Brieven 1888-1961
(1997)–Alexander Cohen– Auteursrechtelijk beschermd[Brieven 1945]Aan De Familie Grosaant.Toulon, ce 15 avril 1945. Bien chers amis,
Voici une lettre moins morose
Que celle de la dernière fois,
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Est-ce donc que je vois tout en rosé
Non pas, amis, non pas, ma foi!
Mais le soleil nous fait risette,
L'apre mistral ne soufflé plus,
Ni plus s'affole la girouette,
Le ciel est clair et bleue la nue.
L'olivier tordu renouvelle
Son rêche feuillage vert-de-gris,
Svelte, une guèpe lisse ses ailes,
Trainant sa charge une fourmi
Zigzague entre les éteules,
Un escargot marqué, gluant,
Le sentier que, sans hate, veule,
Il parcourt, d'un filet d'argent.
Vrombissante comme en colère,
Vole une abeille de fleur en fleur,
Du mauve géranium-lierre
Au narcisse jaune, dont l'odeur
Au point de l'enivrer la grise,
Puis la renvoie en titubant
A l'abricotier dont la brise
Fait neiger les pétales blancs.
De papillons une ribambelle
Danse tout autour du vieux poirier,
Sur son écorce une sauterelle
S'acharne a vouloir le scier
Aves ses pattes dentelées,
Que bruyamment elle fait crisser.
Sous une touffe de fenouilles
Au fin feuillage odorant
Coasse une menue grenouille
Douée d'un provengal accent.
Dans l'herbe chaude notre chatte
Inlassable fait sa toilette,
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Croquant ses puces, passant sa patte
Humectée sur sa toison nette.
Déja se forment les cerises,
La chicorée frisée se frise
Que l'on dirait au petit fer,
Lourdaud, un crapaud pérégrine,
Laissant la ses quartiers d'hiver;
C'est l'heure, paraît-il, où il dine,
Car comme il aperçoit un ver,
Un maigre ver d'un rouge pale,
De son gïte trop tôt sorti,
D'une seule bouchée il l'engloutit,
Pauvre ver, ni ni, fini!
Alerte, un pinson fait entendre
Trois, quatre fois son argentin
Appel, a quoi répond le tendre
Tout petit cri de l'oiseau-nain,
Le roitelet, qui, de branche en branche,
Se laisse choir comme s'il tombait
Par accident... tiens!, sur ma manche,
Comme d'une goutelette de lait,
Il vient de marquer son passage.
Point ne t'en veux, petit voltigeur!
Je prendrai cela comme un présage
De chance ou de quelque bonheur.
Petit roitelet! C'est ‘troglodyte’
Que te qualifient les savants,
Est-ce la un nom, non!, vraiment, dites!
Pour un oiselet si charmant
Moi je me fiche des savants
Et me refuse obstinément
A te donner ce nom barbare,
Qui serait autrement seyant
A quelque monstre oviparc,
Soit crocodile ou caïman,
Bougeant ou non dans un creux d'roche,
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Une caverne ou une grotte,
Qa m'est égal!... zut!, flute!, et crotte!
J'y pense!, eet affreux surnom
Irait très bien dorénavant,
Oui!, irait comme un gant
A je ne sais combien de Boches,
Privés du familial abri Pulvérisé, anéanti
Par la joyeuse et fraïche guerre
Qu'ils ont déchaïnée sur l'entière
Ou l'a-peu-près-entière terre,
Et qui, pendant deux ou trois lustres,
Par force troglodytes seront,
A moins que, sur leurs lacs palustres,
Sur des radeaux construits en troncs,
Chantant de tristes mélopées,
Vivre et mourir préféreront,
Tout en procréant des flopées
De blonds et roses Bochillons,
Qui a retordre redonneront
Aux futures générations
Des non-teutonnes nations,
A moins que l'on n'y mette bon ordre,
Encore du dur fil a retordre!
Mais qu'au jardin je vous ramène
Après cette digression
Qui s'imposait à ma raison.
