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Chant Second.
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Chant second.
Héroisme sur terre.
Sur l'antique sommet des Alpes sourcilleuses
Qui lèvent jusqu'aux cieux leurs têtes orgueilleuses,
A travers les frimas, sous d'énormes glaçons,
Sorti des larges flancs de ces arides monts,
Le Rhin, calme d'abord, dans sa course incertaine,
Comme un faible ruisseau serpente sur l'arène;
Mais accrus en roulant, ses flots tumultueux
Se creusent, à grand bruit, un lit audacieux,
Et fiers et menaçans, du plus haut de la cime,
Comme un tonnerre affreux s'élancent dans l'abîme;
De rochers en rochers et d'écueil en écueil,
Il promène vainqueur sa force et son orgueil;
De ses rapides eaux il couvre les campagnes,
Et traîne avec fracas les débris des montagnes;
L'habitant menacé par ses fougueux bouillons,
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S'épouvante à l'aspect de ses noirs tourbillons.
Obéissant enfin à de féconds rivages,
Il s'apaise en grondant, il cesse ses ravages,
Et sous des cieux plus doux, ses tributs bienfaisans
De l'amant d'Érigone arrosent les présens.
De la cime des monts qui couronnent ses ondes,
Le voyageur, au bruit de ses vagues profondes,
Contemplant de son cours la fière majesté,
Salue avec respect sa sublime beauté.
Mais suivez jusqu'aux mers son onde souveraine:
Avili, dégradé, lentement il se traîne;
Ce n'est plus ce beau fleuve, altier, impétueux:
Il rampe dans la fange et disparaît aux yeux.
L'étranger qui naguère admirait son audace,
De son superbe lit en vain cherche la trace.
Il s'arrête en ces lieux d'un air triste et rêveur;
De lugubres pensers il entretient son coeur,
Et songeant aux débris de l'antique Carthage,
Du néant des grandeurs il reconnaît l'image.
Pays de mes aïeux! d'un rapide pinceau,
N'ai-je pas de ton sort reproduit le tableau?
Jadis ton sol étroit, envahi par Neptune,
D'aucun peuple étranger n'appelait la fortune;
Mais du limon impur de tes profonds marais,
L'oeil vit bientôt sortir des cités, des palais.
Par tes mâles vertus, par ta valeur guerrière,
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Tu secouas le joug que t'imposait l'Ibère:
Intrépides lions, sur les champs de Thétis,
Quels lauriers tes enfans n'ont-ils pas recueillis?
Tels que ce fleuve altier, resplendissans de gloire,
Ils marchaient, pleins d'orgueils, de victoire en victoire.
Que les temps sont changés! et combien ta grandeur
Aux yeux de l'univers a perdu sa splendeur!
Hélas! déshonorés, couverts d'ignominie,
Verrons-nous à jamais notre gloire flétrie?
Non, non! ô mon pays, l'éclat de nos aïeux
Jette encore sur nous quelques traits lumineux,
Et ces grands souvenirs, ces superbes courages
Ne sont pas engloutis dans le torrent des âges.
Équitable Clio, dont l'éloquente voix
Honore la vertu, rehausse les exploits,
Et des peuples divers illustre la mémoire,
Viens ouvrir à mes yeux les fastes de l'histoire!
Quel éclat m'éblouit? sur son livre éternel,
Mnémosyne a gravé notre nom immortel,
Et le fier étranger, dans sa vaine arrogance,
D'effacer tant d'honneur a perdu l'espérance.
Mais quel sol se présente à mes pas égarés?
Où suis je? quel silence en ces lieux révérés!
D'où naissent mes frissons? qui m'agite et m'enflamme?
C'est ici que vers Dieu l'homme élève son âme!
Quel est ce monument? quels faisceaux radieux
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Égalent en splendeur la lumière des cieux?
Des casques et des dards, appareils de la guerre,
Ont oublié Bellone et gisent sur la pierre.
Sur ce marbre doré quels sont ces traits inscrits?
‘Ici dort un héros, sauveur de son pays!’
Tandis que dans les fers notre gloire succombe,
Oui, je veux, ô Guillaume, appuyé sur ta tombe,
A mes contemporains racontant tes hauts faits,
Par des chants solennels soulager mes regrets.
Reçois, reçois ici le tribut de mes larmes,
Pour tes mânes sacrés ces pleurs auront des charmes.
