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Chant Sixième.
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Chant Sixième.
Les beaux-arts.
Gloire à vous, ô Beaux-Arts! que des milliers de voix
Pour chanter vos bienfaits s'élèvent à la fois!
Vous parsemez de fleurs le sentier de la vie;
L'existence de l'homme est par vous embellie;
Beaux-Arts! présens des cieux, vous remplissez le coeur
De consolations, de force, de grandeur!
Je plains l'infortuné de qui l'âme inflexible
A vos divins attraits peut rester insensible!
Vainement la Nature étale ses beautés;
Tout est mort à ses yeux; ses yeux désenchantés
N'ont jamais admiré ses sublimes spectacles:
Il marche indifférent au milieu des miracles.
L'épouse de Tillion, sur un trône vermeil,
N'ouvre jamais pour lui les palais du Soleil;
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Pour lui, le doux Printemps n'eut jamais de parure,
Les fleurs sont sans parfums, et l'onde sans murmure.
Sans plaisirs, sans bonheur, rien ne peut l'émouvoir.
La vertu, la beauté sur lui sont sans pouvoir.
Pour lui, le dieu des vers ne monte pas sa lyre
Et Minerve et Vénus ont perdu leur empire!
Suis-le sur ces rochers élevés jusqu'aux cieux:
A l'aspect de ces monts, de leurs fronts sourcilleux,
De cette immensité que mesure ta vue,
Tu tressailles, ton âme est tendrement émue;
Mais lui, tel qu'une brute, ignorant spectateur,
N'aperçoit qu'une masse, une informe hauteur.
Au sein d'Antiparos, sous sa brillante voûte,
Il ne voit que des rocs suspendus sur sa route.
Indigne du nom d'homme, et du sol vil fardeau,
A ses yeux la Nature est un vaste tombeau.
Mais toi qui, pour les arts, dans ton âme inspirée,
Sens naître, sens brûler une flamme sacrée,
Heureux mortel! pour toi la Nature sourit;
D'une moisson de fleurs le Printemps s'embellit;
La rive d'un ruisseau, l'émail d'une prairie,
Porte en ton coeur ému la douce rêverie.
La Beauté, qui naquit d'un sourire des dieux,
Attache tes regards, attire tous tes voeux;
Et quand l'Être Suprême, arbitre du tonnerre,
Par des feux menaçans épouvante la terre,
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Ton esprit élevé, dans ces brûlans éclats,
Des élémens rivaux contemple les combats.
Homère t'agrandit en te peignant Achille,
Et tu pleures Didon en relisant Virgile.
Tout ce que la Nature, en ses vastes tableaux,
Offre de beau, de grand, appelle tes pinceaux:
Le fier lion roulant sa sanglante prunelle,
Le brillant colibri, le chant de Philomèle,
L'épaisseur des forêts, le silence des nuits,
Ces temples, ces palais que les Arts ont construits,
Sont pour toi des beautés où ton âme ravie
Admire la Nature, honore le génie!
Heureux, trois fois heureux, si le dieu des Beaux-Arts
Daigne aussi sur ma lyre abaisser ses regards!
(Téméraire espérance!) Au bout de ma carrière,
Je pourrai de la gloire entrevoir la lumière;
Peut-être, ô mon pays! triomphant du trépas,
Sur ce globe après moi mon nom ne mourra pas.
Ce sentiment des arts, de sa noble influence,
Des fils de la Patrie illustra la naissance.
Dans l'arène lancé, le Batave, à la fois,
Surpassa le Breton, le Germain, le Gaulois,
Et répandit des arts la lumière épurée:
Ainsi dans la forêt à Wodan consacrée,
Le chêne altier s'élève, et, de ses longs rameaux,
Protége les vallons et couvre les coteaux.
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Un peuple (je me plais à lui rendre justice,)
Vainqueur de l'univers se montra dans la lice.
Salut! ô Grecs fameux! salut! pays sacré!
Quel mortel, descendu sur ton sol adoré,
Vit jamais froidement, sous tes cieux poétiques,
Tes sites animés, tes temples, tes portiques?
