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La Nation Hollandaise,
Poème.
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La Nation Hollandaise,
Poème
En six Chants.
Chant premier.
Les moeurs.
Muse, reprends ta lyre! une étoile ennemie
A désolé les champs où je reçus la vie;
J'ai vu fuir tes beaux jours, ô pays malheureux,
Mais de t'appartenir mon coeur est glorieux!
Feu sacré, qui brûlait dans le sein de nos pères,
Viens animer mes chants dans ces temps de misères,
Viens répandre sur moi tes célestes clartés,
Souvenirs immortels de nos prospérités.
Ah! j'en fais le serment, si jamais je partage
De nos divins aïeux le brillant héritage,
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O pays adoré, mes vers reconnaissans
Élèveront vers toi mes timides accens;
Jusqu'à ma dernière heure, au nom de ma patrie,
On verra tressaillir mon âme enorgueillie.
Daigne prêter l'oreille aux accords de ma voix;
Je vais chanter tes fils, leurs vertus, leurs exploits,
Leur amour pour les lieux où s'ouvrit leur paupière,
Leur grandeur, leur génie et leur ardeur guerrière.
Apprends-moi par quel art, par quels hardis travaux,
Savans dominateurs de l'empire des flots,
Leur audace aborda des plages ignorées,
Et fit sortir des eaux de fertiles contrées.
Grand dans l'adversité, simple dans le bonheur,
Le Batave aux revers oppose un noble coeur.
Fier au sein du danger, sa valeur peu commune
Sut purger d'ennemis les gouffres de Neptune.
Je dirai ses talens, sa sagesse au conseil,
Son coup-d'oeil qui, semblable aux rayons du soleil,
Lut les secrets des cieux sur le front des étoiles,
Et soumit la tempête au pouvoir de ses voiles.
Navigateur habile, intrépide guerrier,
Partout dans le combat il cueillit le laurier,
Et les dieux tour à tour, des palmes de la gloire,
L'ont couronné vainqueur au temple de mémoire.
O vous, qui m'entendez, vous qui, les yeux en pleurs,
Sur nos tombeaux sacrés exhalez vos douleurs,
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Bataves, qui sentez, dans le fond de votre âme,
Brûler de vos aïeux la généreuse flamme,
C'est pour vous que je chante, illustres rejetons,
Dont la postérité révèrera les noms.
Vous tous, qui rougissez du sort qui nous opprime,
Familie de héros, ô race magnanime,
Vous qui, secrètement, dans le calme des nuits,
A vos fils consternés confiez vos ennuis,
Qui gardez dans les fers la fermeté des braves,
C'est vous seuls que mon coeur reconnaît pour Bataves!
Si vos mâts ont perdu l'empire de Thétis,
D'un antique renom conservez les débris,
Prouvez, dans le malheur qui pèse sur vos têtes,
Que vous savez encor maîtriser les tempêtes.
Élevez vos enfans, et gravez dans leurs coeurs
L'amour de leur pays, la sagesse, nos moeurs.
Ces jeunes arbrisseaux si tendres, si fragiles,
A vos soins paternels se montreront dociles;
Leurs rameaux s'étendront; et leurs fronts ombrageux
Braveront des autans le vol impétueux.
Sous leur feuillage épais, sous cet abri tranquille,
Le bonheur exilé choisira son asile,
Et quand le froid des ans aura glacé vos pas,
Sous cette ombre paisible attendant le trépas,
Préservés des serpens de la hideuse envie,
Vous vous endormirez pour renaître à la vie.
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Toi qui sais, à ton gré, par tes charmes divers,
Animer les ressorts de ce vaste univers,
Imagination! le feu de mon génie
N'attend pas aujourd'hui ta féconde magie;
Par tes illusions, par tes rêves brillans,
Séduis une autre lyre, embellis d'autres chants;
Je méprise tes dons. La vérité sévère,
Dans mon vol courageux m'enhardit et m'éclaire.
D'un frivole ornement j'affranchis mes pinceaux:
La vérité suffit à mes riches tableaux.
Pur rayon descendu de la voûte suprême,
Amour de la patrie émané de Dieu même,
Par toi, du Kamtschatka les habitans glacés,
Errans, au sein des nuits, sur leurs bords délaissés,
Privés de vêtemens et nourris de baleines,
Adorent leur rivage et chérissent leurs peines.
Jamais les feux du jour n'ont réchauffé leur ciel:
Mais quel vallon d'Enna vaut le sol maternel?
Sublime sentiment, tes vives étincelles
Répandront sur mes vers tes lueurs immortelles:
Fais résonner ma lyre; et que mes chants heureux
Soient encore entendus par nos derniers neveux!
Bataves! connaissez votre tâche sacrée:
Consolez par vos soins la patrie éplorée;
Aspirez en héros à des faits glorieux,
Et portez dignement le nom de vos aïeux.
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Puissé-je, vers le but où l'homme enfin succombe,
Au bruit de vos succès descendre dans la tombe!
Payé de mes travaux et fier de mon pays,
Je bénirai mon sort: mes voeux seront remplis.
Comme une jeune épouse, au front chaste et timide,
Abandonne sa main à l'époux qui la guide,
Et, l'oeil baissé, cédant à son heureux vainqueur,
Voile en vain ses appas de sa tendre pudeur;
De même, nos aïeux, modestes dans leur gloire,
Ont cru de leurs exploits nous cacher la mémoire:
Leur grandeur méprisait un inutile encens.