Idole du Batave, auguste liberté,
Chez nos divins aïeux ton culte respecté
Fit pâlir les tyrans, épouvanta le crime
Et sut nous arracher aux horreurs de l'abîme:
De la divinité rayon pur et brillant,
C'est toi qui conduisis le Batave vaillant,
Lorsqu'au sein du malheur changeant sa destinée,
Tu sauvas du néant la patrie enchaînée.
Tel qu'un torrent fougueux, dansles champs inondés,
Renverse, détruit tout de ses flots débordés,
César sur les Gaulois fondit d'un pas rapide,
Abattit les vaincus sous son bras intrépide,
Et les fils de Brennus, dévorant leur affront,
Devant l'Aigle romain abaissèrent leur front;
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Le Breton, entouré de ses rochers sauvages,
Par cet altier vainqueur vit fouler ses rivages;
Mais le peuple batave, ardent et courageux,
N'apprit pas à fléchir sous ce maître odieux:
Indompté, luttant seul contre une immense armée,
Donnant un grand exemple à la terre opprimée,
Au conquérant du monde il unit ses destins,
Et se fit reconnaître allié des Romains.
Mais lorsque ces brigands, altérés de carnage,
Sur nos bords indignés exercèrent leur rage,
Alors, de la vengeance arborant les signaux,
La patrie enfanta d'innombrables héros,
Et l'Aigle de César, arbitre du tonnerre,
Dont les regards de feu faisaient trembler la terre,
Banni honteusement, et l'oeil épouvanté,
Respecta notre sol et notre liberté!
Parlez, peuples fameux que renomme l'histoire,
Parlez; quelle splendeur égale notre gloire?
Tous, cédant au destin, ou vaincus, ou trahis,
Aux chaînes d'un vainqueur vous vous êtes soumis;
Mais le Batave seul, échappant au naufrage,
Sut briser à ses pieds le joug de l'esclavage.
Muse sacrée, ô toi, qui, près de nos aïeux,
Célébras de Wodan les Bardes belliqueux,
De ta brûlante flamme embrase mon génie;
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Viens, viens me rappeler ces temps de tyrannie,
Où, vengeurs de nos droits, citoyens et soldats
Soutinrent sans fléchir un siècle de combats;
Où le fier Espagnol, respirant la vengeance,
Devant nos étendards vit tomber sa puissance;
Ces temps où du Lion l'invincible valeur
Et de Rome et d'Athène éclipsa la grandeur!
Ah! lorsque mon pays, dans la course des âges,
De Saturne vainqueur éprouvant les outrages,
Ne laissera de lui que son nom immortel,
( Sur ce globe orageux quel peuple est éternel?)
Quand le dieu du trident, de ses eaux vagabondes,
Couvrira nos cités, nos campagnes fécondes,
On dira nos exploits; et nos derniers neveux
Croiront prêter l'oreille à des faits fabuleux.
Le tyran espagnol, dans sa rage insensée,
A proféré ces mots: ‘Quoi! la terre abaissée
Obéit à mon sceptre et tremble de respect;
Le front même des rois se courbe à mon aspect;
Et dans son fol espoir, dans sa fière démence,
Un peuple audacieux rêve l'indépendance!
Il ose insolemment, réclamant de vains droits,
Méconnaître mon nom, s'opposer à mes lois!
Dans des fleuves de sang que ces traîtres périssent!’
A ces sermens affreux les enfers applaudissent.
De spectres entouré, pour servir son dessein,
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Le duc d'Albe s'avance; il paraît; et soudain
Se montre sur ses pas le cortège des crimes:
La noire perfidie étouffant ses victimes,
La lâche trahison, la froide cruauté
Excitant aux forfaits le meurtre ensanglanté,
La ruse, les soupçons, l'atroce violence,
Et, pour comble de maux, la sombre intolérance!
Il arrive! partout le sang coule à grands flots,
Et la terre a frémi sous les pas des bourreaux.
Dieu! qui peut arrêter ce monstre insatiable?
Sans espoir de salut sa rage nous accable:
Les plus illustres fronts ont déjà succombé:
Tels tombent les épis sous le fer recourbé.
Ah! comment écarter ces horribles tempêtes,
Ces foudres menaçans qui brûlent sur nos têtes?
C'est vous, braves aïeux, vrai peuple de héros,
Qui sauverez l'État d'un abîme de maux.
