Oeuvres complètes. Tome VII. Correspondance 1670-1675

N^o 2080.
Pailheres à Christiaan Huygens.
30 novembre 1675¹⁾.

La lettre se trouve à Leiden, coll. Huygens.

A Bourdeaux ce 30e Novembre 1675.

Monsieur

Je ne saurois comment excuser la liberté que je prens de vous escrire, si vne telle occasion comme celle qui fait le sujet de cette lettre ne se fut pas presenté ainsy Monsieur, scachant auec quelle assiduité vous trauaillez a enrichir les sciences, sur tout celles de l'astronomie, par des continuelles et tres exactes obserua-

1) On trouve, dans la Collection Huygens de la bibliothèque de Leiden, plusieurs pièces relatives à divers parhélies. Il y en a qui se rapportent au phénomène dont Pailheres rend compte dans sa lettre; entre autres, un traité anonyme de 12 pages in-folio. Chr. Huygens a fait des extraits de quelques-unes de ces pièces, lesquels pourront trouver leur place dans les ‘OEuvres diverses de Chr. Huygens’, qui suivront sa Correspondance.
Les diverses pièces relatives aux parhélies sont accompagnées de dessins. Nous plaçons vis-à-vis de cette page et de la page 548 les reproductions de deux dessins qui se rapportent à la description de Pailheres. L'écriture est de Chr. Huygens.
Nous n'avons pu trouver des renseignements sur Pailheres. Le nom est peut-être un pseudonyme, anagramme de Parhelies.

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tions jay crû que vous series bien aise de receuoir les figures d'vn parhelie qui sont aussy particulieres que ces sortes de phoenomenes sont rares et extraordinaires, et que vous auriez ensuitte la bonté de nous faire part de vos conjectures sur la nature et la cause de ce metheore. Parmy ce grand nombre de Parhelies, dont nous auons les memoires, il me semble que celui cy est des plus considerables, quoy quil ne soit compose de tant de Soleils que beaucoup d'autres et jy trouue quelque chose de plus remarquable qu'en ceux des annees 1625²⁾, et 1629³⁾, dont on fait tant de cas, vous le jugerez Monsieur, par les descriptions que je vous enuoye en ayant veu moy mesme vne partye, et ayant apris le reste par la bouche d'autruy. des gens dignes de foy mont asseure d'auoir veu ce metheore auant dix heures, mais tous nont pas pû m'instruire exactement de sa veritable figure. Voicy ce que j'en ay pû apprendre de plus certain apres plusieures interogations que je leur ay faittes. Ils remarquerent sur les onze heures le veritable soleil presque au milieu d'vn grand cercle dont la circonference paroissoit interrompüe en deux endroicts opposés vers l'orient et vers le couchant et tout aupres de ces breches vn peu en dedans du cercle, ils virent briller deux autres faux soleils vn de chaque coste presque en ligne droite auec le vray soleil, sinon qu'ils estoient vn peu éleuez vers les spectateurs, cest a dire vers le septentrion celuy du couchant estoit le plus esclattant et quoy quil semblat brouillé de quelque vapeurs il ne laissoit pas desbloüir les yeux, et par interualles, il jettoit vne lueur blanchissante qui se repandoit sur les nueés voisines, ils virent peu le faux soleil oriental, dont la lumiere estoit pasle aussy bien que celle du vray soleil, ce cercle ou cette Couronne estoit tantost jaune, tantost blanche et quelque fois bordee par le dedans d'vn peu de rouge, elle estoit entrecoupée du coste du midy par vne portion d'arc en Ciel qui auoit le dos tourné vers le Soleil, et du costé du septentrion elle estoit seulement touchée par vne autre portion d'arc en ciel tres vif dont les cornes s'estendoient a droit et a gauche sur la ville et sur la garonne de sorte que les spectateurs sembloient presque estre au milieu de lair ou de la surface quelles enueloppoient, tout cela paroist assez bien dans la premiere figure, et c'est aussy tout ce que j'en ay pû apprendre de ces Messieurs.

