Oeuvres complètes. Tome II. Correspondance 1657-1659

[p. 405]

N^o 618.
Christiaan Huygens à Ism. Boulliau.
14 mai 1659.

La minute et la copie se trouvent à Leiden, coll. Huygens.
La lettre est la réponse au No. 616. Ism. Boulliau y répondit par le No. 623.

Bouillaut.

14 Maj. 1659.

Monsieur

Nayant pas jusqu'icy receu aucune observation de l'eclipse je vous diray seulement la miene. Je me suis servy de mon horologe qui s'accordoit parfaitement avec le soleil, pour scavoir le vray temps de la fin et j'ay trouue la lune sans aucune marque d'ombre à Heures 9. 38. ce qui ne differe pas tant de la vostre comme la difference des meridiens (qui emporte selon vos tables quelque 9 ou 10 minutes de temps) exigeroit. selon le calcul d'Eichstadius cette eclipse devoit finir icy environ à 10 heures, si ce n'est que l'aequation du temps puisse l'excuser, de la quelle je ne scay non plus si vous vous estes servy. Mais tousjours vostre methode en cecy m'est un peu suspecte.

Je vous remercie beaucoup de l'extrait de la lettre du Prince Leopold¹⁾, et plus encore de ce qu'il vous a plu respondre pour moy. Je me suis desia informè de plusieurs personnes qui en devroyent avoir eu connoissance, si Galilee a jamais proposè une semblable invention d'horologe a nos Estats; dont personne ne scait la moindre chose, mais bien de son invention des longitudes par le moyen des Planetes Medicees, dont il fust traitè en l'annee 1636. Il peut bien estre toutefois que Galilee a eu cette mesme pensée que moy comme vous dites, et pour la subtilitè de l'invention c'est peu de chose aupres de ce que ce grand homme en d'autres matieres a fait paroistre. Monsieur de Roberval comme vous scavez a encore eu ce mesme dessein dont Monsieur Chapelain m'a envoyè la description, mais il n'y avoit rien pour faire continuer le mouuement du pendule par la force de l'horologe, ce qui toutefois est le principal. De mesme Monsieur Hevelius m'a promis²⁾ de produire quelque jour ce qu'il a machinè sur ce suject, et Monsieur Wallis m'a aussi escrit³⁾ qu'en Angleterre il y en avoit qui avoyent trouvè moyen de faire conter les vibrations du pendule par quelque instrument. de sorte que la pensée semble avoir estè assez commune, mais on ne peut nier que mon modelle n'ait succedè le premier. car enfin si celuy de Galilee n'avoit point

1) Voir la Lettre N^o. 617.

2) Voir la Lettre N^o. 540.

3) Voir la Lettre N^o. 560.

[p. 406]

eu d'inconvenient il n'est aucunement croyable qu'il n'auroit pas mis en effect une chose si utile, ou mesme apres luy le Serenissime Prince Leopold, lors qu'il trouva ce modelle. Si j'avois l'honneur d'estre plus connu de Son Altesse et assez de hardiesse, je la requerrois pour en avoir une figure, pour veoir en quoy elle differe de la miene; si ce n'est qu'aux roues, c'est peu de chose; mais si le pendule est attachè autrement que je n'ay fait, comme si peut estre il tourne sur un aissieu, le succes n'en scauroit estre si bon. Mais enfin Monsieur que faut il faire pour oster a ce Prince l'opinion qu'il semble avoir concue de moy comme si je m'attribuois l'invention d'autruy et que je ressemblois à ce Simon Marius⁴⁾. Certes je me croirois indigne de vie, mais puis que pourtant la negative est difficile a prouuer, je ne voy pas quelle autre apologie je pourrois faire a Son Altesse Serenissime que de luy protester avec toute sinceritè que ny moy ny personne jamais en ce païs, à ce que j'ay pu apprendre, n'a ouy parler de cette invention devant que je la produisasse. Je vous prie de faire en sorte qu'il luy soit confirmè cecy de ma part, sans que j'aye besoin de m'adresser a une si eminente personne pour luy contester son opinion. Je vous ay envoyè il y a 15 jours une lettre pour Monsieur Chapelain⁵⁾; l'on craint d'icy qu'il soit malade, de quoy je vous supplie de vous enquerir. J'ay donne commission a un Cousin qui de Paris s'en retourne en Hollande de vous aller demander les exemplaires du livre de Monsieur Dettonuille, du quel j'en ay receu une par la poste comme je vous ay mandè⁶⁾. Je vous ay aussi demandè des nouuelles de vostre lunette, et je m'estonne que vous ne m'en escrivez rien. Je suis.

4) Simon Mayr (Marius), fils du bourgmestre de Gunzenhausen, naquit dans cette ville en 1570 et mourut le 26 décembre 1624 à Anspach. En 1601 il partit pour faire ses études sous Tycho Brahé et Kepler, et depuis 1604 il fut astronome du margrave Georg Friedrich de Brandenbourg-Anspach, son protecteur. Il observa et écrivit beaucoup; de son temps, on l'a pris pour un plagiaire de Galilei, qui à plusieurs reprises se défendit contre lui. D'après des recherches récentes, sa faute aurait été plutôt de publier ses travaux dans des livres peu connus ou édités trop tard, de sorte que la priorité lui échappa.

5) Probablement Huygens se trompe ici: il veut indiquer les lettres du 8 mai. Voir la Lettre N^o. 615.

6) Voir la Lettre N^o. 615.