Chef habile et prudent, dans ces affreux ravages,
L'intrépide Nassau va guider vos courages.
Il commande; à sa voix, dans les rangs ennemis,
Nos fidèles soldats portent des coups hardis.
Jours de gloire et d'honneur! mémorables batailles!
Triomphes obtenus par tant de funérailles!
Exemples éclatans d'audace et de valeur!
O souvenirs! combien vous enflammez mon coeur,
Quand, témoin indigné de nos longues misères,
Je foule un sol rougi par le sang de nos pères!
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Grecs, vantez vos guerriers, héros de Marathon:
Salamine, Platée ont retenu leur nom.
Dans ces lieux illustrés, votre mâle énergie
Repoussa vers les mers les forces de l'Asie;
Oui, vous fûtes vainqueurs! mais les Perses domptés
Préparèrent leur chute au sein des voluptés,
Tandis que le Batave, unique dans sa gloire,
Au plus puissant des rois arracha la victoire.
Beaux jours évanouis! éternels monumens!
De ma lyre inspirée animez les accens.
Que vois-je? dans nos champs, en miracles fertiles,
D'autres Léonidas aux pieds des Thermopyles!
Chaque fleuve à mes yeux retrace l'Archipel;
Tout brille et m'éblouit d'un éclat immortel.
Partout d'illustres faits, des pompes triomphales
Ornent de mon pays les antiques annales.
Quel héros le premier recevra mon encens?
Ah! pour ma faible voix ces exploits sont trop grands!
Ces combats, ces récits, ces sublimes merveilles
Ont rempli dès long-temps nos coeurs et nos oreilles.
Qui de nous, dans Haarlem, dans ses murs invaincus,
Ne sent naître l'orgueil en ses esprits émus?
Près d'Alkmaar, de Naarden, jusqu'au fond de son âme,
Qui de nous n'a brûlé d'une divine flamme?
Et quel être, insensible à tant de souvenirs,
Sur Leyde et ses malheurs n'exhala des soupirs?
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Lorsque du fier Brennus l'horrible barbarie,
Par le glaive et le feu ravagea l'Italie,
Qu'écroulés à grand bruit, les murs de Romulus
Au fer de l'ennemi livrèrent les vaincus;
Il était grand de voir un sénat vénérable
Abandonner sa tête au Gaulois implacable,
Et revêtu de pourpre, à la face des dieux,
Se laisser égorger par un bras furieux;
Mais j'admire encor plus l'intrépide constance
Qui d'un peuple assiégé soutenait la vaillance,
Lorsque Leyde, livrée aux horreurs de la faim,
Résolut de périr les armes à la main.
Ses braves citoyens, près de perdre la vie,
Souffraient avec courage une affreuse agonie:
Fantômes décharnés, se dévorant entre eux,
Ils préféraient la mort à des fers odieux.
Sous les murs de Nieuwport, dans ces dunes sanglantes,
Suivez tous avec moi nos armes triomphantes.
Tel qu'on nous peint de Dieu l'ange exterminateur,
Maurice agite ici son glaive destructeur.
Venez: entendez-vous retentir son tonnerre?
Le sang des Espagnols rougit encor la terre.
Bataves! c'est ici que Mendoze abattu
Aux chaînes du vainqueur se soumet éperdu!
Suivez, suivez mes pas dans ces plaines sacrées,
Où dorment à jamais des cendres adorées.
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Du feu de nos aïeux ressentez-vous l'ardeur?
Vers l'arbitre suprême élevez votre coeur.
Là, sur ces bords fameux, jurez, peuple de braves,
Jurez d'être fidèle à berceau des Bataves;
Dans l'excès du malheur qui nous accable tous,
L'oeil tourné vers les cieux, fléchissez les genoux;
Implorez l'Éternel; qu'il abatte l'impie,
El, propice à vos voeux, qu'il sauve la patrie!
Comme l'astre du jour, dans nos riches guérêts,
Fait croître par ses feux les germes de Cérès,
Jaunit l'or des moissons, et, versant l'abondance,
Du joyeux laboureur vient combler l'espérance;
Ainsi la liberté, sur notre sol heureux,
Jadis donna la vie à des héros nombreux.
