se précipitant entre les deux)
Arrête, téméraire!
(d'une voix douce)
Ildégonde!
(comme pétrifiée)
Lancelot!
(au prêtre qui est près d'échapper en lui montrant un fauteuil)
Reste là! - (à Ildégonde) L'autel est prêt, viens, renouvelons nos serments d'amour.
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(à part)
Lancelot.... non.... Robert.... Hélas! (haut) Et ne suis-je donc pas libre de...
(à part)
Jésus, quel aveu! (haut.) Viens à mes côtés Lancelot! Je t'aime eucore! Entends les malheurs d'une femme trop sensible, trop aveuglée peut-être.... assieds-toi! Mon père! prends son manteau, mets le sur ce fauteuil!
(Ambroise est longtemps immobile sur la chaise, puis, après quelques mouvements convulsifs, il meurt.)
Tu hais donc les prêtres, et depuis quand?
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(montrant sa tête de mort en levant sa visière)
Depuis que j'ai vu Dieu!
Quelle vue bien aimé! et viens-tu?...
Le faire mourir et te rendre heureuse, je ne puis plus te le taire, comme moi car je suis heureux, et..., je sais tout, Ildégonde! Ce prêtre t'a trompée, car tu te fies aux prêtres, n'est-ce pas? et pourquoi? Parceque le monde entier s'y fie me diras-tu. Mais voici une voix du ciel, une voix du sépulcre, une voix d'amant, mort pour la cause du St. Fils, une voix qui ne ment pas, et cette voix te crie: les mauvais prêtres sont la vermine de l'humanité. Sous les dehors de la probité ils cachent une ame d'aspic, ils sont pires que les Phariséens; dans leurs cloîtres
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Satan loge, dans les plis de leur froc satan se cache, dans l'haleine de leur bouche satan respire; et si tu doutes encore de cette voix sépulcrale, puisqu' elle ne peut plus être tendre, voici un exemple. Tu étais riche et Robert non moins, vous vous adoriez; mais trop vertueuse pour rompre un serment indissoluble, tu te refusais à cette union sacrilège. Un prêtre est venu vers toi, c'était ton confesseur, tu le croyais ton appui, et sa trompeuse voix t'a dit: ‘Le ciel veut ton mariage, le St. Esprit lui-même est descendu chez moi, pour m'annoncer ce décret de la divinité, il a rompu vos serments!’ Et de tout cela il n'était rien, Ildégonde; mais apprends son but et frémis!
(Il va vers le prêtre toujours immobile dans son fauteuil et tire un poignard de dessous sa robe.)
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Ce poignard t'aurait percé le coeur!
Au moment que je descendais des cieux et que j'étais derrière toi, car pour une ame il n'y a qu'un pas d'ici aux cieux. Robert aussi n'est plus; les moines que tu crois couchés dans ce château l'ont tué a coups de flèches, et cette maladie de ton oncle, c'était du poison.... tu m'entends.... le monastère pense s'enrichir de ses trésors et des tiens, mais il n'en sera rien. (Il la mêne vers la fenêtre.) Vois ces flammes. Le cloître maudit brûle déja comme l'enfer, avec tous les crimes qu'il récèle; regarde.... l'haleiue de la nuit irrite encore l'incendie. (Il va vers le prêtre) Voilà donc un confesseur; Ildégonde!
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c'est un maudit! - Il est mort, comme tu seras bientôt.
(en sentant ses joues.)
Vraiment il est déja mort.... comme moi.... tantôt. Je rejoindrai mon Robert et mon Lancelot en même temps!
Tu le reverras, mais non plus en habits de fête, tu monteras avec lui aux cieux, tous deux je vous y conduirai, et ton oncle t'y a précédé déja. Moi, je suis le messager de Dieu, il m'envoya sur cette terre pour perdre un prêtre et pour sauver une innocente; car que feraistu, dis-moi dans ce monde, gouffre de douleur, seule, délaissée et riche: tu t'encloîtrerais pour sauver ton honneur, car un monastère serait ton seul refuge. Mais qui porte ses pas dans un cloître
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est malheureux: tu as peine à le croire; demande le cependant aux ombres de celles qui y ont traîné leurs jours misérables. Les femmes dans les couvents sont malheureuses, je le dis encore, et les hommes y sont vils et rampants; car ils ont plus de puissance et comme elles le voile de la vertu. Il ne te reste donc plus qu'à mourir et alors.... tu seras heureuse, je te le promets; et je ne suis pas pour toi un spectre terrible, tu n'as pas peur de moi; aussi je te suis doux, car tu es innocente, mais trompée, mais victime, mais opprimée et Dieu t'enlevera de cette terre, puisque tu es trop vertueuse pour elle.