Mais tels que cet époux, de ses bras caressans,
Rassasiant ses feux, dans sa brûlante ivresse,
Serre contre son coeur l'objet de sa tendresse,
Ivres de souvenirs, possesseurs orgueilleux,
Jouissons des trésors légués par nos aïeux,
Et sachons, de leur gloire admirateurs fidèles,
Imiter en vertus ces sublimes modèles.
Quel peuple plus que nous, dans sa noble fierté,
Peut vanter ses aïeux et sa prospérité?
Tout nous atteste ici leurs talens, leur courage.
Le sol que nous foulons n'est-il pas leur ouvrage?
Voyez-vous cette mère, en son ardent amour,
Embrasser son enfant, qui vient de voir le jour?
Ciel! avec quels transports ses soigneuses alarmes
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Cherchent à deviner la cause de ses larmes!
Le couvrant tout entier des baisers les plus doux,
Elle aime dans ses traits à revoir son époux,
Et toute à cet objet, éperdue, attendrie,
D'amour et de bonheur alimente sa vie.
Avec quel intérêt, protégeant son sommeil,
Elle vient doucement épier son réveil!
Respirant pour lui seul, nulle main étrangère
N'usurpe le pouvoir, ni les soins d'une mère;
Mais quels nouveaux plaisirs pour son coeur enivré,
Quand des sons bégayés par ce fils adoré,
Pour la première fois remplissent ses oreilles!
Ce moment a payé ses peines et ses veilles,
Et l'amour filial, dans cet être naissant,
Déjà montre à sa mère un fils reconnaissant.
Avec les mêmes soins, la même idolâtrie,
Nos aïeux ont créé le sol de la patrie:
La nature toujours fut marâtre envers nous:
Habiles conquérans de Neptune en courroux,
Leur féconde industrie et leurs mains triomphantes
Ont bâti sur les flots nos cités opulentes.
Parcourez l'univers; voyez comme en tous lieux
Le ciel a répandu ses présens généreux!
Des feux de Sirius, jusqu'aux pôles de glace,
Partout de ses bienfaits on reconnaîl la trace.
Sous l'étoile du Nord, le chêne audacieux
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S'élève séculaire et menace les cieux,
Et l'hôte des forêts, au roi de la nature,
Donne des vêtemens ou sert de nourriture.
Là, dans ses beaux jardins, sous un climat plus doux,
Du nectar de Bacchus le Gaulois est jaloux.
Plus loin, en festons d'or, les pommes d'Hespérie
Couvrent les vastes champs de la riche Ibérie.
Là bas, du Tibre altier embellissant les bords,
Voyez comme l'olive étale ses trésors!
Aux plaines de Sicile épandant l'abondance,
Cérès du laboureur surpasse l'espérance.
Là même, où le Cancer, d'un déluge de feux,
Brûle de l'Africain les déserts sabloneux,
Le docile chameau, guide sûr et fidèle,
Sans craindre de la soif la souffrance cruelle,
Serviteur patient, content de peu de soins,
De son maître absolu protége les besoins.
Suivez mes pas; venez sur les rives du Gange:
La nature y versa ses faveurs sans mélange.
Voyez, dans cet Éden, tout ce que l'univers
Possède de beautés et de charmes divers!
Un sol toujours fertile, un ciel exempt d'orages;
Contre les feux du jour de frais et verts ombrages;
Et Cérès et Bacchus, de leurs dons précieux,
Remplissant à l'envi ces bords délicieux.
Ainsi chaque pays, ainsi chaque contrée
Obtint de ces trésors une part assurée.
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La Hollande elle seule, abandonnée aux flots,
Ne reçut en naissant que de frêles roseaux:
Tel l'enfant, fruit tardif d'une longue culture,
Doit tout à ses parens et rien à la nature.
Telle on vit Astérie, avec un front fangeux,
S'élever tout à coup sur les flots écumeux,
Retraite des vautours, jouet des mers profondes,
Impratiquée, inculte et flottant sur les ondes;
Mais quand Latone, en butte au courroux de Junon,
Y déposa d'un dieu l'illustre rejeton,
La fange s'y durcit, le sol ingrat, stérile,
A la voix de Cybèle offrit un champ fertile;
Le jonc céda sa place à l'arbre d'Apollon,
Tout y changea d'aspect, Délos devint son nom,
Et du dieu des beaux-arts honorant la patrie,
La Grèce y fit briller le flambeau du génie.
Ainsi les Pays-Bas, sortis du fond des mers,
Se montrèrent jadis aux yeux de l'univers.
Le maître du trident, de ses vastes domaines,
Entourait nos vergers et menaçait nos plaines;
Dans leur cours déréglé les fleuves mugissans
S'élançaient de leur lit et dévaslaient nos champs;
Le peuple consterné, dans cet affreux ravage,
Exilé sur un mont, échappait à leur rage.
Mais quand la liberté, l'objet de notre amour,
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Eut choisi nos climats pour son heureux séjour,
Alors, de tous côtés, sur nos rives humides,
Sortirent de nos mains des travaux intrépides;
Tout dissipa pour nous les ombres du chaos,
Et le monde étonné vit une autre Délos.