Ah! quand les yeux remplis de douloureuses larmes,
Sur ta tombe, ô Nassau! je célèbre nos armes,
Puis-je taire ta gloire, esprit vaste et divin,
Ferme appui des vertus, honneur du genre humain,
Qui partout fis chérir ta bravoure immortelle,
Dont l'univers entier n'offre pas le modèle?
A l'aspect d'Attila, sur son char belliqueux,
Une indigne rougeur couvre mon front honteux;
Je me sens avili!..... Mais lorsque, sur le trône,
Je salue un Nassau que son peuple environne,
Mon âme s'agrandit; et de tant de splendeur,
Avec un noble orgueil je partage l'honneur.
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Mais comment te chanter, toi qui, brisant nos chaînes,
De l'état chancelant sus ressaisir les rênes?
O grand homme! ô Guillaume! où trouver des couleurs
Pour peindre tes vertus, tou courage, tes moeurs,
Dans les travaux de Mars ta force et la vaillance,
Au conseil, au combat ta sublime prudence,
Dans tes hardis projets ta mâle fermeté,
Ton austère justice et la fidélilé?
Non! ma muse jamais, quelque feu qui m'inspire,
Sur un ton assez haut ne montera ma lyre.
Frappé de ta grandeur, je t'admire, ô Nassau;
De pleurs reconnaissans j'arrose ton tombeau,
Et j'adore de Dieu la sagesse infinie
Qui voulut, par ton bras, sauver notre patrie.
D'un père magnanime illustre rejeton,
Maurice, au champ d'honneur, intrépide lion,
Qui, jeune, sus guider, au milieu de l'orage,
Le vaisseau de l'État échappé du naufrage;
Et toi, plusdoux, moins prompt, maisnon moins courageux,
Frédéric, digne fils d'un prince vertueux,
Que mon coeur, libre encor d'un infâme esclavage,
Sur cet autel sacré vous offre un pur hommage.
Nos ancêtres, d'abord peu nombreux, mais vaillans,
Opposèrent leur force aux coups des Castillans.
Voyez sur le sommet des Alpes éternelles,
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L'oiseau, du mouvement de ses rapides ailes,
Détacher des frimas: de flocons en flocons,
Croît un énorme bloc sur la pente des monts;
Il roule; autour de lui s'amoncèle la glace;
Bientôt, précipité par sa terrible masse,
Contre le front des rocs heurtant ses flancs neigeux,
Il tombe dans l'abîme avec un bruit affreux;
Dans sa chute effroyable entraînant les montagnes,
Il couvre de débris les forêts, les campagnes,
Et chargés de glacons durcis par les hivers,
Arrache des rochers vieux comme l'univers!
Ainsi chez nos aïeux, dans ces temps mémorables,
S'accrurent du Lion les forces indomptables:
Renversant l'ennemi que sa fierté brava,
Des neiges de l'Islande aux sables de Java,
La flamme dans les yeux et respirant la guerre,
Par ses mugissemens il ébranla la terre.
Alors, ô mon pays! tel qu'un cèdre orgueilleux,
Tu levais dans les airs ton front majestueux,
Et compté dans les rangs des nations guerrières,
Qui pour la liberté déployaient leurs bannières,
Comme un jeune héros de palmes couronné,
Noble et fier, tu brillais de gloire environné!
O jours fameux! ô temps d'immortelle mémoire,
Que les siècles futurs à peine pourront croire!
Les fastes de Clio sont ouverts devant moi:
Auguste Vérité, je n'ai recours qu'à toi;
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Viens éclairer mes pas de ta vive lumière,
Et prêter à ma voix ton langage sévère.
Sur nos bords triomphans, théâtre des combats,
L'Europe attend son sort du pouvoir de nos bras.
Quel peuple audacieux, entraîné vers sa chute,
Osera provoquer une sanglante lutte?...
Du féroce Attila les cruels descendans
Tombent sur les Danois et ravagent leurs champs.
De rapides succès ont comblé leur attente:
Le Sund est dans les fers; tout fuit ou s'épouvante!
Le Lion en courroux rassemble nos guerriers,
Et, vengeur généreux, leur offre des lauriers.
On s'attaque, on se bat: l'intrépide Gustave,
Qui pensait affronter la valeur du Batave,
Cède enfin au Lion, arbitre du destin,
Et regagne en fuyant ses montagnes d'airain.
