Oeuvres complètes. Tome VIII. Correspondance 1676-1684

N^o 2212.
Christiaan Huygens à J.P. de la Roque.
janvier 1680.

La pièce a été imprimée dans le Journal des Sçavans¹⁾.

Nouvelle invention d'un niveau à Lunette qui porte sa preuve avec soy, et que l'on verifie & rectifie d'un seul endroit, par Mr. Huguens de l'Academie R. des sciences.

La principale partie de cet instrument est une Lunette d'approche, AB²⁾, d'un ou de deux pieds ou davantage, selon qu'on veut qu'elle fasse plus d'effet. Elle est de deux ou de quatre verres convexes, à la maniere ordinaire & assez connuë, les deux faisant voir les objets renversez, & les quatre les remettant droits. Son tuyau est de leton ou autre metail de forme cylindrique, & passe dans une virole, C, qui l'enferme par le milieu, où elle est soudée.

Cette virole a deux branches plattes pareilles, D et E, l'une en haut & l'autre en bas, chacune d'environ le quart de la longueur de la Lunette; de sorte que le

1) Du Lundy 29 janvier m.dc.lxxx.

2) Voir la figure de la page suivante.

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tout fait une maniere de croix. Au bout de ces branches sont attachez des filets doubles, passez dans de petits anneaux, & puis serrez entre des pinces. L'une des dents de ces pinces est attachée au bout de sa branche fixement, & l'autre l'est de maniere qu'elle se puisse ouvrir. Par l'un de ces anneaux on suspend la croix au crochet, F, & par en bas on attache à l'autre anneau suivant ce qui sera dit, un poids qui égale environ la pesanteur de la croix, & qui est enfermé dans la Boëte, G, dont il ne sort que son crochet. Ce qui reste d'espace dans cette Boëte est rempli de quelque huile comme de Noix ou de Lin, ou autre qui ne se fige point, par où les balancemens du poids & de la Lunette s'arrestent promptement. Au dedans de la Lunette il y a un fil de soye tendu horizontalement au foier du verre objectif, soit qu'il y ait un ou trois oculaires. Ce fil se peut hausser & baisser par le moyen d'une vis; que l'on tourne à travers le trou, H, percé dans le tuyau de la Lunette. La maniere d'adjuster ce fil sera expliquee cy apres. I, est une virole fort legere, ne pesant que 1/80 ou 1/100 de la croix, qui s'arreste à tel endroit du tuyau de la Lunette que l'on veut, & outre celle-cy, si la croix n'est pas bien prés en equilibre, l'on met quelqu'autre virole en dedans de la Lunette, d'un poids suffisant pour

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faire cet equilibre, c'est à dire que le tuyau de la Lunette soit parallele à l'horizon, en quoy pourtant il n'est pas requis une fort grande justesse. Une croix de bois platte sert à suspendre la machine, ayant pour cela en haut le crochet F, & à l'un de ses bras la fourchette K, qui empéche le trop de mouvement lateral de la Lunette, ne luy laissant qu'une demy ligne de jeu. La Boëte qui contient le plomb & l'huile, tient à la mesme croix, estant enfermée par les côtez et par le fonds. Et pour couvrir le niveau contre le vent, l'on applique contre la croix platte de bois, une croix creuse L, qu'on y attache avec 2. ou 3. crochets, de sorte que le tout fait alors une Boëte entiere.

Pour ajuster ou rectifier ce niveau, on le suspend par l'une des deux branches, sans y attacher le plomb par en bas, & l'on vise à quelque object éloigné, remarquant l'endroit où donne le fil horizontal, que l'on voit distinctement aussi-bien que l'objet. Puis on ajoute le plomb, l'accrochant dans l'anneau d'en bas; & si alors le fil horizontal répond à la même marque de l'objet, l'on est asseuré que le centre de gravité de la croix est precisément dans la ligne droite qui joint les deux points de suspension; sçavoir où les deux filets sont attachez aux branches, qui est la premiere preparation necessaire. Mais si cela ne se trouve point on en vient à bout facilement par le moyen de la virole I, en observant que si la Lunette baisse lors que le poids est attaché, il faut avancer la virole vers le verre objectis, & la retirer au contraire si la Lunette hausse aprés avoir attaché le poids.