Le Rhin, le Rhin terrible, arrêté dans sa course,
Indigné de ses fers, rebroussa vers sa source;
Les fleuves égarés reconnurent leurs bords.
Le monarque des mers, par d'impuissans efforts,
Excitant la fureur de ses eaux vagabondes,
Dans l'orage et la nuit fit bouillonner ses ondes.
Nos pères courageux, sur l'abîme grondant,
A Neptune irrité ravirent le trident,
Et devant ses états, d'un bras inébranlable,
Osèrent élever un mur impénétrable.
Oui! quand les vents rivaux, luttant contre les airs,
Amoncèlent l'orage au milieu des éclairs,
A travers ce rempart le dieu cherche un passage,
Mais son courroux envain assiége le rivage.
Voilà de nos aïeux les immenses travaux!
Admirez avec moi ces jardins, ces côteaux,
Ce lis majestueux, cette rose odorante
Étalant aux regards leur beauté ravissante!
Là, jadis l'épervier, tourmenté par la faim,
Avec des cris joyeux dévorait son butin;
Où l'oeil ne découvrait qu'un océan immense,
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Où régnait sur les eaux un funèbre silence,
Maintenant le berger, auprès de son troupeau,
S'assied sur l'herbe épaisse à l'ombre d'un ormeau,
Tandis qu'autour de lui les nymphes bocagères
Foulent, d'un pied léger, les naissantes fougères.
Sur le déclin du jour, quand la saison des fleurs
Varie en nos bosquets ses riantes couleurs,
Que Vondel à la main, cherchant la solitude,
Je m'abandonne en paix aux charmes de l'étude,
Quand l'oiseau, près de moi, fait entendre ses chants,
Que je suis d'un ruisseau les détours caressans,
Sous le tranquille abri des tilleuls et des chênes,
Un moment éloigné des vanités humaines,
A moi-même rendu, mes esprits isolés
Reportent ma pensée aux siècles écoulés;
Le souvenir s'éveille, et mon âme plus fière
Consacre à nos aïeux une heure solitaire.
Je me dis: dans ces lieux aujourd'hui pleins d'attraits,
Jadis penché sur l'eau d'un immonde marais,
Au crédule habitant de la plaine liquide
L'immobile pêcheur tendit l'appât perfide.
Où sont ces lacs fangeux et ces dormantes eaux?
Partout des prés fleuris et de rians tableaux;
Vénérables aïeux! partout de vos ouvrages
L'oeil surpris reconnaît d'éternels témoignages.
Ces tapis émaillés où paissent des troupeaux,
Jadis furent ravis au souveram des flots;
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Ces présens de Cérès, ces campagnes fécondes
Lèvent leurs épis d'or où grondèrent les ondes.
Tout parle à notre coeur; tout répète en ces lieux:
‘Aimez votre patrie, adorez vos aïeux!’
Ils ont créé le sol où votre pied repose;
Où le roseau croissait ils ont planté la rose.
Oui, tant que l'on verra, dans nos fertiles champs,
Une digue arrêter les flots retentissans,
Oui, tant que le pêcheur, dans sa hutte sauvage,
Foulera satisfait les sables du rivage,
Nous saurons, du passé gardant le souvenir,
Consoler le présent et charmer l'avenir.
Le soleil brûlera les monts hyperborées,
Les poissons peupleront les voûtes éthérées,
Le Rhin, sous notre ciel, tarira ses trésors,
La mer aux flots dorés inondera nos bords,
Avant que le Batave, infidèle à sa gloire,
Puisse de ses aïeux oublier la mémoire!
Muse, élève ta voix, seconde mes transports;
A mes chants solennels viens unir tes accords.
Puisse le noble feu qui brûle dans mon âme,
Porter dans tous les coeurs sa pénétrante flamme!
Une audace intrépide, un courage indompté
Seuls ne suffisent pas pour l'immortalité:
Non, non, sans la vertu, guide austère et sublime,
Je ne reconnais pas de mortel magnanime.
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Que le chantre d'Élis, d'un superbe vainqueur,
Proclame, en vers fameux, la farouche valeur,
A l'athlète meurtri, tout couvert de poussière,
Qu'il offre le laurier au bout de la carrière,
Je chante des héros dont les fails éclatans
Sortiront immortels du naufrage des temps.
Et toi, ville éternelle, ô Rome belliqueuse,
De tes enfans de Mars ne sois pas orgueilleuse,
Ils étaient grands sans doute; et leurs mâles exploits
Ont long-temps fatigué la déesse aux cent voix;
Mais leur bouillante ardeur, trop semblable au tonnerre,
Ne leur servit jamais qu'à désoler la terre.
Leur aigle audacieux, tel qu'un vautour sanglant,
Au coeur des nations plongea son bec brûlant;
Planant sur des débris de sceptre et de couronne
Aux horreurs du carnage il anima Bellone,
Du peuple des hameaux ravagea les moissons,
Et lui donna la mort au sein de ses sillons.
Loin de moi ces brigands dont la rage féconde
Contempla sans frémir les ruines du monde,
Et recouvranl d'éclat leurs exécrables faits,
Les rendit immortels à force de forfaits!
Vertu, fille du ciel, ô toi, dont la puissance
Peut seule élever l'homme, ennoblir son essence,
Toi, qui sais épurer ses désirs, ses penchans
Et calmer sans effort la fougue de ses sens,
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De la divinité, toi qui m'offres l'image,
Égide des humains, objet de leur hommage,
Que souvent en secret admire un criminel,
Ton empire est partout, ton culte est éternel!
