Brieven 1888-1961
(1997)–Alexander Cohen– Auteursrechtelijk beschermdAan Kaya Batutaant.Bois-le-Duc (Hollande) (Mme Polak, Pensmarkt) 28.6.99 Kaya chérie, Ce matin j'ai reçu, à la fois, tes deux lettres: l'une où tu me dis d'avoir perdu l'adresse, l'autre plus détaillée et munie de fleurs - merci, chérie - écrites dimanche. - Je t'ai écrit hier dans la matinée - mardi - et tu dois être en possession de ma lettre, première envoyée de Bois-le-Duc. J'espère que tu as vu Cl.[emenceau] maintenant. Le temps presse d'autant plus que le ministère, même s'il ne sombre pas les tout premiers jours sous les cris et les coups de la meute réactionnaire et clérico-militariste, n'aura certes pas la vie longue. L'affaireGa naar eindnoot1 liquidée - et sait-on | |
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seulement liquidée dans quel sens? - il fera la culbute. C'est donc maintenant ou jamais que je rentre, car une nouvelle attente prolongée équivaudrait pour moi a jamais. Tu le sais bien, que je ne puis plus attendre. - Je viens de lire dans un des journaux que tu m'as envoyés - l'Aurore - un article de Cl. où je vois qu'il est plutôt bien avec Millerand.Ga naar eindnoot2 Or M. est ministre pour le moment et comme je t'ai dit les ministrès ne se refusent jamais rien entre eux. Si Cl. peut donc déterminer M. a marcher,l'affaire réussira. Seulement il ne faut pas que M. promette sans tenir ou qu'il lâche tout de suite la rampe au premier refus. Je ne me dissimule pas que le gouvernement, ces jours-ci, ait d'autres chats a fouetter, mais pour moi c'est une question de vie et de mort. C'est un ministère extraordinaire et par là plutôt sympathique. Quant à moi, si Galliffet veut mettre au pas les généraux factieux, je suis pour Galliffet.Ga naar eindnoot3 Je marcherais avec n'importe qui contre cette bande d'assassins galonnés et enfroqués. Je voudrais ma part à la lutte - et je me morfonds ici dans ce cochon de pays où il n'y a ni passion, ni tempérament, ni caractère, ni courage, ni indignation, ni rien. - Oh Kaya chérie, tire-moi de eet enfer d'inaction et de mortel ennui. Ne remets pas plus longtemps tes visites a Cl. et explique-lui bien que c'est de ma vie qu'il s'agit. - Oui, je pourrais revenir comme ga et si j'étais sur que je m'en tirerais avec q.q. semaines de prison avec certitude de pouvoir rester à Paris, après, je sacrifierais bien encore ces q.q. semaines de liberté. Q.q. jours de plus ou de moins! - Dans ta lettre tu ne me donnes pas beaucoup d'espoir. Tu ne dis rien des chances que tu supposes que j'aie de bientôt rentrer à Paris. Si l'affaire ne se conclut pas tout de suite, elle est indéfiniment remise. Et moi je ne peux plus attendre. Je ne m'amuse pas énormément ici. - Je me suis replongé - en attendant que la page précédente de ma lettre séchat - dans la lecture de l'article de Cl. Et maintenant je suis persuadé que si Cl. voulait aller personnellement voir Waldeck-Rousseau, il enlèverait l'affaire d'emblée. C'est encore mieux, mille fois mieux que s'il se chargeait, par l'intermédiaire de Millerand, de me rouvrir la France. Et puis, à vrai dire, j'aimerais infiniment mieux devoir q.q. chose a Cl. qu'à M. - Cl. est plus propre que tous ces social-démocrates. Je suis sur, sur, entends-tu, de l'efficacité d'une démarche personnelle de Cl. auprès de W.R. Je t'adjure donc, n'attends plus un jour. Le temps presse et chaque jour enlève une parcelle de ma force de résistance. A part ma grande douleur j'ai encore la tristesse de trainer une vie vide et seule, sans lutte, sans combat, sans mérite. - Je suis avec les Cl., les GohierGa naar eindnoot4, les Zola, avec tous ceux qui combattent contre les | |
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égorgeurs, et je suis obligé de me ronger les poings a distance, de me morfondre dans l'inaction. - Si Cl. ne peut pas aller voir W.-R., qu'il pistonne alors Millerand. Mais une fois encore, il faut que l'on se hate. Evidemment je pourrais aller à Paris comme cela, mais c'est assez risqué. Non pas que je craigne d'être arrêté tout de suite, mais il ne sem[ble] pas faisable de rester à Paris q.q. temps sans être pris. Sans parler encore de la difficulté que j'aurai de partir d'ici, c'est-a-dire de Hollande, après avoir levé l'ancre a Schiermonnikoog au vu et au su de tout le monde. Pour un petit voyage on ne fait pas attention, mais si je plie bagages on le saura et le gouvernement hollandais me signalerait immé- diatement au gouvern. français, si je pars pour Paris dans ces conditions. -Je ne m'amuse pas ici. C'est une ville ennuyeuse, pas de cafés - et s'il y en avait, je n'irais sans doute pas - et pas d'environs. Les enfants... ou, plus exactement, une des enfants, la petite fille, m'est une grande distraction. Je l'ai tout le temps, elle veut être avec moi constamment, elle m'embrasse avec sa petite bouche qu'on pourrait couvrir d'un ‘dubbeltje’. Sa mère dit qu'avec les autres (étrangers) elle n'est pas comme ga. Ma soeur est très gentille, contente de m'avoir ici, et nous (qui étions à la maison les parias) nous nous rappelons réciproquement notre jeunesse, nos prouesses etc. Somme toute, je suis moins misérable, moins ‘dejected’ qu'à Schiermonnikoog]. -Donne-moi vite, vite de bonnes nouvelles, et ne tarde plus d'aller voir C. si tu ne l'as pas vu encore. De tout mon coeur impatient,
ton Sandro
Bonjour a F.[elix] F.[énéon] Le vois-tu encore q.q. fois. Tu n'en parles jamais. |
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