Brieven 1888-1961
(1997)–Alexander Cohen– Auteursrechtelijk beschermdAan Kaya Batutaant.Ga naar eindnoot1 Sch.[iermonnikoog] 21.6.99 (mercredi)
Merci, Kaya chérie, de ta bonne petite carte-lettre de lundi. Et de tes petites fleurs, cueillies a mon intention a Ville d'Avray. J'avais tant | |
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besoin de q.q. paroles encourageantes. - lei, tout est à la tristesse. R. et M. devraient partir aujourd'hui par eau, pour Groningue. J'étais sur la digue de très bonne heure pour leur dire adieu (l'individu est parti seul, lundi). A six heures j'ai vu arriver la voiture, sans passagers. Le conducteur me disait à ma demande que ces dames ne partaient pas, Mathilde étant tombée malade dans la nuit. En rentrant (vers 5 1/2 heures du matin) R. était à la porte et elle m'appelait. Elle me disait que M. était très malade, presque folie. Elle avait déliré toute la nuit. R. avait veillé, seule. Et moi qui ne puis rien faire, aider a rien. R. à l'air terriblement fatiguée, effondrée littéralement. Ces derniers temps ont été terribles pour elle. L'individu est décidément d'une infâmie. L'autre samedi, quand j'étais malade - une fièvre terrible, je pensais que j'en claquerais et j'avais un peu de délire même - elle était venue, le soir, de neuf a dix heures, je crois. C'est Mathilde qui le lui avait demandé, car q.q. jours avant, le jeudi, elle était déjà venue pour me dire adieu. Quand l'individu est rentré, lundi, et qu'il a su que R. était venue chez moi, il lui a dit des sottises, le salaud sanguinaire (Mathilde m'a raconté cela). M. a engueulé l'individu pour cela. Cette pauvre R. en a pleuré et lui a dit que j'étais si malade, et qu'elle ne croyait pas avoir mal agi en allant me voir. Quel assassin que eet homme d'amour, n'est-ce-pas? (R. ignore que je sais cela). Tout de même, ce matin lorsque je passais sur la route, elle m'a bravement appelé à la porte de la pastorie,Ga naar eindnoot2 et m'a dit ce qui en était avec M. Elle m'a envoyé un petit mot pour me dire ce que le docteur (appelé après notre conversation) avait dit et elle me demande d'être doux, calme et courageux. Dieu sait si j'ai besoin de calme et de courage dans l'état d'affreux abandon où je suis. Je suis maigre à un point... La voisine - que Dieu, s'il existe, la bénisse - me porte tous les jours a manger, sans quoi je crois que je mourrais de faim. Que je te dise tout de suite que hier et aujourd'hui j'ai été pendant q.q. heures moins misérable, mais à la tombée de la nuit c'est de nouveau affreux. Tu vois bien que je suis assez calme au moment où j'écris, mais il faut que je retourne à Paris dans le plus bref délai, sans quoi je deviendrai fou de mélancolie. Jamais je n'ai été triste a ce point, Kayouchka. Quant a ce que tu dis, de retourner, quitte a ne sortir que le soir, cette idée me sourit beaucoup. Mais il faudrait que l'affaire soit presque süre - j'entends en bon chemin - car 15 jours de prison auraient raison de la force de résistance qui me reste encore. Dans les journaux d'hier, mardi, je vois qu'il n'y a pas encore de ministère.Ga naar eindnoot3 Jamais de ma vie j'ai été aussi assoiffé de ministères. F[élix] F[énéon] a donc vu Cl.[emenceau] et Cl. t'attend dès que le | |
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ministère sera constitué. Quand tu verras Cl., dis-lui bien que c'est pour moi une question de vie et de mort. Et qu'il faut faire vite. Demain je dois aller a Oostma[horn], avec le bateau du voisin Visser. Départ a 4 1/2 h. du matin. J'ai télégraphié a Dockum pour des citrons qu'on doit m'apporter a OostmafhornJ. C'est pour Mathilde qui a une très forte fièvre. Je suis heureux d'être dehors sur la mer, et pas à la maison, seul. J'ai donné un sofa aux bons voisins. Les deux Grips sont très drôles et m'amuseraient énormément à tout autre moment. Ils me suivent partout, dans la maison, le jardin, quand je vais chercher du lait. Ils dé- crivent de grands cercles au-dessus de ma tête, très haut et l'un se pose alors sur mon bras. Tout le monde en est baba; il n'y a que 8 ou 10 jours qu'ils sont libres. Mais ils m'ennuient tout de même très souvent, comme tout le reste. - J'ai récolté déjà des petits navets blancs, et bientôt j'aurai des carottes. J'en ai déjà déterré une vingtaine de jolies. Je donne tout cela aux voisins. Les pois sont déjà assez grands et bientôt ils seront mangeables. Idem les pommes de terre. - Je suis bien avec les autorités qui sont venues demander de mes nouvelles lors de mon ‘accident’. J'ai navigué avec le bourgmestreGa naar eindnoot4 - copropriétaire du bateau de Visser - et le secrétaire de la communeGa naar eindnoot5 vient tous les jours me voir. Il m'apporte des journaux, je lui donne les miens (AuroreGa naar eindnoot6 etc.) et il est très serviable. Parfois il est la pendant une demi-heure sans que j'ouvre la bouche. 11 fait tout ce qu'il peut pour me tirer de mon abrutissement, veut se promener avec moi, dans les dunes, le long de la mer, sur mer (est aussi coproprio du bateau). Enfin, très aimable et même assez crane - se promener avec moi, venir chez moi, l'homme signalé. 11 m'a dit l'autre jour (quand pour la première fois nous causions un peu plus longuement) et comme cela, spontanément, qu'il avait eu tort d'avoir des sentiments officiellement hostiles contre moi lorsque nous arrivions ici et d'avoir voulu faire du zèle. 11 m'avait jugé (pré-jugé, hasardai-je) sur les racontars des journaux et les rapports policiers et gouvernementaux. C'est très bien, n'est-ce pas, d'ainsi avouer ses torts. Et encore pour un personnage officiel. Ce garçon est incomparablement supérieur a ‘l'individu’, très chrétien et très assassin, qui l'a calomnié parce que ce jeune homme est orthodoxe et donc d'une autre boutique, d'une boutique concurrente. Tu ne m'as toujours pas dit si tu as reçu la traduction de la chanson des Tisserands, de Heine. N'as-tu pas reçu ma lettre contenant cette traduction? - Voici une lettre pas trop triste, n'est-ce pas, chérie? Bien que par-ci, par-la, la mélancolie perce. N'en conclus pas que je suis gai, et tire-moi de ce gouffre au plus vite. Je n'ai confiance | |
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qu'en toi pour mener a bonne fin ce sauvetage. Mon dieu, quelle période de souffrance je traverse. Je t'enclos ici quelques petites immortelles encore. Tu les aimes mieux que les autres fleurettes, n'est-ce pas, chérie? Et merci encore de tes petites fleurs et de ta bonne, bonne chère petite carte. Elle est très douce et m'a fait tant de bien. - J'attends avec impatience la lettre détaillée que tu m'annonces. - Te verrai-je bientôt, Kaya dear? Je t'embrasse de tout mon coeur,
ton Sandro. |
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