Chez cent peuples divers les parfums d'Idumée
Montent, de tes autels, vers la nue embaumée;
Le Grec, l'Ibérien, le Breton, le Gaulois,
Tous chantent ta louange et révèrent tes lois;
Mais c'est dans nos climats, dans l'âme de nos pères,
Que tu traças surtout de profonds caractères!
Comme aux premiers rayons de notre liberté,
Tu parus dans ton lustre et dans ta majesté!
Tu remplaças pour nous l'éclat et la fortune,
Et guidas nos Lions sur les champs de Neptune.
Au sortir du berceau, plein de zèle et d'ardeur,
Le Batave, ô vertu! te dévoua son coeur.
C'est toi qui de ses jours filais l'heureuse trame.
Sobre dans ses foyers, pur au fond de son âme,
Loin du vice étranger, loin du luxe imposteur,
De sa religion fidèle défenseur,
Ce peuple industrieux, simple, jamais frivole,
Pour garant de sa foi n'avait que sa parole;
Jusqu'à l'idolâtrie aimait la liberté,
Et respectant toujours l'auguste vérité,
Courageux, doux, créé pour un bonheur tranquille,
Voyait sans vains désirs ses pénates d'argile.
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Aimé de sou épouse et cher à ses enfans,
Il naviguait ainsi sur le fleuve des ans.
De nos antiques moeurs les semences divines
Jetèrent parmi nous de fécondes racines;
En rameaux élevés, ces germes créateurs
Nous donnèrent les fruits qu'avaient promis leurs fleurs.
Dans un combat sacré, soutenu seize lustres,
Nos pères triomphans se rendirent illustres,
Et le monde put voir, admirant nos aïeux,
L'école des vertus sur nos bords glorieux.
Symbole d'un coeur juste, ô douce tolérance!
Du fanatisme affreux la cruelle démence,
Pour refuge assuré ne t'offrait qu'un tombeau;
Ta tête allait tomber sous le fatal couteau;
Le Batave te voit, et son âme attendrie
T'appelle dans ses bras et te sauve la vie!
Le peuple d'Abrabam, rebut de l'univers,
Ou pleure dans l'exil, ou meurt chargé de fers.
Implacables chrétiens! soulagez leurs misères.
Hélas! ces malheureux ne sont-ils pas vos pères?
Et vous les massacrez! par le fer et le feu,
Vous livrez à la mort ces fils d'un même Dieu!
Ce Dieu, dont vous osez altester les maximes,
Qui souffrit, qui mourut pour racheter vos crimes,
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Qui donna des leçons de vertus et d'amour,
Chez ces premiers élus n'a-t-il pas vu le jour?
Descendans de Jacob! ô race infortunée,
De climats en climats, errante et condamnée!
Le monde conjuré te proscrit de son sein.
Où te sauver? où fuir? quel sera ton destin?.....
Sèche, sèche tes pleurs: le Batave, avec joie,
A tes bourreaux cruels va dérober leur proie.
Ici, point d'échafauds, point de supplice affreux:
Viens, viens servir en paix le souverain des cieux,
Et que la terre enfin, en voyant sur nos rives,
Des enfans d'Israël les tribus fugitives,
Apprenne, en détestant ces sanglantes fureurs,
Que Dieu seul a le droit de lire au fond des coeurs.
O des infortunés consolante espérance,
Tendre soeur de la paix, sensible bienfaisance,
Toi, besoin et plaisir de l'homme vertueux,
Qui changes d'un souris le sort d'un malheureux,
Qui sais par tes bienfaits accroître les richesses,
Dont les soins généreus surpassent les promesses,
Qui couvres de tes dons, qui nourris de ta main
Le débile vieillard, l'innocent orphelin;
Quel peuple plus que nous, touché de ton exemple,
Sut honorer ton culte et t'ériger un temple?
Des bouts de l'univers amassant des trésors,
Le Batave hardi sut enrichir ses ports;
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Mais loin de s'endormir au sein de la mollesse,
Cet or entre ses mains accumulé sans cesse,
Soulagea le malheur, répandit les bienfaits,
Pour nourrir l'indigence éleva des palais,
Et l'étranger surpris vit, dans notre patrie,
L'abondance et les moeurs, les arts et l'industrie.
Cette antique vertu, cette austère équité
Qui guidait nos aïeux à l'immortalité,
N'est pas de notre sol entièrement bannie;
Je vois dans le lointain sa lumière affaiblie.
Nos vertus ont pâli; nos trésors amassés
Par un injuste bras sont ravis, dispersés;
Mais il existe encor de fidèles Bataves
Qu'un destin ennemi n'a pas rendus esclaves,
Qui noblement émus par de grands souvenirs,
A l'aspect de nos maux exhalent des soupirs.
Appui des malbeureux, notre âme libre et fière
Gémit en soulageant le poids de leur misère,
Et, dans ces tristes jours, ce n'est jamais en vain
Que l'infortune en pleurs nous demande du pain.
Voyez, quand le soleil dispense sa lumière,
Sur les bords africains, la bruyante vipère
Étinceler de feux, d'opale et de rubis!