Toi, qui sus à ton char enchaîner la victoire,
Tour à tour adoré, haï, couvert de gloire,
Enivré trop souvent par un encens flatteur,
Louis, toi, des beaux-arts fidèle protecteur,
De vingt peuples divers réglant la destinée,
Tu vis sous ton pouvoir l'Europe prosternée;
Seule, la Batavie osa braver tes lois,
Combattre son tyran et défendre ses droits.
Tes milliers de soldats répandus sur nos plages,
Prétendent dans tes fers soumettre nos rivages;
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Du Lion furieux ils troublent le repos:
Son terrible réveil a frappé les échos.
O monarque insensé! ta téméraire audace
Prodigue à ton rival l'insulte et la menace.
A vaincre accoutumé, tu crois, dans ta fureur,
Sur nos débris fumans te proclamer vainqueur!
Dans tes hardis projets la Bretagne attirée
Rassemble ses vaisseaux: notre perte est jurée:
Et ces grands ennemis, par un coup imprudent,
Sous les yeux du Lion vont ravir le trident.
Présomptueux espoir! sur l'abîme de l'onde,
La tempête se lève et le tonnerre gronde;
Mais du sein orageux de cette affreuse nuit,
Sur le front du Batave un nouveau lustre luit.
En vain ces alliés, dans leur aveugle joie,
Dévorent leur butin, se partagent leur proie;
L'Amstel reste invincible! en vain, sur nos remparts,
On voit flotter les Lis unis aux Léopards:
Fiers au sein du danger, braves avec prudence,
Nos fidèles héros préparent leur vengeance;
Réprimant des mutins les flots séditieux,
Ils opposent leur calme aux cris des factieux,
Et forts de leur devoir, forts de leur conscience,
Détruisent des vainqueurs la superbe espérance.
Ainsi, quand l'étendard de la rébellion
Livrait aux attentats l'empire du Lion,
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Quand les atrocités d'odieux cannibales
Marquaient de notre sang des époques fatales,
Habilans courageux des rives de l'Amstel,
Ainsi vous avez vu l'intrépide Dédel,
Bravant des révoltés l'insolence et la rage,
Montrer au milieu d'eux son tranquille courage:
On eut dit, à l'aspect de son front assuré,
Qu'il marchait en triomphe et d'honneurs entouré.
De tes nombreux lauriers, Athènes, sois moins fière!
Quand Xercès devant toi vint planter sa bannière,
Dans tes rangs ébranlés l'épouvante courut;
Tes guerriers, dans la fuite ont cherché leur salut!
Athéniens! les lieux, où votre âme attendrie
Vous choisit aux autels une épouse chérie,
Les lieux, où le souris d'un enfant adoré
Fit palpiter d'orgueil votre coeur enivré,
Vos dieux, les monumens où dormaient vos ancêtres,
Tout tomba lâchement au pouvoir de vos maîtres!
La vieillesse tremblante, en vos murs délaissés,
Vers les temples déserts traînait ses pas glacés;
Les Perses s'avançaient; et des voisins rivages,
O ciel! vous avez vu ces terribles ravages,
Vos autels abattus, vos remparts écroulés,
Et, pour comble d'horreur, vos tombeaux violés!
Mais nous, lorsque Louis, au sein de nos contrées,
Portait victorieux ses armes abhorrées,
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Que ses foudres d'airain dirigés contre nous,
Lui livraient nos cités qui tombaient sous ses coups,
Nos chefs, pour nous venger, pour sauver la patrie,
Prodiguèrent leurs biens, dévouèrent leur vie;
Se reposant sur Dieu, dans ce sanglant combat,
Ils guidèrent au port le vaisseau de l'État,
Et Louis effrayé, par sa retraite prompte,
Dans les murs de Versaille ensevelit sa honte!
O triomphe! ô Patrie! en quel lieu, sous quel ciel,
N'as-tu pas fait briller ton éclat immortel?
Des sables africains aux mers hyperborées,
Partout de sa valeur remplissant les contrées,
Le Balave aguerri, dans ses puissantes mains,
De la terre étonnée a pesé les destins,
Et l'altier Léopard, déchu du rang suprême,
Dût reconnaître un sceptre imposé par nous-même.