Eh bien! je mourrai! Je veux aller où sont ceux que j'adore!... Et puis l'on
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est belle et jeune au ciel aussi?... Mais, dis-moi, mourir cela ne fait il pas de mal?
Beaucoup comme ce prêtre est mort, alors on a des angoisses et l'on suffoque, mais tu ne t'endormiras pas ainsi. Tu viendras te bercer dans mon bras et tu auras une sensation d'extase, une sensation comme si on t'emportait sur les nuages, ou comme si tu flottais sur la mer, et puis il te semblera que tu dors, et qu'un ange te met la main sur le coeur; alors tu soupireras, et ce soupir emportera ton ame, comme le vent les sons de ta harpe; tu seras morte, et tu verras Dieu, et ensuite tu te trouveras sur une autre planète plus parfaite que la nôtre, et tu y vivras et tu y mourras, mais plus doucement que tu ne vas faire ici, et tu
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verras Dieu, mais de plus près que tu n'as fait encore, et tu seras transportée ensuite sur une planète encore plus heureuse que celle dont tu t'es envolée et ainsi d'éternite en éternité la perfection te devancera toujours.
Quel sort! - Et t'u n'auras plus alors ce crâne, n'est-ce-pas, et ces cavités profondes où jadis étincelaient tes yeux noirs?
Non, chère Ildégonde! là on a la couleur brillante de la lune; et au lieu d'ombre on répand autour de soi une lumière pareille au ver qui luit.
Ecoute moi, Ildégonde. Tu vois là sur
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ta tête ce firmament: notre terre est làdedans. Eh bien! dans cette terre même est aussi un tel ciel bleu, qui sert de firmament à un autre globe et dans cet autre globe se cachent encore et des astres et un ciel bleu; mais plus on entre dans ces mondes que notre terre enferme, plus on devient imparfait, malheureux, et c'est là qu'ira ce prêtre et tous les maudits, et à j'amais il suivra l'imperfection qui le devance, et il s'éloignera de plus en plus de Dieu; mais plus on s'élance de cette terre vers ces cercles plus grands qui sont au dessus de nous, plus on s'approchera du Dieu qui nous créa et de la perfection. - Viens dans mes bras, Ildégonde!
(Au prêtre tandis qu'elle va vers Lancelot.)
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Misérable! - Ciel! que tu es froid.... comme un mort..... Mais cela passe..... lentement. - Tu l'as bien dit Lancelot!..... Si je ferme les yeux, c'est comme si, enlevée de cette terre, je flotte, pareille à la colombe, sur l'air, les ailes déployées, - Oh, mon cher amant! nos heures de jadis et nos heures qui vont venir! - Adieu! Mais non..... point d'adieux...... après cette vie..... tout-à-l'heure..... nous nous reverrons et beaux..... tout aura changé! - Quel beau lit nuptial que tes bras! - Qui l'eût pensé jamais..... en habits de noce..... mourir ainsi! - - Musique céleste! C'est toi, Robert! c'est toi! Concert divin!..... (Il la dépose sur un sopha.)
Elle dort ne la réveillons plus!
(Après un court intervalle il la regarde et
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d'assez près, met son oreille près de sa bouche, baise sa main sans la toucher de la sienne, se croise, et fléchit le genou comme si quelqu'un s'approchait.)
L'ange de la mort est là. Disparaissons!..... un soupir va me la rendre! Terre! Manoir chéri, adieu! Je redeviens un ange!
(Il disparait. Tandis qu'il s'éloigne son armure tombe, des ailes se montrent, et d'un pas léger il sort. Au même instant Ildégonde fait un mvuvement convulsif, et soupire. Elle est morte.)
fin d'ildégonde.
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