Chaque pas nous transporte et nous révèle un dieu:
C'est Phébus dans les airs sur un trône de feu;
C'est Jupiter tonnant dans la voûte suprême;
C'est Vénus de sa flamme embrasant les dieux même!
Ce langage divin, dont le charme flatteur
Sait captiver l'oreille et séduire le coeur,
Qui semblable aux accords des nymphes d'Aonie,
Répand à flots pressés des torrens d'harmonie;
Ce climat enchanteur, empire du Printemps,
Ces bois, ces prés couverts de bouquets enivrans,
Cet air inspirateur, ces campagnes fécondes
Recevant les tributs d'intarissables ondes,
Tout se réunissait, dans ces magiques lieux,
Pour enflammer les sens, pour éblouir les yeux:
Voilà de ta splendeur les sources merveilleuses!
Pour nous, enfans du Nord, nos plages nébuleuses,
Notre air sombre et pesant, nos humides climats,
Comme toi, peuple heureux, ne nous inspirent pas;
Mais si l'astre des Arts et t'anime et t'éclaire,
Le Batave, après toi, brille de sa lumière.
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Telle, empruntant l'éclat du flambeau des saisons,
Phébé nous plaît encor par de plus doux rayons:
Ainsi Junon, cédant la pomme à Cythérée,
Marche encor souveraine au sein de l'Empyrée;
Elle voit à ses pieds se prosterner les dieux,
Et partage le rang du monarque des cieux.
Puissante enchanteresse, aimable Poésie,
Prête-moi tes accens pour chanter ma Patrie.
Si ma main possédait ce luth harmonieux
Qui soumit autrefois l'empire ténébreux,
Quand aux lois du Ténare arrachant Eurydice,
Orphée à son amour rendit l'enfer propice;
Ciel! avec quel transport, célébrant mon pays,
Je redirais sa gloire à l'étranger surpris!
O mes concitoyens! avec quelle allégresse
Vous prêteriez l'oreille à ma brillante ivresse!
Les vertus, la science et l'intrépidité
Ne sont pas nos seuls droits à l'immortalité:
Le Batave, lancé de conquête en conquête,
Des lauriers d'Apollon couronne aussi sa tête,
Et les siècles passés, de nos Bardes fameux
Ont admiré les chants et les faits belliqueux.
Souvent, dans la forêt cherchant la rêverie,
Je crois entendre encor leur douce mélodie;
Je vois leur bois sacré, leurs temples, leurs autels.
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Loin des yeux indiscrets des vulgaires mortels,
Wodan vient m'enflammer; et les chênes antiques
Balancent dans les airs leurs cîmes prophétiques.
Le Grand-Prêtre paraît; les Bardes recueillis
Le suivent à pas lents sous les divins parvis.
Fièrement appuyés sur le fer de leur lance,
Nos valeureux guerriers sont rangés en silence.
Les harpes ont frémi: d'harmonieuses voix
Vers les cieux embaumés s'élèvent à la fois,
Et, dans les hymnes saints qui frappent mes oreilles,
J'entends de ma Patrie exalter les merveilles.
Sous un ciel fortuné, loin des terrestres lieux,
Apparaît des Beaux-Arts le temple somptueux.
Non, tout ce que produit et l'homme et la Nature
N'en saurait égaler la noble architecture.
De suaves parfums l'onctueuse vapeur
Enivre ici les sens et pénètre le coeur.
L'Imagination, de son prisme magique,
Du sanctuaire auguste éclaire le portique;
C'est ici que la main de l'Immortalité
De festons éternels couronne la Beauté;
Non point cette beauté fragile et passagère
Qu'enfante des humains la puissance éphémère,
Qui dépend des climats, que la mode produit,
Qu'un instant voit éclore et qu'un instant détruit;
Mais la divinité qu'ont adorée Homère,
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Le Tasse, Raphaël, et Vondel, et Voltaire;
Mais pure, mais céleste, offrant à l'oeil charmé
L'idéal créateur sur son front enflammé.
