Oeuvres complètes. Tome V. Correspondance 1664-1665

[p. 335]

N^o 1395.
Constantyn Huygens, père, à H.L.H. De Monmor.
22 avril 1665.

Une copie se trouve à Amsterdam, Académie Royale des Sciences.

A M. De Montmor.

Orange 22 Aprilis 1665.

Monsieur

Apres toutes les bontez dont il vous a pleu m'obliger durant mon sejour à Paris la derniere¹⁾ que vous auez voulu me faire seruir de propemticon à la veille de mon depart, m'a esté si auantageuse que je ne puis m'empescher de vous rendre tesmoignage et de son effect et du ressentiment que j'en conserue parmi tant d'autres obligations dont je vous reste redeuable. Ces bons Peres Jesuites, Monsieur, ont bien faict veoir ce que vault l'autorité de vos recommandations en leur endroit. conscius meae mihi tenuitatis je n'aij point eu de peine à conclurre d'où m'est venu ce doux et benins acceuil dont ils m'ont voulu gratifier. I'avoue monsieur, que je releue tout de vous et vous en rends icij en partie les tres-humbles graces, que je ne cesseraij jamais de vous en debuoir. Ces excellens personnages m'ont communiqué liberalement un nombre de beaux desseins qu'ils sont à la veille de donner à l'utilité du publique. sans doubte l'Astronomia Cometarum²⁾ du Pere Saint Rigaut sera quelque chose de fort beau, et son Astrolabe Cometique, dont j'aij veu la prattique d'un usage clair et facile. Mais si les Tenailles du Pere de Chales reuscissent, nos lunettiers se verront bien soulagez de peine, puis qu'il n'en faudra guere dauantage pour un grand Telescope, que pour deux petites Gauffres. Je n'ose pas entamer les eloges des Peres Bertet et Menestrier. si je debuois me satisfaire je n'en sortiroij jamais. Il reste Monsieur, que vous preniez la peine d'estre leur ἐργοδιώϰτης. car certes ils sont tres capables en leur espece de produire des choses inouïes, qui sont les importantes. Aupres du merveilleux Monsieur Ceruiere³⁾ j'aij passé aggreablement une apres-disnee. Il faut avouër que c'est un esprit abondant en varieté de belles pensées et qui en tout ce qui est fai-

1) Voir la Lettre N^o. 1355.

2) Il est douteux si cet ouvrage
F. de Saint Rigaud Astronomia Cometarum.
a vu le jour

3) Le cabinet de Nicolas Grollier de Servières contenait des machines construites par lui. Consultez la Lettre N^o. 891.

[p. 336]

sable, ne trouue rien de difficile à sa conception. Ses ouurages du Tour sont excellens à merueille. et faut bien que la machine qu'il y emploije le soit aussi. I'en aij admiré le peu de volume. Il a au reste des tours de baston diuertissans, que les Peres Jesuites reconnoissent bien estre tels, mais sans en comprendre les mijsteres qui sont subtils puis qu'ils abusent des spectateurs si esclairez. I'aij enuoije des relations de tout ce que j'en aij pu retenir à mon Archimede. et voudrois pour bien de l'argent qu'il pust passer deux jours en ce surprenant Cabinet.

Ie retourne Monsieur à vous rendre graces de la faueur qui m'a procuré la veuë de tant de belles choses et vous offre au reciproque tout ce qui est capable en moij de vous faire connoistre à combien je repute l'honneur de vostre amitié, et avec combien de passion je suis

J'ay trouué le pauure Monsieur de Monconis⁴⁾ bien bas. enflé d'hydropisie (sans soif) usque ad inguina, et d'ailleurs pulmonique au dernier point. C'est grand domage. Cela ne peut gueres durer. Je pense luij auoir dit le dernier Adieu. Il possede un Microscope d'Ausbourg, excellent et poli en son espece comme le Telescope de Monsieur le Cardinal Antoine⁵⁾. Il a cousté 5. pistoles. si je n'en auoij que 6. au monde, je n'en garderois qu'une, pour auoir une si noble machine en mon pouuoir, et tascheraij d'en venir à bout.

4) Balthasar de Monconys mourut le 28 avril 1665.

5) Antoine III Barberini.