L'ayant ainsi reduite à viser au mesme point sans plomb & avec le plomb, on la retourne sans dessous, la suspendant par la branche qui estoit en bas, & attachant le plomb par l'autre, parce qu'il fait arrêter plus vîte le mouvement, & que d'ailleurs cela est avantageux pour ce qui reste à faire.

Que si alors le fil, qui est dans la Lunette donne au mesme point de l'objet que devant, l'on est asseuré que ce point est précisement dans le plan horizontal du centre du tuyau de la Lunette, comme l'on verra par la demonstration³⁾. Mais si le fil ne vise pas au mesme point, on l'y reduira en le haussant ou baissant par le moyen de la vis qui est pour cela, en observant de le hausser s'il hausse, & de le baisser s'il baisse, & en renversant la Lunette à chaque correction.

Aprés cela l'Instrument sera parfaitement rectifié; sans qu'il importe (ce qui est fort considerable) que le verre objectif ny les oculaires soient bien centrez, ny rangez exactement en ligne droite: & l'on s'en servira ensuite avec seureté, pourvû qu'il n'y arrive point de changement, car le fil horizontal marquera par tout où l'on visera l'endroit de l'object qui est dans le Plan horizontal du centre de la Lunette. Mais quand il y seroit arrivé quelque changement, on peut le sçavoir à chaque observation que l'on fait, en visant premierement avec le plomb attaché, puis sans le plomb, & puis en renversant la Lunette. Et c'est en quoy consiste le

3) Voir la pièce N^o. 2216.

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principal avantage que ce Niveau a par dessus les autres, parce qu'il empesche qu'on ne puisse être trompé en s'en servant.

Le pied pour supporter la machine est une placque ronde de fer ou de leton, un peu concave, à laquelle sont attachez, en charniere, trois bâtons d'environ trois pieds & demy. La Boëte posant sur cette plaque en trois points se peut tourner du costé que l'on veut, & la concavité spherique donne moyen de la dresser avec facilité jusqu'à ce que le plomb ait son mouvement libre dans sa Boëte, ce que l'on voit à travers l'ouverture M. faite au couvercle de bois. La pesanteur de ce plomb sert à tenir la Boëte ferme sur le pied. Mais on peut aisément l'assurer encore davantage, si l'on veut, en faisant un trou au milieu de la placque creuse.

Au lieu d'enfermer dans la Boëte G, tout le poids, on peut y en mettre un tiers ou un quart seulement, & attacher le reste à la mesme queüe de fer, mais hors de la Boëte. L'on observera alors premierement avec le seul poids leger, qui pend dans la Boëte: puis avec l'autre ajoûté par dessus, & en ajustant le fil horizontal, on les y laissera tous deux. Par ce moyen les balancemens de la Lunette s'arrestront promptement à toutes les observations qu'on fait pour la rectification; au lieu que n'attachant point de poids du tout dans quelques-unes, ce mouvement cesse plus difficilement.

Le crochet F, auquel le niveau est suspendu, peut étre simplement attaché à la croix platte de bois; mais icy il est representé à une virole qui se hausse & baisse par le moyen d'une vis qui tient à l'anneau par lequel on porte la machine. L'avantage qui se trouve en cela est qu'en la transportant, on peut relacher les filets de la croix, en la faisant descendre jusque sur la fourchette K & sur le petit bras courbé R, & cela sans ouvrir l'estuy de bois.

Pour empescher que l'huile de la Boëte G ne puisse répandre lors qu'on porte le niveau en Voyage, l'on peut boucher le trou de cette Boete par le poids mesme qu'elle enferme. On fera pour cela que ce poids soit bien plat par dessus, & on l'attirera contre le couvercle de la Boëte par la moyen d'une virole à escrouë S.

Le tuyau N represente en grand celuy qui au dedans de la Lunette porte le fil horizontal. Il contient un ressort OP, qui est attaché à la fourchette Q, a laquelle le fil de soye tient avec de la cire. Ce ressort tire la fourchette contre le morceau de leton T, dans lequel entre la vis qui répond au trou H de la Lunette. Par lequel trou l'on peut aussi tourner un peu le tuyau N pour faire que le fil devienne exactement horizontal, dont on juge en regardant par la Lunette.