Un dieu vient m'enhardir; et, dans le sanctuaire,
J'ose, respectueux, mettre un pied téméraire.
L'Imagination, cédant à mes transports,
Déjà m'a découvert ses précieux trésors.
Pour charmer les regards, le jaspe, le porphyre,
Le marbre de Paros, dans ces lieux tout respire.
Quels chefs - d'oeuvre étonnans! quels travaux merveilleux!
Là, sur des trônes d'or, les descendans des dieux,
Superbes, couronnés d'un riche diadême,
Étalent de leur rang la majesté suprême;
Là, sont ces grands talens, ces esprits créateurs,
Des préjugés vaincus immortels destructeurs.
A leur tête, entouré d'un faisceau de lumière,
Comme l'astre du jour, je vois briller Homère:
Le passé, Ie présent, et le vaste avenir
Sur un point à ses yeux viennent se réunir;
Il s'élance tantôt vers la céleste voûte,
Et tantôt des enfers parcourt la sombre route.
Quels sublimes accords! quels chants dignes des cieux!
Je verse en frémissant des pleurs délicieux.
Génie universel, tout cède à sa puissance.
Les élémens émus l'écoutent en silence.
Mais quels nombreux guerriers inondent ces sillons?
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Je traverse avec lui ces épais bataillons;
J'entends les cris des Grecs; je vois, dans la mêlée,
Ici le Roi des Rois, là, le fils de Pélée.
Je frissonne, je fuis, j'avance tour à tour,
Et je donne à son gré ma haine ou mon amour.
Intarissable fleuve, il fait jaillir son onde;
Les Arts viennent puiser à son urne féconde,
Et son flot opulent, fier de sa liberté,
Dans l'abîme éternel roule avec majesté.
Parmi ces favoris des filles de mémoire,
S'élèvent nos aïeux environnés de gloire!
Divine Poésie, ah! reçois mon encens!
J'éprouvai ton pouvoir dès mes plus jeunes ans;
Oui, c'est toi qui de fleurs embellis ma jeunesse;
C'est toi qui de mes jours écartas la tristesse,
Et de mon luth fidèle animant les accords,
Relevas dans tes chants la splendeur de nos bords.
Comment peindre jamais, dans l'ardeur qui m'enflamme,
Le noble sentiment qui s'élève en mon âme?
Comment monter ma lyre? O mon maître! ô Vondel!
Dans mon coeur enivré je t'érige un autel;
Sous ton auguste appui, connu des doctes Fées,
Je les vis applaudir à mes premiers trophées;
Ta lumière pour moi dissipa le chaos;
Barde timide encor, je chantai nos héros,
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Et frémissant d'orgueil au nom de ma Patrie,
J'enflammai mon audace au feu de ton génie.
O Vondel! c'est à toi que sont dûs mes succès:
Que ma reconnaissance égale tes bienfaits!
Lorsque, dans la cité qui vit naître Agrippine,
Les dieux de ce mortel marquèrent l'origine,
Deux cygnes, tout à coup, sortis du sein des eaux,
Du Rhin majestueux sillonnèrent les flots,
Et, fixant les regards dans ces belles contrées,
Firent monter leurs chants aux voûtes éthérées,
Tels qu'on les entendit aux rives de Délos,
Quand Latone enfanta ses illustres jumeaux.
L'air était obscurci par de sombres nuages,
Vondel reçoit le jour; et ces heureux rivages
De rayons éclatans brillent de toutes parts;
Sur son front radieux luit le flambeau des Arts,
Et le nectar divin et la pure ambroisie
Porte à ce coeur naissant et la force et la vie.
Des trésors de Bacchus le Rhin s'enorgueillit;
Sur le sol enchanté tout s'anime et sourit.
La voix du rossignol, mélodieuse et tendre,
S'unit aux premiers sons que son luth fait entendre.
Il chante, et sur ses pas des couronnes de fleurs
Étalent à l'envi l'émail de leurs couleurs,
Présage de ces jours où sa Muse hardie
Doit par un vol sublime illustrer sa Patrie!
