Brieven 1888-1961
(1997)–Alexander Cohen– Auteursrechtelijk beschermd
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Aan Kaya Batutaant.Tosari, 1 février 1905
Kaya chérie,
Je t'écris de TosariGa naar eindnoot1 où je suis arrivé eet après-midi, venant de Sourabaya. Mais que je te dise tout d'abord que j'en ai assez, que je n'en peux plus et qu'à aucun prix je ne continuerai a me trimballer ainsi, seul, pendant trois mois encore. Je me propose de m'embarquer pour Paris dans les tout premiers jours de mars au plus tard. Avec toi, tout mon plaisir, toute mon immense joie d'être ici dans ce glorieux pays est parti. J'erre comme une âme en peine et a chaque nouvelle et belle chose que je vois l'âmertume et la tristesse de ne pas la voir avec toi, l'emportent sur toutes les autres sensations que j'éprouve. A présent, quand je me trouve dans quelque endroit depuis 48 heures j'en ai par-dessus la tête. Aujourd'hui, 1 février, tu te trouves sans doute entre Port Saïd et Marseille. J'ai lu dans le journal que le Gedéh était parti le 29 de Suez. Pauvre enfant, comme tu auras froid à Paris. (Ici, a Tosari, je ne sais où me fourrer et comment me couvrir suffisamment. Je tremble de froid littéralement.) A Solo, d'où je t'ai écrit, je suis resté trois jours, le temps de voir ce qu'il y avait a voir: du batik (le travail), le Kraton (sans le Sousouhounan), deux tigres, une douzaine et demie de panthères, deux éléphants. C'est tout. J'en avais vite assez. De Solo a Sourabaya. Départ à 11 h. du matin, arrivée a 6 heures du soir. Hotel très cher et mauvais: lit impossible, thé exécrable, petit déjeuner insuffisant, table très médiocre. Par contre: chambres très propres (avec énormément de moustiques). Service très mal fait. Y suis resté trois jours. Premier soir diné et lendemain, dimanche, déjeuné chez les Schnurrenberger que nous avons connus a Garoet. Gens charmants. Etaient très étonnés de ton départ et chagrinés d'apprendre que tu avais été malade. M'ont chargé de bien te faire leurs amitiés. Une bonne nouvelle: ai une correspondance régulière pour un journal de SourabayaGa naar eindnoot2 (pas celui de Semarang). Quatre lettres par mois = 80 florins =160 francs. C'est toujours cela. Si maintenant l'autre journal, | |
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celui de Semarang,Ga naar eindnoot3 se décide aussi, nous aurons un petit revenu mensuel d'assuré. Plus d'atelier, pense donc, chérie. Comme je suis content. Parti ce matin de Sourabaya - où je n'ai rien vu absolument - a 6 h 1/2. Arrivée a PassourouanGa naar eindnoot4 à 8 1/2 h. Départ immédiat, quatre heures de voiture jusqu'a Poespa. Ici déjeuner rapidement expédié et a cheval jusqu'a Tosari = 2 h. et 1/2. En route de la pluie, mais pas trop. La montée est très belle et je n'ai eu qu'un seul et grand regret: ne pas te voir chevaucher a côté de moi. De temps a autre je me persuadais que tu étais la, et je te parlais. - Arrivé ici vers trois heures, dans l'état où, de son aveu sans artifices, madame Wahl se trouvait souvent. Prends du thé et m'enfouis dans les couvertures. Mon Dieu, comme j'ai froid. J'ai mis un calegon, mon petit pakéanGa naar eindnoot5 gris, un faux col, une chemise, ma plus épaisse cravate. Et j'ai froid encore. - Je me propose d'aller voir le BromoGa naar eindnoot6 demain et de ne rester ici que très peu de jours, trois ou quatre. Ensuite, je ne sais plus: irai-je a Lombok, n'irai-je pas? Je n'en sais rien. J'espère avoir ton télégramme dans quatre ou cinq jours. A quand ta première lettre, et datée d'où? de Périm, de Suez? Et où me trouvera-t-elle? cette lettre? - Cherche vite un appartement, chérie, vite. Je serai à Paris dans deux mois. Tu sais, je suis joliment content d'avoir ton portrait en Javanaise, celui de Garoet. C'est vraiment un très bon portrait. Je le regarde tous les jours et l'embrasse, en même temps que les petites fleurs que tu m'as données sur le bateau. Que dis-tu de mon assiduité épistolaire? C'est ma quatrième lettre déjà depuis ton départ. Donne-moi des détails sur ton voyage et ton arrivée à Paris. Quel effet te fait Montmartre? Qu'est-ce que Kuku te raconte? Et comment va Kees? As-tu vu les Lasvignes,Ga naar eindnoot7 les Meillié, les Bastié, les Siderski? Que disent-ils - les Siderski - des événements de Russie Au revoir, chérie, a bientôt. Pense à moi comme je pense a toi, - avec tendresse
ton mélancolique Sandro. | |
2 févrierCi-clos deux petites fleurs cueillies a ton intention. Aujourd'hui, deuxième jour, je m'embête encore plus férocement qu'hier. De la pluie et de la brume, toute la journée. Demain, si toutefois il ne pleut pas, j'irai voir le Bromo... peut-être. A la vérité je n'ai envie de rien voir du tout. | |
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Et maintenant je finis et je clos ma lettre. Je manque d'entrain pour continuer a écrire. Ousqu'est Montmartre! Mille bons baisers, chérie, et a bientôt,
Sandro
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Vendredi, 5 févrierKaya dear,
Je rouvre ma lettre: 1o. pour y glisser q.q. petites fleurs, des myosotis entre autres, que j'ai cueillies ce matin au pied du Bromo - au sommet ou plutôt dans le cratère il n'y avait pas de fleurs. 2o. Pour te dire que je suis moins abattu que hier et avant-hier. Par contre je suis joliment fatigué: j'ai 7 (sept) heures de cheval, je ne puis pas dire ‘dans les jambes’, mais ailleurs. Et eet ‘ailleurs’ est en marmelade, ou en confiture ou mieux encore en déconfiture. Une route qui ne fait que monter et descendre - et quelles montées et quelles descentes. La route du PapandayanGa naar eindnoot8 ‘is er een kwajongen by’. Mais quel merveilleux paysage. Encore: que n'étais-tu la avec moi! J'ai pris q.q. photographies mais ne sais pas encore si elles sont réussies. Je mettrai cette lettre à la poste a Passourouan, où je serai demain dans l'après-midi. Demain matin de bonne heure je quitte Tosari. Je m'y suis fortement ennuyé et n'ai trouvé de plaisir et d'intérêt qu'au Bromo. Mais pour le présent: trêve de cratères. Quel abime que cette gueule du Bromo! Et quel fracas! De loin on croit entendre la mer se briser sur les récifs. C'est saisissant. - Que la terre est belle et la vie aussi. Et quelle horreur de devoir disparaître = de ne plus voir. Me revoilà mélancolique. Et je ne veux pas être mélancolique. Au revoir, chérie, un tendre baiser de ton
Sandro.
Amitiés a ta maman. Ne l'oublie pas. Et aux amis. Tu recevras des photos q.q. temps - q.q. jours peut-être - après cette lettre. Fais-en l'usage que tu voudras, c'est-a-dire garde-les si tu veux. N'en donne pas a d'autres qu'à Mme de Jouvenel et aux Kuku. |
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