D'un faisceau de rayons les yeux sont éblouis;
L'hôte léger des airs, d'une aile confiante,
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S'approche, et disparaît dans sa gueule brûlante.
Voyez l'arbre fatal, à Java redouté,
De sa feuille attrayante étaler la beauté!
Abaissés vers le sol, sur cet ardent rivage,
Ses perfides rameaux offrent un doux ombrage:
Que je plains l'imprudent qui, cherchant le repos,
Du sommeil, sous sa tige, appelle les pavôls!
Soudain, la prompte mort vient fermer sa paupière:
Hélas! le malheureux étendu sur la terre,
Se débat et s'épuise en efforts superflus,
Se lève en frissonnant, retombe et ne vit plus!
Ainsi, par son éclat, le luxe, au front perfide,
Lance sur les mortels son poison homicide.
Malheur, malheur au peuple, à ses pas enchaîné,
Qui suit son char brillant vers l'abîme entraîné!
Bientôt, plus de vertus, de moeurs ni de courage,
Et la nuit du néant est son seul héritage.
Ah! loin du luxe, idole et tyran des humains,
Nos aïeux ont fondé leurs fortunés destins;
Bravant, dans leurs travaux, la tempête et les ondes,
Leur génie a conquis les trésors des deux mondes.
Mais riche sans orgueil, le Batave opulent
Ne coula point ses jours dans un faste insolent:
Modeste citoyen, bon père, époux fidèle,
Il présenta des moeurs le précieux modèle,
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Et le coeur ennobli des plus purs sentimens,
Au sentier des vertus précéda ses enfans.
Combien de Curius, soutiens de la patrie,
Pour défendre nos droits prodiguèrent leur vie!
Dans les champs de l'honneur, que de grands Scipions,
Et combien au conseil de vertueux Catons!
Bataves! leur grandeur réclame vos hommages.
A ces noms révérés de héros et de sages,
Je mêlerai le tien, esprit vaste et fécond,
Divin Cats! tour à tour ingénieux, profond,
Appui des dogmes saints, des lois docte interprète,
Intègre magistrat et séduisant poète.
Sous ces arbres épais que tes mains ont plantés,
Je redirai mes vers à ces lieux enchantés;
Là, je veux, loin du bruit, ombre chère et sacrée,
Enflammer les accens de ma muse inspirée;
Prêtre de la vertu, je veux, sur nos malheurs,
Y répandre avec toi d'intarrissables pleurs;
Là, mon âme navrée, en sa douleur amère,
Te viendra consacrer un tertre solitaire;
J'y graverai ces mots: ‘O génie immortel!
Oui, tant que le Batave encensa ton autel,
Exemple des vertus, il fut heureux et libre;
Mais lorsque, de l'État détruisant l'équilibre,
Il délaissa ton culte; alors, chargé de fers,
Le Batave cessa d'étonner l'univers.’
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Toi, que l'antiquité, dans sa reconnaissance,
Eût mis au rang des dieux; toi qui, par ta vaillance,
Tes talens, tes vertus, te couvris de splendeur;
De Ruiter! ô héros, qui sus, d'un bras vengeur,
Au pavillon batave enchaîner la victoire;
Toi dont avec respect nous gardons la mémoire,
Vois, vois, dans ses transports, le peuple agenouillé
Embrasser ton tombeau que ses pleurs ont mouillé!
Ah! celui que ton nom fait tressaillir de joie,
Du sort qui nous poursuit n'est pas encor la proie:
Ton souvenir sacré vient ranimer nos coeurs
Et d'un rayon d'espoir consoler nos douleurs.
Que le vaillant Breton soit fier de son courage;
Que le Gaulois s'élève et vante son partage;
J'estime leurs vertus, leur gloire, leurs travaux:
Quel que soit leur pays, j'honore les héros;
Mais où sont ces vertus, ces courages sublimes
Qui n'ont point ennobli nos aïeux magnanimes?
Méprisez leurs hauts faits, ravalez leur grandeur;
Sur le gouffre des ans leur nom reste vainqueur.
Ainsi, lorsque Phébus répand partout la vie,
Les affreux habitans de l'aride Lybie
Insultent par leurs cris le monarque du jour:
L'astre majestueux, du céleste séjour,
Méprisant les clameurs de leur rage stupide,
Verse sur ces brigands des torrens d'or fluide,
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Et monté sur son char, brillant et radieux,
Remplit les champs de l'air d'un océan de feux.
J'admire un peuple ardent, intrépide à la guerre,
Qui porte ses succès aux confins de la terre;
Je veux que ses héros, le front ceint de lauriers,
Au rang des nations se montrent les premiers:
Les rayons de la gloire illustrent la patrie;
L'État, sans la valeur, languit sans énergie;
Mais si la seule audace a droit à votre encens,
Si vous donnez la palme à des exploits sanglans,
Allez, courez aussi prodiguer vos hommages
A ces hordes du Nord, à ces bandes sauvages,
Qui foulant les beaux-arts à leurs pieds abattus,
S'enivrent de plaisir dans le sang des vaincus.
Aux yeux des conquérans enflammés par la gloire,
Quelque brillant que soit le prix de la victoire,
Son éclat, trop stérile, au sein de la terreur,
Des peuples triomphans ne fait pas le bonheur.
Non! la religion et les vertus du sage,
Les talens, un coeur noble et calme dans l'orage,
Voilà les vrais trésors, les précieux bienfaits
Que Mars et ses lauriers n'égaleront jamais.