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L'Aurore au teint riant, le cristal des ruisseaux,
Le doux azur des cieux, le doux chant des oiseaux,
Les rayons de Phébus, l'haleine de Zéphyre,
Sont moins purs que les sons enfantés par sa lyre.
Écoute ces accords, ces célestes concerts!
Transportés, tout remplis du Dieu de l'univers,
Les brillans Séraphins, les glorieux Archanges
Célèbrent du Très - Haut les divines louanges.
Vois, près de son époux, la mère des humains
Du ravissant Éden contempler les jardins:
Dans lui, que de grandeur! dans elle, que de grâce!
Il n'est point de beautés que leur éclat n'efface.
Entends - tu de Satan tonner l'affreuse voix?
Le ténébreux abîme en retentit trois fois!
Vois-le, dans sa fureur, haranguer son armée,
Vaincu, proscrit, rouler dans la nue enflammée,
Et partageant des siens l'irrévocable sort,
S'engloutir à jamais aux gouffres de la mort!
O chef-d'oeuvre de l'art! ô puissante magie!
Quel pinceau surpassa cette riche énergie?...
Dix-huit siècles entiers Melpomène se tut:
Sur nos bords étonnés Vondel enfin parut,
De la nuit du néant tira la Poésie,
Et d'un nouveau poignard arma la Tragédie.
Variant, à son gré, ses tons et ses transports,
De la lyre d'Horace il trouva les accords.
Et nous, faibles rivaux, de cet aigle intrépide
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Nous voulons vers les cieux suivre le vol rapide!
Ah! tentez vainement d'audacieux essais,
Disciples d'Apollon! moi, j'admire et me tais.
Toi, Sophocle français, accepte mes hommages!
Rome entière respire en tes mâles ouvrages:
Dans toute leur vigueur tu peignis les Romains.
Mais avant que le Cid fût sorti de tes mains,
Vondel avait déjà, sur notre heureuse scène,
Fait entendre à l'Amstel la voix de Melpomène,
Et tracé sous nos yeux, d'un vigoureux pinceau,
Du crime et du malheur le terrible tableau.
Et toi, dont le touchant et sublime langage
Des passions de l'âme est la parfaite image,
Tendre et divin Racine! ô poète enchanteur!
Que tu sais bien trouver le chemin de mon coeur!
Je vois Britannicus; je tremble pour sa vie;
Éliacin me touche et je hais Athalie.
Pure comme la rose aux beaux jours du Printemps,
Ta Muse nous redit d'harmonieux accens,
Et, charmant à la fois le coeur et les oreilles,
Nous montre de ton art les fécondes merveilles:
Mais combien Euripide, immortel créateur,
T'applanit la carrière où tu marchas vainqueur!
Toi - même qui, foulant à tes pieds l'ignorance,
Dotas le monde entier de ton savoir immense,
Toi, qui sus, ô Voltaire! avec tant de succès,
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De la Philosophie expliquer les secrets,
Ta nation, ton siècle, en dépit de l'Envie,
Sur des ailes de flamme éleva ton génie.
Vondel se trouva seul. J'applaudis an guerrier
Sur les pas du vainqueur moissonnant le laurier;
Mais emporter d'assaut un rempart formidable,
Voilà, voilà l'exploit d'un héros véritable!
Quand le luth de Vondel résonna sur nos bords,
Du peuple coassant les grotesques accords
Formaient, au point du jour, l'unique chant sauvage
Qui des enfans d'Herman saluât le rivage;
D'une profonde nuit les Germains entourés
Languissaient sans culture; et les Arts ignorés
N'entendaient point encor, sous ce climat stérile,
Des Hallers et des Kleists la voix pure et facile;
Wieland ne brillait pas; les Klopstocks, les Schillers
Ne faisaient point jaillir leurs rapides éclairs;
Le Breton de Sheakspear aimait le goût bizarre,
Et vantait de Johnson le langage barbare.
Tel fut l'art d'Apollon dans ce siècle où Vondel
Couvrit ses grands travaux d'un éclat éternel.