Il reste maintenant que je vous represente ce que j'en ay veu pendantvne heure et demye que j'eus la curiosité de contempler ce meteore auec beaucoup de soin et de patience, je me trouuay sur le bord de la riuiere a vne heure et demye ou enuiron apres midy le soleil estant esleué sur l'horison depres de 18. degrez, il n'estoit pas fort brillant a cause que le Ciel estoit couuert, et quil passoit quantité de petits nuages au dessous, le vent demeura touiours sud, ou sud est et il ne tomba point de pluye ce jour la, mais les nuicts suiuantes nous en auons eu en abondance

2) On peut consulter sur cette observation, faite par le roi de Pologne, les ‘Météores’ de Descartes, Discours dixième.

3) Consultez la Lettre N^o. 676, note 5.

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il nj auoit rien de remarquable en la constitution de laïr sy ce nest quil estoit fort humide et qu'on voyoit quantité de brouillards voler vers le nord ou nord-ouest au dessous d'autres nuages plus espaisses et plus sombres qui ne changeoient de place que fort lentement, et autour desquelles j'apperceus a deux diuerses fois quelques nuées qui n'estoient ni des plus hautes ni des plus basses qui sembloient rebrousser leur chemin et tourner comme en demy tourbillon autour de gros nuages apres quoy elles se dissipoient. Ayant donc arresté ma veu du coste du soleil japperceus auec plaisir vn grand cercle d'vne couleur jaune large comme le diametre visuel du soleil auquel il seruoit de couronne, son demi diametre qui estoit l'interual depuis le vray soleil jusques a sa circonference interieure, contenoit a peu pres 17 degrez le tiers de ce cercle qu'on voyoit au de la du soleil estoit peu s'ensible, mais le reste auoit beaucoup de viuacité et se faisoit bien remarquer au trauers des brouillards, quoy que de tems en tems ils les rendissent plus blanc et dechiré en quelques endroicts, dans sa plus grande beaute on aperceuoit vn traict rouge qui bordoit sa circonference concaue, dont la couleur jaune estoit fort viue et qui pourtant defailloit insensiblement en vne blancheur agreable, dans la largeur de ce cercle, on voyoit briller deux faulx soleils qui sembloient y estre enchassez, l'vn vers l'orient, l'autre vers l'occident, et ce dernier estoit le plus estincelant et jettoit frequemment vne lueur blanchissante en forme de queüe qui sestendoit vers le couchant d'enuiron 3 degrez, le long d'vne nue obscure, cette lueur estoit inconstante, se manifestant plus ou moins a mesure que la nuée qui lui donnoit passage sembloit s'ouurir ou se fermer. au reste ces deux faux soleils n'estoient pas exactement ronds, quelquefois ils formoient vne ouale, et quelque fois vne espece de Rombe ou trapeze, ils n'estoient pasnon plus en ligne droite auec le vray soleil, ny dans le diametre de la courone ils estoient esleuez chacun de son costé vers les yeux du spectateur, d'vne distance enuiron esgale au diametre visuel du soleil, et surtout il y auoit entre eux vne maniere de reciprocation de lumiere qui sembloit augmenter en l'vn, quand elle diminuoit en l'autre, cela nempeschoit pas que les trois soleils, ne fussent assez souuent et assez longtemps visibles a la fois le tour exterieur de cette couronne estoit enuironnée de nuages espais, obscurs et d'vn bleu enfoncé, mais dans son enclos, il ne paroissoit que de vapeurs ou fumées quon eut dit que le soleil prenoit soin descarter, comme pour en former cette espaisseur, contre laquelle on jugeoit que la courone estoit peinte, et sur laquelle comme sur vne glace je me persuade, que ce faisoit la reflection des deux faulx soleils qui pourtant estoit meslée de beaucoup de refraction puis que les rayons penetroient force nuages, dont l'jnegalité causoit celle de la figure des faux soleils et des couleurs du cercle ou ils estoient enchasses. Cette couronne estoit adossée a vn arc en ciel fort bien coloré, toute fois incomplet, et dont je ne voyois que les deux tiers, ses cornes estoient a peu pres tournees vers mon zenith, et son dos vers le soleil au poinct de son attouchement, et aux enuirons on eut cru quil y auoit quelque flamme cachée qui par sa rougeur et son éclat ne representoit pas