Chantres de mon pays! que vos vers énergiques
Rehaussent la splendeur de nos faits héroïques!
Donnez un nouveau lustre à nos fastes brillans:
La voix de l'univers se mêle à vos accens.
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Humble religion, qui, loin du fanatisme,
N'eus point à déplorer le funeste athéisme;
O sainteté des lois que, pour nous rendre heureux,
Le ciel dicta jadis à nos sages aïeux,
Qui, fixant parmi nous la paix, la discipline,
Surent nous rapprocher de leur source divine;
Eh quoi! sur notre terre indignement trahi,
Votre culte tombé serait-il avili?
Loin de moi ces pensers! non, non; la calomnie
Ne doit pas de son souffle infecter ma patrie.
L'équité règne encor dans nos coeurs ulcérés;
L'infortune sur nous garde ses droits sacrés;
La vertu révérée en ces jours de misères,
Est encore fidèle à la foi de nos pères;
Le crime fait horreur, et le vice odieux
Dans l'ombre de la nuit cache son front honteux.
D'où vient qu'un peuple faible, enseveli sous l'onde,
A peine distingué sur la carte du monde,
Au faîte de la gloire éleva ses destins?
Qui moissonna cet or en des pays lointains?
Puissant dieu de l'Amstel, sur cet autre Pactole,
Quel pouvoir merveilleux bâtit ton capitole?
De cités en cités qui creusa ces canaux?
Qui planta ces remparts dominant sur les flots?
D'où naquit, dans nos champs, le bonheur, l'abondance?
Qui nous donna la paix, l'ordre, la tolérance,
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Biens précieux et chers que, d'un oeil curieux,
Admire en nos climats l'étrauger envieux?
Qui répandit les arts, les talens et la vie?
Deux verlus: l'équité, l'amour de la patrie.
C'est cet amour brûlant, excité par l'honneur,
Qui créa notre sol, nos biens, notre grandeur,
Des fleuves courroucés réprima la licence,
Et mit un frein vainqueur à l'Océan immense.
Muse, tu ne dois pas, pour ennoblir mes chants,
Dérouler à mes yeux les annales des temps.
Si je veux dans mes vers célébrer un grand homme,
Pourquoi citer toujours ceux d'Athène ou de Rome?
J'admire Régulus, dans un noble transport,
Quittant Rome et les siens pour voler à la mort;
Mais comment t'oublier, généreuse victime,
O courageux Hambroek, ô héros magnanime!
Ah! tant que de Thétis les gouffres jaunissans
De l'île de Formose entoureront les flancs,
De ta mâle vertu la clarté tutélaire
Versera sur nos pas des torrens de lumière.
Que dis-je? quand le dieu qui règne sur les flots,
Engloutirait Formose au vaste sein des eaux,
De tes exploits fameux la durable mémoire
Vivrait dans tous les coeurs ainsi que dans l'histoire.
Pourquoi des monumens, aux siècles à venir,
Ne transmettent-ils pas ton brillant souvenir?
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Ah! quel marbre imposant, dans sa pompe orgueilleuse,
Égalerait jamais ta vertu courageuse?
La pierre de Paros, tout l'art des Phidias,
Du temps qui détruit tout ne triompheront pas;
Mais la seule vertu, sur sa base éternelle,
Comme Dieu qui l'inspire est assise immortelle.
Au pied de cette tour qui menace les cieux,
La foule frappe l'air de cris tumultueux.
O noble Schaffelaar! on demande ta vie:
Ton dévoûment sublime apaise leur furie.
Bataves! soyez fiers du nom que vous portez,
Et n'oubliez jamais le sang d'où vous sortez.
O combien de la paix faisant ma douce étude,
Dans le calme des nuits j'aime la solitude,
Quand je crois près de moi voir tous ces demi-dieux,
Quand mon esprit rêveur s'entretient avec eux!
Alors, alors le sol, berceau de mon enfance,
Vient doubler le tribut de ma reconnaissance;
A ces mânes chéris, à ces morts immortels,
Dans mon coeur glorieux j'élève des autels;
Mon ami, mes enfans, une épouse adorée,
Alors, tout m'est plus cher; cette terre sacrée
Avec magnificence étalant sa splendeur,
S'embellit à mes yeux de lustre et de bonheur;
Alors, je sens brûler dans mon âme agrandie,
L'amour de mon pays et le feu du génie.
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Mais quel grand souvenir vient réclamer ma voix?
Ma lyre obéissante a frémi sous mes doigts.
O Byling! que ta mort, dans mes chants célébrée,
De nos derniers neveux soit encore admirée!
En butte aux factions, nos climats désolés
Offrirent trop long-temps deux partis aveuglés.
Des deux côtés, la haine, avide de vengeance,
Sur un affreux succès fondait son espérance.
Le vainqueur, le vaincu, l'un sur l'autre excité,
Tour à tour du combat sortait ensanglanté.
La rage en tous les coeurs allumait sa furie:
Tel court et se déploie un rapide incendie.
Byling, mélange heureux de valeur, de bonté,
Seul, dans ces différens, connut l'humanité.
