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Préface de l'auteur.
Ce n'est qu'avec crainte, mes chers compatriotes, que je vous présente ce poème. S'il suffisait d'être plein de l'objet que l'on traite pour réussir, mon ouvrage ne serait pas indigne de vous être offert; mais je sens combien je suis resté au-dessous de mon sujet: rarement j'ai été content de moi-même. Là, où mon âme aurait dû s'enflammer, où le sentiment et l'admiration auraient dû guider ma plume, je me suis exprimé beaucoup trop faiblement.
Quel est celui qui peut rester froid et indifférent au souvenir de toutes les grandes et nobles actions de nos ancêtres? S'il existe, je ne veux pas le connaître; je ne désire pas qu'il lise mon ouvrage. Mon
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sujet est riche; oui, trop riche pour la poésie. Ce que j'avance ici ne doit pas être regardé comme un paradoxe: tout poète en conviendra facilement. Il n'est pas de sujet, quelque pauvre, quelque mince qu'il soit, que la poésie ne puisse embellir et rendre intéressant, s'il tombe entre les mains d'un véritable poète. Son imagination brûlante enflamme son coeur; il verse dans l'âme de ses lecteurs ou de ses auditeurs, le sentiment qui le remplit tout entier. C'est surtout quand la matière n'est pas assez riche d'ellemême, que son génie se développe d'une manière brillante; c'est alors qu'il peut en effet être poète, c'est-à-dire, créateur. Mais si le sujet est grand par lui-même, plein de faits intéressans par la diversité, le poète est surpassé par la grandeur des objets qu'il veut retracer à notre imagination. A quoi servent les fictions ingénieuses, les ornemens de la poésie, quand le simple exposé du fait porte avec soi son mérite et sa louange?
Croyez-vous que le plus beau poème sur Léonidas et ses trois cents Spartiates eût parlé plus fortement au coeur des Grecs, que la sublime et simple inscription des Thermopiles? Plût à Dieu que cha- | |
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cun pût trouver mon ouvrage inutile, et m'adresser ces paroles: ‘Poète quelle folie est la tienne? tu veux nous raconter les actions de nos ancêtres, les peindre à notre imagination? apprends qu'elles sont imprimées dans nos coeurs avec plus de force que ton faible pinceau n'est en état de les reproduire. Éloigne-toi avec ton poème!’ Mais je connais mes contemporains; l'éloge de la nation hollandaise, ne peut leur être indifférent; ils ne le liront pas sans fruit. C'est la vénération que je porte à nos ancêtres, c'est l'amour que j'ai pour mon pays, qui me mirent la plume à la main. Avec quel transport je m'écriai:
O sol, où je vis la lumière,
Objet de mon amour, objet de tous mes voeux!
C'est ici qu'une tendre mère,
Me porta dans son sein en des temps plus heureux;
C'est ici qu'émue et craintive,
Elle sécha mes premiers pleurs;
Ici, que sa main attentive
Entoura mon berceau de fleurs.
O cher pays! ô ma patrie!
Oui, je veux à jamais garder ton souvenir.
Quels biens surpasseraient, dans mon âme attendrie,
Le bonheur de t'appartenir?
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Sous ton ciel, ô terre chérie,
Mon épouse reçut le jour;
Sous ton ciel, la parque ennemie
Ravit ma fille à mon amour;
Demain, demain peut-être, au bout de ma carrière,
Mon fils me fermera les yeux;
Sa pieuse douleur cachera ma poussière
Près des tombeaux de mes aïeux;
Et comme un insensé, témeraire et parjure,
Je t'oublierais, ô sol divin!
Non! je monte ma lyre, et fier de mon destin,
Je goûte à te chanter une volupté pure.
De nos ancêtres vertueux,
Voilà les cendres adorées:
Dans ces enceintes révérées
L'écho redit leurs noms fameux.
C'est ici que mon fils, souriant à sa mère,
Bégaya doucement le nom sacré de père.
Sous les yeux paternels, ici, formant son coeur,
Aux antiques vertus il instruit sa jeunesse,
Et dans le sentier de l'honneur,
Suit le flambeau de la sagesse.
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Et je méconnaîtrais ce séjour précieux!
J'oublierais sa splendeur et sa gloire immortelle!