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mal la rougeur de la lune quand elle paroist au trauers des brouillards. ce feu, ou cette rougeur demeura fort constante soit dans son esclat, soit dans sa grandeur qui n'occupoit pas exactement les deux largeur des cercles adossees: cette rougeur neffacoit pas entierement les couleurs de la couronne, ni celles de ce petit arc en ciel qui la touchoit, il les rendoit seulement vn peu vermeilles, et on eut dit que tout le feu estoit au de la. Lordre des couleurs de cette Iris, adossée estoit fort regulier, elle estoit peinte de rouge en dehors, de jaune au milieu, et de bleu au dedans, auec des nuances fort agreables, ces deux cercles parroissoient a peu pres paralle[lle]s a l'horison, et je ne remarquay point quils s'inclinassent quoy que le soleil s'abaissoit, ils s'esloignoient seulement de mon zenith et le petit arc en ciel en estoit bien distant de 8 degrez, lors quil commenca a defaillir, qui fut sur les deux heures et demie ou il sembloit se retressir, je ne lay point veu gueres plus grand que de la moitié de la couronne. Enfin ce qui acheue tout ce phenomene et qui me semble le plus remarquable, cest l'intersection de deux portions de deux arcs en ciel, colorez comme le petit, ayant le rond juge tourné vers le soleil, le jaune au milieu et le bleu par dehors chaque portion nalloit pas jusques au demi cercle, et leur mutuelle intersection estoit justement au milieu de l'espace, entre le soleil, et ladossement des deux cercles: elles nestoient pas pourtant dans le mesme plan qu'eux, mais dans vn autre incliné sur celui de l'horison d'enuiron 18. degrez, les circonferences de ces arcs en ciel estoient grandes et semblables, et on eut jugé que leur centre deuoient estre comme en A et B⁴⁾ presque autant au de la des deux faulx soleils, quils en parroissoient esloignes. sur les deux heures et demie ils disparurent, et le petit arc en ciel disparut ensuitte, peu apres le faux soleil oriental s'esuanouit la couronne deuint tout a fait pasle, et le faux soleil occidental ayant paru encore vn quart d'heure, se dissipa entierement sur les trois heures apres midy, plusieurs pilotes m'ont assuré que la nuict precedente, ils auoient veu trois Lunes, la veritable estant au milieu couronnée d'vn grand cercle blanc et ensuitte d'vn arc en Ciel tout entier assez bien fermé. Si cette sorte de phenomene estoit de la nature de ceux que l'on peut preuoir comme les Eclipses ou le retour de quelques étoilles qu'on apelle nouuelles, je pourrois vous enuoyer des particularitez plus presises, mais ce fut le hazard qui me le fit voir et la crainte que j'eus de le perdre, m'empescha de courir au sextan et a la grande lunette, faites moy la grace monsieur de me faire part de vos pensées la dessus, et destre persuade que quoy que je vous sois inconnu, je suis trop jnstruict de vostre Merite pour n'estre pas au de la de tout ce qui ce peut dire, Monsieur, Vostre tres humble et tres obbeissant seruiteur Pailheres.

Sy vous auez la bonté de m'obliger d'vn mot de responce, mon adresse est chez monsieur borie dans la rue de la monnoye.

4) Voir la figure vis-à-vis de cette page.

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N^o. 2 (p. 548).