Aigle majestueux, dans sa vaste carrière,
Ses regards embrassaient les champs de la lumière,
Et son aile, traçant un cercle illimité,
Dans l'Océan des airs voguait avec fierté.
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Heureux, si les serpens de la hideuse Envie
N'eussent pas de leur souffle empoisonné sa vie!
Au temple de mémoire assis aux premiers rangs,
Bataves! montrez - nous vos fronts resplendissans;
De ce poste d'honneur que votre âme soit fiere!
Conservez des Beaux - Arts le sceptre héréditaire,
Devant qui l'étranger, en des temps plus heureux,
Trois siècles abaissa son orgueil dédaigneux.
Aux côtés de Vondel, brillant de tout son lustre,
Quel génie étonnant lève sa tête illustre?
C'est Hooft: des Pays-Bas et la gloire et l'honneur.
Sa plume, de Tacite atteignant la hauteur,
Nous trace en lettres d'or ses profondes maximes,
Et forme notre coeur à ses leçons sublimes.
Au récit des forfaits par l'Ibère enfantés,
A ces affreux amas d'horribles cruautés,
Qui de nous, indigné de tant de barbarie,
N'admire nos aïeux et leur mâle énergie?...
Ah! laissez approcher cet auguste vieillard
Qui de la foule émue attache le regard:
Mes yeux ont reconnu ce héros tutélaire,
De ses concitoyens le soutien et le père.
Lorsque l'Ambition foulait aux pieds nos lois,
En face de Maurice il éleva la voix.
On dit qu'avec éclat son ombre vénérable
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Habita deux cents ans l'enceinte mémorable,
Où ce nouveau Caton, vengeur de l'équité,
Revendiqua nos droits et notre liberté;
Mais quand son rejeton, oubliant sa naissance,
Du rang de magistrat dégrada la puissance,
Et, singeant d'un Gracchus la souple urbanité,
D'un peuple turbulent flatta la vanité,
Cette ombre gémissante, et de larmes baignée,
Voila son front illustre et s'enfuit indignée.
Mais toi, célèbre Hooft, toi qui, servant l'État,
N'attends pas qu'un ruban rehausse ton éclat,
Auprès de Montesquieu, de Gibbon et de Hume,
Ton éloquent génie et s'épure et s'allume.
Le Temps sur tes écrits agite en vain sa faulx.
Rien ne peut altérer tes immortels travaux:
Je crois voir ce rempart, protecteur d'un empire,
Que vingt siècles entiers n'ont encor pu détruire.
Ma course va finir, et mon axe brûlant
Emporte vers le but mon char étincelant.
Mes coursiers, animés par la soif de la gloire,
Déjà semblent jouir du prix de la victoire.
Une noble poussière offusque mes rivaux:
Je vais enfin saisir l'arbre cher aux héros!
Qui ressent mieux que moi l'amour de la Patrie?
Qu'il entre dans la lice! oui, mon coeur le défie!
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Qui nourrit mieux que moi cette constante ardeur
De servir son pays, de vouloir son bonheur?
Qu'il vienne!... Ah! cet amour est inné dans mon âme:
Je le sens; il m'inspire, il m'élève, il m'enflamme.
Je ne me trompe pas; mon bras, moins chargé d'ans,
Plein d'audace, eût voulu combattre dans nos rangs,
Et, nouveau Décius, sauvant la Batavie,
Pour venger son honneur j'eusse donné ma vie.
Si jamais cet amour s'éteignait dans mon sein,
Que j'erre malheureux sur quelque bord lointain!
Et que ma Muse indigne, au déshonneur livrée,
Chez nos derniers neveux soit encore abhorrée!
Mais pourquoi célébrer tant de noms éclatans?
Pourquoi les citer tous?... Au retour du Printemps,
Qui n'a souvent pensé, sous l'ombrage d'un hêtre,
Au chantre de l'amour et du bonheur champêtre?
Enfant de la nature, aux bords d'un clair ruisseau,
Il sut de Théocrite enfler le chalumeau.
L'Amstel a tressailli sur son urne écumante:
J'écoute Antonidès et sa lyre brillante.
