Brieven 1888-1961
(1997)–Alexander Cohen– Auteursrechtelijk beschermdAan Kaya Batutaant.Bois-le-Duc 29.6.99 (Mme Polak, Pensmarkt) Kaya chérie, Ta lettre est plutôt encourageante, c.-à-d. par ton courage communicatif plutôt que par les faits que tu y relates. - Evidemment Clemenceau a | |
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raison: les intéréts de la France passent avant les miens. Seulement, et ceci tu peux le dire a Clemenceau en mon nom, si, il y a deux, trois ans, lorsque Félix lui a demandé de tenter une démarche pour moi -pour me rouvrir la France - CL, au lieu de croire aux rapports de police qui me dénongaient comme un ennemi de la France, voire même comme un espion - si alors Cl. s'était donné la peine d'essayer de savoir, j'aurais probablement été à Paris depuis longtemps, et Cl. et ses amis m'auraient vu a leur cóté, au plus chaud de la bataille,Ga naar eindnoot1 et des la première heure. Moi je n'aurais pas attendu la sentence de la Cour de cassation, toutes chambres réunies, pour devenir ‘révisionniste’ - comme... Millerand et ses copains qui d'abord, par l'organe autorisé de Viviani,Ga naar eindnoot2 avaient proclamé qu'il y a des circonstances où un parti a le droit d'être lache. Tous ces pleutres, tous ces laches sont maintenantpor le ‘droit’ - qu'ils ont d'abord aidé, par leur lacheté et leur infâmie, a assassiner - et ils crient plus fort que les autres, combattants de la première heure. Tu peux aussi dire a Cl. que si en France, on en était venu a se casser la figure, je n'aurais pas attendu, ni son interyention, ni l'autorisation du gouvernement pour venir combattre a côté de lui, Cl. et a côté de ses amis - et, au besoin, mourir pour la France. C'est un droit que je me serais accordé moi-même. - C'est trop fort tout de même d'être obligé a trainer ma vie dans l'exil, et d'y crever, parce que, dans une lettre privée, j'ai exprimé mon dégout de la façon dont la France s'avilissait et abdiquait toute dignité!Ga naar eindnoot3 Demande un peu a Cl. lui-même comment il a jugé, dans son for intérieur, l'attitude d'une notable partie des Français - et de lapresse, pouah! envers le czar? Quelle abdication, quelle honte: Etait-ce ga la France qu'il aime, luiy Clemenceau? Et si je n'aimais pas la France, moi -, et avec quelle passion, tu le sais, toi - qu'est-ce que cela pourrait-il bien me faire qu'elle s'avilisse et s'abaisse et devienne la risée du monde? Cl. lui-même doit savoir ce que cela veut dire. Il est payé pour cela. Et ce qu'il sent maintenant moi je l'ai senti en '93 lorsque j'ai vu des Français galoper, comme des chiens en rut derrière les voitures des Russes, domestiques du czar, pour leur baiser les mains. Demande aussi un peu a Cl. ce qu'il pense des Français qui cassaient la gueule - en hurlant à la mort - aux gens qui avaient encore assez souci de leur dignité et de leur propreté, pour refuser de se découvrir devant le drapeau russe. Et demande-lui aussi si six ans de dur exil ne constituent pas une expiation amplement suffisante pour le crime d'avoir dit en '93 ce que lui, Cl., pense peut-être et même probablement, à l'heure qu'il est. Je ne pense pas que les termes dans lesquels j'ai dit mon indignation et mon dégout, | |
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pour aussi violents qu'ils soient, doivent offusquer un homme du tempérament de Cl. - Dis tout ceci a Cl., et ne crains pas de l'indisposer. S'il se fache, c'est tant pis pour lui. En ce cas il ne serait pas le type pour qui je l'ai toujours pris. Je m'étais arrêté ici pour reconstituer le petit historique de mon expulsion, condamnation etc. Je l'ai écrit à la hate et des deux cótés du papier. Je pense que l'essentiel y est. Tu expliqueras le reste a Cl. puisque vous devez lire mon petit dossier ensemble. Je tiens beaucoup a ce que vous lisiez cela ensemble. Si tu es la, tu pourras commenter le tout et affirmer au besoin. Pourvu que Cl. ne pense pas que mes sympathies françaises sont d'occasion et pour le déterminer a marcher. A ce prix-la je ne veux pas de son intervention. J'aimerais mieux crever où je suis. De bon coeur et de bonne foi ou pas du tout. Tu peux le lui dire, comme moi-même je le lui dirais si j'étais la. Je ne réclame en somme qu'un droit, peut-être pas légal mais humain, ce qui est plus. On a assez commis d'iniquités envers moi, en France, pour que j'en réclame, dans la mesure du possible, la réparation. Je ne peux vivre qu'en France. L'exil, s'il devait se prolonger encore, équivaudrait à la mort. - Attire surtout l'attention de Cl. sur l'infâmie de mon procés, ce procés impossible, grotesque, et sur cette condamnation, qui à fait pousser des cris d'indignation aux journaux anglais, ‘Daily Chronicle’ (ou Daily News), peu suspects de sentimentalité ou d'anarchisme quand même.Ga naar eindnoot4 Ils n'ont pas pu digérer ‘l'expulsé-contumace-malgré-lui’. J'écris depuis trois heures sans m'arrêter et c'est l'heure de la poste. Mets bien de côté maintenant cette lettre et le petit dossier, et ne l'égare pas, car vraiment je n'aurais pas le courage de refaire cela encore une fois. Reçu les journaux, merci chérie. Accuse-moi réception de cette lettre, et dis-moi si tu crois assez explicite l'historique. Je pense qu'oui. Tu sais tout le reste et tu l'expliqueras. Ma soeur te salue bien. Petite fille toujours délicieuse. Ecris souvent. Je m'ennuie ici et la petite fille est ma seule - mais bonne - distraction. Il faut tout le temps que je voie des tas de gens, des idiots, mais je les engueule et leur clos le bec. Merci, Kaya chérie, pour tout ce que tu fais. De tout mon coeur, ton Sandro. Ecris-moi dès que tu auras reçu cette lettre. |
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