Oeuvres complètes. Tome X. Correspondance 1691-1695
(1905)–Christiaan Huygens– Auteursrecht onbekendNo 2696.
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grand collier, deputé par tout le parti pour me repondre. Les Theses m'ont paru peu de chose, & ce liure encore moins et rien ne m'a donné meilleure opinion de mes objections ny plus mauuaise de la secte que j'ay attaquée, que de voir que ceux qui sont a la teste de ce parti, la defendent si mal. Si tost que je seray de retour a Paris, c'est a dire dans vn mois, comme j'espere, je ne manqueray pas de mettre entre les mains de Mr. de la Hire vn exemplaire des Quaestiones Alnetanae. Comme la plus part des gens ne jugent des ouurages que par vne inspection superficielle, plusieurs Theologiens ont trouué a redire que j'aye entrepris de prouuer la concorde de la Foy et de la raison par des fables, car c'est ainsi qu'ils s'expriment. Ces bonnes gens plus versez dans la Theologie Scholastique que dans la Positiue, ne sauent pas qu'en critiquant la methode dont je me suis serui, ils blasment celle de la plus part des Peres, d'Athenogeras, de Tatien, de Clement Alexandrin, d'Arnobe, de Theodoret, de St. Augustin, et de la plus part des autres. Cette methode est fondée sur ce raisonnement. Les dogmes de la Religion Chrestienne ne choquent point la raison, si ceux qui se sont le mieux seruis de leur raison, ont cru et soustenu des Dogmes ou semblables, ou moins croyables encore. Or ceux qui se sont le mieux seruis de leur raison, c'est a dire les nations les plus éclairées dans les tems ou elles ont le plus fleury, les Egyptiens, les Phoeniciens, les Grecs, les Romains, les Chinois, et d'autres nations de la terre, & les plus grands Philosophes de l'antiquité, ont cru et soustenu des dogmes, ou semblables, ou moins croyables encore. Donc les dogmes de la Religion Chrestienne ne choquent point la raison. Or les fables des Egyptiens, des Phoeniciens, des Grecs, et des Romains sont leur veritable religion, comme ArnobeGa naar voetnoot3) l'a fait voir, et comme je l'ay monstré dans quelque endroit de mon liure. J'ay donc eu raison d'alleguer ces fables. Je demeure bien d'accord de vostre proposition Nihil aduer sus rationem valere debere auctoritatem FidejGa naar voetnoot4), pourueu qu'on distingue exactement l'aduersus du supra car s'en tenant a ces principes, qui me semblent incontestables, que nostre raison est fort bornéc, que la puissance de Dieu est infinie, & que la Foy est vn don de Dieu, venant immediatement de luy sans passer par les voyes de la nature, on peut bien dire que la Foy nous propose bien des choses qui sont au dessus de la raison, mais comme la raison est aussi vn don de Dieu d'un autre genre, et que les dons de Dieu ne se choquent et ne se destruisent pas les vns les autres, on ne doit pas dire que la foy choque la raison. Vous jugerez vous mesme de cet ouurage, Monsieur, quand | |
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vous aurez pris la peine de le lire. Je n'en saurois desirer vn meilleure juge que vous, ny qui joigne plus d'équité et de candeur a tant de penetration et d'intelligence. J'en suis si persuadé, que j'ay toujours regardé comme vne perte irreparable pour le royaume, la resolution que vous auez prise de le quitter. Vous receurez auec ce liure vn petit traitté sur vn suiet bien differentGa naar voetnoot5). Vous me ferez vn plaisir singulier de l'examiner et de le critiquer. Vous m'en ferez vn plus grand sans comparaison de croire qu'on ne peut vous honorer plus que je fais, & estre auec vn zele et vn attachement plus sincere
Monsieur
Vostre tres humble et tres obeissant seruiteur l'Abbé Huet.
A Auranches le 16 7bre 1691.
N. Eu. d'Auranches. |
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