Sur les bords de la Meuse, un chant digne des dieux
Me répète de Smits les vers harmonieux.
Le patriarche d'Ur rappelle à ma mémoire
D'un élu d'Apollon la poétique histoire.
Eh! qui d'un feu divin ne sent brûler son coeur,
Lorsque de nos aïeux exaltant la valeur,
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Haren, son luth en main, réveille notre audace,
Et par ses nobles chants fait rougir notre race?
Qui ne connaît Winter, ce rival de Thompson?
De la Muse tragique il sut prendre le ton;
Tandis que, sur les pas de l'ami de Mécène,
Son fils disait ses vers aux échos d'Hippocrène:
Il chantait sur sa lyre; et ses doigts inspirés,
Enfantaient des accords du vulgaire ignorés.
Bataves, sur la tombe où Bellamy repose,
Plantez en gémissant le cyprès et la rose!
A peine de la vie il a franchi le seuil:
Déjà la mort fatale entr'ouvre son cercueil!
Admirez de ses chants la noble indépendance
De l'orgueilleux Breton ravaler l'arrogance!
Son luth résonne encor dans mon coeur enivré.
Ah! j'en fais le serment sur son tombeau sacré,
Jusqu'au dernier soupir, mon superbe courage
Dérobera ma tête au joug de l'esclavage.
Lorsque l'Aigle romain, cédant à nos efforts,
Vaincu, couvert d'affront, fut chassé de nos bords,
A nos Bardes divins, à leurs harpes magiques,
On vit le sexe unir des accens héroïques.
Célébrant Véléda dont le regard perçant,
Bien loin dans l'avenir, embrasse le présent,
De nos mobiles tours des hymnes s'élevèrent;
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De joie et de valeur nos héros frissonnèrent;
Et la voix de Wodan, de son char triomphal,
Leur donna du combat le terrible signal!
Soudain le chant guerrier partout se fit entendre;
Du faîte de l'orgueil le Romain dut descendre:
Son Aigle audacieux, déçu dans ses projets,
De nos climats vengés s'envola pour jamais.
Ainsi la Batavie, au temple de mémoire,
Vit la Beauté cueillir les palmes de la gloire:
Les Lannoy, les Schurmans, dans le sacré vallon,
Parèrent leurs attraits du laurier d'Apollon.
Soleil resplendissant! honneur de la Patrie!
O Merken! qui jamais oubliera ton génie?
Qui pourrait surpasser la douceur de tes chants?
Tes accords sont pour moi l'haleine du Prinlemps;
Ta Muse est comme un cygne, ornement du rivage,
Qui, mouvant sur les eaux l'argent de son plumage,
Balancé mollement vogue avec majesté,
Devant lui chasse l'onde, et, sûr de sa beauté,
Agite fièrement, de ses rames rapides,
La vague qui sur lui glisse en perles liquides!
Vifs comme le plaisir qu'un noble coeur ressent
Lorsque pour son pays il a donné son sang,
Tendres comme les sons de la flûte sonore,
Purs comme au point du jour les larmes de l'Aurore,
Ou le chant matinal du peuple ailé des bois,
Oui, tels soul, ô Merken! les accens de ta voix,
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Ces célestes accens dont la douce harmonie
Verse un charme secret dans notre âme ravie.....
Une mère aux chagrins abandonne son coeur;
Hélas! pour son amour il n'est plus de bonheur:
Son seul enfant n'est plus! Merken, tu prends ta lyre;
Tu chantes; et soudain elle écoute, respire,
Ressent de tes accords le charme impérieux,
Et des pleurs moins amers ont inondé ses yeux.
Du poignard de Sophocle armant ta main puissante,
Tu répands à ton gré l'espoir où l'épouvante,
Quand Wattier, de son art déployant la grandeur,
A nos sens agités imprime la terreur.
Tant que dans l'univers vivra notre langage,
Tes chants, comme l'or pur, brilleront d'âge en âge.
Qu'ai-je entendu? quels sons font retentir les cieux?
Quels prestiges nouveaux ont enchanté ces lieux?