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Tout a côté une vâche meugle
Dans l'enclos clos du nourisseur,
Sans doute c'est de faim qu'elle beugle,
Pas plus que nous elle connaît l'heure
De satisfaire sa fringale
Tous les jours comme il conviendrait,
C'est pourquoi elle proteste et ‘rale’,
Sans d'ailleurs le moindre succès.
Mais je me trompe, oui!, je me goure
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Peut-être bien complètement,
Il est possible que d'amour(e)
L'innocente béte, éperdument
Meugle a se décrocher les bronches,
Ou a se crever les poumons,
En se frettant contre la tronche,
Harcelée par les taons.
C'est le printemps! C'est la saison,
La saison tendre où gens et bêtes
Ont plus ou moins folie en tête,
Et comment alors en vouloir
A une ardente vâche noire
De mugir après le taureau,
Qui, tout là-bas, loin d'ici, broute,
Le long du talus de la route
Sans se douter des sentiments
Qu'il inspire a une pauvre vâche
Que l'implacable Amour tracache?Ga naar voetnoot*
Maintenant allons faire un tour
A notre humble basse-cour!
Six lapereaux leur bonne mère
Dans son clapier a déposés,
Nous n'en connaissons pas le père
Ne lui étant pas présentés.
Une voisine serviable,
Ad hoc dûment assermentée,
De l'hymenée s'était chargée,
Mais, las!, de lit et même de table
Le couple est déjà séparé.
Est-ce tout? Noti!, j'ai encore du neuf:
Notre unique poule s'est mis a pondre
Voici deux jours son premier oeuf!
Nous n'allons sürement pas le tondre
Ce joli oeuf, tout battant neuf.
Un oeuf, pensez!, et frais encore,
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Après les ceufs du Ravito,
Gatés souvent ou prés d'éclore.
Un oeuf frais, qu'en dites-vous, Jeannot?
On attend que la galinette
De l'oeuf suivant nous fasse présent
Pour nous offrir une omelette,
On en était toujours friand.
Avec une poignée de farine,
Une pomme de terre, du persil,
Un ou deux oignons, ah', galline,
Comme te serons reconnaissants!
Une omelette, mets rarissime,
Sachez, amis! qu'on paye ici,
Au marché noir, voire noirissime,
Vingt-cinq francs l'oeuf, oui!, c'est le prix
Qu' impudement on vous demande,
Et encore comme ‘prix d'ami’!,
Car si aucun lien d'amitié
Ni de parenté ne vous lie
Aux bonnes vendeuses sur le ‘Coursse’,
C'est ‘trennte frang, ma p'tite chérie’!
Que vous sortez de votre bourse,
A moins que vous ne préfériez
Vite vous trotter, au pas de course,
Et ne pas être écorchée.
Ce marché noir, quelle pestilence!
On y vend tout: du beurre rance,
De l'huile d'olives, du cirage,
De la cannelle, des lainages,
Des légumes secs, des figues, des dattes,
Du lard, des lacets, des patates,
Du thé, du saindoux, des boutons,
Des cotelettes de mouton,
Du rouge a lèvres, du saumon,
Des pilules Pink et du savon,
Du ripolin et des anchois,
Des caleçons, des artichauts,
Du raifort et des pieds de veau,
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Du riz, du cuir, du lait en poudre
Ou concentré, du fil a coudre,
De la vanille, de la poix,
Des escargots, du riquiqui,
Des sabots et du vert-de-gris,
Des tirelires, des pantoufles,
Du rhum des ïles et des moufles,
Bref, tout ce qu'en vain vous chercheriez
Ailleurs que sur ce noir marché,
Et que vous y payerez, ma foi!
Vingt-cinq, quarante ou cinquante fois,
Si ce n'est cent, sa vraie valeur.
Tout ga a ciel ouvert se passé,
Sans que personne n'y oppose
Autre chose que de vaines gloses
Et d'inopérantes menaces
Dont on' se fiche royalement...
J'entends républicanement,
Et même démocratiquement!
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