Voyez, dans un ciel pur, le superbe Orion
De son disque brillant éclairer l'horizon:
Élevé dans les airs, son trône diaphane
Remplit de ses rayons les plaines de Diane;
A ses vives clartés, les astres obscurcis
Dans la nuit du néant tombent ensevelis:
Ainsi nous avons vu notre heureuse patrie
Lever sur l'univers sa tête enorgueillie;
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Enchaîner la fortune, et, de son fier trident,
S'emparer en vainqueur de l'empire grondant.
Charle expire. Bientôt l'ambition sanglante
Déploie en frémissant sa marche dévorante.
Partout de noirs forfaits et des scènes d'horreurs
De son règne fatal attestent les fureurs!
Des quatre points du monde, excités au carnage,
Les peuples, l'un sur l'autre, ont aiguisé leur rage.
Eh quoi! l'Europe encore, en proie à tant de maux,
Va-t-elle succomber sous le fer des bourreaux?
Non, non! aux cris perçans qui frappent son oreille,
Les armes à la main, la Hollande s'éveille.
Malheur à l'ennemi dont l'insolent pouvoir
Oserait de la paix anéantir l'espoir!
Sous le fardeau des ans conservant son courage,
Louis de ses soldats inonde notre plage.
Vains efforts! la victoire, infidèle à ses voeux,
Accompagne partout nos guerriers valeureux;
De contrée en contrée, à nos foudres qui grondent,
Avec un bruit affreux de longs échos répondent;
Pour la première fois connaissant des vainqueurs,
Versailles, dans les airs, voit flotter nos couleurs;
La paix descend du ciel; et sa main tutélaire
Referme de Janus le temple sanguinaire.
Source de tant d'honneur, vénérables aïeux,
Dirai-je tous vos faits, illustres demi-dieux?
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De ses frimas glacés quand l'hiver nous assiége,
Qui pourrait dans nos champs compter les grains de neige?
De chaque instant passé qui peut se souvenir?
Comment compter jamais les siècles à venir?...
L'amour de la Patrie, en traits ineffaçables,
Imprima dans vos coeurs vos devoirs immuables:
Par cet amour sacré, soutenu, raffermi,
Votre invincible bras renversait l'ennemi,
Et faisant de vos jours le noble sacrifice,
Vous versiez votre sang sur les pas de Maurice;
Par cet amour sacré, sans frémir de son sort,
Barneveldt innocent envisageait la mort;
Tous enfin, vous saviez, par des exploits sublimes,
Ou vaincre glorieux, ou mourir magnanimes.
Les marbres de Paros, élevés en tombeaux,
Ne sont pas aujourd'hui le prix de vos travaux.
Eh! qui peut ajouter à votre récompense?
La paix, la douce paix de votre conscience,
Vos devoirs accomplis vous assuraient les lieux
Que l'Éternel réserve aux mortels vertueux.
Où suis-je? à mes regards quel séjour se présente?
Puis-je en croire mes yeux? illusion puissante!
A ce comble d'honneur quel Dieu m'a réservé?
Qui dirige mes pas vers ce rang élevé?
Oui! voilà ces héros, ces ombres fortunées
Qu'à l'éternelle paix le ciel a destinées!
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Quel air pur et serein ici flatte les sens!
Le myrte et le laurier couvrent ces vastes champs;
Une essence divine, une odeur d'ambroisie
S'exhale en doux parfums de la terre embellie;
A travers ces forêts, de limpides ruisseaux
Réfléchissent les fleurs dans l'argent de leurs flots;
Un soleil sans nuage éclaire ces vallées;
D'un nectar précieux ces grappes sont gonflées;
Ici, point de saisons: un étemel printemps
A ces bocages verts prodigue ses présens;
Ici le coeur, rempli d'une volupté pure,
Savoure avec transport les biens de la nature.
Sous ces ombrages frais, ces mânes révérés,
Des terrestres brouillards à jamais délivrés,
Sentent brûler en eux une céleste flamme,
Et de plus hauts pensers entretiennent leur âme.
Là, sont tous ces héros, tous ces vaillans guerriers
Tombés pour leur pays au milieu des lauriers;
Ici, ces grands talens et ces illustres têtes,
Des lois de la Patrie intègres interprètes.
O combien, dans ces bois, admis parmi leurs rangs,
J'aime à suivre de l'oeil tous ces mânes errans!
Quel guerrier, revêtu d'une armure brillante,
Porte près d'un vieillard sa démarche imposante?