Et l'Amstel et le Rhin, de leurs eaux souveraines,
Baignent-ils à mes yeux les murs d'une autre Athènes?
Quoi! Rome a-t elle ici relevé ses remparts?
Ah! l'Europe sur nous attachant ses regards,
Contemple nos savans qu'eut adopté la Grèce.
Oui! Platon vient ici répandre la sagesse;
La ville de Cécrops, au sein de mon pays,
Lève son front célèbre et sort de ses débris.
Dans la lice des Arts ainsi la Batavie
Sait imposer silence à 1'orgueilleuse envie;
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Semblable, dans sa force, an chêne audacieux,
Au foudre étincelant du souverain des dieux.
Le Tibre, contemplant ses temples magnifiques,
Nous montre avec fierté ses marbres, ses portiques;
Bramante, Michel-Ange, entourés de laurier,
Se lèvent triomphans aux yeux du monde entier;
J'admire de leur art la merveille éternelle,
Où dans tout son éclat leur génie étincelle:
Dans les murs de Léon, l'or coulant à grands flots,
Des millions de bras ont produit ces travaux;
Mais le commerce seul, fier rival du Pactole,
Éleva d'Amsterdam le riche capitole!
Ah! tant qu'un frêle esquif flottera sur l'Amstel,
Les siècles vanteront ce chef-d'oeuvre immortel,
Et le nom de Kampen, environné d'hommages,
De Saturne étonné bravera les outrages.
Le chantre d'Ilion, dont les divins accens
Retentissent vainqueurs sur le gouffre des temps,
Homère nous montra l'arbitre du tonnerre
Souverain de l'Olympe et maître de la terre.
Devant lui tout s'abaisse ou tremble de respect:
Le redoutable Mars s'incline à son aspect;
Neptune, roi des mers, reconnaît sa puissance;
Le bouclier sacré pâlit en sa présence;
Et toi, brillant Phébus, dont le front radieux
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Embrase l'univers d'un océan de feux,
Toi, fleuve de soleils, en face de son trône,
Tu sais même affaiblir l'éclat de ta couronne!
Dans des flots de lumière, offerte par Thémis,
L'urne de nos destins à ses pieds est remis;
Et tandis que les Ris, de leur aile légère,
Caressent mollement la reine de Cythère,
Le Dieu des Dieux, fronçant de sévères sourcils,
Remplit de sa splendeur les célestes parvis.
O vierge glorieuse, ô Patrie adorée,
Ainsi par les Beaux-Arts tu te vois entourée!
Pour toi le dieu des vers prodiguant ses faveurs,
Te pare et t'embellit des charmes des Neuf-Soeurs.
Quel est l'audacieux, jaloux de ta victoire,
Qui voudrait avec toi rivaliser de gloire?....
On verra sans retour le soleil éclipsé,
Avant que ton éclat soit jamais effacé.
Quel prestige, à mes yeux, reproduit la nature?
Ne vois-je pas vers moi s'avancer la Peinture?
Sous le feu du pinceau la toile a pris un corps;
Le souffle de la vie anime ses ressorts.
Mais de nos fils d'Appelle, avec idolâtrie,
Irai-je dans mes chants exalter le génie,
Déposer à leurs pieds mes vers reconnaissans,
Et dans des vases d'or leur offrir mon encens?
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Non, non: j'entends déjà cent bouches éloquentes
Se plaire à rendre hommage à leurs touches savantes.
Comment le fier Breton devant tant de splendeur,
N'est-il pas embrasé d'une noble chaleur?
La Seine, à juste titre étalant sa richesse,
Sait du pinceau batave admirer la noblesse.
De Vinci, Titien, l'étonnant Raphaël,
Ont vu l'Europe entière encenser leur autel;
Mais notre coloris a su, par sa magie,
Dans un rang sans partage élever ma Patrie.
Pourquoi citer ici tous ces grands créateurs?
Leurs pinceaux, tour à tour sublimes, enchanteurs,
Ennoblissent notre âme ou flattent notre vue:
Jusqu'aux bornes du jour leur gloire est répandue.
