Oeuvres complètes. Tome VII. Correspondance 1670-1675

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N^o 1915.
Christiaan Huygens à Lodewijk Huygens.
16 décembre 1672.

La lettre et la copie se trouvent à Leiden, coll. Huygens.

A Paris ce 16 Dec. 1672.

Vous voila en effect fort bien placè et dans la salle des Estats et dans vostre ville de Gorcum; mais je vous croiray encore bien mieux quand vous serez une fois delivrè de cette importune guerre. Cependant, d'autant plus de gens qu'il s'en meslera d'autant plus malaisè sera t'il d'y mettre fin, parce qu'il y en aura qui s'en trouveront bien, et que dans la paix chacun voudra trouver son compte. Voila la gelée qui depuis cette nuict commence icy tout de bon, et qui apparemment est desia plus avancée par de là. Sans doute la garnison d'Utrecht s'en prevaudra pour faire des ravages dans le païs, et je ne scay comment les villages voisins s'en pourront sauuer, sur tout si Monsieur le Prince ne ramesne pas l'armée.

L'on dit icy ouvertement, que les troupes Espagnoles dont ils ont renforcè les garnisons dans les villes de Bolduc, Breda, 1'Ecluse et autres, y sont les maitresses et qu'on ne les en fera jamais sortir. Mandez moy je vous prie ce que l'on en croit chez nous; ce seroit une imprudence bien estrange, et cependant on dit que les Espagnols s'en vantent, et qu'ils pretendent d'avoir plus conquis par la que n'a fait le Roy de France.

Il ne manque pas icy des gens qui forment des projects pour la France, de mesme que vostre Bourgmaitre de Worcum pour la Hollande, mais quoy qu'on n'y remarque pas des inconvenients, ce n'est pas a dire que dans l'execution il ne s'en trouvera point. Il seroit bien dangereux d'oster tous les imposts pour establir une façon nouvelle de lever de l'argent, dont on n'auroit point d'autre seuretè que la Theorie.

L'on a mandè icy que le Sieur Labadie¹⁾ avoit espousè une des damoiselles de Sommersdijc qui estoyent de son trouppeau. Je m'estonne que vous n'en parlez point si la chose est vraye, ce que je vous prie de me saire scavoir.

1) Jean de Labadie (de la Badie) naquit le 10 février 1610 à Bourg, Guyenne. Il fut élevé à Bordeaux par les Jésuites et appartint à leur ordre jusqu'en 1639. Il se fit protestant en 1650. Mystique religieux et ayant beaucoup de succès comme prédicateur populaire, il se proposa de réformer la religion protestante. Il fut pasteur d'abord à Montauban, puis successivement à Orange, Genève, Middelburg 1666, enfin, en 1669, à Amsterdam. Dans cette dernière ville il réunit ses adeptes en une communauté religieuse, qu'on appelait les Labadistes. Expulsé d'Amsterdam en 1670, il se mit sous la protection de la comtesse palatine Elisabeth, à Herford. En 1672 il fut banni par décret impérial et alla demeurer à Bremen, enfin à Altona où il mourut le 2 février 1674. La célèbre Anna Maria Schuurman comptait parmi ses plus fervents disciples.

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Vous ne me dites pas de quelle sorte de chapeaux gris vous voulez. Je vous en envoieray de la moyenne sorte entre castors et ceux que l'on vend chez nous pour 7 ou 8 ℔, si ce n'est que vous me l'ordonniez autrement devant que je trouve occasion de les envoier. Je verray aussi si je trouue vostre fait pour ce qui est de la perruque. Mais ne risquez vous rien en faisant venir ces marchandises?

Je crois qu'a ce soir nous pourrons esprouver nos lunettes de Rome²⁾. Monsieur Cassini qui loge dans l'observatoire m'a dit qu'il a essayè celle de Campani de 36 pieds, dans Saturne, et qu'elle fait un effect merveilleux. Si celle de Divini est bonne qui est de 47 pieds ce sera encore bien autre chose³⁾. Mon apartement dans l'obseruatoire sera bientost prest mais la saison n'est guere propre a s'y mettre. En esté il y fera tres beau.

Par le prochain ordinaire j'envoyeray le Journal des Scavans⁴⁾ ou mon Invention de barometre⁵⁾ est descrite et les observations de Saturne⁶⁾ de cette année.

A Paris le 16^e Decembre 1672.

2) Consultez les Lettres N^os. 1842 et 1862.

3) Ce fut à cette occasion que Cassini revit le nouveau satellite, Japet, perdu de vue depuis sa découverte en octobre 1671, et qu'il découvrit un autre, Rhea. Le livre D des Adversaria témoigne que Huygens s'est occupé aussitôt de recherches concernant Rhea. Plusieurs pages de son journal sont remplies de calculs pour déterminer la période de ce satellite d'après les observations des 17 et 30 décembre 1672 et des 10 et 15 janvier 1673, soit de Cassini, soit de lui-même, et le rapport des orbites de Rhea et du satellite de Huygens. Il est certain que le 11 février 1673 Huygens observa Rhea, qu'il désigne par ‘novissimus’; il dessina la position de ce satellite et annota ‘ipse observavi cum Picardo.’ Il paraît qu'en France on a répandu le bruit que Huygens n'a jamais voulu regarder les satellites découverts par Cassini. Malgré son invraisemblance, Condorcet, d'ailleurs sincère admirateur de Huygens, s'en est fait l'écho.

4) Du Lundy 12 Decembre m.dclxxii.

5) Voir l'Appendice II, N^o. 1911.

6) Voir l'Appendice I, N^o. 1916.