Vers ces lieux où Flessingue, assise sur les ondes,
Lève son front antique au sein des mers profondes;
Dans ces champs où Cérès, prodigue de ses dons,
De la riche Zélande embellit les sillons,
Éloigné du fracas, du tumulte des villes,
Fuyant les factions, les discordes civiles,
Près d'un fils, d'une épouse objets de tous ses voeux,
Byling dans le repos coulait des jours heureux.
Là, tranquille, oubliant, sous un abri champêtre,
Le vain faste des cours, la faveur de son maître,
Son âme douce et tendre et pleine de fierté,
Digne de la fidèle et noble antiquité,
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Tantôt de son bonheur lui retraçait l'image,
Tantôt, d'un peuple libre admirait le courage.
Terrible aux ennemis, son bras victorieux
Abattit sous le fer des bataillons nombreux;
Mais après le combat, sa valeur protectrice,
Aux victimes du sort tendait sa main propice.
Des publiques fureurs ennemi déclaré,
D'un peuple turbulent il vivait ignoré,
Détestant ces fléaux enfantés par la rage,
Qui changent un pays en un champ de carnage,
Détruisent en courant le germe des vertus,
Et perdent sans retour les peuples corrompus.
Sans regrets du passé, sans projets, sans envie,
Il remplissait ainsi le cercle de la vie.
O combien son amour désire avec ardeur
L'instant où de son fils formant le jeune coeur,
Déjà fier des vertus qu'il doit faire paraître,
Dans cette tendre fleur il se verra renaître!
Mais l'arrêt du destin a troublé son bonheur:
Gémissant en secret il cède à sa rigueur;
Il obéit; il vole où son prince l'ordonne,
Et va cueillir encor les lauriers de Bellone.
Sur les rires du Lek, défendu par les eaux,
Apparaissent d'un fort les antiques crénaux.
C'est là que de Byling l'indomptable vaillance
Au choc des ennemis doit faire résistance.
La fille de Guillaume, avec ses bataillons,
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Comme un torrent fougueux a couvert les sillons,
Et Byling renfermé dans ses murs qu'on menace,
A défaut de soldats a redoublé d'audace.
Ses rangs sont peu nombreux; mais lui, mais ses héros
Sauront avec honneur mourir sous leurs drapeaux.
En vain les ennemis que l'horreur accompagne,
A flots tumultueux ravagent la campagne;
Inébranlable chef, intrépide soldat,
Il attend sans frémir le moment du combat.
Il excite les siens; et son âme enflammée
Seule vaut à leurs yeux une invincible armée.
On attaque: soudain, tombe sur les remparts
Une grêle de traits, de pierres et de dards.
De son robuste front, le bélier formidable
Frappe à coups redoublés le fort inexpugnable.
Impuissante fureur! de ses guerriers suivi,
Byling sort de ses murs et marche à l'ennemi.
Partout vole sans frein la vengeance cruelle;
Partout plane la mort; partout le sang ruisselle.
Mais hélas! de Byling les soldats entourés
Sans fruit et sans espoir vont être massacrés.
Il s'éloigne en triomphe; et sa retraite habile
Sauve ses compagnons d'un trépas inutile.
Rentrés dans leurs remparts, l'impitoyable faim
Vient épuiser leur force et déchirer leur sein.
Le peuple est abattu; de farouches cohortes
Du château sans défense ont enfoncé les portes.
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Par ces tigres joyeux à l'instant enchaîné,
Aux horreurs du trépas Byling est condamné.
Leur lâche barbarie invente des supplices.
Ses vertus, sa valeur, ses nobles cicatrices,
Rien n'arrête leur rage; et ce vaillant héros
Va descendre vivant dans la nuit des tombeaux.
Il écoute indigné son horrible sentence,
Et, grand dans ses revers, rompt ainsi le silence:
‘La fortune ennemie a décidé mon sort;
Je mourrai; mais du moins qu'on diffère ma mort.
Soldats, vous le savez, je suis époux et père;
Je ne veux qu'une grâce à mon heure dernière:
Que je puisse revoir, presser contre mon coeur
Mon épouse et mon fils! J'en jure par l'honneur,
Quand le trentième jour nous rendra la lumière,
Je serai dans ces lieux.’ On cède à sa prière;
Ses fers tombent. Il part; et dans un trouble affreux,
Il arrive où l'attend un couple malheureux.
Il arrive! ô momens d'horreur et de tendresse!
Le sombre désespoir fait place à l'allégresse.
O joie! ô doux retour! ô transports ravissans!
Mais quel coup douloureux vient ébranler ses sens,
Lorsqu'au sein de l'ivresse une épouse attendrie
Lui vante le bonheur d'une union chérie,
Serrant entre ses bras le fruit de leurs amours,
Bien loin dans l'avenir ne voit que de beaux jours,
Et lui parle du terme où le destin prospère,
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D'un nouveau rejeton bientôt le rendra père!
O qui peindra jamais l'excès de sa douleur!
Combien chaque parole ajoute à son malheur!
Il l'écoute, grand Dieu! mais un trompeur sourire
Malgré tous ses efforts sur ses lèvres expire,
Quand un fils adoré, de ses bras caressans,
L'invite à partager ses plaisirs innocens,
Ou qu'avide déjà d'enrichir sa mémoire,
Des faits de nos aïeux veut connaître l'histoire,
Et tout enorgueilli de ses jeunes progrès,
Attend en souriant le prix de ses succès.
A ce coeur inflexible, à cette âme égarée,
Nature, fais sentir ta puissance sacrée!