C'est le vaillant Maurice aux côtés d'Annibal,
Rappelant les exploits d'un siècle trop fatal;
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Les regards enflammés de haine et de colère,
Il lui redit encor la chute de l'Ibère.
Barneveldt, les de Wit, et tant d'autres héros,
Plus loin, sous des lauriers, jouissent du repos.
Sauveur des Pays-Bas, destructeur de nos chaînes,
Toi, dont l'éclat remplit ces célestes domaines,
O Nassau! tu parais à mes yeux attendris!
J'aperçois sur tes pas et Camille et ton fils.
Oui, je te reconnais, toi, la gloire du monde,
Immortel conquérant de l'empire de l'onde!
De Ruiter! comme toi, tes braves compagnons
Aux siècles à venir ont tous légué leurs noms,
Tous, lions courageux, pleins d'ardeur et d'audace,
Au temple de mémoire ont conquis une place;
Aux ennemis vaincus ils ont dicté la loi,
Mais nul de ces guerriers ne fut si grand que toi.
Inspirés, le front ceint d'un lyrique trophée,
Là-bas, chantent en choeur nos disciples d'Orphée...
Mais quel air abattu, mais quel nuage épais,
De ces mânes heureux semble obscurcir les traits?
Hélas! désespérés du sort qui nous opprime,
Ils voudraient nous sauver sur le bord de l'abîme!
De ces pensers amers leur esprit agité
Interrompt leur repos et leur félicité.
De ces sombres forêts quel poète s'avance?
Je reconnais Vondel; il s'approche en silence.
Il ouvre, tout ému, le livre des destins;
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Puis, cédant tout à coup à ses transports divins:
‘Levez-vous, ô héros! que des chants d'allégresse
Bannissent de vos fronts la lugubre tristesse!
Entourez-vous encor de vos mâles vertus,
Et ramenez le calme en vos coeurs abattus.
Tant de prospérité, fruit de votre génie,
Hélas! a disparu du sol de la Patrie;
Votre ouvrage est tombé!... Mais des flots lumineux,
Un soleil plus brillant s'élance dans les cieux.
Du feu de ses rayons la Hollande éclairée
De ses fers odieux est enfin délivrée.
L'éclair croise l'éclair; le tonnerre mugit;
Les tyrans sont frappés; le désordre est proscrit;
A nos fils relevés le bonheur va sourire;
Tout change, tout s'anime, et le monde respire!
Dans nos champs cultivés, je vois l'or des moissons
De l'actif laboureur enrichir les sillons.
Le commerce renaît: du couchant à l'aurore,
Par la paix rassurés, nos mâts voguent encore!
Le Lion, reprenant son antique fierté,
Nous rend notre grandeur et notre liberté.’
A ces mots, il se tait, plein du Dieu qui l'inspire,
Et partout l'allégresse a repris son empire.
O donce illusion! pourquoi fuis-tu mes sens?
Ah! je perds sans retour tes rêves séduisans;
Sur ce globe mortel j'abaisse ma pensée,
Et je cherche en pleurant notre gloire éclipsée.
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Honneur de mon pays en des temps plus heureux,
Immortel Grotius! ô savant vertueux!
Toi, qui me devanças dans la même carrière,
A mes pas incertains viens prêter ta lumière.
De ton luth courageux l'accent inspirateur
Célébra nos aïeux et vengea leur honneur.
Tes sublimes leçons dans mon âme agrandie,
Ont allumé ce feu dont brûla ton génie.
Mais ton vol pour ma muse est trop audacieux:
Icare dans les flots tomba du haut des cieux.
De l'aigle, roi des airs, qui suit l'aile rapide?
Qui ravit sa massue au formidable Alcide?
Grotius! quand ta voix seconde tes transports,
J'ose à peine essayer de timides accords.
Ainsi le rossignol, dans la saison fleurie,
Fait redire aux échos sa douce mélodie;
La nature s'anime à ses chants amoureux;
Il verse l'allégresse au coeur d'un malheureux,
Et plongé dans le sein de la mélancolie,
Sur le bord d'un ruisseau l'amant rêve et s'oublie:
Ses accens ont cessé; mais on l'écoute encor.
Vainement le pinson, par un bruyant essor,
Du fond de la forêt alors se fait entendre:
Ce n'est plus cette voix mélodieuse et tendre.
Trop heureux, quand parfois son gosier éclatant
Distrait le voyageur qui l'ecoute un instant.
fin du second chant.
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