Lorsque l'astre éternel resplendit dans nos champs,
A quoi sert de louer ses feux étincelans?
Quelle Muse, à l'aspect de ces riches merveilles,
N'aspire avec transport à leur vouer ses veilles?
Ah! déjà célébrant cet art inspirateur,
Mon luth a répété les accens de mon coeur.
Vandervelde! j'entends le bruit de tes cascades,
Où viennent se jouer les craintives Naïades;
Ici, Douw et Metzu, par d'habiles secrets,
Du bonheur domestique ont peint les doux attraits;
Là, Lairesse, au trépas arrachant sa victime,
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Rappelle nos amis du ténébreux abîme.
J'assiste avec Ostade à ses champêtres jeux;
De ses groupes bruyans j'entends les cris joyeux.
Huissem, sous tes crayons, dans l'empire de Flore,
Des baisers du Zéphyr ces fleurs viennent d'éclore!
O Ruisdaal! avec toi, sur les bords d'un ruisseau,
Je m'assieds tout pensif au murmure de l'eau.
Et toi, divin Rembrandt! dont l'audace inspirée
Embrasa ta palette au feu de l'Empyrée,
Qui, traversant des cieux l'imposant appareil,
Osas puiser la vie aux sources du soleil;
Vous tous, ô demi-dieux que l'univers admire,
Votre hauteur sublime intimide ma lyre!
O terre où je suis né, de tes nobles enfans
Tu sauras bien toi-même honorer les talens;
Ta voix, mieux que mes vers, par leur gloire animée,
Ira chez nos neveux porter leur renommée.
D'un partage aussi beau restons toujours jaloux,
Et devant nos aïeux fléchissons les genoux.
Mon coeur est satisfait et ma tâche est remplie.
Bataves! oui, pour vous j'ai chanté la Patrie;
De nos pères sacrés j'ai vanté les vertus:
Puissent mes faibles sons par vous être entendus!
Ah! de tant de valeur, de tant d'exploits insignes,
Mes accens, je le sais, ne sont pas assez dignes;
Mais peut-être, pour prix de mes transports brûlans,
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La voix de la Patrie applaudira mes chants:
Dans l'arène guidé par l'amour de la gloire,
Il est grand, il est beau de tenter la victoire!
Je dépose ma lyre aux autels de Phébus:
Heureux, lorsqu'ici-bas je n'existerai plus,
Heureux, si mes accords, en prolongeant leur veille,
De mes enfans chéris parfois charment l'oreille,
Et si mon souvenir attendrissant leurs coeurs,
Sur mon tombeau glacé leur fait verser des pleurs!
Toi, dans qui je respire! oh! que de cette idée,
Avec un plaisir pur mon âme est possédée!
O mon fils! mon cher fils! quels trésors, quels honneurs
Vaudront jamais pour moi tes soins consolaleurs?
Mes enfans! quand l'arrêt des puissances célestes
Auprès de nos aïeux aura placé mes restes,
Quand retrouvant votre âme en ces nobles récits,
Vous vous rassemblerez pour lire mes écrits,
Remplis d'un juste orgueil, que votre voix s'écrie:
‘Mon père avec ardeur adora sa patrie!’
O mes concitoyens! si mes accens heureux
Remplissaient un seul coeur du feu de nos aïeux,
Arrivé triomphant près du but où j'aspire,
Je n'aurais pas en vain fait résonner ma lyre.
Voyez dans nos guérêts un seul grain confié
Élever dans les airs son épi deployé!
Déposé de nouveau dans le sein de Cybèle,
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Déjà croît à vos yeux une moisson nouvelle:
Où l'herbe parasite inondait nos sillons,
D'une prodigue main Cérès verse ses dons;
Reproduits mille fois, alors, dans la contrée,
Sous l'immense horizon roule une mer dorée;
Le sol, d'abord sauvage, étale, avec fierté,
De ses trésors flottans la riche majesté,
Et rend grâce à ce grain, sa première espérance,
Germe de sa splendeur et de son opulence!
fin du sixième chant.
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