Byling n'est-il pas libre? est-ce avec des brigands
Que l'on doit respecter le lien des sermens?
Eh quoi! ne sait-il pas que ce coup redoutable
Prépare à ceux qu'il aime une mort effroyable?.....
Il le sait; mais fidèle aux sermens qu'il a faits,
Le véritable honneur ne balance jamais.
Le temps fuit; chaque instant rapidement s'envole.
Enfin le jour fatal marqué par sa parole,
Vient éclairer ses yeux. La vengeance l'attend.
Ciel! quel trouble s'élève en son sein palpitant!
Ah! comment annoncer cette atroce infamie
Sans hâter le trépas d'une épouse chérie?
Comment la fuir? comment s'arracher à ses cris,
Voir mourans à ses pieds son épouse et son fils?
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Hélas! dissimulant sa tristesse cruelle,
D'un air calme et tranquille, il se place près d'elle.
Père trop malheureux, retenant ses soupirs,
Il se rappelle encor de touchans souvenirs,
Et d'un fils, d'une épouse, objets de ses tendresses,
Déjà la mort dans l'âme, accueille les caresses.
‘Cher époux, lui dit-elle! ah! quel pressentiment
Me remplit malgré moi d'un long saisissement?
Ton bras va de nouveau tenter le sort des armes....’
De ses yeux, à ces mots, s'échappent quelques larmes.
‘Eh bien! pars, j'y consens; mais que ton prompt retour
Dans ces lieux désolés rassure mon amour.
Redoute, loin de moi, la fortune jalouse:
Tu sais dans quel état tu laisses ton épouse!’
Il veut parler; sa voix rentre au fond de son coeur.
Ah! comment découvrir ce secret plein d'horreur?
‘Si de Dieu, lui dit-il, la volonté suprême.....
O chère et tendre amie! ô moitié de moi-même!...
Eût voulu qu'enchaîné dans les fers ennemis....
J'eusse fait un serment..... - Juste ciel! je frémis.
Quels sinistres accens! ah! Dieu! que veux-tu dire?’
Il la presse en ses bras; toute sa force expire.
Mais reprenant bientôt son courage ébranlé,
Ce funeste secret est enfin dévoilé.
Horrible désespoir! affreuse destinée!
L'oeil égaré, muette et d'effroi consternée,
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Elle écoute immobile, et, d'un songe imposteur,
Elle croit éprouver l'importune terreur.
Elle sourit, regarde et tout à coup s'écrie:
‘Quel rêve douloureux, quelle horreur m'a saisie?
Non, je n'ai rien appris; je n'ai rien entendu.
Non, non! ce n'est qu'un songe! ah! grand Dieu! pourrais-tu
M'abandonner, me fuir lorsque mon coeur succombe,
Pour t'engloutir vivant dans la nuit de la tombe?
Eh quoi! ne veux-tu pas dissiper ma douleur?
Tes larmes, ton silence attestent mon malheur.
Cher et cruel époux! par le noeud qui nous lie,
Par ce fils tant aimé qui doit charmer ta vie,
Par le malheureux fruit que je porte en mon sein,
Par le ciel qui condamne un odieux dessein,
Reste et n'écoute pas ce barbare courage,
Reste et de tes bourreaux n'assouvis pas la rage.’
En vain elle s'attache au corps de son époux,
Avec des cris aigus se traîne à ses genoux;
En vain son fils, versant des larmes suppliantes,
L'appelle et le retient de ses mains innocentes;
Le constant souvenir de son bonheur passé
A ses esprits émus est en vain retracé:
Inutiles efforts! il demeure inflexible.
‘Dieu! plus d'espoir, dit-elle! ô ciel, est-il possible?
Dieu! prends pitié de moi... Je me meurs!...’ A ces mots,
Elle tombe sans vie. Étouffant de sanglots,
Il la rappelle au jour. Dans l'excès de sa peine,
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Il voit en frémissant cette effrayante scène.
‘Chère épouse! dit-il, deux êtres malheureux
Vont réclamer tes soins: tu dois vivre pour eux...’
Elle ne l'entend pas! ‘Mon amour t'en supplie;
C'est un dépôt sacré que mon coeur te confie.
Puisse de l'Éternel l'équitable bonté
Te rendre le bonheur qu'avec toi j'ai goûté!’
Elle ne l'entend pas! Dans sa douleur mortelle,
L'univers tout entier a disparu pour elle.
Son fils même s'écrie, en lui tendant les bras:
‘O ma mère! ma mère!’ Elle ne l'entend pas!
Des sons semblent sortir de sa bouche tremblante:
Il frissonne.... Aux accens de cette voix mourante,
Il veut fuir, il revient... ô moment douloureux!
Embrasse encor son fils, et s'échappe à ses yeux.
Il vole où ses bourreaux, orgueilleux de leur crime,
D'un bras impatient attendent leur victime.
A l'aspect de sa tombe ouverte sous ses pas,
Sa constante vertu ne l'abandonne pas.
Pour la dernière fois sa tranquille paupière
Contemple du soleil la brillante lumière;
Puis, d'un coeur courageux, invoquant son pays,
Il recommande au ciel son épouse et son fils,
Et d'un pas assuré, ce héros magnanime,
Le front ceint d'un bandeau, s'élance dans l'abîme.
fin du premier chant.
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