Non, non: pays de mes aïeux,
Jusqu'au dernier soupir je te reste fidèle!
N'attendez pas, ô mes compatriotes, que je vous rappelle toutes les belles actions de nos ancêtres, que je vous cite tous leurs progrès dans les beaux-arts et les sciences, en un mot, que je mette sous vos yeux leur histoire: c'est la tâche de l'historien et non celle du poète. Guidé par l'élan de mon coeur, le souvenir de ces grands hommes, tels que la terre n'en avait pas encore vu et n'en verra peut-être plus jamais, m'a fait éprouver tous les sentimens que je voulais faire passer dans l'âme de mes contemporains. Heureux, si j'ai pu atteindre ce but! plus heureux encore, si mes lecteurs jugent, avec fondement, mes expressions trop faibles, mon enthousiasme trop froid, mes idées et mes vers au-dessous de leur attente! Comme poète, j'y perdrai sans doute; mais puis-je m'en plaindre? quelle haute idée n'aurai-je pas alors de vous, ô mes compatriotes? comme je vous trouverai dignes de vos ancêtres! avec que plaisir ne sacrifierai-je pas ma gloire poétique à l'intime conviction que vous n'avez pas dégénéré de ces héros?
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On sait avec quelle louange Tacite a parlé des anciens habitans de ces contrées, en les considérant comme les plus vaillans des peuples germains. Sans doute, ceux-ci avaient droit à mon hommage; mais mon intention était de chanter uniquement la nation hollandaise. Je ne pus cependant me taire tout-à-fait sur ce sujet. J'ai donc, pour ne pas rompre l'unité de mon poème, dans une ode ou chant des Bardes, célébré cette terre et ses premiers habitans. J'ai placé ce chant en tête mon ouvrage, comme un avant-propos.
Quelques lecteurs, familiarisés avec l'histoire de notre pays, se rappelleront peut-être les noms de plusieurs grands hommes qui se sont distingués tant au conseil qu'à la guerre, tant dans les arts que dans les sciences, et dont je n'ai fait aucune mention: que cette omission ne soit attribuée ni à l'ignorance, ni au mépris: un poète ne peut, ni ne doit tout dire; il faut qu'il se garde surtout d'épuiser sa matière. Au jugement des uns, j'aurai quelquefois été trop concis; au jugement des autres, trop prolixe; mais qu'on ne prononce pas trop légèrement.
On se souvient du passage suivant de Middleton, dans sa préface de la vie de Cicéron: ‘There is ano- | |
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ther reflection likewise very obvious, which yet seldom has it 's due weight; that a writer on any part of history, or poetry, which he has made his particular study, may be presumed to be better acquainted with it than the generality of his readers; and when he asserts a fact, that does not seem to be well grounded, it may fairly be imputed, till a good reason appears to the contrary, to a more extensive view of his subject; which, by making it clear to him self, is apt to persuade him, that it is equally clear to every body else; and that a fuller explication of it would consequently be unnecessary.’ Avec une réflexion approfondie, on me rendra justice; j'ose m'en flatter. Des observations fondées me seront toujours agréables.
Jamais nous n'avons vu notre poésie monter à un si haut degré qu'aujourd'hui! Puisqu'il en est ainsi (j'ai de bonnes raisons pour le croire, et il me serait même très-facile de le prouver), de quelle crainte ne doit-il pas être agité, celui qui se présente dans la lice comme poète? Ce qui a été dit par le législateur du Parnasse français,
Il n'est point de milieu du médiocre au pire,
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restera toujours une vérité dans l'empire du Beau. Cette sentence aurait dû m'engager à ne pas publier mon ouvrage. Je l'ai cependant hasardé. Mes vers ont été parfois accueillis avec quelque faveur; mais il y a une bien grande différence entre une petite production, fruit d'une inspiration heureuse, mais momentanée, et un poème de longue haleine, où toutes les parties doivent être enchaînées, où le même feu doit partout se faire sentir! Quoiqu'il en soit, puissiez-vous, ô mes compatriotes, en lisant cet ouvrage, jouir d'autant de plaisir que j'en ai goûté moi-même en le composant! Alors, je me croirai doublement récompensé; alors je n'aurai plus qu'à former des souhaits pour votre bonheur et pour votre prospérité.
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